Skip to main content

Full text of "Correspondance de Bossuet. Nouv. éd. augm. de lettres inédites et publiée avec des notes et des appendices sous le patronage de l'Académie française"

See other formats


^ 


^-^^ 


)  . 


y^^ — ^ 


7'V= 


cçr 


■^^ 


0{  M'^ 


■^^ia^ 


^^/: 


^ 
^ 


à 


^^Ar^^^ 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2009  witii  funding  from 

University  of  Ottawa 


littp://www.arcliive.org/details/correspondancede12boss 


LES 

GRANDS    ÉCRIVAINS 

DE   LA    FRANGE 


Ouvrage  publié 

avec  le  concours  de  l'Institut  de  France 

(Fondations  Debrousse  et  Gas). 


CORRESPONDANCE 


BO  SSUET 


XII 

(mai  1699 -décembre  1700) 


A  LA  MÊME   LIBRAIRIE 


COLLECTION  DES  GRANDS  ÉCRIVAINS  DE  LA  FRANCE 

PREMIÈRE    SÉRIE.    DIX-SEPTIÈME    SIÈCLE. 

PUBLIÉE    SOUS    LA    rUBECTIOH    DE 

M.    AD.    REGNIER 

Membre  de  l'Institut. 
Chaque  volume  in-S"  broché  20  francs. 
Corneille  (P.),  par  M.  Ch.  Marty-Laveaux.  12  volumes  et  un 

album 360  francs. 

La  Brutêhb,  par  M.  G.  Servois.  5  volumes  et  un  album.      .  11  o  francs. 

La  Fontaine,  par  M.  Henri  Régnier.   11  volumes  et  un  album.     280  francs. 
La  RocHEFOicAULD,    par    M.    D.-L.    Gilbert  et   J.    Gourdault. 

4  volumes  et  un  album 98  francs. 

Malherbe,  par  M.  Ludovic  Lalanne.  4  volumes  et  un  album.      100  francs. 
Molière,  par  MM.  Eug.  Despois  et  P.  Mesnard.  i3  volumes  et 

un  album 280  francs. 

Pascal  (Biaise)  :  Œuvres  publiées  suivant  l'ordre  chronologique, 

avec  documents,  introduction  et  notes.   i4  volumes.    .      .      .      280  francs. 
Première  série:   Œuvres   jusqu'au   Mémorial  de    i654  par 

MM.  Léon  Brunschwicg  et  Pierre  Boutroux.  3  volumes.       60  francs. 
Deuxième   série  :     CEuvres   depuis    le    Mémorial    de    i654. 
Lettres   provinciales.    Traité   de   la    Roulette,    etc.,   par 
MM.  L.  Brunschwicg,  Pierre  Boutroux  et  Félix  Gazier. 

8  volumes 160  francs. 

Troisième  série:    Les  Pensées,    par    M.    Léon   Brunschwicg. 

3  volumes 60  francs. 

Racine  (Jean),  par  M.  P.  Mesnard,  8  volumes  et  un  album.     .      180  francs. 
Retz  (Cardinal  de),  par  MM.  A.  Feillet,  J.  Gourdault  et  R. 

Chantelauze.    10  volumes 200  francs, 

Sétigné  (M"'e  de).   Lettres  de  M""^  de  Sévigné,  de  sa  famille  et 

de  ses  amis,  par  M.  Monmerqné.  i4  volumes  et  un  album. .     820  francs. 


VOLUMES  EN  COURS: 
BossuET  :  Correspondance.  Nouvelle  édition  augmentée  de  lettres 
inédites  et  publiée  avec  des  notes  et  des  appendices  sous  le 
patronage  de  l'Académie  française,  par  MM.  Charles  Urbain 
et  E.  Levesque.  9  volumes  en  vente.  Chaque  volume.. 
Saint-Simon:  Mémoires.  Nouvelle  édition,  collationnée  sur  le 
manuscrit  autographe  et  augmentée  des  additions  de  Saint- 
Simon  au  Journal  de  Dangeau  et  de  suites  et  appendices  par 
M.  de  Boislisle,  avec  la  collaboration  de  MM.  L.  Lecestre  et 
J.  de  Boislisle.  27  volumes  en  vente.  Chaque  vol 


20  francs. 


francs. 


COLLECTION  DES  GRANDS  ÉCRIVAINS  DE  LA  P^RANCE 

DEUXIÈME    SÉRIE.    XVllI"    ET    XIX«    SIÈCLES 

PUBLIÉE    SOUS    LA    DIBECTIO»    DB 

M.  G.  LANSON 

Professeur  à  la  Faculté  des  Lettres  de  l'Université  de  Paris. 
Chaque  volume  in-8<>  broché  20  francs. 
Lamartine:  Méditations  poétiques,  par  G.   Lanson.   2  volumes.    .        4o  francs. 
Victor  Hugo:  La  Légende  des  Siècles,  par  M.  Paul  Berret.  2  vo- 

'"™es 4o  francs. 


CHARTRES.    —    II 


'RIMERIE    DURAI 


RUE  FULBERT. 


CORRESPONDANCE 


BOSSUET 


NOUVELLE  ÉDITION 

AUGMENTÉE     DE     LETTRES     INÉDITES 

BT    PDBLIBB 

AVEC  DES  NOTES  ET  DES  APPENDICES 
SOUS  LE  PATRONAGE  DE  L'ACADÉMIE  FRANÇAISE 


Ch.  urbain  et  e.  levesque 


TOME     DOUZIEME 

(mai  1699 -décembre  1700) 


PARIS 
LIBRAIRIE     HACHETTE 

79,    BOULEVARD    SAINT-GERMAIK,     79 
1920 

Tous  droits  réservés. 


IMS  10 

i3-3.aa 


CORRESPONDANCE 

DE 

BOSSUET 


1924-  —  A  Alphonse  de  Valbelle. 

A  Paris,   16  mai  1699. 

Si  je  ne  savais,  Monseigneur,  que  vous  êtes  à 
présent  très  bien  instruit,  et  de  bonne  part,  de  ce 
qui  se  passe  ici,  je  continuerais  à  me  donner  l'hon- 
neur de  vous  en  écrire  ;  mais  je  ne  puis  vous  dissi- 
muler ce  que  je  viens  de  voir.  C'est  la  lettre  de 
convocation  de  Mgr  votre  archevêque  \  oij,  par  une 
visible  affectation,  il  tâche  d'insinuer  que  le  Roi  ne 
demande  à  votre  province  que  de  rendre  son  man- 
dement commun^  ;  par  où  il  exclut  indirectement  la 

Lettre  1924.  —  L.  a.  s.  des  initiales.  Collection  de  Mme  veuve 
Victor  Ejjger,  à  Paris.  Publiée  d'abord,  mais  inexactement,  par 
J.  Delort,  Voyages  aux  environs  de  Paris,  1821,  a  vol.  in-8  ;  réimpri- 
mée par  La  bouderie  dans  les  Mélanges  publiés  par  la  Société  des 
Bibliophiles  français,  et  par  les  éditeurs  de  la  Correspondance  de 
Fénelon,  t.  X,  p.  677. 

I.  Elle  se  trouve  dans  la  Correspondance  de  Fénelon,  t.  X,  p.  557- 
3.  C'est-à-dire  que  les  évèques  de  sa  province  adoptent  le  mande- 
ment qu'il  a  donné.  Cette  conséquence  ne  nous  paraît  pas  sortir  des 
paroles  de  P'énelon  :  «  Je  vous  envoie  une  copie  de  la  lettre  par 
laquelle  le  Roi  m'a  déclaré  ses  intentions  touchant  le  bref  du  Pape  qui 
a  condamné  mon  livre.  Vous  verrez  que  Sa  Majesté  souhaite  que  nous 
fassions,  dans  une  assemblée  de  notre  province,  ce  que  j'ai  déjà  fait  en 

XII  —  I 


2  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

demande  inévitable  qu'on  doit  faire  au  Roi,  de  la 
suppression  des  livres  faits  en  défense.  Mais  il  abuse 
de  ces  paroles,  et  oublie  celles  où  le  Roi  désire  que 
les  provinces  procèdent  à  ce  qui  est  nécessaire  à 
exécuter  ponctuellement  et  avec  uniformité  la  cons- 
titution :  ce  qui  ne  peut  subsister  sans  supprimer 
ce  qui  est  fait  [en]  défense  d'un  livre  condamné  par 
le  Saint  Siège  et  par  son  auteur  ;  d'autant  plus  que 
tous  ces  livres,  imprimés  sans  permission  et  de  la 
seule  autorité  privée,  par  eux-mêmes  sont  reje- 
tables, selon  les  règles  de  la  police.  Je  n'ai  rien  à 
ajouter,  sur  cela,  à  ce  que  dit  le  procès-verbal  de 
notre  province,  et  si  M.  de  Cambrai  semble  en  être 
instruit,  il  montrera  qu'il  adhère  encore  à  son  livre, 
puisqu'il  s'oppose  à  la  suppression  de  ce  qui  est 
fait  pour  sa  défense.  Il  est  vrai  que  Rome  ne  les  a 
pas  condamnés,  ni  même  eu  le  temps  de  les  exa- 
miner. Mais  il  est  de  droit  de  condamner  les  dé- 
fenses des  mauvais  livres,  et,  outre  cela,  Rome  con- 
damnant le  livre  de  l'Explication  ex  connexione 
sententiarum,  elle  condamne  par  conséquent  les 
interprétations  faites  en  défense  de  ce  môme  livre'. 

mon  parliculier  par  mon  mandement,  pour  recevoir  et  accepter  le  bref. 
Pour  moi,  Monseijrneur,  je  suis  tout  prêt  à  faire  cet  acte  commun,  et 
i'ai  toute  l'impatience  que  je  dois  avoir  de  finir  cette  affaire...  »  (A 
Valbelle,  3  mai  1699,  ^^ans  la  Correspondance,  t.  X,  p.  557  et  558). 
La  lettre  du  Roi  a  été  imprimée  au  tome  IX  des  OEavres  de  Fénelon, 
p.  189.  On  y  lit  en  propres  termes:  «  ...  ne  doutant  pas  que  vous  ne 
soyez  bien  aise  de  faire  dans  l'assemblée  des  évêques  suffragants  de 
votre  métropole  ce  que  vous  avez  fait  en  votre  particulier...  » 

3.  Bossuet  ici  dépasse  la  mesure.  Le  Pape  a  déclaré  à  plusieurs 
reprises  qu'il  n'avait  pas  entendu  condamner  les  explications  de  Féne- 
lon (Correspondance,  t.  X,  p.  /I26,  A29,  43 1,  43/1-438,  553. 
Cf  II.  Bremond,  Apologie  pour  Fénelon,  p.  Sgo).  / 


mai  1699]  DE   BOSSUET.  3 

Vous  voyez  bi^n,  Monseigneur,  combien  cela  est 
capital,  et  combien  il  regarde  le  soin  des  évêques 
d'ôter  des  mains  des  peuples  les  excuses  et  apolo- 
gies d'un  livre  dont  la  pratique  est  pernicieuse,  et 
dont  la  lecture  induit  à  des  erreurs  déjà  condam- 
nées. Je  puis  vous  assurer  que  le  Roi  même  a 
trouvé  cela  très  important  et  sera  bien  aise  de  le 
faire  à  la  supplication  des  évêques. 

Je  suis  avec  respect,  comme  vous  savez,  etc.  *. 

J.  B.,é.  de  M. 


1925.  —  A  l'Abbé  Renaudot. 

A  Paris,  if)  mai  [1699]. 

Je  ne  puis  tarder  davantage  à  vous  rendre  grâces. 
Monsieur,  du  soin  que  vous  avez  pris  de  me  donner 
part  d'une  lettre  qui  me  donne  en  effet  beaucoup  de 
joie  :  cela  est  d'ami,  et  je  le  ressens.  Au  reste, 
quand  il  vous  plaira  que  nous  ayons  quelque  con- 
férence, vous  me  ferez  plaisir.  Je  serai  libre  di- 
manche, si  vous  n'êtes  point  rebuté  du  moins  dune 
médecine  que  je  prends  demain.  La  porte  vous 
sera  ouverte  toute  l'après-dînée. 

Je  suis  à  vous,  Monsieur,  comme  vous  savez. 
J.  B.,  é.  de  Meaux. 

Suscripfion:  A  Monsieur  l'Abbé  Renaudot,  à  la 
porte  Richelieu,  à  Paris. 

4.  Comme  dans  la  lettre  du  20  mai  (p.  i^),  Bossuet  n'achève  pas 
la  salutation  finale. 

Lettre  1925.  —  L.  a.  s.  des  initiales,  avec  suscription  delà  main 
(le  Ledieu.  Inédite.  Collection  H.  de  Bothscliild.  Bossuet  fait  allusion 
1   une  indisposition  dont  il  a  été  question  au  t.  XI,  p.  289- '.'.go. 


4  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

1926.  —  A  l'Abbé  Bossuet. 

A  Paris,  ce  18  mai  1699. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  28  avril.  Le  Pape  a  trop 
de  bonté,  et  vous  ne  sauriez  trop  lui  marquer  ma 
vive  et  profonde  reconnaissance. 

M.  le  prince  de  Vaïni  m'a  fait  voir  ce  matin, 
dans  une  lettre  de  M.  l'abbé  Pequigny,  les  senti- 
ments qu'il  vous  a  fait  l'honneur  de  vous  expli- 
quer. Ne  partez  pas,  je  vous  prie,  sans  me  procurer 
l'amitié  d'un  si  galant  homme,  si  bien  intentionné 
et  si  savant. 

Je  me  doutais  bien  qu'on  sentirait  à  Rome  la 
sécheresse  de  M.  de  Cambrai*,  comme  on  la  sent 
ici.  Il  est  beau  au  Pape  d'avoir  dit  qu'il  sent  mieux 
qu'il  ne  s'explique,  et  nous  le  voulons  entendre 
ainsi  pour  le  bien  de  la  paix;  mais  nous  serons 
secrètement  attentifs  à  ses  démarches. 

Je  vous  envoie  à  toutes  fins  le  procès-verbal  de 
notre  assemblée,  avant  qu'il  s'imprime.  Tenez-le 
fort  caché  :  ne  le  montrez  à  qui  que  ce  soit  qu'à 
M.  Phelipeaux,  et  qu'il  n'en  sorte  de  vos  mains 
aucune  copie.  J'espère  qu'il  fera  honneur  à  notre 
métropolitain  et  à   la  province '^   Entre  nous,  on  y 

Lettre  1926.  —  i.  Dans  son  mandement  et  dans  ses  lettres  au 
Pape. 

2.  Il  fut  imprimé  chez  Muguet,  in-/i.  A  Rome,  on  fut  mécontent 
de  ce  qu'il  y  était  dit  que  les  évèques  ne  sont  pas  de  simples  exécu- 
teurs des  décrets  du  Saint  Siège  (Lettre  d'un  janséniste,  16  juin  1699, 
Affaires  étrangères,  Rome,  t.  896,  f"  56  :  «  Les  défenseurs  de  l'in- 
faillibilité ne  manqueront  pas  de  se  récrier  là-dessus  et  tâcheront  c"  > 


mai  1699]  DE   BOSSUET.  5 

a  adouci  bien  des  choses.  Outre  les  fautes  de 
copistes,  on  y  a  encore  changé  des  expressions 
qu'on  n'a  pas  eu  le  loisir  d'y  insérer  :  suppléez  à 
tout. 

Vous  voyez  la  lettre  de  M.  Giori^  qui  donne 
sujet  à  la  mienne. 

Pour  votre  départ,  quand  il  ne  tiendra  qu'à 
attendre  quelque  huit  ou  quinze  jours  pour  voir  à 
Rome  M.  l'ambassadeur,  j'y  consens  ;  sinon,  je 
remets  h  votre  prudence  dengager  l'affaire  de  votre 
induit,  et  d'en  venir  attendre  ici  l'événement  par 
le  secours  de  M.  de  Monaco.  J'ai  lu  ce  matin  toute 
votre  lettre  à  M.  de  Paris,  à  Conflans*,  d'où  je  viens. 

J'avais  tant  de  choses  à  vous  écrire  la  dernière 
fois,  que  l'affaire  des  Bénédictins"  m'a  échappé.  Elle 
fait  pourtant  grand  bruit  parmi  les  savants.  M.  de 
Chartres  a  paru  prévenu  contre  eux  ;  j'ai  taché  de 
l'apaiser  un  peu. 

Vous  aurez  les  lettres  que  vous  souhaitez  pour 
les  cours  de  Modène  et  de  Savoie. 

Votre  conversation  avec  le  Pape  sur  Mme  de 
Maintenon  est  considérable  :  il  en  sera  fait  men- 
tion ^  Je  vais  samedi  à  Versailles:  on  est  à  Marly 
jusqu'à  ce  temps-là.  On  ne  peut  trop  marquer 
l'oblioration  qu'on  a  ici  à  M.  le  nonce. 


rendre   odieuse   la   conduite  des    évèques  et  surtout  de  M.  de  Paris  ; 
mais  je  crois  qu'on  avalera  tout  doucement  la  pilule  »).  CF.  p.  1 1  et  28- 

3.   Elle  n'a  pas  été  conseivée.  Voir  plus  loin,  p.  63. 

4-    Maison  de  campagne  des  archevêques  de  Paris. 

5.  Au   sujet    de    leur    édition    de   saint   Augustin.    Voir    Ingold, 
Histoire  de  l'édition  bénédictine  de  saint  Augustin,  Paris,  1908,  in-8 

6.  Au  Roi  at  à  Mme  de  Maintenon. 


6  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

Le  Télémaque  de  M.  de  Cambrai'  est,  sous  le 
nom  du  fils  d'Ulysse,  un  roman  instructif  pour 
Mgr  le  duc  de  Bourgogne.  Il  partage  les  esprits  :  la 
cabale  l'admire  ;  le  reste  du  monde  trouve  cet 
ouvrage  peu  sérieux  pour  un  prêtre^. 

7.  Le  Télémaque  commençait  à  paraître,  sans  nom  d'auteur,  sous 
le  titre  de  Suite  du  quatrième  livre  de  l'Odyssée  d'Homère,  ou  les 
avantures  de  Télémaque,  fils  d'Ulysse,  Paris,  1699,  in-ta  (Cf.  l'abbé 
Caron,  Recherches  bibliographiques  sur  le  Télémaque,  Paris,  18/I0, 
in-8  ;  les  Œuvres  de  Fénelon,  t.  XX;  Bausset,  Histoire  de  Fénclon, 
livre  VI;  Saint-Simon,  t.  VI,  p.  i56,  et  t.  XXI,  p.  29a.) 

8.  Bossuet  en  portait  le  même  jugement  dans  l'intimité,  déclarant 
l'ouvrage  «  indigne  non  seulement  d'un  évêque,  mais  d'un  prêtre  et 
d'un  chrétien,  et  plus  nuisible  que  profitable  au  prince  à  qui  l'auteur 
l'avait  donné  »  (Ledieu,  t.  II,  p.  12  à  i;'i).  Gaston  de  NoalUes,  évèque 
de  Châlons,  écrivait  du  Télémaque  :  «  J'y  trouve  de  beaux  principes 
de  gouvernement  et  des  maximes  solides  répandues  dans  le  corps  du 
livre;  mais  le  style  cause  de  l'indignation,  il  est  poétique  outré  :  je 
n'y  vois  rien  d'admirable,  les  descriptions  sont  trop  détaillées  et  le 
livre  me  paraît  très  dangereux  et  peu  propre  h  inspirer  à  un  jeune 
prince  une  éducation  chrétienne...  »  Et  l'archevêque  de  Paris  répon- 
dait :  «  Télémaque  n'est  pas  digue  d'un  prêtre,  et  ne  convient  point  à 
l'éducation  d'un  jeune  prince  qu'on  voulait  élever  chrétiennement  » 
(Bibliothèque  Nationale,  fr.  28206,  1"  35,  9  octobre  1699).  Mais  le 
reste  du  monde  lisait  avidement  et  admirait  l'ouvrage,  dont  les  éditions 
se  succédèrent  rapidement,  malgré  les  rigueurs  de  la  police.  «  Dieu 
veuille  que  les  instructions  que  contient  ce  livre  fassent  impression 
sur  le  duc  de  Bourgogne!  écrivait  la  princesse  Palatine.  S'il  s'y  con- 
forme, il  deviendra  un  grand  roi  avec  le  temps  »  (i^  juin  1699,  édi- 
tion Jœglé,  t.  I,  p.  229;  cf.  p.  217).  «  Il  y  a  de  l'agrément  dans  ce 
livre  et  une  imitation  de  l'Odyssée,  que  j'approuve  fort...  Je  souhai- 
terais que  M.  de  Cambrai  eût  rendu  son  Mentor  un  peu  moins  prédi- 
cateur, et  que  la  morale  fût  répandue  dans  son  ouvrage  un  peu  plus 
imperceptiblement  et  avec  plus  d'art...  La  vérité  est  pourtant  que  le 
Mentor  du  Télémaque  y  dit  des  choses  fort  bonnes,  quoique  un  peu 
hardies,  et  qu'enfin  M.  de  Cambrai  me  paraît  beaucoup  meilleur  poète 
que  théologien...  «  (Boileau  k  Brossette,  10  nov.  1699,  édit.  Laver- 
det,  Paris,  i858,  in-8,  p.  3o).  De  son  côté,  Quesnel  dit  :  u  C'est  un 
joli  roman.  Ayant  été  imprimé  à  Paris,  ou  l'a  fait  arrêter.  M.  de  Har- 
lay  m'en  a  fait  donner  un.  Il  est  admirablement  bien  écrit...  »  (Cor- 
respondance, t.  II,  p.  62).  Et  Mme  de  Grignan  :  «  Ce  n'est  point  un 
archevêque  qui  a  fait  l'Ile  de  Calypso,  ni  Télémaque:  c'est  le  préce-  â 


mai  1699]  DE   BOSSUET.  7 

Bonsoir,  bon  retour. 

N'oubliez  pas,  à  Florence,  de  faire  souvenir  Mgr  le 
Grand  duc  qu'il  m'a  fait  l'honneur  de  me  promettre 
son  portrait  et  ceux  de  sa  sérénissime  famille,  pour 
orner  mon  cabinet  de  Germigny  avec  ceux  de  mes 
maîtres. 


1927.  —  L'Abbé  Bossuet  a  son  Oncle. 

A  Rome,  ce  19  mai  1699. 

Je  vois  avec  plaisir,  par  la  lettre  de  S.  M.  à  MM.  les  arche- 
vêques*, letour  qu'on  a  pris  sur  la  réception  de  la  constitution. 
Je  vous  avoue  que  rien  ne  pouvait  être  plus  selon  mon  goût 
et  selon  mes  idées.  Je  me  suis  toujours  bien  attendu  quV«n 
témoignant  pour  le  Saint  Siège  le  respect  qui  lui  est  dû,  on 
ne  laisserait  pas  avilir  l'autorité  épiscopale,  et  assurément  on 
ne  pouvait  rien  faire  de  plus  canonique  ni  de  plus  authen- 
tique. La  manière  dont  le  Roi  parle  de  la  soumission  de 
M.  de  Cambrai-  est  telle  que  je  souhaitais  que  le  Pape  en  par- 
ieur d'un  grand  prince,  qui  devait  à  son  disciple  l'instruction  néces- 
saire pour  éviter  tous  les  écueils  de  la  vie  humaine,  dont  le  plus  fort 
est  celui  des  passions.  Il  voulait  lui  donner  de  fortes  impressions  des 
désordres  que  cause  ce  qui  paraît  le  plus  agréable,  et  lui  apprendre 
que  le  grand  remède  est  la  fuite  du  péril...  Les  poètes  sont  pleins 
d'une  peinture  terrible  des  passions  :  il  n'y  en  a  aucune  de  cette 
nature  dans  Télémaque  ;  tout  y  est  délicat,  pur,  modeste,  et  le  remède 
est  toujours  prêt  et  toujours  prompt,  etc.  »  (A  la  suite  de  Mme  de 
Sévigné,  Grands  écrivains,  t.  X,  p.  5o8).  Voir  aussi  le  sentiment  de 
Mme  Dunoyer  (^LcUres  (jalanles,  Londres,  1757,  in-12,  t.  I,  p.  80), 
et  de  l'abbé  de  Saint-Pierre  (Ouvrages  de  politique  et  de  morale, 
Amsterdam,  1737,  t.  XII,  p.  a47).  Les  rigueurs  du  pouvoir  à  l'égard 
du  Téléniaque  sont  attestées  par  l'abbé  Viguier,  lettre  du  20  décembre 
1699,  dans  les  Mélanges  publiés  par  la  Société  des  Bibliopliiles  français, 
en  i856,  p.  371 . 

Lettre  i921.  —  i.  Voir  t.  XI,  p.  452. 

3.   Cf.  la  lettre  circulaire  du  Roi  aux  métropolitains,  t.  XI,  p.  453. 


8  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

làt  dans  son  bref  à  cet  archevêque,  pour  l'engager  peut-être 
plus  qu'il  ne  veut,  mais  autant  qu'il  est  nécessaire. 

Aussitôt  que  j'ai  eu  reçu  ces  nouvelles,  j'ai  cru  qu'il  était 
à  propos  de  voir  d'abord  M.  le  cardinal  Spada  et  puis  S.  S., 
pour  connaître  comment  la  conduite  de  la  France  serait  ici 
prise,  et  avoir  lieu  de  faire  valoir  le  zèle  du  Roi  et  le  respect 
qu'il  témoignait  en  cette  occasion  pour  le  Saint  Siège  et  la 
personne  du  Pape,  ayant  trouvé  le  moyen  de  suppléer  à  tous 
les  défauts  de  formalité  qui  manquaient  à  la  constitution. 

M.  le  cardinal  Spada  était  déjà  informé  par  le  nonce,  qui 
ne  lui  avait  pourtant  pas  envoyé  copie  de  la  lettre  du  Roi,  et 
qui  souhaita  que  je  lui  en  fisse  la  lecture.  J'arrêtai  sur  les 
endroits  où  il  fallait,  et  qui  marquent  l'obéissance  qu'on  veut 
rendre  au  Saint  Siège.  Ce  ministre  m'en  parut  content,  et  me 
dit  qu'il  fallait  regarder  cettealTaire  comme  une  affaire  finie; 
ce  dont  je  l'assurai.  Il  eut  la  bonté  de  me  dire  que  S.  S.  lui 
avait  ordonné  d'écrire  à  M.  le  nonce  sur  mon  sujet,  pour  qu'il 
le  témoignât  au  Roi,  et  j'en  suis  confus.  Il  a  exécuté  cet  ordre 
dès  l'ordinaire  dernier,  à  ce  qu'il  m'a  déclaré. 

Après  avoir  vu  M.  le  cardinal  Spada,  je  vis  le  Pape,  qui 
me  combla  de  bontés,  et  qui  me  dit  que  je  ne  devais  pas  le 
remercier  d'une  chose  à  laquelle  il  était  obligé  :  après  quoi, 
nous  passâmes  à  ce  que  le  Roi  venait  de  faire,  que  je  tâchai 
de  lui  expliquer  de  manière  qu'il  m'en  parût  content,  aussi 
bien  que  de  la  conduite  des  évêqucs.  Il  me  dit  que  le  Roi  au- 
rait souhaité  qu'on  lui  eût  envoyé  la  constitution  in  carta- 
pecora,  c'est-à-dire  en  parchemin,  voulant  marquer  par  là 
qu'il  n'y  avait  d'autre  différence  entre  le  bref  et  une  bulle. 
C'est  une  plaisanterie  du  cardinal  Albani,  qui  a  cherché  à 
tourner  en  ridicule  la  distinction  qu'on  faisait  d'un  bref 
d'avec  une  bulle.  Je  fus  obligé  d'expliquer  doucement  à  S.  S. 
de  quelle  importance  étaient  certaines  formalités,  quand  il 
s'agissait  de  ne  pas  innover  dans  un  royaume.  Il  me  parut 
que  le  Pape  entrait  dans  les  raisons  que  je  lui  exposais,  et  je 
suis  persuadé  qu'il  ne  me  parlera  plus  de  cartapecora.  La 
conversation  roula  un  moment  sur  M.  de  Cambrai.  Je  vis 
bien,  par  la  manière  dont  le  Saint  Père  s'expliqua  sur  sor  t 


mal  1699]  DE   BOSSUET.  9 

sujet,  qu'il  n'est  pas  bien  persuadé  que  ce  prélat  croie  encore 
avoir  tort.  Néanmoins,  comme  il  veut  finir,  il  fait  semblant 
de  penser  favorablement  de  ses  dispositions.  Le  bref  qui  de- 
vait lui  être  adressé  lui  est  expédié,  et  en  voici  toute  riiisloire 
en  peu  de  mots. 

Dès  qu'il  eut  été  résolu  dans  la  première  congrégation  qu'on 
écrirait  un  bref  à  M.  de  Cambrai,  M.  Gozzadlni,  secrétaire  des 
brefs,  fit  la  minute  de  celui-ci.  Dans  ces  entrefaites  arriva  le 
mandement  de  M.  Cambrai,  avec  une  seconde  lettre  de  ce 
prélat.  Ces  deux  nouvelles  pièces,  jointes  aux  réflexions  que  je 
fis  faire  au  Pape  et  aux  cardinaux  sur  la  première  lettre  de 
M.  de  Cambrai,  furent  cause  qu'on  changea  un  peu  de  plan  : 
M.  le  cardinal  Albani  se  fit  tout  remettre  entre  les  mains,  et 
composa  un  bref  à  sa  mode.  On  le  lut  dans  la  congrégation 
du  jeudi  7  mai,  et  on  voulait  que  les  cardinaux  dissent  sur- 
le-champ  leurs  avis;  mais  le  cardinal  Casanate  insista  pour 
qu'on  envoyât  copie  du  bref  à  chaque  cardinal,  afin  de  l'exa- 
miner avec  plus  de  soin,  et  de  donner  leur  avis  avec  plus  de 
maturité,  l'atlaire  étant  très  délicate  et  très  importante,  et  dans 
des  circonstances  qui  demandaient  de  la  réflexion.  En  consé- 
quence, il  fut  résolu  qu'on  enverrait  le  bref /)er  manus  :  cela 
fut  exécuté,  et  on  en  retrancha  plus  de  la  moitié.  Le  cardinal 
Casanate  voulait  qu'on  prît  une  tournure  différente,  et  il 
proposa  même  un  autre  projet  du  bref;  mais,  parce  qu'il  ne 
parut  pas  assez  favorable  à  M.  de  Cambrai,  ses  partisans 
s'échaulfèrent  beaucoup  pour  empêcher  qu'il  ne  fût  adopté. 
L'amour-propre  rendit  le  cardinal  Albani  encore  plus  ardent 
à  soutenir  son  ouvrage;  car  il  crut  que  c'était  lui  faire  affront 
que  de  ne  pas  se  servir  du  corps  de  sa  lettre.  Ainsi  on 
s'en  tint  à  son  bref,  avec  les  différentes  corrections  qui  y 
avaient  été  faites.  Le  cardinal  Casanate  m'a  avoué  que,  dans 
cet  état  même,  il  ne  lui  plaisait  pas  entièrement.  Néanmoins 
il  m'a  assuré  qu'on  en  avait  retranché  tout  ce  qui  pouvait 
donner  lieu  à  de  nouvelles  disputes,  observant  que,  si  on  par- 
lait de  la  piété  de  M.  de  Cambrai,  cela  ne  touchait  point  au 
fond,  vu  que  ce  point  était  étranger  à  l'alfaire. 

Le  projet  du  bref  du  cardinal  Casanate  était  précis,  et  ne 


,0  CORRESPONDANCE  [mai  i6yi) 

contenait  rien  dont  on  pût  abuser.  On  aurait  dit  à  M.  de 
Cambrai  qu'on  n'attendait  pas  moins  de  lui  que  la  soumis- 
sion qu'il  témoignait  dans  son  mandement,  après  avoir  tant 
de  fois  protesté  dans  ses  défenses  qu'il  se  rendrait  au  juge- 
ment du  Saint  Siège;  qu'on  était  bien  aise  de  voir  l'exécu- 
tion de  ses  promesses,  qu'on  espérait  et  même  qu'on  ne  dou- 
tait pas  qu'il  n'eût  dans  le  cœur  ce  qu'il  faisait  paraître  dans 
ses  expressions;  enfin  qu'on  l'exhortait  à  demeurer  ferme 
dans  ses  résolutions,  et  de  continuer  à  détester  une  doctrine 
et  des  principes  dont  il  voyait  résulter  dans  tout  le  monde 
chrétien  de  si  pernicieuses  conséquences.  Voilà  à  peu  près 
l'idée  du  bref  que  le  cardinal  Casanate  avait  proposé,  et  qu'il 
n'a  pas  été  possible  de  faire  approuver,  à  cause  des  amis  de 
M.  de  Cambrai. 

P]nfm  il  avait  été  comme  arrêté  par  le  Pape  qu'on  enver- 
rait le  bref  à  M.  le  nonce,  pour  le  communiquer  au  Roi  et  aux 
évéques,  avant  que  de  l'adresser  à  M.  de  Cambrai.  Mais  les 
amis  de  cet  archevêque  ont  tant  tourmenté  le  cardinal  Spada 
et  le  Pape,  qu'on  a  donné  le  bref  à  M.  de  Chantérac,  et  on 
s'est  contenté  d'en  faire  passer  une  copie  à  M.  le  nonce  ^.  Le 
cardinal  Albani  a  assuré  le  P.  Roslet  du  contraire,  et  l'en  a 
persuadé.  Mais  ce  que  je  vous  dis  est  vrai;  je  l'ai  voulu  savoir 
du  Pape  même,  qui  me  l'a  confirmé;  et  M.  le  nonce  a 
ordre  de  vous  montrer  cette  copie,  ainsi  qu'à  M.  de  Paris. 

Il  n'y  a  pas  eu  moyen,  quoi  que  j'aie  pu  faire,  d'avoir 
copie  de  la  seconde  lettre  de  M.  de  Cambrai,  ni  du  bref 
qu'on  lui  écrit  :  cela  me  confirme  dans  la  pensée  que  cette 
seconde  lettre  n'est  pas  meilleure  que  la  première.  Je  crois 
être  bien  Informé  que,  dans  cette  lettre,  M.  de  Cambrai  re- 
jette le  malheur  qu'il  a  eu  sur  la  sublimité  de  la  matière 
qu'il  avait  entrepris  d'expliquer,  et  sur  la  faiblesse  de  son 
génie,  qui  n'a  pu  atteindre  par  des  expressions  convenables 
à  une  si  haute  doctrine  ;  ce  qui  a  fait  qu'il  a  pu  se  tromper. 
Vous  voyez  l'artifice  de  cette  pensée,  et  combien  il  est  revenu 

3.  Cf.  la  lettre  de  Gluintéiac,  du  i4  mai  (Correspondance  de  Fé- 
nelon,  l.  X,  p.  578). 


mai  1699J  DE  BOSSUET.  Il 

de  sa  spirllualité.  Mais  je  sens  bien  qu'on  ne  produira  jamais 
cette  seconde  lettre,  quoique  ici  on  fasse  courir  le  bruit  qu'elle 
est  plus  humble  que  la  première.  Si  elle  était  telle  qu'il  faut, 
on  ne  manquerait  pas  de  la  faire  valoir.  La  plupart  des  car- 
dinaux trouvent  assez  mauvais  qu'on  ne  leur  ait  pas  envoyé 
copie  du  bref,  après  les  corrections  faites;  et  l'on  a  peur  que 
le  cardinal  Albani  n'y  ait  ajouté  du  sien  dans  l'expédition. 

Le  Pape  et  le  cardinal  Spada  m'ont  paru  contents  des  ré- 
solutions prises  en  France;  mais  je  suis  le  plus  trompé  du 
monde  si  cette  cour,  dans  le  fond,  n'est  pas  un  peu  fâchée  de 
l'autorité  qu'on  donne  aux  évèques  ;  cependant  on  ne  fait  pas 
semblant  de  le  sentir.  Le  cardinal  Casanate,  à  qui  j'ai  donné 
copie  de  la  lettre  du  Roi,  m'a  paru  très  content.  Je  l'ai  prié 
d'en  dire  son  sentiment  au  Pape  et  au  cardinal  Spada;  il 
m'a  promis  de  le  faire. 

M.  de  Chantérac  partit  jeudi  dernier*  avec  son  bref. 

On  ne  sait  encore  rien  de  certain  sur  l'arrivée  de  M.  de 
Monaco.  Son  écuyer  et  son  secrétaire  sont  cependant  déjà 
rendus '.   D'après  les   nouvelles  que  m'apportera  M.  des  Ro- 

4.  Exactement  le  vendredi  i5,  à  quatre  heures  du  matin  (Ibid., 
p.  572).  Maille  rapporte  qu'on  fit  beaucoup  d'honnêtetés  à  l'abbé  de 
Chantérac.  Il  étail  présent  lorsque  l'agent  de  Fénelon  vint  prendre 
congé  du  cardinal  Noris.  Cette  Eniinence  lui  disant  qu'on  avait  traité 
Fénelon  avec  tous  les  égards  possibles,  Chantérac  se  plaignit  qu'on 
n'eût  pas  extrait  fidèlement  les  propositions  à  condamner  et  qu'on 
y  eût  ajouté  certaines  paroles  (Sans  doute,  dit  Maille,  il  pensait  à  la 
première,  où  l'on  a  ajouté  habitualls,  qui  est  inclus  dans  stalus^.  Noris 
répondit  que  c'avait  été  pour  faire  ressortir  plus  nettement  le  sens,  et 
que  ce  sens  était  bien  celui  du  livre  (Affaires  étrangères.  Home, 
t.  395,  fo  299). 

5.  L'écuyer  de  l'ambassadeur  devait  être  le  chevalier  de  Graville, 
ou  Gravelle  {Rome,  t.  4oG,  C  i55).  Quant  à  son  premier  secré- 
taire, c'était  Charles  Léonard  Cruau  de  La  Boullaye,  correcteur  en 
la  Chambre  des  Comptes.  Le  mauvais  état  de  sa  santé  ne  lui  permit 
pas  de  rendre  beaucoup  de  services,  et  il  quitta  Rome  dès  le  mois 
de  janvier  suivant  (Rome,  t.  Sgi,  fo  121  ;  t.  895,  f°^  la/i  et  i44  ; 
t.  4i3,  f°  33;  t.  1o5,  f''  20).  M.  de  Monaco  avait  pris  en  outre 
pour  second  secrétaire  un  .nommé  Beaudouin,  neveu  de  Noblet 
(t.  395,  fo  268). 


12  CORRESPONDANCE  fmai  1699 

ches*,  je  prendrai  ma  résolution  pour  demander  moi-même 
la  grâce  de  mon  induit.  Je  prépare  tout  à  cet  effet,  et  je  le 
tenterai  peu  de  jours  avant  mon  départ,  pour  mieux  réussir''. 

Je  compte  toujours  partir  vers  le  8  de  juin  sans  délai. 

Ce  que  je  vous  mandai  par  ma  dernière  lettre,  du  curé 
de  Seurre,  est  très  avéré.  Il  était  ici  depuis  la  mi-carême;  il 
ne  s'est  point  déguisé.  Il  eut  la  hardiesse,  le  jour  des  Ra- 
meaux, d'assister  à  la  chapelle,  et  de  prendre  des  rameaux  de 
la  main  du  cardinal  Paolucci,  ofïiciant.  Il  a  signé  des  quit- 
tances de  son  nom  propre.  Il  voulut  demeurer  chez  le  P.  Es- 
tiennot;  Dieu  l'aveuglait  manifestement.  11  a  pris  ici  plu- 
sieurs lettres  de  recommandation  pour  Avignon.  On  croyait 
qu'il  était  venu  à  Rome  pour  se  faire  absoudre  au  Saint 
Office,  mais  il  ne  s'y  est  pas  présenté.  Il  a  été  reconnu,  quinze 
jours  avant  son  départ,  par  un  gentilhomme  franc-comtois, 
nommé  le  marquis  de  Rroscia^,  qui  s'est  contenté  de  le  faire 
suivre.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  fut  averti  de  son  départ  le 
jour  même,  et  on  m'a  assuré  qu'il  le  faisait  poursuivre^.  Il 
lui  sera  très  aisé  de  le  faire  arrêter.  Je  ne  prétends  rien 
assurer;  mais  il  est  très  vraisemblable  que  M.  le  cardinal  a 
tout  su,  le  marquis  de  Broscia  étant  tous  les  jours  chez  cette 
Ëminence. 

6.  Des  Roches,  pseudonyme  de  Madot. 

7.  Edit.  :  avant  mon  départ.  Pour  mieux  réussir,  je  compte. 

8.  Cf.  Phelipeaux,  t.  Il,  p.  280.  Ce  gentilhomme  était  J.  Cl. 
Joseph  Froissard,  en  faveur  de  qui  la  terre  de  Broissia  (Jur.i)  avait 
été  érigée  en  marquisat  par  lettres  d'octobre  1691  ;  il  fut  chevalier 
d'honneur  au  Parlement  de  Besançon,  et  épousa,  le  i3  février  1693, 
Hilaire  d'Albon  Saint-Forgeux. 

9.  Sur  un  avis  donné  par  Bouillon,  Le  Bret  avait  reçu  de  la  Cour 
l'ordre  d'arrêter  le  curé  de  Seurre  à  son  arrivée  à  Marseille  (Affaires 
étrangères,  Rome,  t.  SgS,  f»  3o3).  On  verra  (page  27)  cette  arresta- 
tion. Dans  une  lettre  à  Mabillon  du  5  avril  1701,  D.  Guillaume 
Laparre,  procureur  général  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur  k 
Rome,  raconte  ainsi  l'issue  de  son  procès  :  «  Le  fameux  curé  de 
Seurre  est  eu  pleine  liberté  depuis  quelques  jours.  Il  avait  été  arrêté 
à  Florence  il  y  a  deux  ans  et  conduit  à  Rome  dans  les  prisons  de 
l'Inquisition.  Après  avoir  bien  examiné  son  procès,  qu'on  a  fait  venir 
de  France,  il  a  été  déclaré  innocent  par  le  Saint- Office.  On  dit  qu'il 


1699]  DE   BOSSUET.  i3 


1928.  —  A  Alphonse  de  Valbelle. 

x\  Paris,  7.0  mai  1699. 

Selon  vos  lettres  du  1 5  et  du  17,  vous  devez  être 
parti  le  22,  et  les  lettres  qui  partiront  d'ici  le  20 
ou  21  vous  pourront  être  rendues  à  Douai,  où 
vous  devez  arriver  le  28.  Je  ne  vous  parlerai  plus 
de  notre  procès-verbal  *  que  vous  devez  avoir  reçu 
il  y  a  déjà  quelques  jours.  On  trouve  à  Rome 
comme  ici  que  la  soumission  deM.  deC[ambraij  est 
sèche,  etc.  On  n'y  avait  pas  encore  reçu  son  man- 
dement, mais  seulement  la  promesse"  011  il  se  sert 
de  ce  passage  :  verba  mea  dolore  sunt  plena.  Mais  il 
témoigne  plus  de  douleur  d'être  condamné  et  humi- 
lié que  d'avoir  erré.  Sa  lettre  à  M.  d'Arras  ^  y  a 
paru,  comme  ici,  avoir  le  même  air.  La  pierre  de 
touche  sera  la  supplication  au  Roi  de  supprimer 
tous  les  ouvrages  faits  en  défense  d'un  livre  con- 
damné par  le   Saint  Siège  et  par  lui-même*.  Il  ne 

s'ea  va  en  France  pour  se  justifier.  Je  ne  sais  s'il  fait  prudemment. 
Car  il  y  apparence  que  le  Parlement  de  Dijon  ne  voudra  par  revenir 
de  l'arrêt  donné  contre  Ini,  par  lequel  il  a  été  condamné  à  être  brûlé  » 
(Bibl.  Nat.,  f.  fr.  igGSi,  f^  52  v"). 

Lettre  1928.  —  L.  a.  n.  s.  Collection  E.  Levesque.  Inédite. 

I.   Celui  de  l'assemblée  de  la  province  de  Paris. 

a.  La  lettre  du  4  avril  contenant  la  promesse  d'un  mandement, 
dans  la  Correspondance  de  Fénelon,  t.  X,  p.  479- 

3.   On  peut  la  voir,  ibid.,  p.  465. 

4-  On  trouvera  dans  la  Correspondance  de  Fénelon,  t.  X,  p.  502 
un  mémoire,  qui  paraît  être  du  Dr  Berlize,  contre  la  suppression  des 
écrits  apologétiques  de  l'archevêque  de  Cambrai,  sollicitée  par  ressemblée 
métropolitaine  de  Paris.  Sur  l'attitude  adoptée  à  cet  égard  par  les 
différentes  assemblées  provinciales,  voir  leurs  procès-verbaux,  dans  les 
Mémoires    du   clergé,  t.  I.  Cf.  plus  loin,  p.  3i. 


,/,  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

peut  reculer  là-dessus  sans  se  déclarer  pour  le  livre 
et  sans  vouloir  soutenir  les  explications  que  le  Pape 
condamne  par  ces  mots  :  sive  ex  connexione  sententia- 
rum.  De  droit,  sa  voix  ne  doit  point  avoir  lieu 
en  sa  faveur  ^  Il  peut  bien  faire  recevoir  et  approu- 
ver sa  soumission,  mais  non  pas  ce  qu'il  fera  contre 
ou  pour  la  restreindre  ;  joint  que  tous  ses  livres 
sont  faits  et  imprimés  sans  permission,  quelques- 
uns  même  hors  du  royaume.  Tout  ceci  se  dit  à 
toutes  fins  et  doit  être  digéré  selon  l'occasion  et 
votre  prudence. 

Vous  savez  mon  respect,  etc. 


1929.  —  Le  Grand  duc  a  Bossuet. 

22  Maggio  1699. 

Quanto  mi  fu  di  sommo  contente  il  veder  terminate  le 
note  controversie  con  la  Bolla  ultimainente  fatta  dal  Sommo 
Pontefice,  non  minore  è  adesso  l'obbligo  che  devo  a  V.  S. 
111°"  che  mediante  il  foglio  resomi  da  Mons.  Madot,  e  con  la 
di  lei  viva  voce  mi  hà  resa  giustizia  con  si  gentili  espressioni 
sopra  rintercsse  che  io  ho  preso  nel  buon  esito  di  taie  causa  ; 
di  che  me  ne  rallegro  di  nuovo  con  V.  S.  111'"%  la  quai  sen- 
tira meglio  i  miei  sentimenti  dal  medesimo  Mons.  Madot, 
cui  gli  hô  dlchiarati  nella  miglior  forma  ed  esibitole  la  mia 
prontezza  per  tutto  cio  che  avesse  bramato  :  del  resto  poi  io 
goderô  assai  nel   vedere  il   S.  abbate  di  Bossuet,   nipote  di 

5.  Dans  l'assemblée,  l'évèque  de  Saint-Oraer  dit  que  Fénelon 
n'aurait  pas  dû  donner  son  avis  sur  cette  matière,  attendu  qu'il  est 
contre  tout  droit  qu'on  puisse  délibérer  et  prononcer  dans  sa  propre 
cause. 

Lettre  1929.  —  Minute  inédite.  Florence,  Archivio  medieeo, 
l.  3914. 


mai  1699]  DE   BOSSUET.  l5 

V.  s.  m™',  che  tanto  hà  adoprato  il  suo  spirito  in  Roma  e 
si  è  falto  si  grande  onore  nei  far  cola  le  parti  da  lei  appog- 
gialele,  ne  mencherô  di  riceverlo  con  le  dimoslrazioni  di 
stima  e  d'affelto  che  da  me  si  convengono  al  di  lui  merito  et 
air  essere  del  sangue  di  V.  S.  111™%  alla  quale  confennando 
il  desiderio  che  tengo  d'impieganni  in  suo  servizio  le  augure 
per  fine  il  colmo  délie  félicita  più  perfette. 


1980.  —  A  l'Abbé  Bossuet. 

A  Versailles,  ce  25  mai   1699. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  5  ;  je  la  lus  hier  à  M.  de 
Paris,  qui  en  a  rendu  compte  à  la  Cour.  On  est 
étonné  de  trois  mots  de  la  lettre  de  M.  de  Cambrai 
au  Pape  :  innocentiam,  prohra.  explicationes.  M.  de 
Cambrai  pourrait  dire  ailleurs  tout  ce  qu'il  voudrait, 
sans  que  nous  songeassions  un  moment  à  nous  en 
plaindre,  désirant  autant  qu'il  nous  est  possible  de 
ne  donner  à  ce  prélat  aucune  occasion  d'exciter  de 
nouveaux  troubles.  Mais,  aujourd'hui  qu'il  nous 
attaque  devant  le  Saint  Siège,  si  l'on  ne  nous  fait 
pas  justice,  nous  ne  pouvons  nous  taire  sans  nous 
confesser  coupables. 

Innocentiam.  Nous  n'accusons  point  ses  mœurs, 
à  Dieu  ne  plaise  !  Il  n'en  a  même  pas  été  question*. 

Lettre  1930.  —  i-  Féuelon  avait  pu  croire  le  contraire,  lorsqu'il 
s'était  vu  traité  de  Montan  d'une  nouvelle  Priscille,  et  que  le  public 
avait  été  amené  à  donner  une  interprétation  fâciieuse  à  son  intimité 
avec  Mme  Guyon,  comme  on  en  jug^era  d'après  une  lettre  d'Antoine 
Bossuet  :  «  Tout  Marly,  écrit  celui-ci,  depuis  le  sceptre  jusqu'à  la 
houlette,  lit  et  relit  la  Relation.  Tout  Paris  en  fait  de  même.  Les 
malins  ajoutent  que  Mme  Guyon,  qui  a  été  fort  belle,  a  les  plus 
belles  mains  et  la  plus  belle  peau  qui   se  puisse  ;  qu'elle  n'a  pas  cin- 


l6  CORRESPONDANCE  [mai  169 

mais  de  sa  seule  doctrine.  Or,  si  sa  doctrine  est 
innocente,  que  devient  le  bref?  C'est  le  Saint  Siège 
et  son  décret  qu'on  attaque,  et  non  pas  nous. 

Probra.  Quels  outrages  avons-nous  faits  à  M.  de 
Cambrai  P  Tout  ce  que  nous  avons  dit  contre  sa 
doctrine  et  contre  son  livre  est  de  mot  à  mot  ce 
qui  est  porté  dans  la  constitution.  Si  nous  avons 
dit  que  le  livre  était  plein  d'erreurs  portant  à  de 
pernicieuses  pratiques,  capables  d'induire  à  des 
doctrines  déjà  condamnées  ^,  telles  que  celles 
des  bégards,  de  Molinos,  des  quiétistes  et  de 
Mme  Guyon,  la  bulle  dit-elle  autre  chose  .^* 

Quand  il  nous  a  forcés,  par  ses  reproches  les 
plus  violents  et  les  plus  amers,  à  découvrir  la 
source  du  mal,  on  a  démontré  son  attachement 
insensé  pour  une  femme  trompeuse  et  fanatique, 
mais  seulement  par  rapport  à  l'approbation  qu'il 
donnait  à  sa  spiritualité,  à  sa  doctrine  et  à  ses 
livres,  qui  ne  respiraient  que  le  quiétisme.  Peut-on 
excuser  les  efforts  qu'il  a  faits  pour  la  justifier  ? 
Veut-on  laisser  établir  qu'un  livre  plein  d'erreurs, 
selon  toute  la  suite  de  son  texte,  ait  été  fait  avec 
une  bonne  intention.»^  C'est  une  excuse  inouïe, 
inventée  exprès  pour  mettre  à  couvert  Mme  Guyon, 
et  pour  se  mettre  à  couvert  lui-même  par  le  même 
principe. 

quiinte  ans  et  est  en  bon  point.  Ils  tirent  de  là  telles  conséquences 
qu'il  leur  plaît,  sans  respecter  les  caractères  ;  mais  nous  ne  sommes 
pas  assez  malins  pour  en  rien  penser,  ni  en  rien  dire  »  (Lettre  dn 
3o.)uin  i6g8,  dans  le  Fénelon  de  M.  E.  Griselle,  p.   180). 

3.  Bossuel  autrefois  ne  se  bornait  pas  à  cette  qualification,  puis- 
qu'il y  voulait  ajouter  la  note  d'hérésie. 


mai  1699]  DE   BOSSUET.  17 

ExpUcationes .  Si  elles  sont  justes,  si  elles  con- 
viennent au  livre,  le  Saint  Père  a  mal  condamné  le 
livre  in  sensu  obvio,  ex  connexione  sententiarum,  etc. 
Il  ne  faut  que  brûler  le  bref,  si  ces  explications 
sont  reçues. 

Indépendamment  de  cela,  on  est  prêt  à  faire 
voir  dans  les  explications  du  prélat  autant  et  d'aussi 
grandes  erreurs  que  dans  son  livre  même. 

Cependant,  si  l'on  lui  passe  toutes  ces  excuses 
mises  par  lui-même  sous  les  yeux  du  Pape,  et  si  on 
le  loue,  c'est  les  approuver.  Tout  l'univers  publiera 
qu'on  laisse  la  liberté  à  M.'  de  Cambrai  de  se 
plaindre  des  injustices  et  des  opprobres  qu'on  lui  a 
faits,  comme  si  nos  accusations  étaient  des  calom- 
nies, et  toutes  ses  excuses  justes  et  légitimes,  puisque 
le  Pape,  les  ayant  vues,  non  seulement  n'en  aura 
rien  dit,  mais  encore  aura  comblé  l'auteur  de 
louanges. 

Ce  serait  là  véritablement  novissimus  error  pe/'or 
priore\  On  espère  que  le  même  esprit  qui  a  présidé 
aux  congrégations  précédentes  empêchera  qu'on 
n'affaiblisse  pas  ce  qui  y  a  été  fait. 

Ajoutons  encore  œrumnas.  Est-ce  un  si  grand 
malheur  d'être  repris  de  ses  erreurs  ?M.  de  Cambrai 
ne  se  plaint  que  de  la  correction,  en  évitant 
d'avouer  sa  faute.  Si  l'on  passe  cela  à  Rome,  et  si 
celui  qui  avance  de  telles  choses  n'en  remporte  que 
des  louanges,  il  se  trouvera  non  seulement  mieux 
traité  que  les  défenseurs  de  la  vérité,  mais  encore 
honoré  par  le  Saint  Siège,  pendant  que  les  autres 

3.  Matt.,  XXVII,  64- 

XII—  2 


l8  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

demeureront  chargés  du  reproche  d'être  des  calom- 
niateurs. 

Dieu  détournera  ce  malheur.  On  ne  dira  rien  ici: 
on  attendra  dans  la  ferme  espérance  que  Rome, 
assistée  d'en  haut,  ne  se  démentira  pas  et  n'affai- 
blira pas  son  propre  ouvrage. 

Quant  à  la  manière  dont  nous  avons  procédé 
pour  l'acceptation  du  bref,  on  trouve  dans  saint 
Antonin  *,  parlant  des  décrets  apostoliques,  qu'ils 
ont  été  acceptata,  examinata  et  approhata  ;  ce  qui  est 
plus  que  nous  n'avons  voulu  dire. 

On  trouve  dans  le  même  auteur,  qui  n'est  pas 
suspect  à  Rome,  sur  le  motu  proprio,  que  c'était  le 
terme  dont  on  se  servait  lorsque  le  Pape  parlait 
comme  docteur  particulier.  Cette  formule  est  très 
nouvelle  :  jamais  elle  n'a  été  usitée  en  cas  pareil, 
et  néanmoins  nous  recevons  par  respect  un  décret 
où  cette  clause  se  trouve. 

Tenez  pour  certain  que  le  bref  d'Alexandre  VIT,  sur 
la  traduction  du  Missel,  n'a  jamais  été  appuyé  de  ce 
qui  s'appelle  lettres  patentes  ^  ni  porté  au  Parlement. 

Au  surplus,  il  suffit  de  voir  l'intitula tion  au  nom 

4.  Sur  saint  Antonin,  voir  notre  touie  II,  p.  3i2.  Les  mots  cités  ici 
se  trouvent  dans  sa  Summa  theologica.  p.  IV,  tit.  XII,  cap.  iv,  de  errore 
Fraticellorum,  §  38,  dans  l'édition  de  Vérone,  i74o,  t.  IV,  p.  675. 
Bossuet  s'est  souvenu  de  ces  paroles  de  saint  Antonin,  dans  sa  Defcnsio 
declarationis  cleri  Gallicani,  Appendice,  1.  II,  cap.  iv. 

5.  Les  lettres  patentes,  données  le  4  avril  1661  pour  l'exécution 
du  bref  et  adressées  à  l'assemblée  du  Clergé,  n'ont  pas  été  enrejristrées 
au  Parlement.  Le  Roi  y  déclara  lui-même  qu'il  n'a  rien  de  contraire 
aux  libertés  de  l'Église  gallicane.  Le  Clergé  de  France  renonça  à 
poursuivre  l'affaire  et  Voisin  traduisit  sans  être  inquiété  l'office  de  la 
semaine  sainte  (Affaires  étrangères,  Rome,  t.  143,  f"  28;  cf.  notre 
t.  XI,  p.  343). 


mai  1699]  DE   BOSSUET.  ig 

du  Pape  et  sa  décision,  faite  avec  la  pleine  autorité 
de  son  conseil,  confirmée  par  le  jugement  des 
Églises  particulières,  pour  reconnaître  que  de  droit 
on  y  doit  toute  obéissance.  Voilà  les  maximes  dont 
la  France  ne  se  départira  jamais. 

J'espère  demain  entretenir  ici  M.  le  nonce. 

Mme  des  Ursins  mande  des  merveilles  de  vous. 

S'il  ne  tient  qu'à  attendre  un  peu  pour  voir 
M.  l'ambassadeur,  je  suis  d'avis  que  vous  l'atten- 
diez. Je  suis  bien  aise,  à  cela  près,  que  vous  vous 
disposiez  à  partir  le  8  de  juin.  J'embrasse  M.  Phc- 
lipeaux.  Il  me  tarde  bien  de  vous  voir  tous  les  deux. 

Je  viens  d'écrire  à  Mme  la  Princesse,  pour  lui 
demander  des  lettres  pour  la  cour  de  Modène  ;  et 
j'espère  que  Mme  de  Hanovre  d'elle-même  voudra 
bien  se  souvenir  un  peu  de  moi  et  des  bontés  dont 
m'honorait  Mme  la  princesse  Palatine*,  sa  mère. 


igSi.  —  A  M"*  DE  Beringhen. 

A.  Versailles,  26  mai  1699. 

Je  vous  prie,  Madame,  de  faire  examiner  votre 

6.  Voir  t.  XI,  p.  829.  Anne  de  Gonzague  de  Clèves,  dont  Bossuet 
prononça  l'oraison  funèbre,  avait  eu  trois  filles,  dont  l'une  avait 
épousé  M.  le  Prince,  et  dont  une  autre,  Bénédicte  Henriette  Philippe, 
était,  depuis  le  27  décembre  1671,  veuve  de  Jean-F'rédéric  de 
Brunswick,  duc  de  Hanovre.  Celle-ci  se  trouvait  en  1699  à  la  cour 
de  Modène,  dont  le  duc  avait  épousé  sa  fille  aînée  et  où  s'était  fait,  le 
i5  janvier,  le  mariage  de  sa  troisième  fille,  Wilhelmine  Amélie  de 
Hanovre,  avec  Joseph,  roi  des  Romains.  La  duchesse  de  Hanovre 
mourut  à  Asnières  le  i  2  août  1780. 

Lettre  Î93i.  —  L.  a.  s.  Archives  de  Sainl-Sulpice.  Publiée  dans 
l'édition  de  Versailles,  t.  XLHl,  Sup.,  p.  5o. 


20  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

novice  par  M.    Culembourg',  en  qui  vous  et  moi 
nous  nous  fions. 

Je  ne  refuserai  point  le  dimissoire  "  qu'on  demande 
pour  le  sieur  Gabriel  Drouet,  qui  doit  entrer  à 
l'Institution  \ 

Je  me  repose,  Madame,  selon  vos  souhaits,  pour 
me  mettre  le  plus  tôt  qu'il  sera  possible  en  état  de 
visiter  la  plus  noble  partie  du  troupeau^. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

SuscripHon  :  A  Madame,  Madame  l'Abbesse  de 
Faremoutiers,  àFaremoutiers. 


1.  Antoine  Culemhourg,  ou  de  Ciilembourg,  était  l'un  des  confes- 
seurs de  l'al)baye  de  Fareraouliers.  Il  quitta  quelque  lemps  cette  mai- 
son, mais  il  y  revint  et  fut  ensuite  nommé  clianoine  par  Mme  de 
Beringhen,  le  28  avril  171 5.  Il  mourut  à  Faremoutiers  le  i5  février 
1735,  à  soixaute-dix-neuf  ans  (Bibl.  Nationale,  fr.  11Ô69). 

On  ne  sait  à  quelle  famille  il  appartenait.  Sans  doute  il  était  petit- 
fils  de  N.  de  Culembourg,  mareband  de  vins  privilégié  suivant  la 
Cour,  et  de  Claire  Jacquiau,  décédée  à  Paris  le  i3  mai  1698,  à  quatre- 
vingt-six  ans,  et  dont  une  fille.  Claire  de  Culenibourg,  épousa  Louis 
Garaart,  secrétaire  du  Roi  (Bibliothèque  Nationale,  Dossiers  bleus). 

2.  Dimissoire,  permission  donnée  par  l'évêque  à  un  ecclésiastique 
de  recevoir  les  Ordres  ou  de  prendre  du  service  dans  un  diocèse 
étranger. 

3.  L'Institution,  noviciat  de  l'Oratoire,  situé  au  faubourg  Saint- 
Jacques  (c'est  aujourd'hui  l'hospice  des  Enfants-Assistés,  rue  Denfert- 
Rochereau,  ']li).  Gabriel  Drouet,  fils  de  Michel  (al.  Gabriel)  Drouet, 
médecin,  et  de  Marie  Augustine  Pinondel,  né  le  25  mai  1680  et 
baptisé  le  lendemain  à  Saint-Nicolas  de  Rebais.  Après  ses  humanités 
et  sa  philosophie  faites  à  Provins,  il  entra  le  28  septembre  1699  au 
noviciat  de  l'Oratoire  (Bibl.  Nat.,  f.  fr.  8622);  ordonné  prêtre  le 
9  avril  1707,  il  fut  nommé  curé  de  Saint-Mars,  près  de  La  Ferté- 
Gaucher,  et  il  y  mourut  le  i5  janvier  1729.  Il  eut  une  sœur, 
Jeanne  Drouet  de  Saint-Alexis  (i 683-1 7^6),  religieuse  chez  les  cha- 
noinesses  de  La  Ferlé-Gaucher  (État  civil  de  Rebais  j  Archives  de 
Seine-et-Marne,  H  878). 

.'1.   Les  religieuses  de  Faremoutiers. 


[Ggg]  DE   BOSSUET. 


1982.   —  L'Abbé  Bossuet  a  son  Oncle. 

A  Rome,  ce  26  mai  1699. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'é- 
criredu  4  mai,  par  le  courrier  ordinaire,  et  le  lendemain  vos 
paquets  du  29  avril,  par  M.  Madot,  qui  est  enfin  arrivé, 
après  avoir  été  obligé  de  rester  huit  Jours  en  chemin,  ma- 
lade :  il  est  arrivé  en  bonne  santé.  Vous  croyez  bien  que  j'ai 
été  ravi  de  le  revoir  et  d'apprendre  de  vive  voix  la  confirma- 
tion et  les  détails  de  ce  que  je  savais  déjà,  et  la  véritable 
disposition  de  la  Cour  à  l'égard  de  M.  de  Cambrai,  de  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  et  de  tout  le  reste.  Je  suis  très  aise  que 
vous  soyez  content  de  ce  gentilhomme  ;  pour  lui,  il  est  plus  que 
satisfait  de  vous  et  de  son  voyage,  qui  a  déplu,  aussi  bien  que 
son  retour,  si  fortement  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  que  je 
ne  doute  pas  que  vous  ne  soyez  surpris  de  la  vivacité,  pour  ne 
pas  dire  violence  qu'il  a  témoignée  à  ce  sujet*.  Je  vais  vous 
en  faire  tout  le  détail,  auquel  vous  croyez  bien  que  j'ai  eu 
quelque  part. 

M.  de  Madot  arriva  donc  ici  vendredi,  vers  le  midi  :  il  des- 
cendit chez  moi,  où  je  le  trouvai  au  retour  de  quelques  vi- 
sites que  j'avais  été  obligé  de  faire.  Après  dîné,  je  le  conduisis 
très  incognilo  a  la  Trinité-du-Mont,  chez  le  P.  Roslet,  évitant 
toutes  les  rues  de  passage  et  surtout  le  palais  de  M.  le  cardi- 
nal de  Bouillon.  Ce  n'était  pas  par  crainte,  comme  vous  le 
jugez  bien,  de  quelque  insuite,  mais  par  ménagement  et  par 
égard  pour  la  colère  et  l'indignation  qu'il  avait  plu  à  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  de  témoigner  très  légèrement  contre  ce 
gentilhomme,  et  ne  voulant  pas  que  cette  Ëminence  crût 
qu'on  cherchait  à  le  narguer.   De  la  Trinité-du-Mont,  je  le 

Lettre  1932.  —  i-  Les  griePs  du  cardinal  contre  Madot  et  l'ahbé 
Bossuet  sont  exposés  dans  ses  dépècties  du  23  et  du  26  mai  (Rome, 
t.  401,  f°^  124  et  i44-  Cf.  Revue  Bossuet,  octobre  1908,  p.  226 
et  suiv.). 


22  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

conduisis  vers  la  nuit  chez  Mme  la  princesse  des  Ursins,  où 
je  le  laissai.  J'eus  encore  cet  égard  et,  si  vous  voulez,  ce  res- 
pect pour  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  de  ne  le  pas  loger  chez 
moi.  Il  est  vrai  néanmoins  que,  désirant  pourvoir  à  sa  sûreté, 
je  l'avais  logé  vis-à-vis  de  chez  moi,  où  il  était  tout  comme 
avec  moi.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  sut  vers  les  deux  heures 
de  nuit,  c'est-à-dire  vers  les  dix  heures  de  France,  que  M.  de 
Madot  était  arrivé.  Sa  tête  s'échauffa  si  fort  à  cette  nouvelle, 
qu'il  n'eut  pas  un  moment  de  repos  jusqu'à  ce  qu'on 
eût  cherché  par  tout  Rome  M.  Poussin,  son  secrétaire,  à 
qui  il  ordonna  en  présence  de  M.  le  duc  de  Barwick  et  de 
plusieurs  autres,  de  me  venir  dire  de  sa  part  ce  que  vous 
verrez  écrit  dans  le  hillet  que  je  vous  envoie.  M.  Poussin 
ayant  ordre  de  me  trou\er,  et  de  ne  pas  me  laisser  coucher 
sans  me  faire  savoir  les  intentions  et  les  conseils  de  son  Émi- 
nence,  visita  inutilement  plusieurs  maisons  où  il  ne  me 
trouva  pas.  Enfin,  il  parla  chez  moi  à  M.  Phelipeaux,  et  lui 
dicta  le  billet  ci-inclus*,  écrit  de  la  main  de  M.  Phelipeaux, 
excepté  les  mots  soulignés,  qui  sont  de  la  main  du  sieur 
Poussin. 

Je  reçus  donc,  avant  que  de  me  coucher,  ce  billet  qui,  je 
vous  assure,  ne  m'empêcha  pas  de  dormir,  d'autant  plus  que, 
le  criminel  de  lèse-altesse  n'étant  pas  logé  chez  moi,  M.  le 
cardinal  n'avait  pas,  ce  me  semble,  le  moindre  petit  prétexte 
de  se  fâcher  contre  moi.  J'allai  dès  le  lendemain,  samedi,  de 
très  bonne  heure,  chez  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  pour  m'ex- 
pliquer  avec  lui  sur  ce  sujet,  et  pour  lui  rendre  compte  de 
ma  conduite,  qui  ne  pouvait  être,  ce  me  semble,  plus  modé- 

2.  Voici  la  teneur  du  billet  en  question:  «  Monsieur  Poussin  est 
piissé  ici  pour  vous  dire,  Monsieur,  de  la  part  de  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  que,  comme  il  se  pouvait  faire  que  des  gens  attachés  à  lui 
pourriiienl  se  porter  sans  son  ordre  à  quelque  extrémité  à  l'égard 
de  M.  de  Madot,  qu'on  lui  a  dit  loger  chez  vous,  il  vous  conseillait 
de  l'en  faire  sortir  en  vingt-quatre  heures  :  ce  que  je  vous  écris, 
afin  que  vous  sachiez,  avant  de  vous  coucher,  ce  que  M.  Poussin 
m'a  dit  par  ordre  de  M.  le  cardinal.  Je  l'ai  assuré  qu'il  ne  logeait 
point  chez  vous.  » 

Ce  22  mai  au  soir.  Phelipeaux. 


mai  1699J  DE   BOSSUET.  23 

rée,  ni  plus  pleine  d'égards  et  de  considération  pour  lui.  M.  le 
cardinal  voulut  me  parler  d'abord  légèrement  et  un  pied  en 
l'air;  mais,  sur  ce  que  je  pris  la  liberté  de  lui  demander  une 
demi-beure  de  conversation  sérieuse,  il  eut  la  bonté  de  me 
l'accorder  ;  et  je  pris  cette  occasion,  que  je  désirais  il  y  a  long- 
temps, pour  entrer  avec  lui  dans  des  explications  convenables 
sur  toute  ma  conduite  à  son  égard,  par  rapport  à  l'affaire  de 
M.  de  Cambrai.  Je  l'assurai  en  termes  pleins  de  respect  et 
d'égards,  que  je  n'avais  rien  fait,  rien  dit,  ni  rien  écrit  que  je 
ne  fusse  prêt  de  soutenir  et  de  lui  déclarer  à  lui-même,  s'il 
le  voulait  bien  ;  qu'ayant  toujours  agi  dans  cette  affaire  la 
tète  levée  et  en  vue  du  service  du  Roi,  des  évêques  et  de  la 
vérité,  j'aurais  été  le  plus  coupable  et  le  dernier  des  hommes, 
si  je  n'avais  pas  averti  en  France  et  ici  des  pièges  qu'on  vou- 
lait tendre  pour  embrouiller  la  décision  de  cette  affaire,  et  si 
j'avais  manqué  d'être  attentif  à  toutes  les  démarches  qu'on 
faisait  pour  empêcher  le  jugement  dans  une  cause  où  il  y 
allait  de  tout  pour  la  religion,  où  l'honneur  et  la  réputation 
des  évêques,  du  Roi  même,  étaient  intéressés;  qui  enfin  a 
remporté  la  victoire,  qui  suit  tôt  ou  tard  la  vérité.  Je  lui  dis 
que  j'étais  prêt  à  le  satisfaire  sur  tous  les  points,  s'il  jugeait 
à  propos  d'entrer  avec  moi  dans  les  détails  nécessaires.  Je 
vous  proteste  que  je  m'en  serais  bien  tiré,  et  lui  fort  mal  ; 
aussi  ne  crut-il  pas  devoir  accepter  mes  offres,  et  se  borna- 
t-il  à  répondre  qu'il  avait  fait  son  devoir  sur  tout,  et  que,  s'il 
était  à  recommencer,  il  agirait  de  même,  ne  se  repentant 
point  de  ce  qu'il  avait  fait;  qu'il  voyait  bien  qu'il  se  trouvait 
dans  des  circonstances  fâcheuses,  et  qu'on  était  prévenu  faus- 
sement contre  lui,  mais  qu'il  était  au-dessus  de  tout,  etc. 

Je  vins  ensuite  à  ce  qui  regarde  M.  de  Madot,  et  je  lui 
représentai  ce  que  vous  pouvez  savoir,  lui  protestant  de  la 
part  de  M.  de  Madot  que  tout  ce  dont  on  l'accusait  à  l'égard 
de  son  courrier,  était  un  tissu  de  faussetés.  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  me  parut  très  irrité  contre  M.  de  Madot,  ne  voulant 
en  aucune  manière  écouter  ses  justifications,  et  lui  faisant 
l'honneur  de  se  déclarer  son  ennemi.  Sur  ce  qui  me  touchait, 
il  n'eut  pas  un  mot  à  répondre  à  mes  raisons,  et  ne  put  im- 


2^  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

prouver  la  conduite  que  j'avais  tenue  à  son  égard;  et  j'ose 
dire  qu'il  fut  content  de  la  manière  dont  je  m'expliquai  avec 
lui  là-dessus.  Il  fut  si  satisfait,  qu'il  le  témoigna  le  soir 
même  à  M.  le  duc  de  Barwick,  disant  qu'on  ne  pouvait  mieux 
lui  parler  que  je  l'avais  fait.  Je  ne  laissai  pourtant  pas  de  l'as- 
surer que  je  ne  pouvais  ni  ne  devais  abandonner  M.  de  Madot, 
qui  s'était  bien  voulu  sacrifier  pour  me  rendre  service,  et 
auquel  vous  et  M.  de  Paris  vous  intéressiez;  ce  qu'il  m'a  paru 
ne  pas  trouver  mauvais.  11  est  vrai  que  je  lui  exposai  mes  rai- 
sons avec  toutes  les  mesures  imaginables.  11  n'avait  pas  encore 
reçu  votre  lettre  qui  a  passé  par  les  mains  de  M.  de  Torcy 
et  dont  vous  m'avez  envoyé  la  copie.  Je  lui  en  ai  dit  la  sub- 
stance, lui  déclarant  que  vous  me  la  rapportiez  dans  votre 
lettre.  Sur  M.  Madot,  il  m'ajouta  qu'il  avait  su  qu'on  vou- 
lait engager  M.  le  Grand  duc  à  le  prendre  à  son  service  ;  mais 
qu'il  venait  de  faire  déclarer  à  l'agent  de  ce  prince  qu'il  ne 
doutait  pas  qu'il  ne  le  chassât  de  ses  États  à  sa  considération, 
et  qu'il  le  poursuivrait  partout  où  il  se  retirerait.  Cela  me 
parut  un  peu  violent,  et  tout  le  monde  en  juge  de  même. 
Que  veut-il  donc  que  devienne  ce  pauvre  malheureux  gentil- 
homme, qui  ne  peut  demeurer  en  France,  qu'il  ne  saurait 
souffrir  à  Rome,  et  qu'il  prétend  empêcher  d'entrer  au  ser- 
vice d'un  prince  ami  de  la  France?  Où  se  réfugiera-t-il,  lui 
qu'il  sait  n'avoir  jamais  voulu  s'engager  au  service  d'aucune 
puissance  qui  pût  être  ennemie  du  Roi?  Mais  j'espère  que  les 
bons  offices  de  cette  Éminence  ne  nuiront  pas  à  M.  de  Madot, 
auprès  d'un  prince  aussi  pieux  et  aussi  généreux  que  M.  le 
Grand  duc.  Sûrement  il  prélérera  de  remplir  les  engagements 
qu'il  a  pris  avec  M.  de  Paris,  avec  vous,  avec  M.  d'Estrées  et 
M.  de  Janson,  plutôt  que  de  satisfaire  la  haine  de  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon,  qui  est  poussée  aussi  loin  qu'elle  le  peut  être. 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  a  encore  trouvé  très  mauvais 
qu'à  l'entrée  de  l'ambassadeur  du  Grand  duc,  qui  se  fit  avant- 
hier,  dimanche,  M.  de  Madot  ait  été  dans  un  carrosse  de  cet 
ambassadeur;  il  a  fait  de  cette  action  une  affaire  d'État.  En- 
fin, incapable  de  garder  aucune  mesure,  son  ressentiment  a  j 
éclaté  avec  une  force  qui  passe  tout  ce  qu'on  peut  dire.   Mal- 


mai  1699]  DE   BOSSUET.  s5 

gré  tant  de  mauvais  procédés,  M.  de  Madot  s'est  toujours 
conduit  avec  sagesse  et  circonspection.  Il  est  resté  à  Rome 
uniquement^  pour  mettre  ordre  à  ses  affaires^,  jusqu'à  ce 
soir,  qu'il  vient  de  partir  pour  Florence;  et  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  a  évaporé  en  l'air  son  injuste  colère. 

Dans  la  conversation  que  j'eus  avec  cette  Eminence,  elle 
me  dit  qu'en  tout  autre  temps  on  aurait  puni  exemplairement 
en  France  M.  de  Madot,  mais  qu'il  voyait  bien  qu'il  serait 
au  contraire  peut-être  récompensé.  Il  ne  dissimule  guère  le 
mécontentement  qu'il  a  du  Roi.  M.  de  Madot  vous  rendra 
compte  de  tout,  aussi  bien  qu'à  M.  de  Paris. 

Vous  apprendrez  par  les  nouvelles  publiques  l'éclatante 
affaire  qu'a  eue,  à  l'entrée  de  l'ambassadeur  de  Florence, 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  avec  l'ambassadeur  de  l'Empe- 
reur. Le  carrosse  que  cet  ambassadeur  avait  envoyé  à  cette 
entrée  a  été  obligé  de  céder  à  celui  de  M.  le  cardinal,  et  les 
gens  de  l'ambassadeur  firent  sagement;  car  il  y  avait,  le  long 
de  la  route,  des  hommes  armées  pour  soutenir  le  carrosse  de 

3.   Editeurs  :  publiquement,  pour  mettre. 

k-  «  M.  de  Madot,  si  vivement  expos<'  à  la  colère  du  cardinal  de 
Bouillon,  ne  resta  que  deux  ou  trois  jours  à  Rome  pour  y  terminer  ses 
affaires.  Il  se  rendit  de  là  à  Florence,  auprès  du  Grand  duc,  qui,  à  la 
recommandation  de  MM.  Bossuet,  de  Janson  et  de  Noailles,  lui  avait 
donné  de  l'emploi  dans  ses  troupes.  Le  cardinal  de  Bouillon  écrivit  au 
Grand  duc  pour  l'engager  h  lui  retirer  sa  Faveur  et  à  le  congédier  de 
ses  Etats.  Mais  ce  prince,  ne  croyant  pas  devoir  sacrifier  ce  gentil- 
homme, répondit  au  cardinal  qu'il  avait  retenu  M.  de  Madot  à  son 
service  sur  le  bon  témoignage  que  M.  de  Meaux  et  M.  de  Paris,  en 
qui  il  avait  une  entière  confiance,  lui  en  avaient  rendu,  et  qu'il  ne 
voyait  aucune  raison  pour  ne  pas  tenir  la  parole  qu'il  leur  avait  donnée. 
C'est  ce  que  ce  prince  fit  connaître  à  l'évêque  de  Meaux  par  une  lettre 
du  22  mai  1699,  dans  laquelle  il  lui  disait  que  M.  de  Madot  pouvait 
l'assurer  lui-même  des  bons  sentiments  qu'il  avait  pour  sa  personne  en 
considération  du  prélat.  Ce  prince  ne  se  borna  pas  à  ces  premiers 
bienfaits,  et,  lorsque  l'abbé  Bossuet,  revenant  en  France,  passa  à  Flo- 
rence, M.  le  Grand  duc  nomma  M.  de  Madot  capitaine  de  deux  cents 
carabiniers  avec  des  appoinlements  convenables.  Il  voulut  que  cet  abbé 
donnât  lui-même  à  ce  gentilhomme  la  nouvelle  de  cette  grâce  singu- 
lière, pour  lui  faire  comprendre  qu'il  l'obtenait  à  la  recommandation 
de  l'évêque  de  Meaux.  »  (^Nole  de  Deforis.)  Cf.  l'Appendice,  p.  388. 


26  CORRESPONDANCE  [mai  1690 

M.  le  cardinal,  et  qui  auraient  fait  mal  passer  le  temps  aux 
gens  de  l'ambassadeur.  Ce  qui  fut  un  peu  fâcheux,  et  qui 
doit  avoir  déplu  à  M.  le  cardinal,  c'est  que  quelques  Fran- 
çais s'avisèrent  de  courir  avant  les  carrosses,  l'épée  nue, 
jusque  dans  Rome  même.  Le  fait  a  paru  un  peu  violent,  et  le 
procédé  trop  public.  On  s'attendait  aujourd'hui  à  une  bataille 
réelle,  à  l'occasion  du  cortège  qui  devait  accompagner  l'am- 
bassadeur de  Florence  à  Monte  Gavallo  *. 

L'ambassadeur  de  l'Empereur  armait  publiquement;  on  ne 
s'endormait  pas  chez  M.  le  cardinal,  qui  avait  près  de  mille 
hommes  sous  les  armes.  Mais,  une  heure  avant  le  départ, 
l'ambassadeur  de  Florence  a  jugé  à  propos  de  prétexter  une 
indisposition,  et  a  contremandé  tous  ses  équipages.  Il  doit 
aller  demain  sans  cortège  à  l'audience  de  S.  S.  :  cela  s'est  fait 
de  concert  avec  le  Pape  ;  et  on  est  persuadé  que  l'ambassa- 
deur de  l'Empereur  n'est  pas  fâché  d'être  sorti  de  cet  embar- 
ras. M.  le  cardinal  de  Bouillon  en  doit  être  bien  aise  aussi. 
L'ambassadeur  de  l'Empereur,  qui  est  haï  ici  extrêmement, 
courait  grand  risque.  Vous  voyez  donc  que  ces  deux  minis- 
tres sont  extrêmement  animés  l'un  contre  l'autre,  et  j'en  sais 
bien  la  raison  :  depuis  trois  mois,  leurs  dispositions  sont 
changées;  mais  cela  serait  trop  long  à  expliquer". 

^.  Monleciiviillo,  palais  situé  sur  la  place  Navone  ;  les  papes  y  rési- 
daient habituellement. 

5.  «  Le  dimanche,  3/4  mai,  le  cardinal  de  Bouillon  donna  à  Rome 
une  nouvelle  scène.  Le  marquis  de  Vitelli,  ambassadeur  extraordi- 
naire du  Grand  duc,  fit  son  entrée  publique  ;  le  cardinal,  dont  les 
carrosses  avaient  été  insultés  deux  fois  par  ceux  du  comte  Martinitz, 
ambassadeur  de  l'Empereur,  dans  les  entrées  des  cardinaux  Cornaro  et 
Grimani,  envoya  ce  jour-là  beaucoup  de  gens  armés  pour  agir  en  cas 
de  contestation.  Dans  les  entrées  publiques,  il  n'y  a  pas  de  rangs 
marqués  ;  les  cochers  les  plus  hardis  et  les  plus  adroits  passent  les  pre- 
miers. Le  cocher  du  carrosse  de  l'ambassadeur,  s'étant  aperçu  du 
grand  nombre  de  gens  armés,  jugea  à  propos  de  se  retirer  dès  Ponte- 
Molo  {l'ancien  Ponte- Milvio)  pour  ne  rien  risquer  ;  ce  qui  n'empêcha 
pas  les  gens  du  cardinal  d'accompagner  le  carrosse  de  leur  maître 
l'épée  à  la  main.  On  blâma  fort  le  cardinal  ;  car  l'ambassadeur  lui 
avait  fait  des  excuses  des  insultes  passées,  et  ils  avaient  tous  deux 
vécu  depuis   dans  une  grande    intelligence.    Le  mardi    suivant,   jour 


mai  1699]  DE   BOSSUET.  27 

Cette  aiïJaire.est  prise  ici  très  diversement.  La  manière  avec 
laquelle  les  choses  ont  été  conduites  a  eu  ses  contradicteurs 
et  ses  critiques  en  très  grand  nombre''.  La  seule  haine  qu'on 
porte  à  l'ambassadeur  de  l'Empereur  pourra  calmer  les  esprits 
sur  le  procédé  du  cardinal  de  Bouillon. 

Je  compte  toujours  partir  vers  le  8  du  mois  prochain,  c'est- 
à-dire  dans  quinze  jours,  et  je  vais  agir  pour  mon  induit, 
sans  plus  attendre  M.  de  Monaco. 

On  sait  ici  l'affaire  des  bénédictins  avec  les  jésuites;  mais 
elle  ne  fait  aucun  bruit,  et  on  sera  très  favorable  aux  pre- 
miers. 

Je  n'entamerai  point  l'affaire  de  Sfondrate.  Je  sais,  il  y  a 
longtemps,  ce  qui  retient  M.  l'archevêque  de  Paris  sur  cela. 
Il  croit  par  ses  ménagements  devenir  cardinal.  Le  cardinal 
Albani  se  sert  de  ce  moyen  pour  amortir  son  zèle,  et  croit  par 
là  pouvoir  tout  faire  impunément  pour  le  cardinal  de  Bouil- 
lon et  M.  de  Cambrai. 

Je  verrai  S.  S.  incessamment.  Je  dis  ce  qu'il  convient  sur 
la  nécessité  de  défendre  les  écrits  de  M.  de  Cambrai  expli- 
catifs de  son  livre.  11  faut  toujours  agir  en  France  à  cet  égard 
de  la  manière  la  plus  avantageuse,  et  parler  sur  la  doctrine 
plus  fortement  que  jamais  :  tout  sera  approuvé  ici. 

Au  reste,  le  curé  de  Seurre  est  arrêté.  Le  Saint  Office  ne 
s'est  pas  fié  aux  diligences  que  pouvait  faire  le  cardinal  de 

destiné  à  l'audience  publique  du  marquis  de  Vilelli,  le  cardinal  de 
Bouillon  fit  armer  cinq  à  six  cents  hommes  dans  son  palais.  Ce 
héros  s'en  était  allé  dès  le  lundi  à  FVescati,  pour  n'être  spectateur 
de  la  bataille  que  de  quatre  lieues;  et  il  avait  confié  cette  entreiirise 
à  Certes,  qui  était  d'humeur  à  se  tenir  caché  dans  le  palais  pendant 
qu'on  combattrait.  Le  Pape,  averti  de  cet  armement,  le  regarda 
comme  un  attentat  à  sa  souveraineté,  qui  exposait  Rome  au  pillage; 
il  en  fut  outré  de  douleur,  et  envoya  dire  au  marquis  de  Vitelli  de  ne 
pas  venir  à  l'audience.  Le  vendredi  3o,  le  cardinal,  de  retour  de 
Frescati,  fit  demander  audience  au  Pape,  qui  la  refusa  et  dit  qu'il 
attendait  l'arrivée  du  prince  de  Monaco  »  (Pheiipeaux,  Relation, 
t.  II,  p.  285). 

6.  Mais  elle  obtint  l'approbation  de  Louis  XIV  (Lettre  du  i5  juin. 
Affaires  étrangères,  Rome,  t.  SgB,  f"  Sifi). 


28  CORRESPONDANCE  [mai  1699 

Bouillon.  Il  a  dépêché  sur  son  chemin,  et  ce  malheureux  a 
été  arrêté  à  Florence;  il  doit  être  conduit  ici  incessamment''  ; 
on  le  dit  même  déjà  arrivé.  On  prétend  qu'il  y  a  aussi  des 
femmes  arrêtées,  qui  lui  tenaient  bonne  compagnie  à  Rome, 
et  qu'il  avait  emmenées  de  France.  Je  ne  sais  que  dire  du 
cardinal  de  Bouillon  sur  tout  cela.  Il  est  assez  probable  qu'il 
aime  mieux  que  ces  malheureux  soient  arrêtés  ici  que  s'ils 
l'avaient  été  en  France  :  car,  le  secret  des  informations  du 
Saint  Office  étant  impénétrable,  on  ne  saura  rien  de  toutes 
les  erreurs  où  le  fanatisme  de  leurs  maximes  les  a  précipités. 

Fabroni  et  sa  cabale  ont  fait  le  P.  Gabrielli,  l'un  des  exa- 
minateurs les  plus  zélés  pour  M.  de  Cambrai,  général  de  son 
ordre*. 

On  traverse  tant  qu'on  peut  notre  procureur  général  des 
augustins". 

Le  cardinal  Casanate  et  les  autres  cardinaux  que  j'ai  vus 
trouvent  très  bon  ce  qu'on  fait  en  France  pour  l'acceptation 
de  leur  décret  :  ils  sont  fort  contents  qu'on  ait  donné  le  nom 
de  constitution  à  leur  bref. 

Je  me  porte  bien,  Dieu  merci,  et  ne  respire  qu'après  le 
moment  où  je  partirai  d'ici,  et  surtout  après  celui  où  je  vous 
re  verrai. 


1933.  —  A  Alphonse  de  Valbelle. 

A  Versailles,  28  mai  1699. 

Je  reçus  ici  hier  au  soir,  Monseigneur,  vos  deux 
lettres'  de  Cambrai  du  25.  Je  me  suis  trouvé  à 
portée  d'en  rendre  compte  à  S.   M.,  qui  en  a  été 

7.  Voir  plus  liant,  p.  12. 

8.  Gabrielli  appartenait  à  l'ordre  des  feuillants;  il  fut  compris 
dans  la  première  promotion  de  cardinaux. 

9.  Serrani  fut  nt^anmoins  élu  jfénéral  au  mois  de  juin. 
Lettre  1933.  —  L.  a.  n.  s.  Collection  E.  Levesque.  Inédite. 

I.  Deux  lettres  rendant  complet  Bossuet  des  séances  de  l'assemblé 
provinciale  de  Cambrai  tenues  le  3^  et  le  25  mai. 


mal  i699J  DE  BOSSUET.  29 

très  satisfaite^.  Je  n'ai  pas  oubJié  M.  de  Tournay. 
L'Église  vous  est  obligée  à  tous  deux\  J'attendrai 
la  suite,  et  en  userai  de  même.  Je  vous  envoie  la 
lettre  de  M.  de  C[ambrai]  au  Pape  en  lui  promettant 
son  mandement'.  Si  elle  vient  avant  l'envoi  de  ce 
paquet,  vous  l'aurez;  sinon,  par  le  prochain  ordi- 
naire, sans  manquer. 

Vous  savez  mon  très  humble  respect. 


198 4.  —  A  Alphonse  de  Yalbelle. 

A  Versailles,   3o  mai   1699. 

J'ai  reçu.    Monseigneur,   votre  lettre  du    26    et, 

a.  On  voit  par  le  procès-verbal  {OEuvres  de  Fénelon,  t.  IX,  p.  189 
et  suiv.)  que  Valbelle  s'esl  docilement  inspiré  des  conseils  et  des  ar- 
guments de  Bossuet. 

3.  Ces  deux  prélats  avaient  réservé  expressément  le  droit  des  évèques 
à  être  juges  de  la  doctrine,  con Fermement  aux  maximes  de  l'Eglise 
gallicane.  C'est  le  26,  que  Valbelle  proposa  de  demander  la  suppres- 
sion des  écrits  composés  en  faveur  du  livre  condamné.  Fénelon  s'y 
rel'usa,  disant,  entre  autres  choses,  qu'il  n'avait  aucune  raison  pour 
aller  au-delà  des  termes  du  jugement  porté  par  le  Pape.  Néanmoins, 
comme  président  de  l'assemblée  et  contre  son  sentiment  personnel,  il 
conclut  à  la  pluralité  des  voix  que  le  Roi  serait  supplié  d'ordonner  la 
suppression  des  ouvrages  faits  pour  la  défense  du  livre  des  Maximes 
(Fénelon,  Œuvres,  t.  IX,  p.  2o3.  On  voit  que,  sur  ce  point,  le 
récit  de  Saint-Simon  est  inexact  :  les  évèques  de  Tournay  et  d'Arras 
n'ont  pas  pris  parti  pour  leur  métropolitain,  quoiqu'ils  se  fussent 
bornés  à  donner  leurs  raisons  de  vive  voix,  sans  vouloir  les  laisser  par 
écrit).  Le  gros  du  monde,  dit  Saint-Simon,  se  tourna  contre  l'évèque 
de  Saint-Omer  ;  «  la  Cour  même  le  blâma,  et  quand  il  y  reparut,  il 
n'y  trouva  que  de  la  froideur  parmi  ceux  même  qu'il  regardait  comme 
ses  amis  et  qui  ne  l'étaient  ni  de  M  de  Cambrai  ni  des  siens  » 
(Tome  VI,  p.  iSg).  Et  ailleurs  (t.  XXVI,p.  73),  Saint-Simon  dit  qu'en 
cette  circonstance,  Valbelle  se  déshonora.  Daguesseau  traite  «  d'indi- 
gnes tracasseries  »  les  procédés  de  ce  prélat  (^Œuvres,  t.  XIII,  in-Zj, 
p.  182). 

4.   Correspondance  de  Fénelon,  t.  X,  p.  li'jQ. 

Lettre  1934.  —  L.  a.  s.  Communiquée  par  M.  N.  Cliaravay.  Inédite. 


3o  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

avec  celle  du  27,  le  procès-verbal  de  voire  assem- 
blée'. Vous  y  avez  dignement  parlé  et  avec  la  plus 
grande  modération  et  les  plus  douces  insinuations 
qui  soient  possibles,  sans  qu'on  se  puisse  plaindre 
que  vous  ayez  tiré  des  explications  très  utiles,  et 
mené  la  délibération  à  la  lin  que  vous  vous  étiez 
proposée,  à  la  pluralité  des  voix^.  Le  parfait  con- 
cert entre  vous  et  Mgr  de  Tournay  a  produit  un 
ouvrage  de  cette  importance,  et  ce  qu'a  dit  ce  der- 
nier prélat  sur  l'acceptation  était  nécessaire  pour 
soutenir  les  droits  de  l'Eglise  de  France.  Je  m'en 
allai  ce  matin  au  levé  dans  le  dessein  de  raconter  au 
Roi  ce  qui  s'était  passé,  si  je  n'avais  trouvé  M.  l'ar- 
chevêque de  Paris  dans  la  même  volonté,  outre 
que  j'ai  su  aussi  que  S.  M.  avait  reçu  le  procès- 
verbal.  Il  vous  fera  assurément  beaucoup  d'hon- 
neur, et  bien  assurément  vous  n'avez  rien  dit  qui  ne 
soit  à  propos,  utile  et  digne  de  grande  louange. 
Vous  savez  mes  respects  anciens  et  sincères. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


1935.  —  A  l'Abbé  Bossuet. 

A   Paris,  i*^""  juin   1699. 

Selon  l'ordre  de  votre   lettre  du   6,  j'adresse  ce 

1.  Proces-verbal  de  rassemblée  provinciale  des  évèques  de  la  province 
de  Cambray.  tenue  par  les  ordres  du  Roy  à  Cambray,  au  palais 
archiépiscopal  en  l'année  i6gg.  Du  vingt-quatrième  May  1699, 
a4  p.  in-4.  Il  a  été  reproduit  dans  les  OEuvres  de  Fénelon,  t.  IX, 
p.  182  à  30/4. 

2.  Cf.  Saint-Simon,  t.  VI,  p.  169,  et  la  lettre  précédente,  note  3. 
Lettre  1935.  —  Copie  des  Bénédictins,  au  Grand  séminaire   de 


juin  1699]  DE  BOSSUET.  3l 

paquet  à  M.  Dupré,  à  Florence,  et  je  lui  écris  pour 
le  supplier  dé  l'avoir  agréable. 

Nous  attendons  avec  impatience  le  bref  à  M.  de 
Cambrai,  et  nous  croyons  que  ceux  qui  le  dresseront 
auront  égard  à  l'utilité  de  l'Eglise  et  à  la  dignité  du 
Saint  Siège,  plus  qu'à  quelque  petite  complaisance 
qui  ne  ferait  qu'enorgueillir  un  esprit  superbe,  et 
donner  des  forces  à  un  parti  tombé. 

On  est  ici  fort  content  du  procès-verbal  de  l'as- 
semblée de  Reims,  que  je  vous  envoie.  Mais  j'aime- 
rais encore  mieux  vous  pouvoir  envoyer  celui  de 
Cambrai,  où  M.  de  Saint-Omer  ayant  proposé,  comme 
Paris  et  Reims,  la  suppression  de  tous  les  livres  faits 
en  défense  de  celui  des  Maximes,  M.  de  Cambrai  s'y 
est  opposé  de  toute  sa  force  par  de  méchantes  raisons, 
et  s'est  vu  contraint  de  prononcer  à  la  pluralité  des 
voix,  en  énonçant  que  c'était  contre  son  avis,  que  le 
Roi  serait  supplié  de  supprimer  tous  ses  livres.  On 
voit,  parle  peu  de  crédit  qu'il  a  eu  dans  sa  province, 
combien  peu  il  trouvera  de  complaisance  dans  les 
autres.  Assurément  il  n'a  et  n'aura  pas  pour  lui  un 
seul  évêque.  M.  d'Arras  a  voulu  en  quelque  sorte 
éluder  l'acceptation,  par  des  sentiments  opposés  à 
ceux  de  tout  le  reste  des  évêques  ;  mais  enfin  elle  a 
passé  dans  le  fond;  et  voilà  déjà  quatre  provinces, 
c'est-à-dire  celle  de  Toulouse  \  qui  a  commencé,  et 

I.  On  lit  dans  la  Correspondance  de  Fénelon,  t.  X,  p.  694,  que  la 
province  de  Toulouse  ne  demanda  point  la  suppression  des  écrits  apo- 
logétiques de  Fénelon,  qu'il  en  fut  de  même  des  provinces  de  Nar- 
bonne,  de  Sens,  de  Vienne,  d'Albi,  d'Auch  et  d'Arles,  et  que  celle 
de  Rouen  se  borna,  sans  nommer  Fénelon,  à  supplier  le  Roi  «  d'or- 
donner la  suppression  de  tous  livres  qui  pourraient  établir  la  doctrine 


32  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

celles  de  Paris,  de  Reims  et  de  Cambrai,  uniformes. 

M.  de  Sain t-0 mer  et  M.  de  Tournay  ont  fait 
expliquer  M.  de  Cambrai  sur  sa  soumission  plus 
qu'il  n'avait  fait  encore  ;  et  quoiqu  on  l'eût  pu  pous- 
ser davantage,  on  a  mieux  aimé,  pour  le  bien  de  la 
paix,  à  lafm  demeurer  content.  Il  continue  à  se  ren- 
fermer et  à  travailler,  on  ne  sait  à  quoi.  Pour  moi, 
je  pars  vendredi  pour  mon  diocèse.  J'y  passerai  les 
fêtes  avec  l'octave  du  Saint  Sacrement. 

Quoi  qu'on  fasse,  nous  ne  dirons  rien  sur  ce 
qu'écrit  M.  de  Cambrai  de  son  innocence,  des  ou- 
trages qu'il  prétend  avoir  reçus  et  de  ses  explications. 
C'est  lui  qui  nous  agace  de  gaieté  de  cœur;  mais 
nous  voulons  être  les  plus  sages,  et  le  traiter  avec 
toute  sorte  d'honnêteté  et  de  douceur.  On  m'assure 
que,  sur  le /)ro6ra,  qui  dans  le  fond  attaque  plus  le 
bref  que  nous,  puisque  nous  n'avons  rien  dit  de  son 
livre  que  ce  que  le  Saint  Siège  en  a  décidé,  il  a  dit 
qu'il  m'avait  en  vue,  lorsqu'il  écrivait  ce  mot,  parce 
que  je  l'ai  nommé  le  Montande  la  Priscille.  Mais  je  me 
suis  assez  expliqué.  Ni  Eusèbe  de  Césarée  et  les 
auteurs  qu'il  cite,  ni  saint  Epiphane,  ni  saint  Jérôme, 
ni  saint  Augustin,  ni  Philastrius,  n'accusent  Montan 
d'autre  commerce  avec  les  fausses  prophétesses,  que 
de  celui  d'une  fausse  spiritualité".  Au  surplus,  je 

censurée  ».  En  somme,  dix  provinces  seulement,  sur  dix-sept,  donnè- 
rent sur  ce  point  satisfaction  à  Bossuet.  La  suppression  désirée  fut 
prononcée  par  la  déclaration  royale  du  l4  août. 

2.  Cf.  Remarques  sur  la  Réponse  à  la  Relation,  art.  XI,  §  x.  — 
M.  Crouslé  (Fénelon  et  Bossuet,  t.  II,  p.  553  et  554)  reconnaît  que 
l'évèque  de  Meaux  «  se  justifie  en  vain,  quoique  en  termes  fort 
décents  ».  En  fait,  même  restreinte  à  la  doctrine,  comme  le  contexte 
semble  le  demander,  l'assimilation  à  un  hérétique  tel  que  Montan  ne 

i 


juin  1699]  DE   BOSSUET.  33 

lui  ai  fait  faire  des  honnêtetés  depuis  la  censure, 
auxquelles  il  n'a  pas  répondu  un  seul  mot^  D'autres 
personnes  ont  voulu  s'entremettre  entre  ses  amis  et 
moi  ;  j'ai  répondu  très  honnêtement,  comme  je  ferai 
toujours. 

Le  P.  de  La  Ferté  *  a  été  relégué  à  Blois,  avec  dé- 
laissait pas  d'être  injurieuse.  Mais,  pour  le  public  d'alors,  Monlan 
n'était  pas  seulement  le  propagateur  d'un  prophétisme  fanatique, 
dont  parlent  les  écrivains  les  plus  anciens;  c'était  encore  le  débauché 
que  saint  Cyrille  de  Jérusalem  {Catech.  XVI,  8)  appelle  «  l'homme 
le  plus  méprisable,  adonné  à  toute  sorte  d'impureté  et  de  dérègle- 
ment »,  et  encore,  si  ce  Père  s'abstient  d'en  dire  davantage,  c'est 
pour  ne  pas  offenser  la  pudeur  des  femmes  de  son  auditoire.  Quant 
aux  auteurs  visés  ici  par  Bossuet,  saint  Augustin  (^Epist.  CCWW il, 
et  de  Agone  chrisliano,  cap.  28)  ne  parle  de  Montan  qu'en  passant  ; 
il  en  est  de  même  de  Philastrius  (Adversus  hœreses,  cap.  xiix); 
saint  Jérôme  (Epist.  GXXXIl)  dit  de  lui  :  «  Montanus  immundi 
spiritus  praedicator  multas  Ecclesias  per  Prlscam  et  Maximillam, 
nobiles  et  opulentas  feminas,  primum  auro  corrupit,  deinde  haeresi 
poUuit  ».  Eusèbe  (/fist.  eccles..  lib.  V,  cap.  xvi)  et  saint  Epipliane 
(^Adversus  hœreses,  xlviii)  disent  sa  doctrine  inspirée  parie  diable, 
mais  n'incriminent  passes  mœurs.  Les  auteurs  cités  par  Eusèbe  sont 
Apollinaire  de  Hiérapolis,  un  certain  Apollonius  et  un  anonyme  qui 
écrivait  treize  ans  seulement  après  la  mort  de  Maximilla,  l'une  des 
propliétesses  de  Montan.  Ces  auteurs  contemporains  des  origines  du 
montanisme  n'accusent  point  la  conduite  du  faux  prophète,  et  ne  le 
traitent  pas  encore  d'hérétique  (Sur  le  montanisme,  voir  Bonwetsch, 
Die  Geschichte  des  Monianismus,  Erlangen,  1881,  in-8  ;  E.  Kenan, 
Marc  Aurele,  p.  2i3  et  suiv.  ;  Mgr  Duchesne,  Histoire  ancienne  de 
l'Eglise,  t.  I,  cbap.  xv  ;  de  Labriolle,  dans  la  Revue  d'histoire  et  de 
littérature  religieuse,  t.  XI.  Sur  le  sens  donné  par  les  contemporains 
à  la  comparaison  de  Fénelon  et  de  Mme  Guyon  avec  Montan  et 
Priscille,  voir  la  lettre  d'Antoine  Bossuet  citée,  p.  i5). 

3.  Voyez  t.  XI,  p.  274. 

4.  Sur  ce  jésuite,  voir  lettre  du  10  Juillet  1698,  t.  X,  p.  Sg.  «  On 
dit  que  la  cause  (de  son  exil)  est  que,  le  jour  de  Quasimodo,  à  Saint- 
Roch,  où  il  avait  prêché  le  carême,  il  dit  sur  l'évangile  du  jour 
qu'il  ne  fallait  point  espérer  de  paix  solide  pendant  qu'on  laisserait 
subsister  tel  et  tel  désordre,  et  qu'une  femme  impérieuse,  dont  la 
naissance  était  obscure  et  qui  devrait  rentrer  dans  la  poussière  dont 
elle  avait  été  tirée,  aurait  part  au.  gouvernement  »  (^Correspondance 

XII  —  3 


34  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

fense  de  prêcher,  à  ce  qu'on  prétend,  pour  avoir 
parlé  en  chaire  très  ouvertement  contre  le  Roi  et 
Mme  de  Maintenon, 

J'embrasse  M.  PheHpeaux.  Venez  vite.  Ma  santé 
est  bonne,  Dieu  merci. 


1986.   —  L'Abbé  Bossuet  a  son    Oncle. 

Rome,  ce  3  juin  1699. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire,  du  1 1  mai.  Votre  assemblée  n'était  pas  encore  faite; 
mais,  par  un  courrier  extraordinaire,  nous  avons  appris  ce 
qu'on  y  avait  fait  et  les  résolutions  prises,  conformes  aux 
intentions  de  S.  M.  marquées  par  sa  lettre.  Les  mandements 
qu'on  doit  faire  dans  chaque  diocèse  feront  tout  l'etTet  et 
suppléeront  à  tout.  Je  puis  vous  assurer  que  tous  les  cardinaux 
approuvent  fort  les  mesures  qu'on  a  prises  en  France  pour 
l'authenticité  de  cette  constitution  * .  Gela  ne  fait  pas  ici  la 
moindre  difficulté,  quoiqu'ils  aient  bien  senti  que  l'Église  de 
France  par  là  autorisait  l'article  de  la  Déclaration  :  Nisi  Eccle- 
siœ  consensus  accesserit.   Quelques-uns  me  l'ont  dit,   et   on 

de  Quesnel.  t.  II,  p.  58,  lettre  du  ao  juin  1699).  L'exil  du  P.  de  La 
Farté  dura  deux  ans.  Il  revint  prêcher  dans  le  diocèse  de  Meaux  sous 
M.  de  Bissy  (Ledieu,  t.  III,  p.  269  ;  t.  IV,  p.  33i  à  333.  Voir  aussi 
Charma  et  Mancel,  le  P.  André,  Paris,  i857,  in-8,  t.  Il,  p.  190  et 
191).  Le  24  janvier  1713,  Mme  de  Maintenon  écrivait  à  Noailles  : 
«  Oserai-je  vous  demander.  Monseigneur,  s'il  y  a  quelque  chose  sur 
mon  compte  dans  ce  qui  s'est  passé  entre  vous  et  le  P.  Martineau  tou- 
chant le  P.  de  La  Ferté  ?  Vous  savez  bien  que  le  Roi  a  accordé  son 
retour,  et  ce  n'est  pas  vous,  Monseigneur,  qui  m'apprendrez  à  ne 
pas  pardonner  sincèrement...  «  (Édition  La  Beaumelle,  Amsterdam, 
1766,  in-i2,t.  IV,  p.  35l). 

Lettre  1936.  —  Copie  préparée  par  les  Bénédictins,  au  Grand 
séminaire  de  Meaux. 

I,   Pour  lui  donner  de  l'autorité. 


Juin  1699]  DE   BOSSUET.  35 

commence  ici  à  ne  pas  trouver  cette  doctrine  si  affreuse  :  il 
n'y  a  que  manière  de  la  leur  présenter. 

Le  Pape  est  tout  de  même,  je  vous  en  réponds,  et  reçoit  à 
merveille  tout  ce  que  je  lui  dis  là-dessus. 

Quoiqu'on  attende  à  présent  M.  de  Monaco  de  jour  en 
jour,  ayant  envoyé  quérir  les  galères  à  Marseille  dès  le  i5  de 
mai,  et  une  partie  de  ses  gens  étant  déjà  allés  à  Civita-Vec- 
chia,  j'ai  cru  ne  devoir  pas  différer  à  faire  les  démarches 
nécessaires  sur  l'affaire  de  mon  induit.  J'ai  travaillé  depuis 
trois  semaines  à  bien  disposer  en  général  et  le  Pape  et  le 
cardinal  Panciatici  à  me  vouloir  renvoyer  content.  J'ai  cru 
trouver  la  conjoncture  favoral)le,  et  j'ai  rendu  ce  matin  votre 
lettre  et  celle  de  M.  le  cardinal  de  Janson  à  M.  le  cardinal 
Panciatici,  qui  a  reçu  très  bien  ma  proposition,  et  m'a  dit  de 
parler  au  Pape,  ce  que  j'ai  fait  aujourd'hui  ;  et  S.  S.  m'a 
donné  des  marques  particulières  de  bonté,  et  des  assurances 
de  me  vouloir  faire  plaisir,  et  à  vous  aussi.  Si  M.  le  cardinal 
dataire-  ne  l'empêche,  je  puis  dire  que  je  suis  assuré  du  Pape. 
M.  le  cardinal  Casanate,  à  qui  j'ai  rendu  votre  lettre,  et  dont 
je  vous  envoie  la  réponse,  m'a  promis  de  faire  de  son  mieux 
auprès  de  M.  le  cardinal  Panciatici  ;  c'est  son  grand  ami.  J'ai 
rendu  aussi  votre  lettre  au  cardinal  Spada,  qui  m'a  promis 
de  faire  son  possible  auprès  de  S.  S.  Nous  verrons  ce  que 
cela  opérera.  Si  je  vois  qu'on  fasse  difficulté,  alors,  si  M.  de 
Monaco  arrive  à  temps,  je  l'emploierai  ;  mais  je  ne  désespère 
pas  que,  dans  les  circonstances  présentes,  le  Pape  ne  soit  bien 
aise  de  me  renvoyer  content  de  lui  par  quelque  grâce.  Nous 
verrons. 

Je  souhaite  ardemment  voir  M.  de  Monaco  avant  que 
de  partir  ;  mais  je  ne  puis  m'arrêter  ici  plus  que  de  la  semaine 
prochaine  ;  et  je  compte  partir  le  10  ou  le  12,  au  plus  tard. 
Je  vais  écrire  encore  d'ici  une  fois,  qui  sera  le  9,  et  je  vous 
marquerai  précisément  le  jour. 

Je  prends  congé  de  MM.  les  cardinaux,  tant  du  Saint  Office 
que  des  autres,  qui  me  comblent  de  bontés. 

2.   Tanara  (cf.  t.  XI,  p.  26^).  Panciatici  était  pro-dataire. 


36  CORRESPONDANCE  [jum  1699 

L'affaire  de  l'armement  des  ministres^  fait  ici  plus  de  fra- 
cas que  jamais.  Le  Pape  témoigne  une  grande  indignation 
contre  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  et  lui  a  refusé  audience, 
et  on  le  prétend  dans  la  résolution  de  ne  le  vouloir  plus 
entendre.  S.  S.  envoya  même  quérir  avant-hier  M.  Poussin, 
pour  lui  ouvrir  son  cœur.  C'est  une  chose  publique  :  il  n'y  a 
pas  lieu  de  douter  que  les  Autrichiens  n'aigrissent  infiniment 
l'esprit  du  Pape  ;  et  le  Pape,  qui  craint  de  passer  pour  trop 
partial  pour  la  France,  paraît  vouloir  prendre  feu.  On  blâme 
ici  généralement  la  manière  publique  et  éclatante  dont  cette 
affaire  a  été  conduite  par  les  gens  d'armes  de  France;  mais 
on  ne  blâme  pas  le  fond,  c'est-à-dire  que  M.  le  cardinal  ait 
voulu  être  le  plus  fort  ;  mais  on  souhaiterait  que  cela  se 
fût  fait  moins  publiquement.  Ce  que  je  puis  dire,  c'est  que 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'est  pas  heureux,   et  mal  servi. 

S.  S.  voudrait  bien  que  le  Roi  ne  se  fâchât  pas  du  refus 
d'audience  qu'il  fait  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon.  S.  S.  a 
demandé  plusieurs  fois  de  mes  nouvelles,  ces  jours  passés,  à 
M.  Aquaviva,  son  maître  de  chambre,  à  Mgr  Gozzadini,  disant 
pourquoi  je  ne  l'allais  point  voir,  et  demandant  si  j'étais 
parti  :  ils  m'en  ont  averti.  J'ai  bien  vu  que  S.  S.  voulait  un 
peu  ouvrir  son  cœur.  J'ai  cru  devoir  avertir  M.  le  cardinal  de 

3.  Bouillon,  ministre  de  France,  et  le  comte  Martinitz,  ambassa- 
deur de  l'Empereur.  «  Le  cardinal  de  Bouillon,  dont  les  carrosses 
avaient  été  deux  fois  insultés  par  ceux  de  l'ambassadeur  de  l'Empe- 
reur, dans  des  entrées  publiques  d'ambassadeurs,  eut  soin,  à  l'entrée 
du  marquis  de  Vitelli,  ambassadeur  extraordinaire  du  Grand  duc,  de 
faire  accompagner  son  carrosse  par  un  grand  nombre  de  gens,  l'épée 
à  la  main.  Le  carrosse  de  l'ambassadeur  impérial  se  retira  pour  éviter 
toutes  contestations.  Le  cardinal,  qui  ne  savait  ce  que  c'était  que  de 
reculer,  lorsqu'il  avait  fait  une  fausse  démarche,  fil  armer  dans  son 
palais  cinq  ou  six  cents  hommes,  destinés  à  accompagner  son  carrosse 
le  jour  de  l'audience  publique  du  marquis  de  Vitelli.  Le  Pape,  en 
ayant  été  informé,  envoya  dire  au  marquis  qu'il  n'aurait  point  d'au- 
dience ce  jour-là,  et  fit  témoigner  au  cardinal  de  Bouillon  son  mé- 
contentement. Gela  n'empêcha  pas,  quelques  jours  après,  le  cardinal 
de  Bouillon  de  faire  demander  audience  au  Pape,  qui  la  lui  refusa 
et  lui  fit  dire  qu'il  attendait  l'arrivée  du  prince  de  Monaco  »  (Note 
de  Deforis).  On  a  vu,  p.  26,  le  récit  de  Phelipeaux. 


juin  1699]  DE  BOSSUET.  87 

Bouillon  que  j'allais  aujourd'hui  aux  pieds  du  Pape,  pour  rece- 
voir ses  ordres,  afin  de  parler  conformément  à  ses  intentions 
et  lui  rendre  ce  petit  service.  Il  n'a  pas  jugé  à  propos  de  me 
faire  rien  dire.  J*ai  été  chez  le  Pape,  et  ce  bon  pape  m'a  parlé 
plus  d'une  demi-heure,  presque  les  larmes  aux  yeux,  sur  ce 
qui  se  passait,  avec  des  sentiments  pour  le  Roi  dignes  d'admi- 
ration. Il  m'a  fait  l'honneur  de  m'entendre  ;  et,  sans  afiecler 
la  justification  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  je  lui  ai  dit 
tout  ce  qui  était  possible  pour  l'empêcher  de  prendre  un 
engagement  qui  put  déplaire  au  Roi,  et  le  mettre  en  parallèle 
avec  ses  ennemis  ;  insinuant  que  le  refus  d'audience  à  M.  le 
cardinal  de  Bouillon,  comme  ministre  de  S.  M.,  pourrait 
paraître  un  peu  fort,  en  faisant  connaître  que,  dans  le  fond, 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'avait  pas  tort  de  se  mettre  en 
état  de  défense,  pour  que  ses  gens  ne  pussent  être  maltraités 
par  ceux  de  l'ambassadeur  de  l'Empereur,  qui  avaient  eu 
l'insolence  de  le  faire  une  fois.  Je  puis  dire  que  S.  S.  ne  m'a 
pas  paru  si  aigrie  qu'elle  l'était  au  commencement  :  elle  n'a 
cessé  de  me  dire  qu'elle  craignait  bien  que  le  Roi  ne  fût  pas 
informé  de  la  vérité,  et  de  me  marquer  une  grande  impatience 
de  voir  M.  de  Monaco. 

Le  malheur~de  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  qui  rejaillit  sur 
le  service  du  Roi,  c'est  qu'il  ne  ménage  personne  pour  parler 
au  Pape,  et  que  les  Autrichiens  ont  tous  les  jours  mille  gens 
qui  le  font  ;  et  c'est  un  miracle  que  le  Pape  soit  bien  disposé 
naturellement  pour  la  France.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  ne 
sait,  à  la  lettre,  où  il  en  est.  Gela  est  pitoyable.  J'ai  été  rendre 
compte  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon  de  ce  qui  s'était  passé 
entre  S.  S.  et  moi  :  il  m'a  fort  remercié.  Pour  moi,  je  sais 
fort  bien  distinguer  le  ministre  d'avec  l'Altesse*.  C'est  ce  que 
j'ai  pris  la  liberté  de  dire  au  Pape,  qui  en  a  ri  et  l'a  trouvé 
fort  bon;  et  je  voudrais,  dans  cette  occasion-ci,  qu'il  prît  le 

!\.  Saint-Simon  dit  du  cardinal  de  Bouillon  :  «  Sa  princerie  était 
sa  folie  dominante  :  il  en  avait  usurpé  à  Rome  tous  les  avantages  qu'il 
avait  pu;  il  y  prétendait  VAUesse  éminentissime,  qu'il  se  faisait  donner 
partout  par  ses  valets  ;  personne  autre  à  Rome  ne  voulut  tâter  de 
cette  nouveauté...  »  (t.  V,  p.  38). 


38  GORRESPONDA.NGE  [juin  1699 

parti  de  le  distinguer'''.  Je  vous  assure  qu'il  n'est  pas  impos- 
sible de  lui  faire  entendre  raison  là-dessus  ;  mais  j'ai  peur 
qu'on  ne  s'y  prenne  mal.  Je  n'en  sais  rien,  mais  je  le  crains, 
et  que  cette  affaire  ne  devienne  une  grande  affaire.  Le  car- 
dinal de  Bouillon  est  outré  contre  le  Pape  ;  et  le  grand  grief 
du  Pape,  c'est  le  mépris  public  qu'on  fait  de  son  autorité  dans 
Rome,  s'il  souffre  de  pareilles  entreprises. 

Voyez  si  l'occasion  pouvait  être  plus  favorable  pour  moi 
pour  lui  parler  de  mon  induit  ! 

S.  S.  m'a  fort  parlé  du  curé  de  Seurre,  et  m'a  dit  qu'on 
pourrait  découvrir  bien  des  choses  par  là  ;  ce  qui  m'a  donné 
occasion  de  lui  parler  de  cette  matière,  et  de  Mme  Guyon  et 
de  la  cabale;  et  il  est  à  présent  reso  capace  di  tutto'^'. 

Dans  mes  visites  des  cardinaux,  j'insinue  la  défense  des 
explications  et  livres  de  M.  de  Cambrai,  et  en  démontre  la 
nécessité  d'une  manière  à  ne  pas  recevoir  de  réplique,  et 
comme  une  conséquence  nécessaire  de  ce  qui  s'est  fait.  Je  ne 
doute  pas  qu'on  ne  fasse  quelque  chose,  surtout  si  M.  le  nonce 
en  parle. 

Je  vous  envoie  la  copie  d'un  imprimé  qui  est  ici  entre  les 
mains  de  quelques  cardinaux.  Je  le  crois  dicté  par  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  et  par  le  P.  Charonier,  à  la  lettre,  et 
imprimé  en  Hollande.  Vous  l'avez  peut-  être  vu. 

J'écris  fort  à  la  hâte,  n'ayant  pu  finir  mes  audiences  et  mes 
affaires  que  fort  tard  ;  ce  qui  fait  que  je  ne  pourrai  peut-être 
pas  écrire  à  M.  de  Paris,  à  qui  je  vous  prie  de  faire  mes  com- 
pliments. Si  vous  n'êtes  pas  à  Paris,  et  que  vous  jugiez  à 
propos  d'envoyer  quelque  copie  de  ce  que  je  vous  écris  sur 
les  affaires  courantes,  vous  ne  feriez  peut-être  pas  si  mal. 

A.U  reste,  vous  ne  pouvez  vous  imaginer  la  rage  que  le  car- 
dinal de  Bouillon  a  eue  de  savoir  la  réponse  de  M.  le  Grand 
duc  sur  M.  Madot,  qui  est  qu'il  avait  donné  sa  parole  à  vous 
et  à  M.  de  Paris  pour  ce  gentilhomme,  et  qu'il  ne  pouvait 

5.  De  faire  cette  distinction  entre  l'Altesse  et  le  ministre  du  roi  de 
France. 

6.  Mot  à  mot  :  renseigné  sur  tout. 


juin  1699]  DE   BOSSUET.  89 

y  manquer.  Cela  joint  au  refus  d'Altesse,  que  l'ambassadeur 
du  Grand  duc  a  fait,  cause  une  grande  aigreur  entre  ces 
puissances.  Le  cardinal  est  résolu  de  s'en  venger  par  rapport 
au  Roi.  Il  est  bon  qu'iP  en  soit  informé. 

Vous  ne  pouvez  vous  imaginer  l'impatience  que  j'ai  de 
partir  et  de  vous  revoir.  C'est  mon  unique  affaire,  et  la  seule 
qui  me  puisse  donner  de  la  joie. 

M.  le  duc  de  Barv^^ick  part  demain.  Le  Pape  a  demandé, 
pour  les  pauvres  catholiques  d'Angleterre,  aux  cardinaux 
quelques  secours  d'argent  :  ils  ont  accordé  leur  revenu  de  six 
mois  de  leurs  rétributions. 


1937.  —  A  Alphonse  de  Yalbelle. 

A  Paris,  3  juin  1699. 

Je  reçus  hier.  Monseigneur,  le  bref  dont  vous 
demandez  la  copie  par  votre  lettre  du  29.  Je  crains 
d'avoir  oublié  de  vous  marquer  la  réception  de  celle 
du  2^,  qui  était  de  conséquence.  Beaucoup  d'hon- 
nêtes gens  voudraient  bien  que  votre  procès-verbal 
fût  imprimé.  Votre  avis  est  fort  estimé,  et  on  est 
bien  aise  que  vous  ayez  seul  su  attirer  de  M.  de 
Cambrai  quelque  chose  de  plus  précis  que  ce  qu'il 
avait  voulu  dire\  Vous  savez.  Monseigneur,  mon 
humble  et  sincère  respect. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

On  me  mande  de  Douai  que  M.  de  Cambrai  y  a 
défendu  à  son  libraire  de  vendre  ses  livres. 

7.   Le  Roi. 

Lettre  1931.  —  L.  a.  s.  Collection  E.  Levesque.  Inédite. 

I.  Par  son  insistance,  Yalbelle  avait  amené  Fénelon  à  déclarer  que 
sa  soumission  n'était  pas  purement  extérieure,  comme  Bossuet  et 
d'autres  l'avaient  conclu  de  son  mandement. 


4o  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

igSS.  —  A  l'Abbé  Bossuet. 

A  Meaux,  ce  7  juin  1699. 

Je  continue  à  vous  écrire  par  Florence,  quoique 
je  pense  que,  pour  avoir  l'honneur  de  voir  M.  l'am- 
bassadeur, vous  serez  à  Rome  plus  longtemps  que 
vous  ne  pensiez.  Vous  avez  vu  par  mes  précédentes 
le  résultat  de  l'assemblée  de  Cambrai,  où  cet  arche- 
vêque a  prononcé  à  la  pluralité  des  voix  que  le  Roi 
serait  supplié  de  supprimer  ses  écrits.  Il  a  voulu 
spécifier  qu'il  prononçait  ainsi  contre  son  avis.  Quant 
à  sa  soumission,  il  y  aurait  beaucoup  de  choses  à 
dire  ;  mais  on  a  voulu  être  content,  et  ne  prendre 
pas  garde  si  les  discours  étaient  bien  suivis.  Onaété 
étonné  de  M.  d'Arras,  qui,  seul  de  tous  les  évêques 
de  France,  a  témoigné  ne  pas  approuver  ce  que  di- 
sent tous  les  autres  du  royaume,  quoiqu'il  soit  pris 
de  mot  à  mot  des  procès-verbaux  des  assemblées  du 
clergé  ' . 

ÎSous  vous  attendons  avec  impatience. 
Je  ne  sais   si  je  vous  ai  mandé  la  mort  funeste 
de  l'abbé    de    La   Châtre  ^  par  une    chute  de  car- 
Lettre  1938.  —  I.  «  Ces  clt^libérations(des  assemblées  provinciales) 
ne   s'accommodent  guère  avec   la    sainte   infaillibilité.    Il   n'y  a    que 
M.  d'Arras  qui  sera  un  grand  saint  chez  eux  ;  mais  je  crois  qu'il  sera  seul. 
Nous  avons  reçu  cette  semaine  les  procès-verbaux  de  Sens  et  de  Bor- 
deaux, et  on  les  imprimera.  Je  crois  qu'Alexandre  VII  aurait  fait  mettre 
tout  cela  à  l'Index  »  (Correspondance  de  Quesnel,  t.  II,  p.  60).  Cf.  p.  34- 
3.   Sur  la  route  de  Saint-Léger  à  Pontchartrain,  «   l'abbé  se  brisa 
contre  des  pierres,  et  les  roues  lui  passèrent  sur  le  corps  ;  il  vécut  encore 
vingt-quatre  heures,  et  mourut  (le  23  mai)  sans  avoir  eu  un    instant 
de  connaissance  »  (Saint-Simon,  t.   VI,  p.   ao3).    Louis  Claude   de 


juin  1699]  DE  BOSSUET.  ^] 

rosse.    Sa    charge    est    donnée   à    l'abbé    de    Sour- 


igSg.  —  A  l'Abbé  Bossuet. 

A  Meaux,  8  juin  1699. 

Je  n'ai  reçu  que  ce  matin  votre  lettre  de  Rome, 
du  19  mai.  Nous  avons  vu  le  bref  adressé  à  M.  de 
Cambrai  le  12  mai,  en  réponse  à  la  lettre  de  ce  pré- 
lat, qui  accompagnait  son  mandement.  Ainsi  il  n'est 
fait  nulle  mention  de  celle  du  4  avril,  qui  le  promet- 
tait seulement,  et  que  vous  m'avez  envoyée.  Il  faut 
qu'on  ait  jugé  que  la  seconde  lettre  était  plus  digne 
de  réponse  que  celle  où  il  était  parlé  de  \ innocence , 
etc.  Le  temps  peut-être  nous  en  instruira  davantage. 
Le  bref,  tel  qu'il  est,  ne  dit  rien  du  tout  dont  M.  de 
Cambrai  puisse  tirer  avantage.  Il  est  fort  sec,  et  ne 
loue  précisément  que  son  obéissanceet  sa  soumission 

La  Cliastre,  abbé  de  Saint-Sever  en  Gascogne  et  aumônier  du  Roi, 
était  fils  de  Louis  de  La  Chastre,  dit  le  marquis  de  La  Cliastre,  et  de 
Charlotte  Louise  de  Hardoncourt.  Il  menait  une  vie  peu  conforme  à 
son  état  ;  et  c'est  lui  qui  avait  calomnié  l'abbé  de  Coëtelez  (voir  t.  IX, 
p.  286,  et  Saint-Simon,  t.  V,  p.  83  et  ki%). 

3.  Jean-Louis  du  Bouchet  de  Sourches,  abbé  de  Troarn,  diocèse 
de  Baveux,  docteur  en  théologie  du  26  juin  169^,  «  pourrissait  aumô- 
nier du  Roi,  en  giand  mépris  »,  dit  Saint-Simon,  lorsqu'il  fut  nommé 
évéque  de  Dol  en  janvier  i^iS.  Le  noble  duc  ne  le  trouvait  pas 
d'assez  haute  naissance,  et  le  qualifie  de  «  grand  pied  plat  »  ;  il 
reconnaît  cependant  qu'il  était  «  très  homme  de  bien  »,  mais  aussi 
très  original  (t.  XIII,  p.  549).  Dans  son  diocèse,  il  interdit  les  appels 
de  la  Bulle  Unigenitus.  Il  mourut  le  23  juin  17^8,  à  soixante-dix- 
neuf  ans.  Il  était  fils  du  grand  prévôt,  Louis-François  du  Bouchet, 
marquis  de  Sourches,  et  de  Marie-Geneviève  de  Chambes,  comtesse 
de  Montsoreau. 

Lettre  1939.  —  i.  Voir  la  Correspondance  de  Fénelon,  t.  X,  p.  568. 


^a  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

à  vouloir  être  instruit  et  recevoir  la  parole  de  vérité 
de  l'Eglise  mère  et  maîtresse. 

Si  l'on  a  quelque  jalousie  à  Rome  de  l'autorité 
qu'on  donne  aux  évêques,  elle  pourra  augmenter 
lorsqu'on  verra  la  manière  dont  elle  a  été  exercée; 
mais  enfin  on  n'a  fait  que  répéter  ce  qui  avait  été 
pratiqué  par  nos  prédécesseurs.  M,  le  nonce  a  paru 
content.  Il  ne  m'a  point  dit  qu'il  eût  ordre  de  parler 
en  votre  faveur  à  cette  cour,  ni  de  témoigner  qu'on 
fût  content  de  vous  en  celle  de  Rome.  Il  m'a  seule- 
lenient  promis  d'en  parler  dans  l'occasion,  sans  me 
dire  qu'il  en  eût  ordre,  et  m'a  fait  mille  remercie- 
ments de  la  manière  dont  vous  vous  étiez  exprimé 
à  son  sujet  auprès  de  S.  S.  et  de  ses  ministres. 

Je  vous  envoie  à  toute  fin  le  procès-verbal  de  Cam- 
brai; vous  devez  avoir  reçu  le  nôtre.  M.  de  Reims 
vous  a  envoyé  le  sien.  Vous  y  verrez  bien  exprimé 
que  le  consentement  des  évêques  aux  constitutions 
apostoliques  est  réellement  un  acte  d'autorité  qui 
exclut  l'obéissance  aveugle,  qui  ne  convient  à  per- 
sonne, et  encore  moins  à  ceux  qui  sont  par  leur  ca- 
ractère docteurs  de  l'Église.  N'entrez  point  dans  tout 
ce  détail,  et  assurez  seulement  en  général  que  les 
évêques  ont  intention  de  rendre  au  Saint  Siège  le 
respect  qui  lui  est  dû.  On  ne  fera  pas  seulement 
semblant  ici  qu'on  craigne  d'avoir  déplu  pour  peu 
que  ce  soit". 

a.  En  réalité,  le  Pape  fut  loin  d'être  satisfait  de  la  procédure 
suivie  en  cette  circonstance  par  les  évêques  de  France.  «  Ce  qui  vient 
d'être  fait  pour  l'acceptation  de  la  constitution  du  Pape  contre 
M.  de  Cambrai  n'est  qu'une  suite  des  propositions  de  1682,  dit  M.  de 
Meaux.  On   s'est  senti  ferme  dans  les  maximes,  et  on  a  agi   en  con- 


juin  1699]  DE   BOSSUET.  43 


1940.   —  L'Abbé  Bossuet  a  son  Oncle. 

Rome,  ce  9  juin  1699. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire  de  Paris,  le  18  mai.  Je  suis  ravi  du  bon  succès  et 
des  résolutions  de  votre  assemblée.  Je  n'ai  communiqué  à  qui 
que  ce  soit  le  procès-verbal'  que  vous  m'avez  envoyé.  J'ose 
vous  dire  que  j'en  suis  très  content  :  ce  sont  des  évêques  qui 
parlent,  et  qui  savent  ce  qu'ils  doivent  à  leur  caractère  et  au 
Saint  Siège.  On  sentira  bien  ici  ce  que  les  évêques  veulent 
dire  ;  mais,  comme  ils  suivent  les  traces  de  leurs  ancêtres  et 
témoignent  beaucoup  de  respect  pour  la  personne  du  Pape  et 
pour  le  Saint  Siège,  on  ne  soufflera  pas.  M.  l'archevêque  s'est 
fait  un  honneur  immortel,  et  toute  la  province  s'est  acquis 
beaucoup  de  gloire  par  les  délibérations  formées  dans  son 
assemblée.  Rien  n'est  plus  sage,  ni  mieux  entendu,  ni  plus 
ecclésiastique  et  plus  régulier.  La  précaution  de  faire  chacun 
un  mandement  simple,  sans  s'étendre,  plaira  ici  infiniment, 
et  elle  est  très  sage.  Cela  n'empêchera  pas,  dans  la  suite,  les 
évêques  de  donner  les  instructions  qu'ils  jugeront  nécessaires 
à  leurs  peuples  ;  mais  il  s'agit  à  présent  de  finir  cette  affaire, 
et  de  ne  point  disputer.  Vous  aurez  vu  par  mes  lettres  précé- 
dentes combien  je  souhaitais  qu'on  défendît  les  écrits  faits 
pour  la  défense  du  livre  condamné,  et  je  suis  ravi  de  la  réso- 
lution prise  sur  ce  point. 

séquence,  en  meUant  toujours  la  force  des  décisions  de  l'Égalise 
dans  le  conseatement  des  Eglises  et  dans  le  jugement  des  évêques.  » 
«  C'est,  continua  M.  de  Meaux,  ce  que  je  représentai  fortement  au  Roi, 
dès  que  je  lui  parlai  du  bref  venu.  »...  M.  de  Meaux  ne  put  s'em- 
pêcher de  dire  le  chagrin  que  Rome  avait  eu  de  voir  sa  décision 
appuyée  de  l'autorité  des  évêques  comme  si  elle  en  avait  besoin  pour 
être  exécutée  ;  «  mais,  ajouta-t-il,  ils  le  méritent  bien,  puisqu'ils  se  le 
sont  attiré  eux-mêmes  premièrement  par  leur  bref  au  lieu  d'une  bulle, 
et  par  tous  les  défauts  du  motu  proprio  et  autres»  (Ledieu,  t.  II,  p.  9). 
Lettre  1940.  —  i.   Bossuet  avait  recommandé  le  secret  (p.  4)- 


44  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

Je  suis  impatient  de  savoir  ce  que  vous  aurez  dit  de  la  lettre 
do  M.  de  Cambrai  au  Pape,  et  des  manœuvres  qu'on  a 
employées  ici  pour  lui  procurer  un  bon  succès.  L'aiïaire  est 
finie,  il  n'en  faut  plus  parler.  Mais  il  n'a  pas  tenu  à  la  cabale 
qu'il  n'y  eût  une  queue,  et  c'est  encore  à  quoi  tendent  toutes 
ses  intrigues  ;  mais  on  y  sera  attentif  plus  que  jamais. 

J'attendrai  encore  celte  semaine  M.  de  Monaco,  qui  devrait 
être  arrivé,  et  qu'on  espère  voir  de  jour  en  jour.  Mais,  après 
ce  délai,  je  pars  sans  retard  la  semaine  prochaine. 

M.  le  cardinal  Pancialici  m'a  conseillé  de  voir  le  Pape 
encore  une  fois,  et  de  lui  renouveler  ma  demande  de  l'induit. 
S.  S.  est  fort  bien  disposée  pour  moi;  mais  elle  appréhende 
les  conséquences,  parce  que  tout  le  monde  pourrait  solliciter 
de  pareilles  grâces,  qu'elle  a  peine  à  accorder,  et  qu'elle  a 
refusées,  non  seulement  à  M.  de  Reims,  mais  à  beaucoup 
d'autres.  Le  cardinal  Panciatici  m'a  pourtant  dit  qu'il  fallait 
que  je  la  pressasse,  et  qu'il  me  servirait  de  son  mieux  :  cela 
me  fait  bien  augurer.  Je  suis  persuadé  que,  si  M.  de  Monaco 
arrivait  à  temps  et  que  je  fusse  encore  à  Rome,  le  Pape  ne  ferait 
aucune  difficulté  de  m'accorder  cette  grâce.  Mais  je  veux 
savoir  cette  semaine  à  quoi  m'en  tenir.  Je  tâcherai  d'obtenir 
ma  demande  sans  le  secours  de  M.  l'ambassadeur.  Si  je  ne  le 
puis,  je  laisserai  les  choses  dans  un  tel  état  que  M.  de  Monaco 
pourra  toujours  faire  de  nouvelles  instances,  s'il  lèvent  bien. 
Je  ne  puis  m'empêcher  d'espérer  tout  de  la  bonté  du 
Pape. 

Je  vous  prie  de  bien  remercier  M.  le  cardinal  de  Janson, 
qui  a  bien  voulu  m'envoyer  une  seconde  lettre  pour  M.  le 
cardinal  Panciatici.  C'est  à  présent  qu'on  sent  plus  que 
jamais  la  perte  qu'on  a  faite  ici  au  départ  de  M.  le  cardinal 
de  Janson-.  Le  Pape  et  les  cardinaux  le  témoignent  hautement, 
et  avec  des  expressions  qui  font  bien  voir  de  quelle  estime 
toute  cette  cour  est  pénétrée  pour  cette  Éminence.  Tout  ce 
que  je  pourrais  vous  en  dire  n'approcherait  pas  de  l'expression 
de  ces  sentiments.  J'ai  reçu  une  lettre  de  M.  le  nonce,  très 

a.   Janson  avait  été,  avant  Bouillon,  chargé  des  affaires  de  France  . 


juin  1699]  DE  BOSSUET.  45 

honnête  et  très  obligeante  :  on  ne  pense  plus,  si  je  ne  me 
trompe,  à  le  rappeler  ^ 

S.  S.  continue  à  refuser  audience  à  M.  le  cardinal  de 
Bouillon,  et  paraît  toujours  irritée  contre  lui  :  elle  attend 
avec  plus  d'impatience  que  personne  M.  de  Monaco.  INéan- 
moins  on  croit  que  ce  refus  ne  durera  pas  longtemps,  et  que  le 
Pape  fera  céder  son  ressentiment  à  l'estime  et  à  l'amitié 
infinie  qu'il  a  pour  le  Roi,  et  qu'il  distinguera  le  ministre 
d'avec  la  personne,  pour  laquelle  il  a  un  mépris  souverain. 
C'est  le  parti  que  l'on  tâche  de  lui  insinuer.  Entre  nous, 
j'y  travaille  plus  que  personne  ;  et,  comme  non  suspect,  on 
me  croit  un  peu.  Le  Pape  souhaitait  fort  que  l'on  fût  contre 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  en  tout  ;  mais  on  a  cru  devoir  prendre 
un  parti  mitoyen,  qui  est  le  plus  sage  et  le  plus  convenable, 
et,  au  lieu  d'aigrir  le  Pape,  de  chercher  à  adoucir  son  esprit. 

Il  faut  néanmoins  avouer  que  le  Pape  a  toutes  sortes  de 
raisons  de  se  plaindre  du  cardinal  de  Bouillon,  qui  a  mmnqué 
de  sens  dans  la  conduite  qu'il  a  tenue,  et  qui  a  agi  plutôt 
par  vanité  et  ostentation  que  par  nécessité  ;  car  il  est  certain 
que  l'ambassadeur  de  l'Empereur  n'avait  pas  armé  *.  Ainsi  le 
cardinal  l'a  fait  sans  égard,  sans  circonspection  et  sans  néces- 
sité. Il  aurait  pu,  dans  la  crainte  de  quelque  insulte,  être  sur 
ses  gardes  ;  mais  la  manière  dont  il  l'a  fait  est  des  plus 
pitoyables,  et  très  injurieuse  pour  la  personne  et  l'autorité  du 
Prince.  La  preuve  qu'on  a  que  l'ambassadeur  de  l'Empereur 
n'avait  point  armé,  c'est  que  le  gouverneur  de  Rome^,  qui  est 
ennemi  déclaré  de  ce  ministre  et  qui  sait  tout  ce  qui  se  passe 
dans  Rome,  en  a  assuré  le  Pape.  Je  le  sais  de  l'un  et  de  l'autre, 
à  n'en  pouvoir  douter  :  par  conséquent  le  cardinal  de  Bouil- 
lon n'avait  aucun  motif  pour  faire  un  si  grand  éclat  et  causer 
tant  de  rumeur. 

J'espère  que  M.  l'abbé  Péquignisera  toujours  de  nos  amis. 

3.  Voir  t.  XI,  p.  a46. 

Ix.   L'abbé  a  écrit  le  contraire  le  2^  mai  (p.  26). 

5.   Ranuccio  Pallavicino,  comme  il  a  été  dit,  t.  XI,  p.   i36. 


CORRESPONDANCE  [juin  lôgi) 


ig/ji,  —  A  Alphonse  de  Valbelle. 

A  Germigny,  lo  juin  1699. 

J'ai  reçu,  Monseigneur,  vos  lettres  du  2  et  du  6,  de 
Saint-Omer.  J'approuve  induire  au  lieu  de  conduire  \ 
Je  ne  puis  vous  rien  dire  sur  Yerrata^,  n'ayant  pas 
ici  le  livre,  ni  en  latin,  ni  en  français.  Ce  sera  dans 
très  peu  de  jours  que  je  vous  répondrai  précisément 
sur  cet  endroit.  On  me  mande  de  Paris  qu'on  y  allait 
imp rimer  votre  procès-verbaP  et  qu'on  l'avait  trouvé 
bon.  Vous  avez  parlé  très  sagement  sur  le  repentir*, 
et  la  chose  poussée  plus  avant  aurait  paru  tenir  de 
l'insulte,  au  lieu  que  votre  discours,  en  l'état  qu'il 
est,    n'est  pas  moins  modéré  que  vif  et  pressant. 

Tout  à  vous  avec  respect.  Monseigneur. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Nous  n'avons  point  ouï  parler  de  bref  italien  ni 
d'aucun  autre  que  de  celui  dont  je  vous  ai  envoyé 
copie ^  qui,  comme  vous  voyez,  ne  dit  mot^ 

Au  bas  de  la  page  :  Mgr  de  Saint-Omer. 

Lettre  1941.  —  L.  a.  s.  Collection  E.  Levesque.  Inédite. 

1.  Pour  la  traduction  du  bref  de  condamnation  :  «  ...  ex  cujus 
lectione  et  usu  fidèles  sensim  in  errores  ab  Ecclesia  catholica  jam 
damnatos  induci  possent.  » 

2.  \j  errata  du  livre  des  Maximes. 

3.  Voir  p.  3o. 

4.  Le  repentir  que  devait  témoigner  Fénelon. 

5.  Le  bref  du  la  mai,  adressé  à  l'archevêque  de  Cambrai  (^Corres- 
pondance de  Fénelon,  t.  X,  p.  568). 

6.  Qui  ne  dit  rien  dont  Fénelon  puisse  tirer  avantage.  Cf.  plus 
haut,  p.  4i- 


J 


juin  1699I  DE   BOSSUET.  ^y 


1942.  —  Mémoire  de  Bossuet  a  Louis  XIV, 

12  juin  1699. 

La  peine  de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  et  des  au- 
tres amis  de  M.  de  Cambrai  à  voir  l'abbé  Bossuet  à 
Rome  en  état  de  nous  avertir  de  ce  qui  se  passait,  a 
paru  par  trop  d'endroits  pour  n'être  pas  remarquée. 
On  se  servit,  pour  l'intimider  et  l'obliger  à  sortir  de 
Rome,  de  la  noire  calomnie  dont  les  inventeurs  ont 
été  si  visiblement  confondus  par  le  témoignage  de 
tout  Rome'.  Depuis,  dans  le  temps  quon  voulait, 
non  pas  hâter,  mais  étrangler  et  précipiter  l'affaire, 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  a  mandé  que  l'abbé  Bos- 
suet proposait  des  retardements,  ce  qui  ne  s'est  pas 
trouvé  véritable;  et  on  ne  répète  pas  ce  qu'il  a  eu  à 
essuyer  de  mauvais  offices,  pour  les  soins  qu'il  a  eus 
de  nous  avertir. 

Ce  n'était  pas  par  curiosité  que  nous  désirions 
d'être  informés  ;  c'était  pour  en  rendre  compte  au 
Roi.  et  parce  que  ces  avis  fidèles  donnaient  le  moyen 
de  prévenir  les  difficultés  qui  naissaient  à  chaque  pas 
dans  cette  affaire. 

Quand  le  jugement  a  paru,  il  n'était  pas  moins 
nécessaire  que  nous  fussions  bien  instruits  des  dispo- 
sitions de  la  cour  de  Rome,  parce  qu'il  fallait  les 
savoir  pour  prendre  des  mesures  justes  dans  l'exécu- 

Lettre  1942.  —  Copie  de  la  main  de  Ledieu,  au  Grand  séminaire 
de  Meaux. 

I .  Voir  ce  qui  en  a  été  dit,  au  sujet  de  l'aventure  de  l'aWié  Bos- 
suet, t.  IX,  p,  iti8,  187  el  23i. 


48  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

tion.  Ainsi  l'abbé  Bossuet  nous  dépêcha  selon  sa 
coutume;  et,  à  cette  dernière  occasion,  ce  fut  M.  de 
Madot,  un  de  ses  amis,  qui  vint  nous  apporter  la 
nouvelle. 

M.  le  cardinal  de  Bouillon  éclata  à  cette  fois  avec 
emportement,  et  ses  amis  répandirent  à  Rome  qu'il 
ferait  assassiner  ce  gentilhomme,  s'il  osait  jamais  y 
retourner.  Mais,  n'osant  dire  qu'il  lui  sût  si  mauvais 
gré  d'être  parti  à  la  prière  de  l'abbé  Bossuet  pour 
nous  apporter  les  nouvelles,  il  prit  pour  prétexte 
de  son  indignation  que  ce  gentilhomme  avait  pro- 
mis d'arriver  à  Paris  avant  le  courrier  que  ce  cardi- 
nal dépêchait  au  Roi  :  à  quoi  non  seulement  on 
n'avait  point  songé,  mais  on  ne  pouvait  même  pas 
le  faire,  puisque  M.  de  Madot  n'était  parti  que  quinze 
ou  vingt  heures^  après  ce  courrier  dépêché  au  Roi. 
Ainsi  cette  circonstance  ajoutée  au  fait  n'était  que 
le  prétexte  du  véritable  sujet  de  la  colère  de  M.  le 
cardinal,  qui  en  effet  était  fâché  qu'on  nous  avertît. 

Ce  gentilhomme,  retourné  à  Rome  le  2  3  de  mai,  alla 
dîner  chez  l'abbé  Bossuet,  qui  le  mena  chez  le  P. 
Roslet,  minime,  à  qui  il  avait  des  lettres  à  rendre  de 
M.  l'archevêque  de  Paris,  et  de  là,  sur  le  soir,  chez 
Mme  la  princesse  des  Ursins,  oiise  trouvent  tous  les 
Français,  et  dont  il  est  le  serviteur. 

Cependant  M.  le  cardinal  de  Bouillon  ayant  voulu 
croire  que  l'abbé  Bossuet  le  logeait  chez  lui,  ce  qui 
n'était  pas,  puisqu'il  avait  un  autre  logis  arrêté,  a 

2.  Sur  ce  point,  Bossuet  est  en  désaccord,  non  seulement  avec  le 
cardinal  de  Bouillon,  mais  encore  avec  lui-même,  ainsi  qu'il  a  été  dit, 

t.  XI,  p.  341. 

4 


juin  1699]  DE   BOSSUET.  49 

fait  à  cet  abbé  l'affront  de  lui  envoyer,  sous  le  nom 
de  conseil,  l'ordre  dont  on  a  joint  la  copie  ^  ;  et,  pour 
le  faire  avec  tout  l'éclat  qu'il  souhaitait,  il  fit  cher- 
cher par  tout  Rome  M.  Poussin,  secrétaire  de  l'am- 
bassade, à  qui  il  commanda  devant  douze  ou  quinze 
personnes  de  trouver,  à  quelque  heure  que  ce  fût, 
l'abbé  Bossuet,  pour  lui  faire  savoir  ce  qu'il  lui  pres- 
crivait avec  tant  de  hauteur  et  de  menaces. 

Le  lendemain,  l'abbé  Bossuet  se  rendit  chez  M.  le 
cardinal  pour  lui  représenter,  avec  le  respect  dont 
il  n'a  jamais  manqué  envers  lui,  qu'il  aurait  pu  lui 
épargner  l'affront  de  lui  envoyer  un  tel  ordre  avec 
tant  d'éclat,  puisqu'il  était  vrai  qu'il  n'avait  jamais 
logé  M.  de  Madot,  et  qu'il  n'avait  point  à  en 
réjDondre.  Voilà  pour  ce  qui  regarde  l'abbé  Bos- 
suet. 

Pour  ce  qui  touche  M.  de  Madot,  c'est  un  mal- 
heureux gentilhomme,  qui,  ayant  toujours  été  avec 
honneur  dans  le  service,  s'est  vu  contraint  de 
se  réfugier  à  Rome,  depuis  trois  ou  quatre  ans,  pour 
une  rencontre  qu'on  a  qualifiée  de  duel,  en  atten- 
dant qu'il  pût  se  justifier  et  rentrer  dans  les  bonnes 
grâces  du  Roi^. 

Il  n'a  jamais  voulu  prendre  de  parti  avec  les  enne- 
mis de  son  maître,  et  s'est  donné  à  la  fin  à  M.  le  Grand 
duc,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  le  bonheur  d'éclaircir  sa 
malheureuse  affaire.  Dans  la  peine  de  trouver  quel- 
qu'un qui  se  chargeât  des  dépêches  de  l'abbé  Bossuet, 
il  avait  été  obligé  de  le  dépêcher.  Il  est  demeuré  sous 

3.   Voir  plus  haut,  p.  22. 
Ix.  Cf.  t.  XI,  p.  2/,8. 

XII  -   k 


5o  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

un  autre  nom  "  chez  l'évêque  de  Meaux,  et  n'a  vu  que 
M.  le  cardinal  de  Janson,  qui  le  connaissait  de  Rome 
comme  un  homme  de  mérite,  et  M.  l'archevêque  de 
Paris,  sur  qui  l'évêque  de  Meaux  s'est  reposé  pour 
dire  sur  ce  sujet  à  Sa  Majesté  ce  qu'il  trouverait  né- 
cessaire. 

Il  est  demeuré  à  Rome  quatre  ou  cinq  jours  seu- 
lement, pour  quelques  affaires  dont  il  y  était  chargé. 
Si  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  comme  ministre  du 
Roi,  lui  eût  ordonné  de  partir  plus  tôt,  il  l'eût  fait; 
car  il  a  trouvé  moyen  de  lui  faire  dire  qu'il  serait 
parti  à  l'instant,  toujours  prêt  à  respecter  jusqu'à 
l'ombre  de  l'autorité  de  son  roi.  Cet  ordre  lui  étant 
refusé,  il  n'a  pas  jugé  à  propos  de  s'ébranler  des 
menaces  ;  et  ses  affaires  finies  dans  le  moins  de 
temps  qu'il  a  pu,  il  s'est  rendu  à  Florence  aux  ordres 
de  M.  le  Grand  duc.  M.  le  cardinal  continue  à  le 
poursuivre  dans  cette  cour,  et  le  menace  de  le  perdre 
auprès  de  ce  prince,  ne  voulant  laisser  aucun  asile  à 
un  malheureux  dont  tout  le  crime  est  de  nous  avoir 
apporté  des  nouvelles,  que  nous  avions  raison  de 
souhaiter. 

Cependant  on  peut  assurer  qu'il  est  homme  de 
cœur  et  de  service,  bien  connu  pour  tel  par  les  plus 
honnêtes  gens  de  la  Cour,  parmi  lesquels  je  nomme- 
rai M.  de  Chaseron®,  qui  en  a  parlé  avec  distinction, 

L'évêque  de  Meaux  espère  que  Sa  Majesté,  daignant 
écouter  ces  faits,  n'improuvera  pas  la  conduite  de 

5.  Celui  de  des  Roches. 

6.  François  Amable  de  Monestay,  marquis  de  Chaseron,  brigadier 
des  armées  du  Roi  en  1696,  lieutenant  général  en  1710,  gouverne  / 


juin  1699]  DE  BOSSUET.  5l 

l'abbé  Bossuet,  et  qu'il  paraîtra  que  les  menaces  de 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  ne  sont  ni  justes  ni  géné- 
reuses ;  que  ses  hauteurs  sont  à  contretemps,  et,  si 
on  ose  ajouter  ce  mot.  un  peu  petites". 


1943.  A  M""  DE  Maintenon. 

M.  le  marquis  de  Torcy  a  été  instruit  par  M.  le 
cardinal  de  Bouillon  des  honnêtetés  qu'il  a  faites  à 
l'évêque  de  Meaux  sur  le  sujet  de  l'abbé  Bossuet. 
C'est  pourquoi  on  a  été  obligé  de  l'instruire  de  cette 
affaire,  afin  qu'il  en  pût  rendre  compte  à  Sa  Majesté. 
Mais  on  a  cru  qu'on  devait  ici  '  circonstancier  da- 
vantage les  choses,  afin  qu'il  vous  plût.  Madame, 
prévenir  plus  efficacement  les  mauvais  offices. 
J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

A  Meaux,  12  juin  1699. 


de  Brest.  Il  se  distingua  par  sa  bravoure  à  Lens,  à  Steinkerque,  à 
Nerwinde,  à  Oudenarde,  à  Malplaquet,  etc.  Il  mourut  à  Paris  le 
28  décembre  1719,  âgé  de  soixante  et  un  ans.  Il  était  fils  de  Fran- 
çois de  Monestay,  lieutenant  général  de  Roussillon,  et  avait  épousé 
en  1698  Marie-Madeleine  Barentin  (Le  Mercure,  décembre  17 19, 
p.  190;  Bibliothèque  Nationale,  Pièces  originales  et  Dossiers  bleus). 

7.  A  la  suite  de  la  copie  du  Mémoire  par  Ledieu,  on  lit  cette  note 
de  la  même  main  :  «  Ce  mémoire  était  pour  le  Roi,  à  qui  M.  de  Meaux 
l'a  fait  passer  par  Mme  de  Maintenon.  Il  a  ajouté  ce  qui  suit  pour 
cette  Dame  même.  «  Voir  lettre  suivante. 

Lettre  i943.  —  Copie  de  la  main  de  Ledieu.  Voir  le  mémoire 
précédent. 

I.    Dans  le  mémoire  précédent,  qui  était  joint  h  cette  lettre. 


52  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

ig/i/l.  —  A  Antoine  de  Noailles. 

A  Germigny,  13  juin  1699. 

Dans  la  tranquillité  où  je  suis  ici,  mon  cher  Sei- 
gneur, je  me  suis  souvenu  d'un  endroit  de  saint 
Augustin,  qui  est  cité  dans  l'ouvrage  que  vous  savez  \ 
mais  non  pas  avec  l'exactitude  qui  est  à  désirer  dans 
cet  ouvrage.  C'est  celui  du  chapitre  xiv  de  Corre- 
ptione  et  Gralia,  après  le  passage  d'Esther  et  de  Mar- 
dochée,  pour  montrer  que  les  volontés  humaines  ne 
peuvent  pas  résister  à  la  volonté  de  celui  qui  fait 
tout  ce  qui  lui  plaît,  dans  le  ciel  et  dans  la  terre; 
c'est  là  qu'il  faut  insérer  ces  mots  :  «  Ce  qui  nest 
pas  vrai  seulement  à  cause  qu'il  fait  ce  qu'il  veut 
de  ceux  qui  n'ont  pas  fait  ce  qu'il  a  voulu  :  De  his 
qui  faciunt  quœ  non  vult,  ipse  facit  quod  vult:    mais 

Lettre  i944. —  Copie  Pinchart,  ms.  ii45  de  la  Bibliothèque  de 
Reims. 

I.  L'opuscule  que  Bossuet  avait  composé  en  faveur  de  l'arche- 
vêque de  Paris  contre  l'auteur  du  fameux  Problème,  sous  le  titre 
d'Avertissement  sur  l'édition  présente  du  Nouveau  Testament  en  français 
avec  des  réflexions,  etc.  Cet  écrit  a  été  publié  par  Quesnel  :  Justifica- 
tion des  Réflexions  sur  le  Nouveau  Testament...  composée  en  iGgg  contre 
le  Problème  ecclésiastique,  etc.,  par  feu  Messire  J.-B.  Bossuel,  Lille, 
1710,  in-i3.  On  en  a  mal  à  propos  nié  l'authenticité  :  elle  est  mise 
hors  de  doute  par  deux  manuscrits  delà  Bibliothèque  Nationale  (latin 
17680  et  17681).  L'un  est  une  copie  dont  la  fidélité  est  attestée  par 
Ledieu  ;  l'autre  est  une  copie  avec  des  corrections  et  additions  de  la 
main  de  Bossuet  (Voir  Tabaraud,  Supplément  aux  Histoires  de  Bossuet 
et  de  Fénelon,  Paris,  1822,  in-8  ;  Guettée,  Essai  bibliographique  sur 
l'ouvrage  de  Bossuet  intitulé  :  Avertissement  sur  le  livre  des  Réflexions 
morales.  Paris,  i854,  in-8;  Ledieu,  t.  IV,  p.  333  à  357;  ^''-  ^-^''^ain, 
Bossuet  apologiste  du  P.  Quesnel,  dans  la  Revue  du  clergé  français,  du 
i5  janvier  1901  ;  Verlaque,  Bibliographie  raisonnée  des  OEuvres  de 
Bossuet,  Paris,  1908,  in-8).  ^ 


juin  1699]  DE  BOSSUET.  53 

encore  à  cause  qu'il  tourne  où  il  lui  plaît,  et  comme 
il  lui  plaît,  les  volontés  les  plus  rebelles.  Ainsi,  ))^ 
etc.  Voilà  tout  le  plan  de  saint  Augustin  sur  cette 
matière. 

Au  reste,  Monseigneur,  je  goûte  avec  joie  dans 
ma  solitude  le  plaisir  de  vous  voir  appelé  de  Dieu  à 
soutenir  la  doctrine  de  saint  Augustin  sur  la  grâce  et 
sur  la  nécessité  d'aimer  Dieu  d'un  amour  du  moins 
commencé,  pour  être  véritablement  converti  et  ca- 
pable d'être  justifié.  On  fait  les  derniers  efforts  pour 
étouffer  cette  doctrine,  sans  laquelle  il  n'y  a  point  de 
christianisme,  sous  prétexte  de  piété  et  de  Tefficace 
des  sacrements.  Si  la  doctrine'  contraire  s'établit  jus- 
que dans  l'épiscopat,  comme  je  vois  qu'on  y  travaille, 
tout  est  perdu.  C'est  à  vous  qu'il  est  réservé  de  dé- 
truire cette  doctrine  :  j  y  emploierai  sous  vos  ordres 
tout  ce  qui  sera  jamais  en  mon  pouvoir.  Je  consacre 
à  cet  important  ouvrage   tout  le   reste  de  ma  vie. 

Tout  à  vous,  avec  le  respect  sincère  que  vous 
savez. 

J.  B.,  é.  de  Meaux. 


ig/jô.  — A  Alphonse  de  Valbelle. 

A  Germigny,  i4  juin  1699. 

J'ai  vérifié  dans  V errata  de  M.  de  Cambrai,  Mon- 

2.  Ces  lignes  sont  une  addition  autographe  écrite  en  marge  du  ms. 
latin  17680,  p.  28.  Elles  figurent  à  la  place  indiquée  ici  dans  l'édition 
donnée  par  Quesnel. 

3.  La  copie  porte  :  Si  cette  doctrine.  Les  éditeurs  ont  corrigé  avec 
raison. 

Lettre  1945.  —  L.  a.  s.  Collection  E.  Levesque.  Imprimée  d'abord 


5d  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

seigneur,  qu'en  effet  il  a  corrigé  porter  au  lieu  de 
parler.  Ainsi  il  fallait  suivre  cette  correction  dans  la 
version.  Les  libraires,  qui  l'ont  fait  faire  assez  pré- 
cipitamment, par  l'avidité  de  contenter  le  public 
curieux,  ou  plutôt  par  celle  du  gain,  n'y  ont  pas 
pris  garde  de  si  près.  Ce  que  gagne  M.  de  Cambrai 
à  ce  défaut  de  la  version,  c'est  que  sa  proposition 
est  condamnée  avec  l'adoucissement  qu'il  y  a  voulu 
apporter,  et  que  la  condamnation  en  est  plus  précise. 

On  me  mande  que  votre  procès-verbal  réussit 
fort  bien  à  Paris'.  Celte  impression  était  nécessaire 
contre  les  bruits  qu'avaient  répandus  les  amis  de 
M.  de  Cambrai,  qui,  en  vous  faisant  emporté,  vous 
donnèrent  un  caractère  tout  opposé  au  vôtre  et  à 
celui  que  vous  avez  montré  en  particulier  dans  cette 
affaire. 

A  vous,  Monseigneur,  avec  respect. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Mgr  de  Saint-Omer. 


19^6.     A   M.    DE  TORCY. 

Monsieur, 
Puisque  vous  avez  bien  voulu  que  les  honnêtetés 
de  M.  le  cardinal  de  Bouillon  et  la  réponse  que  je 

par  Labouderie  dans  les  Mémoires  publiés  par  la  Société  des  Bibliophiles 
français,  et  reproduite  dans  la  Correspondance  de  Fénelon,  t.  X, 
p.  595. 

I.  Voir  le  contraire  dans  Saint-Simon,  t.  VI,  p.  157-160,  et  plus 
haut,  p.  ag. 

Lettre  1946.  —  L.  a.  s.  Affaires  étrangères, /?ome,  t.  895,  f»  Sao. 
Inédite.  t 


juiniôgg]  DE  BOSSUET.  55 

lui  ai  faite  aient  passé  par  vos  mains,  je  vous  supplie 
encore  de  vouloir  bien  encore  être  informé  quelles 
en  ont  été  les  suites.  Elles  vous  paraîtront  par  cet 
ordre*  du  même  cardinal  envoyé  à  l'abbé  Bossuet 
par  M.  Poussin,  secrétaire  de  l'ambassade,  dont  je 
vous  supplie  de  rendre  compte  au  Roi  aussi  bien  que 
du  mémoire  que  je  prends  la  liberté  d'y  ajouter^.  Mon 
neveu,  qui  doit  être  parti  à  présent  de  Rome,  sera 
bientôt  en  état  d'éclaircir  tout  ce  qui  regarde  sa  con- 
duite. Mais,  comme  nous  aurions  une  peine  extrême 
qu'elle  restât  un  moment  douteuse,  j'ose  vous  de- 
mander la  grâce  de  l'exposer  en  mon  nom  avec  un 
profond  respecta  S.  M. 

Je  suis  très   respectueusement,   Monsieur,    votre 
très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

A  Germigny,  lôjuin  1699. 

Au  bas  :  M.  le  Marquis  de  Torcy. 


19466/5. — Mémoire  sur  le  sujet  de  l'abbé  Bossuet. 

Le  vendredi  au  soir,  22  mai,  cet  abbé  reçut  de 
M.  Phelipeaux,  un  de  mes  grands  vicaires  qui  esta 
Rome  avec  lui,  le  billet,  joint  à  ce  mémoire',  qui  lui 
fut  dicté  par  M.  Poussin,  secrétaire  de  l'ambassade 

i.  Voir  plus  haut,  p.  aa. 
2.   On  le  trouvera  à  la  suite  de  cette  lettre. 

Lettre  1946  bis.  —  Affaires  étrangères,  Rome,  t  SgS,  f  287 
Inédit. 

i.    Nous  l'avons  donné  plus  haut,  p.  aa. 


56  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

de  Rome,  à  la  réserve  de  ces  mots  qui  sont  soulignés  : 
sans  son  ordre,  qui  sont  écrits  de  la  main  de 
M.  Poussin  lui-même. 

Pour  se  remettre  dans  le  fait,  Monsieur  le  Marquis 
de  Torcy  est  supplié  de  se  souvenir  que  le  sujet  ori- 
ginal delà  plainte  de  Monsieur  le  cardinal  de  Bouillon 
contre  l'abbé  Bossuet  était  que  cet  abbé  avait  dépê- 
ché un  courrier  exprès  pour  nous  apporter,  à  M.  de 
Paris  et  à  moi,  la  constitution  apostolique  contre  le 
livre  de  M.  de  Cambrai.  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
y  ajouta  la  circonstance  que  ce  courrier,  qui  était 
M.  de  Madot,  avait  promis  de  devancer  celui  que 
ce  cardinal  dépêchait  au  Roi  :  chose  impossible 
même  à  penser,  puisque  le  courrier  dépêché  au  Roi 
avait  quinze  heures  d'avance,  et  que  l'abbé  Bossuet 
ne  songeait  qu'à  nous  avertir  de  bonne  heure,  sans 
imaginer  seulement  ces  préférences.  Cependant,  sur 
ce  seul  prétexte,  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  qui 
peut-être  ne  souhaitait  pas  que  nous  fussions  si  bien 
avertis,  témoigna  tant  d'indignation  du  départ  de 
M.  de  Madot,  que  ses  amis  répandaient  à  Rome  de 
grandes  menaces,  et  même  contre  la  vie  de  ce  gen- 
tilhomme, et  l'ordre  que  porta  M.  Poussin  à  l'abbé 
Bossuet  montre  qu'elles  n'étaient  pas  vaines. 

Sans  raisonner  sur  la  hauteur  d'un  ordre  si  mena- 
çant donné  sous  le  nom  de  conseil,  on  dira,  avec  le 
respect  qui  est  dû  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon, 
qu'avant  que  d'envoyer  à  l'abbé  Bossuet  par  un  se- 
crétaire d'ambassade  en  présence  de  douze  ou  quinze 
personnes,  parmi  lesquelles  était  M.  le  duc  de 
Barwick,  un  ordre  si  éclatant,   dont  tout  Rome   ri 


juin  1699]  DE   BOSSUET.  67 

retenti,  il  devait  prendre  le  temps  de  savoir  s'il  était 
vrai  qu'il  logeât  chez  lui  ce  gentilhomme^;  il  eût 
aisément  appris  qu'il  n'y  avait  pas  seulement  songé, 
puisque  même  M.  Pheli peaux  le  déclare  dans  son 
billet.  Ainsi  il  aurait  pu  se  dispenser,  après  toutes 
ses  honnêtetés,  de  mettre  en  jeu  l'abbé  Bossuet,  qui 
ne  songeait  à  rien  qui  lui  pût  déplaire,  et  cependant 
faire  savoir  à  celui  qui  lui  déplaisait  ce  qu'il  trouve- 
rait à  propos.  Au  reste,  s'il  lui  eût  donné  quelque 
ordre  comme  ministre  du  Roi,  il  aurait  obéi  à 
l'aveugle.  Mais,  ne  l'ayant  pas  voulu  faire,  ce  gen- 
tilhomme a  pris  à  Rome  trois  ou  quatre  jours  qui 
lui  étaient  nécessaires  pour  achever  les  affaires  dont 
il  était  chargé,  et  il  s'est  aussitôt  rendu  à  Florence 
aux  ordres  de  M.  le  Grand  duc,  auquel  il  s'est  donné 
dans  la  ruine  de  sa  fortune  et  le  désespoir  où  il 
était  de  recouvrer  les  bonnes  grâces  de  son  Roi  à 
cause  de  la  malheureuse  affaire  qu'on  a  fait  passer 
pour  un  duel  :  de  quoi  néanmoins  il  ne  perdra 
jamais  le  désir. 

Au  reste,  on  ne  prétend  point  faire  aucune  plainte 
de  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  mais  expliquer  seu- 
lement la  conduite  de  l'abbé  Bossuet  et  d'un 
malheureux  gentilhomme  qui  n'est  persécuté  que 
pour  nous  avoir  apporté  des  instructions  nécessaires. 
Ce  n'est  point  par  curiosité  que  nous  les  avons  dési- 
rées. Durant  le  jugement  de  l'affaire,  il  a  été  souvent 
utile  que  nous  sussions  ce  qui  se  passait,  pour  préve- 
nir les  difficultés  qu'on  formait  à  chaque  pas,  et  après 

2.  On  lit  en  marge,  de  la  maliï  de  Bossuet  .■  «  N'  qu'il  n'y  a  jamais 
logé  et  avait  un  logement  arrêté  ailleurs.    » 


58  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

le  jugement  même,  il  n'était  pas  moins  à  propos 'que 
nous  fussions  bien  informés,  autant  qu'il  était  pos- 
sible, de  toutes  les  dispositions  de  la  cour  de  Rome, 
si  nécessaires  pour  déterminer  ce  qui  restait  à  faire 
en  exécution:  ainsi  l'abbé Bossuet ne  pouvait  se  dis- 
penser de  nous  avertir,  et  il  semble  que  M.  le  car- 
dinal de  Bouillon  n'en  devait  pas  témoigner  tant  de 
déplaisir. 

19^7.   —  Jean  Phelipeaux  a  Bossuet. 

A  Rome,  ce  16  juin    1699. 

Le  procès-verbal  de  l'assemblée  provinciale  de  Paris  est 
également  plein  de  sagesse  et  de  science  ecclésiastique  :  on 
y  donne  à  Rome  tout  ce  qui  lui  convient,  et  on  conserve  avec 
force  et  avec  gravité  l'honneur  de  l'épiscopat  et  les  libertés 
fondamentales  de  l'Église  de  France.  On  sent  bien  l'esprit  qui 
a  gouverné  cette  assemblée'.  Par  là,  M.  de  Cambrai,  aussi 
bien  que  ses  adhérents,  demeurent  sans  ressource  ;  l'erreur  est 
bien  notifiée  à  tout  le  monde  chrétien,  et  rien  n'est  plus 
éclatant  que  la  condamnation  de  son  livre. 

On  a  déféré  à  l'Inquisition  le  Posl-scriptum^,  contenant 
des  remarques  sur  le  bref,  et  la  Solution  du  problème  ecclé- 

3.  Les  mots  à  propos  ont  été  écrits  par  Bossuet  pour  remplacer 
nécessaire. 

Lettre  1941.  —  L.  a.  s.  Collection  H.  de  Rothschild.  —  i.  Celui 
de  Bossuet. 

2.  Posl-scriptum  de  la  deuxième  Lettre  d'un  théologien  à  Mgr  l'évêque 
de  Meaux,  avec  des  remarques  sur  le  nouveau  bref  de  Sa  Sainteté.  Après 
avoir  transcrit  dans  sa  Relation  (t.  II,  p.  282  et  suiv.)ce  facliim  indi- 
quant les  motifs  pour  lesquels  pouvait  être  éludé  le  jugement  porté 
contre  Féneion,  Phelipeaux  ajoute  :  o  Personne  ne  douta  à  Rome 
que  le  cardinal  de  Bouillon  et  le  P.  Charonier  n'eussent  envoyé  ce 
mémoire  à  leur  gazetier  d'Hollande.  »  Ce  factum  est  du  P.  Gerberon, 
qui  s'en  est  reconnu  auteur,  devant  l'official  de  Malines,  en  1708; 
il  est  dans  l'esprit  des  lettres  écrites  par  ce  religieux  à  Féneion,  qui  se 
garda  de  répondre  à  ses  avances  (^Correspondance  de   Féneion,  t.  X, 


juin  1699]  DE   BOSSUET.  69 

siasiiqiie^.  Je  ne  doute  nullement  que  l'un  et  l'autre  ouvrage 
ne  reçoive  bientôt  la  flétrissure  qu'il  mérite. 

Le  curé  de  Seurre  pourra  bien,  dansla  suite,  donner  un  spec- 
tacle à  Rome  '  ;  et  cette  cour  demeurera  persuadée  de  la  justice 
du  procédé  des  trois  évêques,  et  de  la  nécessité  où  ils  étaient 
de  s'élever  contre  celte  secte,  si  répandue  et  si  dangereuse. 

On  parle  diversement  de  l'audience  que  M.  le  cardinal 
prétend  avoir  eue  du  Pape  le  jeudi  après  la  congrégation  du 
Saint  OtEce,  tenue  devant  le  Pape. 

On  attend  incessamment  M.  de  Monaco:  il  est  temps 
qu'il  arrive  et  que  nous  partions. 

Je  suis  avec  un  profond  respect,  Monseigneur,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur. 


Pi 


ELIPEAUX. 


1948.   —  L'Abbé  Bossuet  a   son  Oncle. 

Rome,   ce   lô**  juin   1699. 

J'ai  reçu  ici  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire  de  Versailles,  le  25  mai. 

Me  voici  encore  à  Rome,  bien  malgré  moi.  Je  viens  de 
passer  huit  jours  fort  mal  à  mon  aise,  à  cause  de  deux  petits 
boutons  de  feu  qui  me  sont  venus  au-dessous  des  mamelles, 
qui  m'ont  fait  cruellement  souffrir '.  Ils  ne  m'ont  pas  empêché 

p.  487  ;  t.  XI,  p.  48  et  5o).  Quesnel  expliquait  l'attitude  de  Ger- 
beron  par  la  rancune  que  ce  bénédictin  avait  depuis  long^temps  contre 
Bossuet  (Voir  p.  Sa). 

3.  Solution  de  divers  problèmes  très  importants  pour  la  paix  de 
l'Église,  Cologne,  1699,  in-i2.  C'est  un  écrit  (de  Gerberon)  où  le 
Problème  est  attribué  aux  jésuites,  et  où  il  est  dit  que  le  jansénisme 
est  un  fantôme. 

4.  Le  curé  de  Seurre  avait  été  ramené  à  Rome  le  i4  juin  (Affaires 
étrangères,  Rome,  t.  896,  f  56).  Piielipeaux  augure  qu'il  donnera  le 
même  spectacle  que  le  P.  Bénigne  (Cf.  t.  X,  p.  87,  3i3,  3i8  et  33a). 

Lettre  1948.  —  L.   a.    n.  s.   Archives  départementales,  à  Melun. 
I.    A   cette    occasion,   l'abbé    reçut   la    visite    de    Maille    (AlTaires 
étrangères,  Rome,  t.  396,  f"  56). 


6o  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

de  me  traîner  chez  les  cardinaux  et  chez  le  Pape  ;  Dieu 
merci,  il  n'y  a  pas  eu  de  fièvre,  et  depuis  hier  l'inflammation 
est  cessée,  et  la  douleur. 

On  reçut  enfin,  samedi  tS",  nouvelle  sûrequeM.  de  Monaco 
était  arrivé  le  10*  à  Gênes  ;  cela  étant,  on  l'attend  d'heure  en 
heure.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  et  Mme  des  Ursins  ont 
envoyé  leurs  carrosses  au-devant  de  lui  à  Civita-Vecchla.  On 
ne  doute  pas  qu'il  n'arrive  celte  semaine  ;  enfin  il  peut  arriver 
à  tout  moment.  Tout  veut  que  je  l'attende  ;  mais,  aussitôt  que 
je  l'aurai  vu,  je  pars  sans  aucun  retardement. 

Comme  je  compte  qu'il  sera  ici  jeudi,  je  fais  état  de  partir 
samedi  prochain,  pour  être  à  Florence  pour  la  fête  de  la 
Saint-Jean,  où  on  fait  des  choses  merveilleuses. 

J'ai  reçu  trois  imprimés  des  procès-verbaux  %  qui  m'ont  été 
adressés  par  M.  Ledieu.  Hors  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  qui 
en  a  reçu,  et  M.  le  cardinal  Spada,  personne  n'en  a  ici.  Je 
crois  pouvoir  vous  assurer  que  cette  cour  ne  sera  rien  moins 
que  contente  du  personnage  qu'y  font  les  évêques  ;  mais  je 
suis  le  plus  trompé  du  monde  si  elle  ose  en  rien  témoigner, 
au  moins  publiquement.  Ayant  su  que  le  cardinal  Spada 
l'avait  envoyé  de  la  part  du  Pape  au  cardinal  Casanate,  j'allai 
hier  chez  le  cardinal  Casanate,  pour  voir  ce  qu'il  m'en  dirait. 
Il  l'avait  lu  et  renvoyé  au  cardinal  Spada,  avec  quelques 
notes  sur  les  endroits  qui  lui  paraissaient  les  plus  délicats. 
Généralement  cette  cour  sent  le  coup,  et  volt  réduit  en  pra- 
tique le  nisi  Ecclesiœ  consensus  accesserit. 

Le  cardinal  Casanate  me  dit  franchement  qu'il  avait  cru 
que  les  évêques  ne  parleraient  pas  si  fortement,  et  che  il 
negozio  andarebbe  piu  piano^  ;  c'est-à-dire  qu'on  ne  dirait  rien 
qui  pût  faire  de  la  peine  à  cette  cour.  Je  le  fis  entrer  dans  le 
particulier  et  dans  ce  qu'il  pouvait  trouver  ;  il  ne  me  sut  dire 
que  deux  endroits  :  l'un,  où  l'on  dit  que  «  les  évêques  ne  doi- 
vent point  être  réputés  simples  exécuteurs  des  jugements  des 
papes  »  ;  et  l'autre,  page  suivante,   où  il  est  dit  des  décrets 

a.   De  l'assemblée  provinciale  de  Paris.  g 

3.   Que  l'affaire  marcherait  plus  doucement.  f  * 


juin  iG(j9]  DE   BOSSUET.  6l 

(les  papes,  «  lesquels,  suivis  du  consentement  de  toute  l'Église, 
ont  entièrement  fini  les  questions.  »  Par  où,  dit-il,  on  semble 
rappeler  le  IV*  article  de  l'assemblée  de  82  :  Nisi  Ecclesiœ 
consensus  accesserit. 

Il  ne  me  fut  pas  difficile  de  justifier  ces  deux  endroits, 
comme  l'esprit  de  tout  le  procès-verbal  ;  et,  après  avoir  établi 
que  les  évêques,  hors  des  conciles  généraux  et  dans  les  con- 
ciles généraux,  étaient  vé'-itables  juges  des  matières  de  foi,  il 
ne  put  pas  raisonnablement  disconvenir  de  la  conséquence, 
qu'ils  ne  doivent  pas  être  réputés  simples  exécuteurs,  etc. 
Mais  il  n'eut  rien  à  me  répondre,  quand  je  lui  fis  voir  que 
l'on  ne  recevrait  pas  avec  plus  de  soumission  et  de  respect,  et 
d'une  autre  manière,  un  décret  d'un  concile  général  convoqué 
par  le  Pape,  où  le  Pape  aurait  présidé  et  auquel  l'Église  de 
France  n'aurait  pas  assisté  ;  qu'en  ce  cas,  l'acceptation  de 
l'Église  de  France  serait  nécessaire,  et  qu'en  ce  cas,  les  évê- 
ques de  France  seraient  également  juges  de  la  foi  et  de  la 
conformité  des  décrets  avec  la  tradition  que  s'ils  prononçaient 
dans  le  concile. 

Quant  au  consentement  de  l'Église  qui,  sans  concile  géné- 
ral, finissait  les  affaires,  que  c'était  un  fait  rapporté,  appuyé 
sur  des  exemples  fameux,  comme  celui  de  l'hérésie*  de  Pelage, 
quand  saint  Augustin  dit  :  Causa Jînita  est"'  ;  et  nouvellement 
celui  de  l'affaire  de  Jansénius*.  Qu'enfin  les  évêques  de 
France  n'avaient  fait  que  suivre  pied  à  pied  la  conduite  et 
les  paroles  de  leurs  prédécesseurs. 

Il  convint  avec  moi  du  droit  des  évêques  de  juger  en  pre- 
mière instance.  Mais  ce  qui  faitde  la  peine  ici,  c'est  déjuger^ 


4.  Comme  celui  de  la  condamnation  de  l'hérésie. 

5.  Senno  GXXX,  10  [P.  L.,  t.  XXXVIIl,  col.  78^].  «  De  hac 
causa  {l'affaire  du  pélagianisme)  duo  concilia  missa  sunt  ad  Sedem 
apostolicam  :  inde  etiam  rescripta  venerunt  :  causa  finila  est.  Ulinam 
aliquando  finiatur  error  !  «  On  a  résumé  le  sens  de  cette  plirase 
dans  la  formule  courante  :  Roma  locula  est,  causa  finila  est. 

G.  Ces  derniers  mots  ont  été  omis  dans  l'édition  DeForIs,  et  raturés 
sur  l'autographe. 

7.  C'est-?i-dire  :  c'est  qu'ils  veulent  juyer. 


02  CORRESPONDANCE  [juin  Kjgg 

après  le  jugement  du  Pape,  ce  qui  est  une  marque  de  supé- 
riorité. Je  lui  demandai  si  les  évoques,  dans  les  conciles 
généraux,  n'étaient  pas  de  vrais  juges,  quoique  les  papes 
eussent  jugé;  à  quoi  on  ne  saurait  répondre  que  du  verbiage.  Il 
m'avoua  à  la  fin  que  le  tout  pouvait  passer,  et  était  fait  avec 
grande  adresse,  mais  qu'il  savait  qu'on  voulait  s'alarmer  là- 
dessus,  mais  qu'il  l'empêcherait  de  tout  son  possible.  Je  l'en 
ai  supplié,  et  il  m'a  paru  très  bien  disposé. 

Il  faut  avouer  que,  dans  cette  cour,  durus  est  hic  sermo  . 
Mais  il  faut  qu'il[s]  le  passe[nt],  par  la  raison  qu'on  ne  peut 
rien  faire  contre  la  vérité,  et  qu'ils  craignent  le  clergé  de 
France. 

Cette  circonstance  ne  m'est  pas  trop  favorable  pour  la 
grâce  que  je  demande. 

Je  vis  samedi  le  Pape,  qui  m'accabla  d'honnêtetés,  et  vous 
aussi,  mais  qui  me  parut  très  dur  sur  le  fait  de  mon  induit. 
n  m'a  dit  qu'il  y  penserait  et  repenserait.  Franchement  je 
crains  bien  de  ne  le  pouvoir  emporter  sans  M.  de  Monaco  ;  ce 
sera  ma  dernière  ressource.  Je  prendrai  dans  deux  jours  congé 
de  S.  S.,  et  verrai  ce  qui  en  est  et  ce  qu'on  en  peut  attendre". 

Enfin  le  Pape  donna  audience  jeudi,  au  sortir  du  Saint 
Office,  à  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  dont  j'ai  été  très  aise.  Je 
sais,  et  du  Pape  et  de  Mgr  Aquaviva,  que  M.  le  cardinal  de 
Bouillon  lui  parla  un  peu  durement.  Il  m'a  paru  que  S.  S. 
avait  été  très  peu  contente  de  cette  Éminence;  mais  elle  a 
bien  voulu  faire  ce  pas  par  amitié  qu'il  a  pour  le  Roi,  dont 
M.  le  cardinal  de  Bouillon  est  l'ambassadeur.  Quant  à  sa  per- 
sonne, on  ne  peut  pas,  je  vous  assure,  en  être  plus  mal  satis- 
fait. 

On  m'a  averti  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  avait  écrit  en 
Cour  que  j'avais  traversé  son  audience  :  il  serait  bien  ingrat 
et  bien  méchant,  si  cela  était.  Je  suis  sûr  quej'ai  agi  tout  au 
contraire,  et  ai  pris  la  liberté  de  témoigner  au  Pape  qu'il  ne 
pouvait  rien  faire  de  plus  agréable  au  Roi  que  de  recevoir  son 
ministre.  M.  lecardinal  de  Bouillon  m'a  fait  l'honneur  de  me 

8.    M.  (le  Monaco  lui-même  ne  put  obtenir  la  ftiveur  si  désin'-e.  ' 


juin  1699]  DE   BOSSUET.  63 

remercier  des  pas  qu'il  sait  que  j'ai  faits  là-dessus.  Je  puis 
vous  assurer  que  ce  qui  a  le  plus  déterminé  le  Pape  à  accor- 
der l'audience,  a  été  de  voir  que  tous  les  Français,  même 
ceux  que  M.  le  cardinal  de  Bouillon  n'aimait  pas,  étaient 
tous  réunis  à  lui  faire  avoir  audience^,  et  tâchaient  de  lui 
faire  séparer  le  ministre  d'avec  le  cardinal. 

J'attends  d'avoir  vos  lettres  de  Florence*",  et  vous  écrirai 
sûrement  de  Florence  le  premier  ordinaire. 

On  attend  ici  avec  curiosité  le  procès-verbal  de  Reims  et  de 
Cambrai. 

Je  tiendrai  M.  Phelipeaux  gai  et  gaillard  *'. 

Voilà  une  nouvelle  vengeance*-  de  Mgr  Giori.  Il  n'oublie 
aucun  bon  otfice  auprès  de  S.  S.  pour  ma  grâce  ;  mais  je  puis 
vous  assurer,  et  je  crois  m'y  connaître,  qu'elle  est  moins  bien 
disposée  pour  moi  à  présent  qu'il  y  a  huit  jours.  Je  ne  fais 
et  ne  ferai  semblant  de  rien. 

Je  tire  sur  M.  Soin*^  par  cet  ordinaire  une  lettre  de  change 
de  338  livres  pour  l'espamglionzine  '*  rouge  et  noir  que  vous 
avez  demandé.  J'en  envoie  le  mémoire  et  le  compte.  La  lettre 
de  change  est  adressée  à  M.  Soin,  si  je  ne  me  trompe,  à 
huit  jours  de  vue,  premier  et  second  argent  reçu  par  le  sieur 
Bonhomme. 

J'ai  été  obligé,  pour  payer  ici  ce  que  je  devais  et  pour  les 
frais  de  mon  voyage,  de  tirer  sur  mon  frère  près  de  quinze 
mille  livres  depuis  quatre  mois,  et  je  ne  sais  si  cela  suffira. 

9.    Voir  la  lettre  du  2  juin,  p.  87. 
10.   C'est-à-dire  les  lettres   adressées  à  Florence,  comme  on  l'a  vu, 
p.  3i  et  4o. 

n.  Peut-être  y  a-t-il  là  une  allusion  à  la  déconvenue  de  Pheli- 
peaux quittant  Rome  avant  que  l'abbé  Bossuet  ait  pu  obtenir  l'induit 
lui  permettant  de  disposer  des  bénéfices  de  son  abbaye.   Cf.  p.  78. 

12.  \oirt.  X,  p.  5i,  et  plus  haut,  p.  5.  L'abbé  Bossuet  semble 
craindre,  que  tout  en  paraissant  appuyer  sa  demande  d'induit,  Giori 
n'ait  pas  bien  disposé  le  Pape  à  l'accorder. 

i3.  Clément  Souin,  homme  d'affaires  de  Bossuet  à  Saint-Lucien, 
figure  déjà  au  tome  IV,  p.   i33. 

i4  Espamrjlionzine.  Bossuet,  le  27  avril  (t.  XI,  p.  821),  écrit  : 
sparaondrine.  Peut-élre  quelque  espèce  particulière  de  satin  ou  de 
damas. 


64  CORRESPONDANCE  [juin  1699 


1949.   —  M"'*  DE  Maintenon  a  Bossuet. 

19  juin    1699. 

J'ai  fait  voir  au  Roi,  Monsieur,  tout  ce  que  vous  m'avez 
envoyé'.  Il  m'ordonne  de  vous  assurer  que  M.  votre  neveu  n'a 
à  craindre  aucun  mauvais  office.  On  trouve  seulement  qu'il 
a  eu  tort  de  se  servir  d'un  homme  accusé  d'un  duel. 

Je  suis,  Monsieur,  à  mon  ordinaire,  votre  très  humble  et 
très  obéissante  servante. 

Maintenon. 


1960.  —  A  l'Abbé  Bossuet. 

A  Meaux,  20  juin  1699. 

Votre  lettre  du  2  m'a  été  envoyée  ce  matin  par  un 
exprès  de  votre  frère,  par  qui  je  réponds.  Plus  Rome 
est  raisonnable,  plus  je  souhaite  qu'on  la  ménage 
et  qu'on  en  conserve  l'autorité,  où  consiste  le  salut 
et  le  soutien  de  l'Eglise  et  de  la  catholicité. 

J'attends  avec  impatience  le  succès  de  votre  induit. 
Les  lettres  que  m'ont  écrites  sur  ce  sujet-là  M.  le 
cardinal  Panciatici  et  M.  le  cardinal  Casanata  en 
réponse  aux  miennes,  sont  très  obligeantes,  parti- 
culièrement celle  du  dernier. 

Je  suis  ravi  de  la  réponse  de  M.  le  Grand  duc  sur 
le  sujet  de  M.  de  Madot.  J'ai  instruit  amplement  sur 
cette  alTaire,  et  j'ai  envoyé  des  mémoires  les  plus  cir- 
constanciés que  j'ai  puparles  voies  les  plus  efficaces. 

Lettre  1949.  —  Ce  billet  n'a  pas  trouvé  place  dans  la  Correspon- 
dance de  Mme  de  Maintenon,  édit.  Lavallée. 
I.   Le  mémoire  qu'on  a  vu,  pages  ^7  à  5î. 
Lettre  1950.  —  L.  a.  n.  s.  Grand  séminaire  de  Meaux.  i 


juin  1699]  DE   BOSSUET.  65 

Je  ferai  savoir  les  nouvelles  de  cet  ordinaire  à 
M.  de  Paris  ;  il  a  eu  quelques  accès  de  fièvre  tierce, 
dont  lequinquina  l'a  défait.  Pour  moi,  je  suis  ici  pour 
l'octave  ' ,  à  mon  ordinaire.  Je  continue  à  prendre  les 
bains  que  j'ai  commencés  à  Germigny,  il  y  aura 
demain  huit  jours,  et  j'y  retournerai  les  achever, 
s'il  plaît  à  Dieu.  Ils  me  font  fort  bien  et  on  les  a  crus 
nécessaires  pour  guérir  à  fond  une  manière  d'érési- 
pèle,  qui  me  tient  depuis  environ  deux  mois,  sans 
aucune  incommodité  considérable,  sans  m'ôter  ni 
l'appélit  ni  le  sommeil.  J'ai  fait  la  procession  à  l'or- 
dinaire et  sans  aucune  peine.  Je  demeure  fort  en 
repos  et  ne  songe  qu'à  vivre  avec  un  bon  régime,  et 
qu'à  me  rétablir  entièrement.  Il  n'y  paraît  rien  au 
dehors.  Votre  présence  achèverai 

Vous  avez  bien  fait  de  parler  au  Pape  comme  vous 
avez^ait^  Je  rendrai  compte  de  tout,  et  M.  le  cardinal 
de  Bouillon  vous  doit  être  fort  obligé.  Il  ne  paraît 
pas  à  la  Cour  qu'on  prenne  grande  part  à  son  dé- 
mêlé avec  l'ambassadeur  de  l'Empereur,  dont  on 
sait  les  causes;  et  on  s'en  explique  presque  publi- 
quement. 


1951.   —  L'Abbé  Bossuet  a  son  Oncle. 

Rome,  ce  a5^  juin  1699. 
M.  Poussin  vous  rendra  cette  lettre;  il  part  cette  nuit  et 

I.   L'octave  de  la  Fête-Dieu,  qui  était  tombée  le  18  juin. 
3.   Achèvera  la  guérison. 
3.   Voir  plus  haut,  p.  87,  45  et  62. 

Lettre  1951.  —  L.  a.  n.  s.  Archives  départementales,  à  Melun. 

XII  —  5 


66  CORRESPONDANCE  [juin  1699 

fera  diligence'.  Il  vous  dira  le  progrès  et  la  fin  du  petit  mal 
que  j'ai  eu.  C'a  été  une  tumeur  dans  un  lieu  très  incommode, 
qu'il  a  fallu  ouvrir  avec  la  lancette.  Il  en  est  sorti  beaucoup 
de  matière,  après  quoi  j'ai  été  entièrement  soulagé  et  en  état 
le  lendemain  d'aller  au-devant  de  M.  l'ambassadeur,  qui 
enfin  est  arrivé  de  samedi  20^  de  ce  mois.  Je  me  suis  purgé 
avant-hier,  et  dans  trois  jours  je  pars  très  certainement,  et  ne 
ne  vous  écrirai  plus  d'ici,  s'il  plaît  à  Dieu. 

Je  n'ai  point  reçu  de  lettre  de  Paris  les  deux  derniers  ordi- 
naires ;  je  suppose  que  je  trouverai  tout  à  Florence,  d'où  je 
vous  écrirai  la  première  fois. 

M.  Poussin  vous  dira  tout  le  particulier  de  ce  qui  se  passe 
ici.  Il  me  presse  d'écrire  sur  le  cardinal  de  Bouillon  et  la 
dernière  affaire'^.  Je  vous  dirai  que  ce  cardinal  a  tous  les  sujets 
du  monde  de  se  louer  de  moi  ;  mais  il  est  assez  malin  pour 
ne  le  vouloir  pas  faire  :  au  contraire,  il  n'aime  [pas]  les  gens 
à  qui  il  peut  avoir  quelque  obligation.  Ce  que  j'ai  cru  devoir 
faire,  je  l'ai  fait  par  un  autre  principe  que  celui  d'avoir  l'hon- 
neur de  ses  bonnes  grâces. 

J'ai  commencé  ce  matin  à  entretenir  M.  le  prince  de 
Monaco.  J'en  suis  très  content  ;  il  fera  assurément  des  mer- 
veilles ici  ^  Il  est  capable  de  tout,  veut  être  instruit,  est  noble, 
magnifique  et  aime  le  Roi.  Le  Pape  ne  peut  plus  souffrir  le 
cardinal  de  Bouillon,  et  veut  voir  le  prince  de  Monaco, 
quoiqu'il  n'ait  point  fait  d'entrée. 

Je  parlerai  demain  à  ce  ministre  de  la  grâce  que  je 
demande,  que  je  n'aurai  point  sans  son  secours. 

1.  Bouillon  avait  obtenu  du  Roi  le  rappel  de  Poussin.  Malgré  ses 
sujets  de  plainte  contre  son  secrétaire,  il  le  recommanda  à  la  bien- 
veillance du  ministre.  Mais,  plus  tard,  il  détourna  celui-ci  de  le  ren- 
voyer occuper  le  poste  de  M.  de  La  Boullaye  (Affaires  étrangères, 
Rome,  t.  400,  fo  181  ;  t.  4oi,  f"«  iio,  226  et  228;  t.  4o2,  f^  5» 
et  71). 

2.  Le  différend  survenu  entre  Bouillon  et  Martinitz,  et  au  sujet 
duquel  l'abbé  avait  calmé  l'irritation  du  Pape  contre  le  cardinal 
(Plus  haut,  p.  37,  45  et  62). 

3.  Saint-Simon  raconte  comment  les  prétentions  du  prince  furent 
cause  de  son  insuccès  à  Rome  (t.  VI,  p.  laS  et  suiv).  i 


juin  1699]  DE   BOSSUET.  67 

Vous  pouvez  m'écrire  à  présent  à  Turin. 
Je  me  porte  bien,  Dieu  merci,  et  vous  souhaite  une  santé 
parfaite. 

Je  n'ai  que  faire  de  vous  recommander  M.  Poussin. 


1952.  —  A  MiLORD  Perth. 

A  Germigny,  29  juin  1699. 

Il  a  fallu  à  Sa  Majesté^  une  bonté  extrême  pour 
vouloir  bien  se  donner  la  peine  d'écrire  la  lettre  que 
j'ai  osé  prendre  la  liberté  de  lui  demander  en  faveur 
de  mon  neveu.  Il  n'a  pas  voulu  paraître  à  la  cour  de 
Modène  sans  s'y  montrer  sous  les  marques  de  la 
protection  de  la  Reine.  Je  vous  supplie,  Milord, 
d'en  faire  à  Sa  Majesté,  avec  une  profonde  soumis- 
sion, mes  très  humbles  remerciements,  et  de  me 
croire  toujours  avec  un  respect  sincère,  etc. 


1953.   —  L'Abbé   Bossuet  a  son  Oncle. 

Rome,  ce  39  juin   1699. 

Je  vous  écris  un  mot  par  le  courrier  que  M.  de  Monaco 
renvoie  à  la  Cour.  Je  pars  sans  faute  demain*.  J'ai  pris  congé 

Lettre  1952.  —  i.  La  reine  d'Angleterre,  Marie  Béatrix  ÉI<^onore 
d'Esté  (1658-17 18),  fille  d'Alphonse  IV,  duc  de  Modène,  et  nièce  de 
Renault  d'Esté,  d'abord  cardinal,  puis  duc  de  Modène  en  lÔgS  (Cf. 
J.  Du\oQ,  Jacques  II  Stuart,  sa  famille  et  les  Jacobites  à  Saint-Germain, 
Saint-Germain-en-Laye,   1897,  in-12). 

Lettre  1953.  —  Une  copie  préparée  par  les  Bénédictins,  au  Grand 
séminaire  de  Meaux. 

I.  L'abbé,  accompagné  de  Phelipeaux,  quitta  Rome  seulement  le 
2  juillet  (V.  la  lettre  suivante  et  le  ms.  d'Avignon,  n"  1^35,  f"*  io5 
et  116). 


68  CORRESPONDANCE  [juin  1R99 

ce  matin  de  S.  S.,  dont  j'ai  reçu  toutes  les  marques  de  bonté 
imaginables,  pour  vous  et  pour  moi.  Je  vous  rendrai  compte 
du  particulier  de  cette  audience.  Il  m'a  prié  de  vous  assurer, 
aussi  bien  que  M.  de  Paris,  de  son  affection,  de  son  estime 
et  de  tout  ce  que  vous  pouviez  désirer.  J'ai  entendu  sa  messe 
ce  matin  ;  il  se  porte  fort  bien.  J'ai  su  qu'il  avait  de  la  peine 
à  m'accorderla  grâce  de  l'induit,  que  je  lui  ai  demandée  :  il 
a  dit  qu'il  craignait  l'exemple.  J'ai  cru  ne  devoir  pas  hasarder 
un  refus,  parce  que  M.  de  Monaco  aurait  plus  de  peine  à 
ramener  le  Pape  après.  Le  ministre  a  reçu  des  ordres  de 
s'employer  pour  moi  dans  cette  affaire.  Je  lui  ai  donné  votre 
lettre,  et  il  m'a  comblé  de  bontés.  11  veut  demander  celle 
grâce  à  S.  S.  à  sa  première  audience  :  je  lui  ai  donné  toutes 
les  instructions  nécessaires.  M.  le  cardinal  Pancialici  m'a 
encore  donné  parole  ce  malin  qu'il  ne  me  serait  pas  contraire. 
M.  l'ambassadeur  lui  en  parlera  d'abord.  J'ai  lieu  de  tout 
espérer  des  offices  de  ce  ministre,  qui  eut  samedi  sa  première 
audience  de  S.  S.,  conduit  par  M.  le  cardinal  de  Bouillon.  On 
ne  peut  être  plus  content  qu'est  de  lui  le  Pape,  qui  m'a  fait 
l'honneur  de  s'étendre  beaucoup  avec  moi  sur  ce  sujet,  ce 
matin. 

Je  vous  dirai  les  correspondances  que  j'ai  établies  ici,  qui 
sont  siires  et  bonnes  et  secrètes  2.  Comptez  à  coup  sûr  que  je 
pars  demain.  Ma  santé  est  tout  à  fait  bonne;  je  suis  parfai- 
tement guéri,  grâce  à  Dieu.  Je  ferai  le  moins  de  séjour  qu'il 
me  sera  possible  dans  les  lieux  où  je  serai  obligé  de  m'arrèter. 
Vous  pourrez  m'écrire  à  Turin  dorénavant  et  l'adresser  à 
l'ambassadeur  ou  au  directeur  des  postes  de  France.  J'ai  une 
impatience  très  grande  de  me  voir  hors  d'ici,  et  de  pouvoir 
vous  rejoindre. 

On  ne  fera  ici  semblant  de  rien  sur  vos  assemblées  ;  on  sait 
tout.  On  a  vu  le  procès- verbal  de  Cambrai  ;   on  y  reconnaît 

a.  Par  ces  correspondances,  l'abbé  entendait  surtout  ses  relations 
avec  Maille  et  les  autres  jansénistes  établis  à  Rome,  dans  la  corres- 
pondance desquels  il  est  désigné  sous  le  nom  de  Polycarpe  ou  de 
parent  de  Fabien.  ^ 


juillet  1699]  DE  BOSSUET.  69 

bien  l'esprit  de  M.  de  Cambrai  et  ses  bonnes  intentions  :  cela 
ne  lui  fait  pas  honneur. 

Je  n'ai  pas  le  temps  d'écrire  à  mon  frère,  ni  de  me  recon- 
naître. 


190^.   —  L'Abbé   Bossuet  a  son  Oncle, 

Poggi-Ronzi,   à   vingt  milles  de   Florence, 
vendredi  3*  de  juillet  de   1699. 

Je  VOUS  écris  un  mot  d'ici  avant  que  d'arriver  à  Florence, 
où  je  serai  demain  à  portes  ouvrantes,  afin  que  le  courrier 
de  France  qui  doit  partir  demain  matin  de  Florence  puisse 
vous  porter  cette  lettre,  ne  sachant  pas  si  il  m'en  donnera  le 
temps  à  Florence. 

Nous  partîmes  hier  de  Rome  en  bonne  santé,  Dieu  merci, 
et  sommes  arrivés  jusques  ici  en  très  bon  état. 

J'attends  de  recevoir  par  les  mains  de  M.  Dupré  vos 
paquets  de  trois  ordinaires,  auxquels  je  ferai  réponse  si  j'ai  le 
temps. 

J'ai  laissé  à  Rome  tout  tranquille  sur  ce  qui  se  passe  en 
France  dans  les  assemblées  provinciales.  On  a  vu  le  procès- 
verbal  de  Cambrai  :  ils  y  voient  manifestement  le  caractère  et 
l'esprit  de  l'auteur.  M.  le  cardinal  Casanate  me  dit  avant- 
hier  que  l'évêque  de  Saint-Omer  avait  fait  ce  que  les  cardi- 
naux du  Saint  Ofiice  devaient  faire,  en  faisant  expliquer 
M.  de  Cambrai  plus  clairement;  et  que  l'attache  de  cet  arche- 
vêque à  ses  explications  faisait  bien  voir  ce  qu'il  retient  en 
lui-même.  On  ne  parlera  de  rien.  Je  vois  clairement  et  suis 
sûr  que  la  cour  de  Rome  n'osera  se  remuer  sur  rien.  Elle 
voudrait  bien  que  toutes  les  assemblées  fussent  finies,  pour 
n'en  entendre  plus  parler. 

M.  de  Monaco  est  bien  résolu  de  ne  rien  oublier  pour 
m'obtonir  mon  induit.  J'ai  appris,  un  moment  avant  que  de 

Lettre  1954.  —  L.    a.  n.  s.  Archives  départementales,  à  Melun. 


70  CORRESPONDANCE  [juiUet  1699 

partir  de  Rome,  qu'un  de  mes  amis  ayant  parlé  de  cette 
affaire  au  Pape,  comme  d'une  grâce  qu'il  pouvait  m'accorder, 
et  qu'il  paraissait  même  un  peu  dur  de  ne  me  pas  accorder 
dans  les  présentes  circonstances,  le  Pape  avait  paru  être  en 
disposition  de  me  l'accorder,  et  avait  demandé  mon  placet. 
J'en  ai  fait  avertir  M.  de  Monaco,  pour  pouvoir  profiter  delà 
bonne  disposition  de  S.  S.,  qui  a  la  bonté  de  témoigner  à 
tout  le  monde  son  contentement  à  mon  égard. 


1955.   —  Le  Prince  de  Monaco  a  Bossuet. 

Rome,  ce   7  juillet  1699. 

J'ai  reçu  la  lettre,  Monsieur,  dont  vous  m'avez  honoré  le 
29  du  mois  de  mai  :  je  suis  très  sensible  aux  expressions 
obligeantes  que  vous  me  faites  de  votre  amitié,  qui  m'est 
infiniment  chère,  et  que  je  voudrais  bien  pouvoir  mériter 
par  de  véritables  services. 

M.  l'abbé  Bossuet  est  parti  depuis  quelques  jours  :  j'en  ai 
été  très  fâché.  Il  m'a  laissé  un  mémoire  au  sujet  de  l'induit 
de  son  abbaye,  pour  lequel  il  avait  déjà  fait  quelque  tenta- 
tive inutile  auprès  du  Pape.  Je  prendrai  mon  temps  pour 
faire  de  nouvelles  instances  à  Sa  Sainteté,  en  conséquence 
même  de  ce  que  m'en  a  écrit  M.  le  marquis  de  Torcy  de  la 
part  du  Roi  *  ;  et  il  ne  tiendra  pas  à  mes  soins  ni  à  mes  sollici- 
tations que  vous.  Monsieur,  et  M.  votre  neveu  n'ayez  tous 
deux  en  cela  un  entier  contentement. 

Je  n'ai  encore  été  admis  qu'une  fois  à  l'audience  du  Saint 
Père,  j'en  aurai  bientôt  une  autre  :  cependant  il  m'a  déjà 
parlé  très  avantageusement  de  vous,  m'ayant  dit  en  propres 
termes  qu'il  vous  regardait  comme  un  évêque  également  doué 
de  vertus,  de  piété  et  de  doctrine.  M.  le  cardinal  de  Bouillon 
était  présent,  et  je  lui  dois  la  justice  de  vous  dire  qu'il  fit  sur 

Lettre  i955.  —  i.  Voir  Archives  des  Affaires  étrangères,  Rome, 
t.  39a,  p.  i45.  * 


juillet  1699]  DE  BOSSUET.  71 

cela  son  devoir  de  même  manière  que  je  fis  le  mien.  Je  sou- 
haite avoir  de  fréquentes  occasions  de  le  remplir  par  d'autres 
endroits,  afin  de  vous  donner  des  preuves  convaincantes  delà 
passion  sincère  avec  laquelle  je  suis  bien  certainement,  Mon- 
sieur, votre  très  humble  serviteur. 

Le  Prince  de  Monaco  -. 


1966.  —  L'Abbé   Bossuet  a  son  Oncle. 

Florence,  jeudi  9^  juillet  1699. 

J'arrivai  ici  le  lendemain  de  ma  lettre  ci-dessus*,  et  trouvai 
le  courrier  de  France  parti  il  y  avait  un  quart  d'heure.  Je 
reçus  en  même  temps  de  la  main  de  M.  Dupré  les  deux 
paquets  que  vous  lui  avez  adressés  du  i^""  juin,  et  du  7"  et  8* 
du  même  mois. 

La  plus  grande  joie  que  je  puisse  recevoir  est  d'apprendre 
que  votre  santé  est  bonne,  et  que  votre  érésipèle  n'a  aucune 
suite.  Je  ne  doute  point  que  le  bon  air  de  la  campagne  et  les 
bains  ne  vous  remettent  entièrement.  Le  repos  y  doit,  ce  me 
semble,  contribuer  encore  plus  que  tout  le  reste.  J'ai  trouvé 
ici  cette  cour  comme  je  l'avais  laissée,  et  en  particulier  M.  le 
Grand  duc  plus  honnête  et  plus  plein  de  bonté  que  jamais 
pour  vous  et  pour  moi.  Comme  M.  l'envoyé  de  France^  m'a 
voulu  loger  cette  fois-ci  chez  lui,  et  ce  qui  s'appelle  me  servir 
de  carrosse,  etc.,  M.  le  Grand  duc  s'est  contenté  de  m'envoyer 
un  magnifique  présent  de  toutes  sortes  de  rafraîchissements 
et  de  provisions^.  J'ai  eu  l'honneur  de  le  voir  trois  fois  dans 

2.   Sur  une  lettre  mal  datée  dans  les  éditions,  voir  t.   VI,  p.  35o. 
Lettre  1956.  —  L.  a.  n.  s.,  écrite  au  verso  de  la  lettre  du  3  juillet. 

1.  Celle  du  3  juillet,  p.  6g. 

2.  Du  Pré. 

3.  Le  Grand  duc  avait,  depuis  plusieurs  années,  fait  venir  de 
France,  afin  de  lui  donner  la  surintendance  de  ses  jardins  et  de  ses 
vergers,  un  carme  déchaussé,  Jean  Gobillard,  en  religion  Fr. 
Emmanuel  de  Saint-Fiacre,  né  à  Mauregard,  au  diocèse  de  Meaux, 
qui  mourut  à  Florence  le  11  octobre  i-jo^  (^Necrologium  Carmelitarum 
discalceatorum provinciae  Parisiensis,  Paris,  1718,  in-ia,p.  loo). 


72  CORRESPONDANCE  [juillet  169g 

les  quatre  jours  que  j'ai  été  ici,  plus  d'une  heure  chaque  fois. 
Il  [m']a  paru,  comme  à  totit  le  monde,  que  ce  prince  avait 
quelque  plaisir  à  m'entretenir.  Il  m'a  paru  content  de  moi. 
Nous  avons  parlé  de  bien  des  choses,  dont  je  vous  rendrai 
compte  quand  je  vous  verrai,  et  vous  jugerez  de  la  confiance 
qu'il  a  bien  voulu  avoir  en  moi,  et  qu'il  compte  sur  vous 
comme  sur  un  ami.  Les  expressions  et  les  sentiments  qu'il  a 
sur  votre  sujet  sont  au  delà  de  tout  ce  que  je  puis  vous  dire. 

Le  premier  jour  que  j'eus  l'honneur  de  le  voir,  il  me  dit 
qu'il  m'attendait  pour  voir  avec  moi  ce  qu'il  pourrait  faire 
pour  M.  de  Madot;  et  puis  me  dit  qu'il  lui  avait  destiné  le 
commandement  d'une  compagnie  de  carabiniers  à  cheval,  de 
deux  cents  maîtres^,  qui  est  tout  ce  qu'il  a  de  meilleur,  de 
plus  honoiable  et  de  plus  utile  en  même  temps.  Vous  croyez 
bien  comme  j'ai  été  sensible  à  ces  marques  essentielles  de 
bonté.  M.  de  Madot  est  plus  que  content  :  il  vous  marquera 
en  détail  et  plus  au  long  ce  que  c'est  que  cet  emploi.  S.  A.  S. 
m'a  promis  de  vous  envoyer  les  portraits  de  lui  et  de  sa  mai- 
son, que  vous  souhaitez  ;  et  la  demande  que  je  lui  en  ai  faite, 
lui  a  été  très  agréable.  Vous  lui  ferez  assurément  plaisir  de 
lui  écrire  en  remerciement  des  bontés  dont  il  m'a  de  nouveau 
honoré,  de  ce  qu'il  a  fait  pour  M.  de  Madot  à  votre  seule 
considération,  et  des  portraits  qu'il  m'a  promis  pour  orner 
votre  salon  de  Germigny. 

J'ai  vu  M.   le  cardinal  de  Médicis  °  à  sa  campagne,  et  ici 

4.  Maître,  soldat  à  cheval.  «  Les  compagnies  de  cavalerie  sont 
ordinairement  de  cinquante  maîtres.  »  (Richelet). 

«  Eu  arrivant  à  Florence,  M.  le  Grand  duc  ayant  vu  M.  l'abbé 
Bossuet,  déclara  M.  Madot  capitaine  de  sa  compag^nie  de  grenadiers 
à  cheval,  à  San  Sepolehro.  Il  commande  i^  deux  cents  grenadiers  et  à 
un  capitaine  qui  a  une  semblable  compagnie.  Il  a  de  bons  appointe- 
ments. M.  le  Grand  duc  n'attendait  que  l'arrivée  de  M.  l'abbé  pour 
faire  cette  déclaration  »  (Phelipeaux  à  Bertet,  de  Turin,  8  août  1699, 
Ms.  d'Avignon,  i/i35,  f"  116).  En  1701,  Madot  fut  fait  colonel  de  la 
cavalerie  du  Grand  duc  avec  un  traitement  de  deux  mille  écus  (Ibid., 
f»  228). 

5  François  de  Médicis,  frère  du  Grand  duc,  était  né  en  1660, 
et  avait  été  créé  cardinal  en  1686.  Voyant  ses  neveux  sans  enfan'i^  il 


juillet  1699]  DE   BOSSUET.  78 

deux  fois  M.  le  Grand  prince^  et  Mme  la  Grande  princesse, 
qui  m'ont  parfaitement  bien  reçu.  Mme  la  Grande  princesse 
m'a  mené  voir,  dans  la  chambre  où  elle  couche,  les  portraits 
des  princes  ses  neveux  et  de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne^. 
Elle  m'a  paru  très  sensible  à  l'attention  à  lui  faire  plaisir  que 
l'on  a  eue  là-dessus. 

Vous  aurez  vu  par  mes  précédentes  l'esprit  de  la  cour  de 
Rome  sur  M.  de  Cambrai  et  sur  tout  ce  qui  se  passe  en 
France  :  je  n'ai  rien  appris  de  nouveau.  Je  puis  vous  dire 
qu'autant  mes  amis,  et  en  particulier  Mme  la  princesse  des 
Ursins,  ont  été  fâchés  de  me  voir  partir,  autant  M.  le  cardinal 
de  Bouillon  en  a  été  ravi  :  c'est  une  épine  à  son  pied  de  moins. 
Il  m'a  dit  un  adieu  très  tendre,  m'a  embrassé,  et  m'a  dit 
de  vous  dire  que  rien  ne  pouvait  empêcher  qu'il  ne  vous 
honorât  et  ne  vous  aimât  toute  sa  vie. 

M.  l'ambassadeur  m'a  paru  vouloir  faire  des  merveilles  pour 
mon  induit.  J'espère  plus  que  jamais  l'obtenir  par  son  moyen. 
M.  le  Grand  duc  fera  aussi  agir  sous  main. 

Je  vous  envoie  une  lettre  de  M.  le  nonce,  que  j'ai  reçue  à 
Rome,  par  laquelle  vous  verrez  par  lui-même  les  ordres  qu'il 
a  reçus  du  Pape  par  M.  le  cardinal  Spada  sur  mon  chapitre, 
et  que  tout  ce  que  je  vous  ai  mandé  là-dessus  est  bien  vrai  ^ . 
Ne  perdez  pas  cette  lettre,  je  vous  en  prie. 

Vous  avez  raison  de  toujours  supposer  que  la  cour  de  Rome 
est  contente  de  la  réception  de  son  décret  en  France.  Ils 
n'oseront  jamais,  ou  je  suis  bien  trompé,  faire  paraître  là- 
dessus  aucun  mécontentement. 

rendit  son  chapeau  entre  les  mains  du  Pape  le  ig  juin  1709,  pour 
épouser,  le  i4  juillet  suivant,  Eléonore  de  Gonzague,  fille  de  Vincent, 
duc  de  Guasta'ila  ;  mais  il  mourut  lui-même  sans  postérité  le  3  février 
171 1  (Voir  Saint-Simon,  t.  XIII,  p.  352  ;  t.  XVIII,  p.  lo/i). 

6.  Le  Grand  prince  était  Ferdinand,  le  fils  aîné  du  Grand  duc.  Il 
avait  épousé  en  1688  \olande  Béatrix  de  Bavière,  sœur  de  la  Dau- 
phine,  et  tante  du  duc  de  Bourg^ogne  et  de  ses  frères. 

7.  On  se  rappelle  que  ces  portraits  avaient  été  faits  par  les  soins 
de  Bossuet  (tome  Vil,  p.  44o,  et  t.  VIII,  p.  iig,  la^,  263,  etc.). 

8.  Le  Pape  avait  donné  l'ordre  de  témoigner  qu'il  était  satisfait  de 
la  conduite  de  l'abbé  à  Rome.  Cf.  p.  A2. 


"jti  CORRESPONDANCE  [juillet  169  <j 

On  n'a  point  parlé  dans  le  bref  de  S.  S.  à  M.  de  Cambrai, 
de  la  première  lettre,  où  il  parle  de  innocentiam,  etc.,  par 
deux  raisons  :  l'une,  pour  ne  pas  témoigner  l'approuver  en 
rien  ;  et  l'autre,  parce  qu'il  n'adressait  pas  son  mandement 
par  cette  lettre.  On  a  parlé  de  la  seconde,  par  laquelle  il 
adressait  sa  soumission,  et  qu'on  n'a  jamais  pu  voir  ici. 

Je  pars  dans  une  heure  pour  Bologne.  Je  marcherai  toute 
la  nuit  par  le  clair  de  lune  ;  j'y  demeurerai  tout  samedi,  et  en 
repartirai  dimanche  12*  pour  Modène.  J'ai  reçu  la  lettre  de 
Mme  la  Princesse.  Je  repartirai  de  Modène  le  i4  pour  Venise, 
où  je  ferai  peu  de  séjour,  pour  me  pouvoir  rendre  avant  le 
25*,  si  je  puis,  à  Turin,  voulant  y  trouver  M.  le  duc  de  Savoie, 
qui  doit  aller  aux  eaux  vers  les  Grisons  à  la  fin  de  juillet'. 

Je  vous  donnerai  de  mes  nouvelles  des  lieux  où  je  passerai. 
Je  n'écris  ni  à  MM.  de  Paris,  Reims,  ni  à  M.  le  cardinal  de 
Janson.  Je  vous  prie  d'y  suppléer  pour  moi. 

Je  me  porte  bien  jusques  ici.  La  chaleur  est  grande;  mais 
je  marcherai  la  nuit,  le  plus  qu'il  me  sera  possible.  Je  tiens 
et  tiendrai  M.  le  grand  vicaire  gai  et  gaillard,  s'il  plaît  à  Dieu. 
Je  vous  prie  de  bien  remercier  M.  Dupré,  dont  je  vous  envoie 
une  lettre.  On  ne  peut  pas  me  recevoir  et  me  traiter  mieux 
qu'il  fait. 

Les  papalins  ont  été  très  maltraités  à  Venise"*. 


'9^7-  —  A  l'Abbé  Bossuet. 

A  Paris,  12  juillet  1699. 

J'ai  reçu  vos  lettres  de  Rome,  du  27  au  29,  [par*] 

9.    L'abbé  et  son  compagnon  arrivèrent  à  Turin  seulement  le  7  août 
(Ms.  d'Avignon,  fo  xi6). 

10.  Le  20  juin,  on  proposa  au  sénat  de  Venise  d'exclure  des  princi- 
paux emplois  les  nobles  ayant  des  parents  pourvus  de  dignités  ou  de 
charges  à  la  cour  de  Rome.  Cette  mesure  fut  approuvée  et  même 
aggravée  par  le  Grand  conseil  (Voir  la  Gazette  de  France,  18  et 
25  juillet,  et  8  août  1699). 

Lettre  1957.  —  L.  a.  n.  s.  Grand  séminaire  de  Meaux. 
I.   Ms.  :  pour,  par  distraction. 


juillet  1699]  DE   BOSSUET.  76 

des  courriers  extraordinaires,  et  depuis,  par  l'ordi- 
naire, celle  du  28.  Selon  celle  du  29,  vous  devez 
être  parti  le  lendemain.  M.  de  Monaco  n'avait  pas 
encore  reçu  ma  lettre  que  vous  lui  avez  rendue.  Il 
promettait  d'agir  pour  voire  induit  le  plus  effica- 
cement qu'il  lui  serait  possible^,  et  parlait  très  obli- 
geamment pour  vous  à  M.  le  marquis  de  Torcy. 

Je  me  réjouis  avec  vous  du  plaisir  que  vous  aurez 
eu  d'embrasser  M.  le  comte  deBrionne^qui  vous  aura 
procuré  une  bonne  réception  dans  la  cour  de  Turin. 
Je  n'en  puis  point  douter,  après  la  manière  obli- 
geante dont  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne  a  bien 
voulu  écrire  de  vous  et  de  moi.  Cette  princesse  est 
toujours  la  merveille  et  les  délices  de  la  Cour:  elle 
croît  sensiblement,  et  on  est  ravi  de  la  voir. 

Je  pars  demain  pour  Meaux,  011  quelques  affaires 
m'appellent. 

J'embrasse  M.  Phelipeaux. 

2.  Les  instances  de  M.  de  Monaco  ne  purent  obtenir  du  Pape  la 
faveur  désirée  par  l'abbé  Bossuet,  et  le  Saint  Père  opposa  le  même 
refus  à  une  demande  semblable  de  l'abbé  d'Estrées  (Affaires  étran- 
gères, Rome,  t.  893,  f»  10,  /i  août  1699). 

3.  Henri  de  Lorraine-Harcourt,  comte  de  Brionne,  était  né  le  i5 
novembre  1661,  de  Louis  de  Lorraine,  comte  d'Armagnac  et  de 
Catherine  deNeufville  de  Villeroy.  C'était  le  premier  danseur  de  son 
temps,  «  assez  honnête  homme,  mais  si  court  et  si  plat,  dit  Saint- 
Simon,  que  rien  n'était  au-dessous  » .  Il  fut  grand  écuyer  en  survivance, 
et  épousa  Marie-Madeleine  d'Epinay.  Il  mourut  le  3  avril  1713.  Il 
avait  été  chargé  d'aller  recevoir  la  future  duchesse  de  Bourgogne, 
lorsqu'elle  arriva  de  Savoie  en  France.  Son  frère,  François-Armand 
de  Lorraine,  qui  fut  plus  tard  évèque  de  Bayeux,  possédait,  entre  au- 
tres abbayes,  celle  de  Saint-Faroo  de  Meaux  (Saint-Simon,  t.  III, 
p.  i56,  369  à  271  ;  t.  XXIII,  p.  ao  et  ai  ;  etc.). 


^6  CORRESPONDANCE  [juillet  1699 


1958.   —   L'Abbé  Bossuet  a  son   Oncle. 

Modène,  mardi    1/4  juillet    1699. 

Je  partis,  comme  vous  l'avez  vu  par  ma  lettre  du  g  de  ce 
mois,  de  Florence  la  nuit  du  même  jour  que  je  passai  les 
montagnes  très  fâcheuses  de  l'Apennin,  qui  durent  près  de 
trente  lieues  jusqu'à  Bologne,  où  j'arrivai  le  lendemain  10, 
à  midi.  Je  suis  resté  le  samedi  et  le  dimanche  à  Bologne,  où 
j'ai  vu  les  deux  cardinaux  qui  y  résident,  que  je  n'avais  pas 
vus  à  Rome.  L'un  est  le  cardinal  Buoncompagno*,  archevê- 
que, et  l'autre  le  cardinal  Dada,  légat.  Le  premier  est  un 
très  excellent  évêque  et  très  bon  homme,  et  l'autre,  un  très 
habile  homme,  et  qui  a  beaucoup  d'esprit,  très  informé  de 
tout  ce  qui  se  passe  partout.  11  me  donna  le  dimanche 
un  dîner  magniflque,  et  les  deux  cardinaux  m'ont  fait  toutes 
les  amitiés  et  tous  les  honneurs  imaginables.  M.  le  cardinal 
Buoncompagno  voulait  absolument  me  loger  chez  lui.  Je  me 
suis  tiré  de  tous  ses  compliments  en  partant  de  Bologne  hier 
lundi,  à  la  pointe  du  jour. 

Je  suis  arrivé  ici  en  trois  heures.  J'y  ai  trouvé  cette  cour. 
J'ai  vu  l'après-dînée  Mme  la  duchesse  de  Brunswick -,  qui  m'a 
fait  mille  et  mille  honnêtetés,  et  dont  j'ai  reçu  tous  les  bons 
traitements  imaginables,  Mme  la  Princesse  avait  eu  la  bonté 
de  lui  écrire  en  particulier  sur  mon  chapitre  ;  et  cette  prin 
cesse  est  pleine  pour  vous  de  tous  les  sentiments  d'estime  et 
d'amitié  que  vous  pouvez  désirer,  aussi  bien  que  M.  le  duc 

Lettre  i958.  —  L.  a.  n.  s.  Archives  départementales,  à  Melun. 

1.  Giacomo  Buoncompagno,  né  à  Bologne  le  19  mars  i653,  fut, 
après  la  mort  de  son  frère  François,  archevêque  de  cette  ville  ;  et 
Innocent  XII  le  créa  cardinal  en  1695.  Il  mourut  en  1781.  — Fer- 
dinand d'Adda,  né  h  Milan  le  23  août  i65o,  fut  cardinal  en  1690, 
après  avoir  été  nonce  en  Angleterre.  Il  fut  évêque  d'Albano  du 
21  janvier  1715  jusqu'î»  sa  mort,  qui  arriva  le  27  janvier  1719. 

a.  C'est  la  même  que  Bossuet  appelait  Mme  de  Hanovre.  Voir  plus 
haut,  p.  19. 


jaillel  1699]  DE   BOSSUET.  77 

de  Modène,  qui,  quoique  incommodé,  voulut  me  faire 
l'honneur  de  me  voir,  et  me  dit  sur  vous  tout  ce  que  l'on 
peut  dire,  et  me  chargea  de  vous  assurer  des  témoignages  de 
son  estime  et  de  son  amitié.  Je  crois  que  vous  ne  pouvez  vous 
dispenser,  ou  de  lui  écrire  sur  cela,  ou  dans  la  lettre  qu'il  faut, 
s'il  vous  plaît,  que  vous  écriviez  à  Mme  la  duchesse  de  Bruns- 
wick, faire  un  article  particulier  sur  les  témoignages  de 
bonté  de  ce  prince  à  votre  égard  et  au  mien.  Je  ne  sais  s'il  y 
aurait  quelque  difficulté  pour  le  traitement  des  évêques  à 
Mme  de  Brunswick^  :  je  ne  crois  pas  qu'il  y  en  doive  avoir, 
elV Altesse  y  va  sans  difficulté,  les  électeurs  ayant  un  rang 
distingué  des  autres  princes,  même  souverains,  jusqu'à  avoir 
la  préséance  sur  M.  le  duc  de  Savoie,  qui  leur  a  cédé. 

Je  voulais  partir  la  nuit  passée  pour  Ferrare  et  Venise,  mais 
Mmes  les  duchesses  de  Brunswick  et  de  Modène  m'ont  retenu 
encore  aujourd'hui,  pour  me  faire  voir  la  maison  de  cam- 
pagne de  M.  le  duc*,  qui  est  fort  belle,  et  me  faire  entendre 
quelque  musique  ce  soir  ;  après  quoi,  je  pars  dans  le  moment 
pour  poursuivre  mon  chemin. 

Si  le  temps  reste  couvert  demain,  comme  il  l'est  aujour- 
d'hui, et  qu'en  arrivant  demain  à  la  pointe  du  jour  à  Ferrare, 
je  puisse  voir  le  cardinal  Astalli  ^,  légat,  et  le  cardinal  Paolucci, 
archevêque,  j'arriverai  demain  au  soir  bien  près  de  Venise, 
quoiqu'il  y  ait  plus  de  cent  milles  d'ici  ;  mais  [c'est]  le  plus 
beau  chemin  du  monde.  J'y  serai  après-demain  au  plus  tard. 
Je  ne  resterai  à  Venise  que  le  moins  qu'il  me  sera  possible  ; 
et  j'espère  en  pouvoir  repartir  lundi  ou  mardi  21",  pour 
m'acheminer  vers  Milan  par  Padoue,  Vérone,  Mantoue, 
Parme,  Plaisance  et  Pavie.  Je  ne   m'arrêterai  partout    que 

3.  Sur  le  titre  que  les  évêques  doivent  lui  donner. 

4.  Elle  était  située  à  Sassuolo,  à  quinze  kilomètres  sud-ouest  de 
Modène.  Cette  belle  maison  de  plaisa  ice  est  maintenant  une  propriété 
privée  (Ernesto  Maranesi,  La  provincia  di  Modena  descrltta  nella  sua 
orograjla,  etc.,  Modena,  1881,  in-12,  p.  79). 

5.  Fulvio  Astalli,  né  à  Rome  le  a/ijuin  i655,  fut  clerc  de  chambre 
du  Pape,  cardinal  en  1686,  légat  de  Ferrare,  évêque  de  Sabine  en 
171^,  puis  d'Ostie  en  17 19,  et  mourut  doyen  du  sacré  Collège  le 
lit  janvier  1721. 


y8  CORRESPONDANCE  [juillet  1699 

quelques  heures,  voulant  arriver  à  Turin  avant,  s'il  est  pos- 
sible, que  le  duc  en  parte  ^.  J'espère  recevoir  de  vos  nouvelles 
à  Venise,  et  je  vous  écrirai  de  là. 

On  me  fait  espérer  que  cette  lettre,  qui  doit  partir  d'ici 
après-demain,  arrivera  à  bon  port.  Je  n'écris  pas  à  mon  frère. 
Je  vous  prie  de  lui  faire  part  de  cette  lettre.  Je  me  porte  bien, 
Dieu  merci  ;  M.  Phelipeaux  aussi,  à  un  rhumatisme  près, 
qu'il  prit  dans  un  nuage  en  passant  l'Apennin.  Je  le  console 
par  le  plaisir  d'avoir  passé  au  travers  les  nuages,  et  d'aller 
vite  comme  le  vent  et  de  braver  toutes  les  chaleurs  d'Italie'. 


1959.   —  DoM  Gerberon  a  Bossuet. 

Monseigneur,  quoique  M.  de  Cambrai  semble  s'être  con- 

6.  De  Turin,  l'abbé  se  rendit  à  Gênes,  d'où  il  s'embarqua  pour 
Toulon  et  Marseille.  Dans  cette  dernière  ville,  il  dut  recevoir  l'hospi- 
talité au  palais  épiscopal.  Phelipeaux  se  sépara  de  lui  pour  aller  voir 
l'évêque  de  Montpellier  (Ms.  d'Avignon,  1/135,  f  116).  L'abbé  Bos- 
suet rentra  à  Paris  au  milieu  de  septembre,  el  son  oncle  le  présenta 
au  Roi  à  Fontainebleau  (Gazette  de  Leyde,  34  septembre  1699). 

7.  Phelipeaux  trouva  qu'on  reconnaissait  mal  les  services  qu'il  avait 
rendus.  «  On  n'a  pas  tenu  grand  compte  à  M.  le  Trésorier  de  Meaux 
de  toutes  les  peines  qu'il  a  prises  dans  l'affaire  de  Cambrai.  11  ne 
serait  pas  d'humeur  à  faire  un  second  voyage  pour  un  pareil  sujet  » 
(Mabillon  à  D.  Guillaume  Laparre,  21  décembre  1699,  lettre  com- 
muniquée par  Dom  Dubourg.  Cf.  tome  XI,  p.  a/|2).  On  a  vu  (t.  XI, 
p.  269)  que  Bossuet  avait  voulu,  mais  sans  succès,  lui  faire  donner 
un  prieuré.  Un  autre  auxiliaire,  Maille,  se  plaignit  aussi  de  l'attitude 
de  l'ambassadeur,  qui  pourtant  avait  montré  à  son  endroit  d'autres 
dispositions  à  l'abbé  Bossuet.  «  Voilà,  écrivait-il,  la  récompense  de 
tant  de  peines  et  de  fatigues  qu'il  s'est  données  dans  l'affaire  de 
Cambrai  :  il  a  failli  plusieurs  fois  de  se  ruiner  à  Rome  pour  le  service 
du  Roi.  Il  est  fort  tenté  de  se  tenir  en  repos  et  de  cancre  sibi  et 
masis  »  (Affaires  étrangères,  Rome,  t.  896,  f°'  179  et  igA)- 

Lettre  i959.  —  Imprimée  en  tète  de  la  Lettre  d'un  théologien  à 
Monseigneur  l'évêque  de  Meaux,  auquel  l'on  démontre  gur  M.  de  Cambrai 
n'a  point  tenu  les  erreurs  et  les  fausses  maximes  qu'on  lui  a  imputées,  et 
que  ce  n'est  point  au  sens  de  ce  prélat  qu'on  a  condamné  son  livre  et  les 
vingt-trois  propositions   qui  en   ont  été   tirées,  s.    1.,    1699,  in-8.  — 


juillet  1699]  DE   BOSSUET.  79 

damné  lui-même  à  un  silence  perpétuel,  en  déclarant  qu'il  ne 
veut  pas  qu'il  soit  parlé  de  lui  davantage,  et  qu'il  abandonne 
sa  propre  défens.e,  vous  ne  devez  pas  vous  persuader  que  tout 
le  monde  soit  insensible  à  l'oppression  que  la  vérité  et  la  jus- 
tice souffrent  en  sa  personne.  Il  est  rare  qu'on  s'intéresse 
pour  ceux  qui  renoncent  à  leur  propre  droit  par  faiblesse  plu- 
tôt que  par  impuissance,  et  par  je  ne  sais  quelle  soumission 
dont  on  ne  leur   fait  point  une  vertu.  11  s'en  trouve  néan- 

Gabriel  Gerberon,  né  à  Saint-Calais,  dans  le  Maine,  ie  12  août  1628, 
entra  chez  les  bénédictins  de  la  Confjrég^ation  de  Saint-Maur,  prit 
l'habit  à  Rennes,  à  l'â^e  de  vingt  ans,  et  se  fit  bientôt  une  situation 
importante  parmi  ses  confrères.  Mais  la  sympathie  ouverte  qu'il  témoigna 
au  jansénisme  le  fit  envoyer  de  monastère  en  monastère  :  il  était  à  Cor- 
bie  en  1676,  lorsque,  pour  échapper  à  la  police,  il  passa  à  Bruxelles, 
puis  en  Hollande,  où  il  se  fit  naturaliser  bourgeois  de  Rotterdam  sous  le 
nom  d'Augustin  Kergré,  ou  Kerkré.  Revenu  à  Bruxelles  en  1690,  pen- 
dant la  guerre  de  la  France  contre  la  Hollande,  il  continua  à  soutenir  le 
jansénisme  par  ses  écrits.  Il  fut  arrêté  le  3o  mai  1708,  le  même  jour 
que  Quesnel,  et  l'archevêque  de  Malines  lui  fit  son  procès.  Réclamé  par 
Louis  XIV,  il  fut  ramené  en  France  en  1707,  et  emprisonné  à  Amiens, 
puis  à  Vincennes.  Le  18  avril  17 10,  il  souscrivit  une  rétractation  qu'il 
désavoua  plus  tard,  mais  grâce  à  laquelle  il  fut  rendu  à  ses  confrères 
de  Saint-Germain-des-Prés.  Il  mourut  dans  l'abbaye  de  Saint-Denis, 
le  29  mars  17  11,  dans  sa  quatre-vingt-troisième  année.  D.  Gerberon 
avait  beaucoup  de  talent,  mais  les  chefs  du  jansénisme  eux-mêmes  le 
trouvaient  trop  vif  et  inconsidéré.  Il  a  publié  des  éditions  de  saint 
Anselme  et  de  Baius,  et  traduit  en  français  les  Avertissements  salu- 
taires de  la  B.  Vierge  Marie  à  ses  dévots  indiscrets,  Lille,  167^,  in-8. 
De  plus,  il  a  composé  un  grand  nombre  d'ouvrages  anonymes  ou  pseu- 
donymes, dont  la  plupart  roulent  sur  les  matières  disputées  de  son 
temps  et  sont  oubliés  aujourd'hui.  Citons  seulement  VHistoire  de  la 
robe  sans  couture  de  N.-S.  J.-C,  qui  est  vénérée  dans  l'église...  d'Ar- 
genteuil,  Paris,  1677,  in-12,  et  VHistoire  générale  du  jansénisme, 
Amsterdam,  1700,  3  vol.  in-8  (Voir  Ledieu,  t.  III,  p.  ^9  et  68,-  la 
Correspondance  de  Fénelon,  t.  IX,  p.  1^5  ;  t.  X,  p.  487  ;  t.  XI,  p.  ^8 
à  55  ;  Processus  offîcii  Jiscalis  curiœ  Mechliniensis  contra  D.  Gab.  Gerbe- 
ron, Bruxelles,  s.  d.,  in-/i  ;  D.  Robert  Racine,  Nécrologe  de  l'abbaye  de 
Saint-Denis,  Mazarine,  ms.  3875,  p.  767  et  suiv.  ;  D.  Tassin,  Histoire 
littéraire  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur  ;  Hauréan,  Histoire  littéraire 
du  Maine  ;  la  Biographie  nationale  belge  ;  H.  Wilhelm,  Nouveau  supplé- 
ment à  l'histoire  littéraire  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur  ;  art.  de 
M.  Bachelet  dans  le  Dictionnaire  de  théologie  catholique  de  Vacant). 


8o  CORRESPONDANCE  [juillet  1699 

moins  qui,  n'envisageant  pas  tant  M.  de  Cambrai  que  le  sujet 
pour  lequel  il  semble  que  l'on  a  résolu  sa  perte  et  les  manières 
avec  lesquelles  vous  le  poursuivez,  se  sentent  obligés  de  faire 
connaître  la  pureté  de  ses  sentiments  et  la  mauvaise  foi  de 
ceux  qui  lui  imposent  des  maximes  contraires  à  la  véritable 
piété. 

Il  vient  de  paraître  un  Traité  historique^  qui,  les  retours 
sur  la  Religion  P.  R.  et  les  manières  outrées  mises  à  part, 
raisonne  assez  juste  sur  la  conduite  que  l'on  tient  à  l'égard 
de  cetarchevêqueetsurla  théologie  mystique  de  M.  de  Meaux, 
qui,  malgré  toutes  ses  fuites,  ne  lui  paraît  pas  moins  quié- 
tisteni  moins  condamnable  que  M.  de  Cambrai.  Mais,  comme 
l'auteur  est  un  protestant  déclaré,  vous  vous  ferez  une  gloire 
d'être  attaqué  par  un  ennemi  de  la  communion  romaine,  et 
bien  des  gens  mépriseront  ses  plaintes  et  ses  réflexions,  sans 
examiner  si  elles  sont  de  bon  sens. 

Que  si  un  protestant  même  a  été  touché  de  la  disgrâce  de 
ce  prélat,  en  qui  il  reconnaît  beaucoup  de  mérite,  et  s'il  a  cru 
se  devoir  élever  contre  les  entreprises  du  parti  que  vous  avez 
formé  contre  votre  confrère,  il  ne  sera  pas  dit  que,  parmi  les 
théologiens  de  notre  communion,  il  ne  se  trouve  personne  qui 
se  récrie  contre  une  injustice  si  publique  et  si  manifeste,  et 
qui  parle  pour  l'innocence  et  pour  la  vérité.  Ne  pensez  pas 
que  les  catholiques  qui  ont  de  l'amour  et  du  zèle  pour  l'Église, 
laissent  passer  les  assemblées  de  Nosseigneurs  sans  faire 
remarquer  la  lâcheté  et  l'iniquité  de  celles  où  l'esprit  de  cour 
préside  plus  que  celui  de  Jésus-Christ.  La  mort  n'a  pas 
encore  enlevé  tous  ceux  qui  savent  que  les  délibérations  que 
vous  prenez  pour  modèles  des  vôtres  ^,  seront  éternellement  la 
honte  du  clergé  de  France  ;  et  si  vos  adorateurs  dissimulent 
ce  qu'ils  en  pensent,  il  y  en  aura  sans  doute  qui  ne  souf- 
friront pas  que  vos  assemblées  autorisent  des   délibérations 

I .  Trailé  historique  contenant  le  jugement  d'un  protestantsur  la  théo- 
logie mystique,  sur  le  quiétisme  et  sur  les  démêlés  de  l'éuéque  de  Meaux 
avec  l'arclicoèque  de  Cambrai....  avec  le  Problème  ecclésiastique  contre 
l'archevêque  de  Paris(j)dt  Jurieu),  s.  1.,  1699,  in-ia. 

a.   Celles  de  l'assemblée  du  clergé  de  1654  sur  Jansénius. 


juillet  1699]  DE   BOSSUET.  81 

faites  contre  toutes  les  formes,  que  les  évêques  les  plus  apos- 
toliques ^  ont  méprisées  et  traitées  de  tyranniques,  et  qui  n'ont 
été  appuyées  que  sur  des  impostures  et  sur  des  calomnies 
reconnues  et  avouées. 

En  altendant,  on  a  cru  devoir  justifier  la  personne  de  M.  de 
Cambrai  et  ses  véritables  sentiments,  suivant  l'intention  de 
Sa  Sainteté  même  et  selon  les  termes  de  son  bref.  Qu'il  pro- 
teste tant  qu'il  lui  plaira  qu'il  se  soumet  sans  explication  ni 
restriction  à  la  censure  de  son  livre,  comme  contenant  vingt- 
trois  propositions  que  l'on  a  jugées  respectivement  téméraires, 
scandaleuses,  pernicieuses  et  erronées,  il  ne  peut  pas  avouer 
contre  sa  conscience  qu'il  ait  tenu  aucune  des  erreurs  qu'on  lui  a 
imputées,  comme  il  l'a  déclaré  très  positivement  en  l'assem- 
blée de  sa  province,  et  Sa  Sainteté  a  assez  marqué  qu'elle 
n'avait  point  censuré  ces  propositions  au  sens  de  l'auteur, 
quand  elle  a  dit  qu'elle  les  condamnait  au  sens  que  les  termes 
présentent  d'abord,  in  sensu  obvio,  sans  avoir  donné  la 
moindre  atteinte  aux  autres  livres  et  écrits  où  M.  de  Cambrai 
s'est  expliqué  et  qu'il  a  envoyés  au  Pape,  qui  n'aurait  pas 
manqué  de  les  envelopper  dans  la  même  censure,  si  le  sens 
de  cet  archevêque  y  avait  été  condamné.  Quand  même  les 
dernières  violences,  dont  on  dit  qu'on  le  menace,  lui  feraient 
confesser  ce  que  sa  conscience  ne  lui  permet  pas  d'avouer, 
cette  confession  devrait  être  regardée  comme  une  faiblesse  à 
laquelle  de  grands  hommes  ont  été  sujets,  si  l'on  en  croit  ce 
qui  est  rapporté  dans  les  Baiana'',  où  l'on  voit  qu'un  primat 
d'Espagne  et  un  des  plus  habiles  théologiens  de  son  siècle 
ont  été  contraints,  pour  donner  quelque  chose  aux  puissances, 
de  révoquer  des  erreurs  qu'ils  n'avaient  jamais  tenues^. 

3.  Messieurs  d'Àlet  et  d'Angers  (Note  de  Gerberon).  Allusion  aux 
assemblées  tenues  contre  le  jansénisme. 

4.  Baiana,  seu  Michaelis  Bail  operum  secunda pars ,  complectens  seripta 
quœ  conlroversias  spectani  occasione  sententiarum  M.  Baiiexortas,p.  i52- 
206  et  207,  à  la  suite  des  Michaelis  Baii  opéra...  studio  A.  P.  theologi 
(Gerberon),  Cologne,  1696,  in-4. 

5.  Gerberon  veut  parler  de  Baius  et  de  Barthélémy  Garranza, 
dominicain,  archevêque  de  Tolède.  Gf.  Varillas,  Histoire  des  révolu- 

XII  —  6 


82  CORRESPONDANCE  [juillet  1699 

Vous  direz  sans  doute  que  c'est  revenir  aux  anciennes  chi- 
caneries du  fait  et  du  droit.  Oui,  Monseigneur,  on  y  revient, 
et  Sa  Sainteté  même  a  marqué  cette  voie.  Mais,  quoi  que 
vous  puissiez  dire,  cette  distinction  n'est  point  une  chicane  ; 
c'est  un  retranchement  contre  l'erreur  et  l'iniquité,  si  juste  et 
si  invincible  que  des  évêques  et  des  docteurs  qui  ont  été  la 
gloire  de  votre  ordre  et  de  l'Eglise  de  France,  y  tenant  ferme, 
en  ont  soutenu  vigoureusement  les  droits  et  la  liberté,  et  ont 
lait  triompher  la  vérité  par  la  paix  que  le  Pape  et  Sa  Majesté 
très  chrétienne  rendirent  à  l'Église  en  l'année  1668. 

Pour  désabuser  donc  ceux  à  qui  on  aurait  pu  faire  accroire 
que  M.  de  Cambrai  a  tenu  et  soutenu  les  erreurs  qui  ont  été 
condamnées,  quelqu'un  a  entrepris  de  montrer  qu'encore 
qu'elles  se  trouvent  dans  son  livre,  elles  ont  été  censurées 
dans  un  tout  autre  sens  qu'en  celui  de  cet  archevêque.  Je  n'ai 
pu  manquer  à  vous  faire  part  de  cet  écrit,  afin  que  vous 
reconnaissiez  de  bonne  foi  que  la  censure  du  livre  de  M.  de 
Cambrai  ne  tombe  pas  sur  ses  sentiments,  et  que  l'on  demeure 
persuadé  par  votre  aveu  qu'il  n'est  pas  plus  quiétiste  que 
vous**. 

Je  suis,  Monseigneur,  votre  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur. 

N.  N. 

A  Bois-Franc,  le  16  juillet  1699. 

lions  arrivées  en  matière  de  religion,  Paris,  1686-1689,  6  vol.  in-4, 
t.  V,  Avertissement;  Quétif  et  Écliard,  Scriptores  Ordinis  Prœdica- 
toram,  t.  II. 

6.  Les  jansénistes  s'étonnèrent  de  l'attitude  prise  en  cette  circons- 
tance par  Gerberon.  «  Vous  demandez  de  quoi  s'avise  M.  Kerkré,  de 
prendre  la  défense  du  pur  amour  de  M.  de  Cambrai.  Ne  le  connaissez- 
vous  pas?...  Est-ce  d'aujourd'hui  que  vous  savez  que  c'est  un  esprit 
outré  et  qui  ne  garde  aucune  mesure?  H  y  a  longtemps  que  D.  Ger- 
beron a  une  dent  de  lait  contre  M.  de  Meaux,  et  je  crois  que  c'est 
par  antipathie  contre  ce  prélat  qu'il  a  pris  des  sentiments  favorables 
et  conformes  à  ceux  de  M.  de  Cambrai  »  (Quesnel  à  du  Vaucel, 
37  janvier  et  20  février  1700,  Correspondance,  t.  II,  p.  78  et  82). 


juillet  1699]  DE  BOSSUET.  83 

i960.   —  A  Denis    Dodart. 

A  Germijjuy,  ig  juillet  1699. 

Je  vous  suis  obligé,  Monsieur,  de  votre  lettre  du 
i3,  quejc  n'ai  reçue  qu 'avant-hier  ;  elle  me  dirigera 

Lettre  1960.  —  L.  a.  s.  Bibliothèque  de  Troyes,  ms.  224o. 
Publiée  d'abord  sur  une  copie  de  M.  Floquet  par  M.  A.  Gasté,  Lettres 
et  pièces  inédites,  Caen,  1898,  in-8,  p.  87.  Cf.  E.  Griselle,  Bossiiet, 
abbé  de  Saint- Lucien,  p.  Sg-ZlS.  —  Denis  Dodart  naquit  en  i634,  pro- 
bablement à  Glatigny-sur-Bray,  de  Jean  Dodart,  bourgeois  de  Paris, 
et  de  Marie  du  Bos,  fille  d'un  avocat.  Après  de  brillantes  études, 
il  fut  reçu  docteur  en  mt'decine  le  i3  octobre  1660,  et  devint  inc^de- 
cin  de  la  duchesse  de  Longueville,  du  prince  et  de  la  princesse  de 
Conti  douairière  et  de  la  princesse  de  Gonti,  fille  de  Mlle  de  La  Val- 
lière.  11  donna  aussi  ses  soins  à  Racine,  à  Boileau,  à  Bossuet,  etc., 
sans  parler  des  pauvres,  à  qui  il  se  dévouait  avec  une  charité  égale 
à  sa  science.  Son  attachement  à  Port-Royal  déplaisait  au  Roi  ;  mais, 
dit  Saint-Simon,  il  se  conduisit  avec  tant  de  prudence  que  Louis  XP/ 
ne  trouva  point  de  prétexte  pour  satisfaire  l'envie  qu'il  eut  toujours 
de  le  chasser  de  la  Cour.  Dodart  entra  à  l'Acadt-mie  des  Sciences  en 
1678,  et  s'appliqua  à  l'étude  des  plantes,  des  fondements  de  la  musique 
et  de  la  transpiration.  On  a  de  lui  :  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire 
des  plantes,  Paris,  1676,  in-fol.;  Mémoire  sur  les  causes  de  la  voix  de 
l'homme  et  de  ses  différents  tons  (anonyme),  s.  1.,  1708,  in-4  ;  Medi- 
cina  stalica  gallica  publiée  par  Noguez  à  la  suite  de  la  Slatica  medi- 
cina  de  Sanctorius,  Paris,  1725,  2  vol.  in-12.  Dodart  mourut  le 
5  novembre  1707  et  fut  inhumé  à  Saint-Germain  l'Auxerrois.  11  avait 
épousé  Marie  Boulard,  fille  d'un  président  au  présidial  de  Clermont- 
en-Beauvaisis,  puis  Marie  Lucienne  Le  Picard,  qu'il  perdit  le  3o  jan- 
vier 1675.  Du  premier  lit,  il  eut  un  fils,  Claude  Jean-Baptiste,  qui 
fut  médecin  de  Louis  XV,  et  une  fille,  Marie  Angélique.  Celle-ci  fut 
mariée  en  1708  à  Guillaume  Homberg,  docteur  de  Wittemberg, 
médecin  de  Philippe  d'Orléans  et  pensionnaire  de  l'Académie  des 
Sciences  (Voir  les  Lettres  de  Guy  Patin,  édit.  Réveillé-Parise,  t.  III  ; 
l'éloge  de  Dodart  par  Fonienelle;  le  Nécrologe  de  Port-Royal,  Ams- 
terdam, 1728,  in-4,  p.  421  ;  le  Journal  de  Ledieu  ;  Racine,  Grands 
écrivains,  t.  VI  et  VII;  Correspondance  de  Mme  la  duchesse  d'Orléans, 
Irad.  Jaeglé,  Paris,  1890,  8  Vol.  in-8,  t.  I,  p.  208  ;  Saint-Simon,  édit. 
Chéruel,  t.  XIV  ;  Correspondance  de  (Jucsnel,  t.  I  et  II;  Lambert,  His- 
toire littéraire  du  règne  de  Louis  XIV,  Paris,  I75l,  3  vol.  in-4,  t.  II, 
p.     i65;   Sainte-Beuve,  Pori-/?ovai ;    Bibliothèque  Nationale,    Pièces 


84  CORRESPONDANCE  [juiUet  1699 

dans  la  prise  des  eaux,  lime  semble  que  tout  s'ache- 
mine bien,  et  je  conviens  qu'il  ne  faut  pas  laisser 
passer  la  saison  sans  en  profiter  pour  faire  tout  le 
possible  '. 

Je  n'ai  pu  nommer  des  deux  compétiteurs  ^  celui 
dont  on  m'a  parlé  en  dernier  lieu,  puisque  je  ne  le 
connaissais  pas.  Pour  M.  Collin\je  crois  bien  l'avoir 
nommé,  mais  en  passant  seulement,  et  sans  qu'on 
y  ait  pu  faire  attention,  parce  qu'on  ne  parla  de 
cette  affaire  que  par  un  discours  fort  vague*.  Il  est 
bon,  à  toutes  fins,  que  vous  preniez  la  peine  de  m  in- 
former de  ce  que  vous  jugerez  nécessaire. 

Je  suis,  Monsieur,  toujours  très  parfaitement  à 
vous  et  très  reconnaissant  de  votre  amitié. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Suscription:  A  Monsieur,  Monsieur  Dodart,  doc- 
teur en  médecine. 


I961.    M.     DE    TORCY    A    BOSSUET. 

Marl\ ,  2û  juillet  1G99. 

Monsieur,  je  vous  envoie  par  ordre  du  Uoi  le  mémoire  que 

originales  et  Dossiers  bleus;  Notes  de  M.  L.  Graves,  à  l'hôtel  de  ville 
de  Beauvais). 

1.  Ceci  suppose  que  Dodart  avait  couselllé  à  Bossuet  une  saison 
d'eaux,  à  la  suite  de  l'érésipèle.  Cependant  on  ne  voit  pas  que  le 
prélat  soit  allé  à  Forges  ou  à  Bourbon  cette  année-là. 

2.  L'autographe  porte  :  à  des  deux  compétiteurs. 

3.  Nous  ne  possédons  aucun  renseignement  sur  ce  M.  GoUin. 

4.  Il  s'agissait  sans  doute  de  la  nomination  à  quelque  bénéfice  dépen- 
dant de  l'abbaye  de  Saint-Lucien.  Si  Dodart  s'intéressait  au  Beauvaisls, 
ce  n'était  pas  seulement  à  cause  de  sa  première  femme  :  son  grand- 
père,  Jean  Dodart,  avait  été  notaire  au  bailliage  de  Clermont,  en  rési- 
dence à  IIodenc-en-Bray  (Pièces  originales,  au  mot  Aubourc). 

Lettre  i96i.   —   Inédite.    Affaires    étrangères,    Rome.    t.    ^96, 


juillet  1699J  DE  BOSSUET.  85 

M.  l'abbé  Fleury,  nommé  par  S.  M.  à  l'évêché  de  Fréjus,  a 
dressé  au  sujet  de  l'opposition  que  l'ancien  évêque  de  Fréjus 
lui  a  fait  signifier  depuis  peu.  Quoiqu'elle  puisse  être  regardée 
comme  nulle,  par  toutes  les  circonstances  qui  l'ont  précédée, 
cependant,  Monsieur,  S.  M.  ne  voulant  rien  décider  dans  une 
pareille  matière  que  conformément  aux  règles,  Elle  m'a 
ordonné  de  savoir  votre  sentiment,  et  si  une  semblable  oppo- 
sition vous  empêcberait  de  procéder  au  sacre  de  M.  l'abbé  de 
Fleury  pour  l'évêché  de  Fréjus. 

Je  crois  que  vous  jugerez  à  propos  de  ne  pas  dire  que  vous 
ayez  été  consulté  sur  cette  affaire,  avant  que  le  Roi  ait  décidé. 

Je  profile  de  cette  occasion  de  vous  assurer,  etc. 


1962.   —  Al  Gr.\nd  duc  de  Toscane. 

Je  ne  sais  par  où  commencer  à  rendre  grâces  très 
humbles  à  V.  A.  R.*pour  tant  de  sortes  de  bontés 

f"  ii5.  Minute.  Une  lettre  semblable  était  adressée  aux  archevêques 
de  Paris  et  de  Reims,  ainsi  qu'à  l'évèque  de  Chartres.  Sur  la  démission 
volontaire  de  Luc  d'Aquin,  évèque  de  Fréjus,  le  6  janvier  1697,  le 
Roi  avait  nommé  pour  lui  succéder  Louis  d'Aquin,  son  neveu.  Le 
sacre  de  l'élu  devait  avoir  lieu  le  16  juin,  lorsque,  la  veille  même, 
son  oncle,  qui  jusque-là  avait  paru  s'en  tenir  aux  conditions  de  sa 
démission,  fit  opposition.  On  passa  outre,  et  le  nouvel  évèque  prit 
possession  par  procureur  le  12  avril  1698.  L'opposition  continuant 
toujours  malgré  l'arrêt  du  conseil  d'Etat  du  28  avril  (Archives Natio- 
nales, E  1907,  p.  81),  Louis  d'Aquin  demanda  au  Roi  de  se  retirer 
de  Fréjus  ;  il  fut  nommé  à  Séez,  le  i^''  novembre  1698.  Le  jour 
même,  Louis  XIV  nommait  à  Fréjus  Hercule-André  de  Fleury,  qui 
reçut  ses  bulles  le  3o  mars  1699.  Luc  d'Aquin  fit  encore  opposition 
devant  le  Nonce.  Alors  le  Roi  fit  demander  à  Bossuet  un  mémoire 
sur  cette  affaire,  en  lui  remettant  celui  de  l'abbé  de  Fleury.  On  trou- 
vera à  l'appendice  le  mémoire  de  l'évèque  de  Meaux.  D'après  ses 
conclusions  conformes  à  l'arrêt  du  28  avril  1698,  le  conseil  d'Etat  dé- 
cida en  faveur  de  l'abbé  de  Fleury,  qui  fut  sacré  le  22  novembre  1699. 

Lettre  1962.  —  L.  a.  s.  inédite.  Archivio  Mediceo,  à  Florence, 
t.  39a. 

I .  On  voit,  par  les  correspondances  du  temps,  que  l'on  traitait 
d'Altesse  rovale  le  Grand  duc  de  Toscane. 


86  CORRESPONDANCE  [août  1699 

dont  elle  m'honore.  Mon  neveu  m'écrit  si  touché 
des  marques  qu'il  vous  a  plu  lui  en  donner  que  les 
paroles  nous  manquent  à  l'un  et  à  l'autre. 

J'attends,  Monseigneur,  les  portraits"  qu'elle  me 
fait  espérer  pour  faire  l'ornement  de  cette  maison. 

Et  que  dirais-je,  Monseigneur,  de  M.  de  Madot, 
que  vous  avez  comblé  de  vos  grâces  à  notre  très 
humble  recommandation.^  Il  en  est,  Monseigneur, 
tout  pénétré,  et  nous  prenons  la  part  que  nous 
devons  à  sa  joie  et  à  sa  reconnaissance. 

J  attends  mon  neveu  avec  une  nouvelle  impa- 
tience, pour  apprendre  de  sa  bouche  des  nouvelles 
particulières  de  V.  A.  K.  et  de  sa  sérénissime  famille. 
Elle  a  en  moi  un  serviteur  très  reconnaissant,  qui 
n'a  de  regret  que  celui  d'être  inutile,  et  qui  est  et 
sera  toujours  avec  tout  le  respect  possible.  Monsei- 
gneur, de  V.  A.  K.  le  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur. 

A  Germiguy,  le  2G  juillet  1699. 

J.  Bémgne,  é.  de  Meaux. 


1963.  —  A  Claude  Le  Peletier. 

A  Meaux,  3  août  1699. 

On  m'apprit  hier,  Monsieur,  l'heureux  mariage 
que  M.  et  Mme  d'Argouge  ont  fait  de  Mme  leur  fille'. 

2.  l.es  portraits  du  Grand  duc  et  de  sa  famille.  Voir  t.  X,  p.  i, 
et  plus  haut,  p.  'yi. 

Lettre  1963.  —  L.  a.  s.  Inédite.  Archives  de  M.  le  marquis  Le 
Peletier  de  Rosambo,  au  Mesnil  (Seiue-et-Oise).  —  Sur  Claude  Le 
Peletier,  voir  t.  I,  p.  099,  et  t.  IV,  p.  189.  . 

i.  .Tean-Pierre  d'ArgfOuges  de  Ranues  (16^7-1731),  conseiller  Ai 
Parlement,  puis  maître  des  requêtes  et  conseiller  d'Etat,  avait  épousé, 


août  1699]  DE  BOSSUET.  87 

Voilà  comme  Dieu  bénit  ceux  qui  sont  droits  de 
cœur.  J'ai,  Monsieur,  une  extrême  joie  des  grâces 
dont  il  vous  comble,  surtout  de  celles  qu'il  répand 
sur  votre  retraite  ^  Il  semble  qu'il  vous  veut  donner 
et  la  foi  et  la  récompense  des  saints  patriarches,  et 
en  ce  monde  et  en  l'autre. 

Villeneuve  me  roule  souvent  dans  lesprit  dans 
ina  solitude^  Mais  je  voudrais  bien  n'y  point  porter 
les  restes  d'un  érésipèle  qui  n'est  pas  encore  tout  à 
fait  éteint.  Le  fond  de  la  santé  n'en  paraît  pas  altéré, 
puisque.  Dieu  merci,  il  ne  fait  perdre  nile  sommeil, 
ni  l'appétit,  ni  les  forces  ;  mais  enfin  il  dure  encore 
un  peu,  et  il  faut,  s'il  se  peut,  le  déraciner  pour  en 
empêcher  le  retour  dans  une  saison  moins  propre. 
Continuez-moi  celte  précieuse,  si  fidèle  et  si  ancienne 
amitié,  puisque  je  suis  et  serai  toujours  avec  le 
même  attachement  et  respect.  Monsieur,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur. 

J.  Bénigjje,  é.  de  Meaux. 

Au  bas  de  la  page  :  M.  Le  Peletier,  Hôtel  d'Effiat  *. 

le  3i  janvier  1677,  Françoise  Le  Peletier  (1660-1745),  fille 
de  Claude.  Leur  fille,  Madeleine  Geneviève  d'Argouges,  née  le 
20  août  1680,  épousa  le  3o  juillet  1699,  à  Saint-Gervais,  Pierre  Eon 
de  La  Baronnie,  marquis  de  Cély,  maître  et  plus  tard  président  en  la 
Chambre  des  Comptes,  qui  mourut  sans  postérité  le  4  novembre  1709 
(V.  Saint-Simon,  t.  IV,  p.  272  ;  les  Mémoires  du  marquis  de  Sour- 
ches,  t.  XI,  p.  80,  et  t.  XII,  p.  m). 

2.  Claude  Le  Peletier  était  surintendant  des  postes,  lorsque,  le 
18  septembre  1697,  il  prit  sa  retraite  pour  vivre  à  Villeneuve-le-Roi 
dans  les  exercices  de  la  plus  vive  piété  (Saint-Simon,  t.  IV,  p.  267 
et  suiv.). 

3.  C'est  à  Villeneuve-le-Roi  que  Bossuet,  en  1676,  était  allé  réta- 
blir sa  santé  (t.  I,  p.  399). 

4.  Cet  hôtel  du  maréchal  d'Effiat,  père  de  Cinq-Mars,  fut  acquis 
par  Le  Peletier  en  1668.  Il  est  situé,  rue  Vieille-du-Temple,  n"  a^- 


88  CORRESPONDANCE  [août  1699 

1964.  —  A  Antoine  de  Noailles. 

A  GermigDy,  5  août  1699. 

Vous  vous  souviendrez  peut-être,  mon  cher  Sei- 
gneur, que  je  vous  parlai,  il  y  a  quelque  temps,  du 
P.  Candide  Champy,  récollet',  et  que  j'eus  l'honneur 
de  vous  dire  qu'on  lui  avait  causé  quelque  chagrin 
du  côté  de  Cambrai,  011  il  n'était  pas  favorable  aux 
sentiments  du  prélat^  Il  souhaite,  à  l'occasion  du 
chapitre  qui  se  va  tenir  à  Paris,  que  je  vous  renou- 
velle, Monseigneur,  le  bon  témoignage  que  je  vous 
ai  rendu  de  ce  Père.  Ce  n'est  pas,  Monseigneur, 
qu'il  prétende  rien^  ;  il  m'a  toujours  dit  qu'il  ne  sou- 
haitait rien,  sinon  que  tout  allât  le  cours  ordinaire  et 
naturel  à  son  égard. 

Je  suis,  avec  le  respect  et  l'attachement  sincère  que 
vous  savez,  votre  très  humble  serviteur 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


1965.   —  Jacques  Le  Noir  a  Bossuet. 

Monseigneur, 
En  exécution  d'une  partie  de  vos  ordres,  j'ai  fait  donner  à 
votre  portier  un  petit  paquet,   dans  lequel  vous  trouverez 

Lettre  1964.  —  Inédite.  Copie  par  le  P.  Pinchart,  chanoine 
régulier,  à  la  Bibliothèque  de  Reims,  ms.  ii^5. 

1.  Voir  t.  X,  p.  io5. 

2.  Fénelon. 

3  Qu'il  prétende  à  quelque  dignité  dans  son  Ordre.  Le  chapitre 
était  le  temps  marqué  pour  les  élections  aux  difFérentes  charges. 

Lettre  i963.  —  Quoique  publiée  par  Deforis  (t.  X,  p.  612),  cette 
lettre  n'a  pas  trouvé  place  dans  les  éditions  plus  récentes.  —  Le  des- 


août  1699].  DE    BOSSUET.  89 

l'extrait  de  plusieurs  Catéchismes,  dont  il  y  en  a  quelques- 
uns  du  siècle  dernier,  qui  demandent  tous  l'amour  de  Dieu 
dans  le  sacrement  de  Pénitence ^  Si  on  pouvait  trouver, 
Monseigneur,  de  ces  anciens  Catéchismes,  on  y  verrait  tou- 

tineitaire  ne  doit  pas  être  confondu  avec  le  fameux  chanoine  Jean  Le 
Noir,  théologal  de  Séez,  mort  en  1692.  C'est  Jacques  Le  Noir,  né  à 
Paris,  de  Cliarles  Le  Noir,  marchand  de  toile  dans  la  rue  Saint-Denis, 
et  de  Madeleine  Cavelier,  sa  seconde  femme.  Son  père  avait  été  un 
des  pins  lidèles  amis  de  Port-Royal,  et  lui-même  fut  étroitement  lié 
avec  les  Messieurs;  cependant  il  souscrivit  le  formulaire  en  lôg-y, 
lorsqu'il  prit  possession  d'un  canoiiicat  de  Notre-Dame  de  Paris.  Il 
mourut  le  12  janvier  1717,  à  l'â^e  de  soixante-quatre  ans.  Il  était 
frère  de  l'avocat  Le  Noir  de  Saint-Claude,  que  son  dévouement  aux 
relijfieuses  de  Port-Royal  fit  enfermer  en  1707  à  la  Bastille,  d'où  il 
ne  sortit  qu'à  la  mort  de  Louis  XIV.  Le  chanoine  Le  Noir  comptait 
parmi  ses  amis  Bossiiet.  Racine  et  Boileau,  et  c'est  dans  sa  maison  du 
cloître  Notre-Dame  que  mourut  Boileau  {Mémoires  de  Fontaii.e,  t.  II, 
p.  iii'6;  Nécrologe  des  plus  célèbres  défenseurs  de  la  vérité  du  XVIII" 
siècle,  t.  II,  p.  37;  Arnauld,  OEuures,  t.  III,  p.  789  et  766;  t.  IV, 
p.  5,  6,  62;  Racine,  Grands  écrivains,  t.  VII,  p.  809;  E.  Jovy, 
Fénelon  inédit,  p.  293  ;  Bibliothèque  Nationale,  Pièces  originales, 
2121,    fo   i83,  etc.). 

I.  Les  casuistes  enseignaient  que,  pour  obtenir  le  pardon  de  ses 
péchés  dans  le  sacrement  de  pénitence,  il  suffisait  de  la  contrition 
imparfaite  ou  attrition  conçue  par  la  crainte  des  peines  de  l'enfer, 
accompagnée  de  l'espérance  du  pardon,  sans  qu'il  fût  nécessaire  d'y 
ajouter  même  un  simple  commencement  d'amour  de  Dieu.  Leurs 
adversaires  exigeaient  au  contraire,  pour  une  attrition  suffisante,  un 
commencement  d'amour  de  Dieu  pour  lui-même.  Bossuet,  s'appuyant 
sur  le  concile  de  trente  (Sess.  VI,  c.  vi),  était  de  ce  dernier  avis 
(cf.  sa  lettre  du  12  juin,  p.  53),  et,  pour  le  soutenir,  composa  un 
traité  qui  fut  imprimé  après  sa  mort.  Il  s'en  était  déjà  expliqué  dans 
son  Catéchisme,  mais  d'une  manière  trop  peu  précise  au  gré  d'Ar- 
nauUI,  qui  lui  adressa,  par  l'intermédiaire  de  Le  Noir,  des  observa- 
tions auxquelles  le  prélat  répondit  à  la  satisfaction  de  son  critique 
{OEuures  d'.\rnauld,  t.  III,  p.  789  et  766,  lettres  du  12  février  et 
du  i4  mars  1694)-  Sur  cette  question,  voir  A.  Lehmkuhl,  Theologia 
moralis.  (j^  édit.,  1890,  t.  II,  p.  289.  Aujourd'hui,  parmi  les  théolo- 
giens, les  uns  disent  que  toute  attrition  sincère  suffit  pour  la  rémis- 
sion des  péchés  dans  le  sacrement  de  pénitence,  attendu  qu'elle  ren- 
ferme implicitement  un  certain  amour  de  Dieu  ;  les  autres  deman- 
dent que  cet  amour  soit  formulé  par  un  acte  explicite.  Voir  plus  loin, 
p.  179,  180  et  26a. 


90  CORRESPONDANCE  [août  1699 

jours  l'amour  de  Dieu.  M.  Queyras*  en  cite  beaucoup  dans 
son  Éclaircissement,  etc.  Les  livres  cités  dans  les  deux  papiers 
écrits  de  ma  main  sont,  Monseigneur,  entre  les  mains  d'un 
de  mes  amis  et  entre  les  miennes. 

Vous  trouverez  aussi,  Monseigneur,  une  thèse  dressée  par 
le  P.  ÏNarri,  cordelier  conventuel  ^  :  les  atlritionnaires  en  font 
bien  du  bruit.  Ce  sont  des  tlièses  qui  se  soutiennent  tous  les 
mois;  il  serait  bonde  la  i'aire  imprimer  ici. 

Je  n'ai  pu  aller  encore.  Monseigneur,  consulter  les  Rituels 
pour  savoir  ce  qu'ils  disent;  j'espère  y  aller  au  premier  jour 
et  vous  en  rendre  compte.  Permettez-moi,  Monseigneur,  de 
me  recommander  à  vos  saintes  prières  et  de  vous  assurer  de 
mon  profond  respect.  Votre,  etc. 

Le  Noir\ 
Le  0  août    ID99. 

2.  Mathurln  Quéras,  né,  non  pas  en  Gascogne,  comme  le  dit  le 
P.  Rapin,  mais  à  La  Chapelle-la-Reine,  près  de  Nemonrs,  en  Gâtinais 
(alors  dans  le  diocèse  de  Sens),  le  i"'  août  i6i4,  était  fils  d'Antoine 
Quéras  et  de  Suzanne  Régnier.  Elève  du  collège  des  Grassins,  puis 
précepteur  du  fils  de  M.  ïubeuf,  intendant  des  finances,  il  avait  pris 
le  bonnet  de  docteur  le  i'^'"  mars  16/17,  ^près  avoir  obtenu  le  qua- 
trième rang  à  la  licence  de  16^6.  Exclu  de  la  Sorbonne  |)our  avoir 
refusé  de  souscrire  à  la  condamnation  d'Âruauid,  il  fut  pris  pour 
vicaire  général  par  M.  de  Gondrin,  arclievèque  de  Sens,  qui  le  mit  à 
la  tète  de  son  séminaire.  A  la  mort  de  ce  prélat  (167/i),  Quéras  se 
retira  à  Troyes,  dans  son  prieuré  de  Saint-Quentin.  Il  y  mourut  le 
9  avril  1695,  laissant  la  réputation  d'uu  janséniste  modéré,  très  cba- 
ritable  et  fort  austère.  Ses  papiers  sont  conservés  dans  la  bibliotlièque 
de  Troyes,  ms.  10G6.  L'ouvrage  mentionné  ici  par  le  chanoine  Le 
Noir  avait  paru  sans  nom  d'auteur:  Éclaircissement  de  cette  célèbre  et 
importante  question,  si  le  concile  de  Trente  a  décidé  ou  déclaré  que 
l'attriiion  conçue  par  la  seule  crainte  des  peines  de  l'enfer  et  sans 
aucun  amour  de  Dieu  snil  une  disposition  suffisante  pour  recevoir  la 
rémission  des  péchés,  etc.,  Paris,  1686,  in-8  {Nécrologe  des  plus 
célèbres  défenseurs  de  la  vérité  du  XVII^  siècle,  s.  1.,  1761,  in-12, 
p.  289;  le  P.  Rapin,  Mémoires,  t.  I,  p.  ii3;  t.  III,  p.  lo;  G.  Her- 
mant,  Mémoires,  t.  I,  p.  371-878;  t.  IV,  p.  /io2  ;  Grosley,  Mémoires 
sur  les  Troyens  célèbres,  dans  ses  OEuvres  inédites,  Paris,  18 15,  in-8, 
t.  II,  p.  337;  Bayie,  Nouvelles  de  la  république  des  lettres,  février  1686). 

3.  La  thèse  de  ce  cordelier  italien  ne  paraît  pas  avoir  été  imprimée. 
1.   Les  éditeurs   doiineiu  avec  la  date  du  9  août  l(\(j()  une  lettre  k 

Mme  de  Beringben  qui  est  de  1693. 


oci.  1699J  DE   BOSSUET.  91 

1966.    —   A   M™*    CORNUAU. 

A  Meaux,  ce  jeudi  matin,  1699. 

Il  y  a,  ma  Fille,  de  la  charité  à  retirer  la  per- 
sonne dont  vous  me  parlez  de  son  entêtement:  vous 
lui  pouvez  montrer  ze  que  vous  trouverez  à  propos. 
Elle  paraît  bonne  fille,  mais  très  aisée  à  surprendre, 
et  qui  doit  beaucoup  craindre  l'illusion'. 

Cette  sorte  d'oraison  y  est  fort  exposée,  à  cause 
qu'on  y  aime  la  singularité,  et  qu'on  se  met  au 
nombre  de  ceux  qui  trouvent  bas  et  vulgaire  tout 
ce  qui  n'est  pas  raffiné:  mauvais  caractère,  qui  fait 
des  superbes  d'autant  plus  dangereusement  trompés, 
qu'ils  s'imaginent  être  humbles,  en  croyant  que 
Dieu  agit  seulement,  sans  qu'ils  fassent  rien  ;  ce  n'est 
pas  là  l'oraison  ni  la  piété  que  Jésus-Christ  nous  a 
enseignée.  La  simplicité  en  est  la  marque;  la  voie 
commune  et  battue  de  la  charité  en  est  l'âme  ;  Jésus- 
Christ  en  est  le  soutien.  Cette  personne  m'est  fort 
suspecte  de  ce  côté-là.  Il  y  a   bien  de  la  différence 

Lettre  1966.  -^  Cent  cinquante-deuxième  dans  Lâchât  comme 
dans  Ledieu  ;  cent  cinquante  et  unième  dans  Na  et  Ma  ;  cent  cinquan- 
tième dans  Ne;  cent  quarantième  de  Nd.  La  date  est  donnée  par 
Mme  Cornuau;  Ledieu  indique  seulement  l'année:  1699.  Le  mois  est 
incertain. 

1 .  Il  s'agit  d'une  personne  qui  voulait  rester  passive  dans  l'oraison, 
attendant  l'action  de  Dieu.  Les  quiétistes  ont  fort  abusé  de  l'état 
passif.  On  peut  voir,  à  ce  sujet,  les  erreurs  où  est  tombée  Mme  Guyon, 
et  dont  Fénelon  ne  s'est  pas  complètement  préservé  dans  VExamen 
des  principales  questions  agitées  pendant  les  conférences  d'Issy  (ch.  v), 
ouvrajre  inédit  de  l'archevêque  de  Cambrai  publié  dans  la  Revue  des 
Facultés  catholiques  de  l'Ouest.  Anj;ers,  avril  1917,  p.  k'ik-  Cf.  Bos- 
suet,  Instruction  sur  les  États  d'oraison,  1.  VIII,  ch.  xxvi  et  suiv.,  où 
l'évèque  de  Meaux,  à  l'aide  de  sainte  Jeanne  de  Chantai,  explique 
très  bien  jusqu'où  peut  ;iller  la  diminution  de  l'activité  dans  l'oraison. 


ga  CORRESPONDANCE  [oct.  1699 

entre  s'exciter  doucement  et  tranquillement,  et  de- 
meurer immobile  et  sans  action,  en  attendant  que 
Dieu  nous  excite.  Exhortez  cette  bonne  fille  à  lire 
mon  traité  sur  les  Etats  d'Oraison  :  elle  y  trouvera 
la  spiritualité  de  l'Ecriture  et  des  saints.  Surtout  il 
faut  agir  et  s'encourager  soi-même,  et  ne  pas  con- 
tracter une  habitude  d'orgueilleuse  et  présomptueuse 
paresse,  qui  mène  à  la  langueur,  et  par  la  langueur 
à  la  mort. 

Vous  avez  raison,  ma  Fille,  de  dire  que  je  ne  me 
souviens  plus,  ou  presque  plus  de  tout  ce  que  je  vous 
ai  écrit  pour  votre  instruction.  Quand  ce  que  Dieu 
donne  pour  les  âmes  a  eu  son  effet,  il  n'est  plus 
besoin  de  le  rappeler"  avec  effort,  et  il  suffît  que  le 
fond  demeure. 

Prenez  garde,  ma  Fille,  que  je  n'approuve  que  les 
captivités  et  les  impuissances  que  peut  imposer 
l'Epoux  céleste.  Gardez-vous  bien  de  vous  en  faire  à 
vous-même;  allez  néanmoins  sans  scrupule,  et  pré- 
férez ce  qui  est  plus  simple  à   ce  qui  l'est  moins. 

Notre-Seigneur  soit  avec  vous^. 


1967.   —  A  M"'*'  DE  Beringhen. 

A  Germiçny,  12  octobre  1699. 

Votre  lettre  m'a  trouvé.  Madame,  prêt  à  monter 
à  cheval,  c'est-à-dire  en  carrosse,  pour  aller  coucher 

a)  Ne,  V  :  répéter.  —  6)  Ledieu  a  transcrit  toute  cette  lettre,  à  l'exception       1 
de  l'avant-dernier  alinéa. 

Lettre  1961.  —  L.  a.  s.  British  Muséum,  fonds  Egerton  33.  Pu- 


oct.  1699]  DE   BOSSU  ET.  g3 

à  Jouarre  après  un  an  et  demi  d'absence'.  L'abbé  et 
le  président^  sont  à  Paris,  où  ils  apprendront  avec 
joie  l'honneur  de  votre  souvenir. 

Vous  pouvez  "^  faire  entrer  Mme  de  La  Martelière*,  et 
faire  confesser  M.  l'abbé  Priou^  lorsque  vous  le  trou- 
verez à  propos  pour  celles  qui  le  désirent.  J'espère 


bliée  par  M.   J.  F.  Nourrisson,  Histoire  et  philosophie,  Paris,    1860, 
in-18,  p.  76. 

1.  Cette  absence  prolongée  avait  eu  pour  cause  la  part  prise  par 
Bossuet  à  la  querelle  du  quiétisme. 

2.  Deux  neveux  de  M.  de  Meaux,  l'abbé  Bossuet  et  son  cousia 
germain  Bénigne  Ghasot,  président  à  mortier  au  Parlement  de  Metz. 

3.  Edit.  :  pourrez. 

4.  eidit.  :  de  la  Marchère.  —  Anne  Angélique  Goujon  de  Thuisy, 
fille  de  Jérôme  Ignace  Goujon,  marquis  de  Tbuisy,  maître  des 
requêtes,  et  d'Anne  Françoise  d'Haussonville  de  Vaubecour',  avait 
épousé,  le  3  octobre  1(397,  Jean-Baptiste  Pierre  de  La  Martellière 
(21  juin  1671-9  avril  1721),  comte  de  Fay,  seigneur  d'Amillis,  maître 
des  requêtes  en  (69^,  qu'on  voitfigureren  1696  dans  une  cérémonie  à 
Mouroux,  près  de  Faremoutiers.  Il  était  l'arrière-petit-fils  du  célèbre 
avocat  Pierre  de  La  Martellière,  qui  avait  plaidé  pour  l'Université 
contre  les  jésuites  (Bibl.  Nationale,  Pièces  originales  et  Nouveau 
d'Hozier  ;  Archives  de  Seine-et-Marne,  série  E,  348  à  4i4)- 

5.  Edit.  :  l'abbé  de  Prion  autant  que  vous  le  jugerez  à  propos.  — 
L'abbé  Saiomon  Prioux,  de  la  maison  et  société  de  Sorbonne,  avait 
obtenu  le  huitième  rang  à  la  licence  de  1688,  et  pris  le  bonnet  le 
3i  juillet  suivant  II  devint  en  1690  l'un  des  directeurs  du  Séminaire 
des  Missions  étrangères  et  prit  part  à  la  rédaction  des  règlements 
de  cette  Société.  Il  fut  l'un  des  docteurs  qui  se  déclarèrent  contre 
Fénelon  (t.  XI,  p.  470),  et  c'est  lui  qui,  en  1700,  déféra  à  la  Faculté 
les  livres  des  jésuites  (Ledieu,  t.  II,  p.  68).  Il  mourut  en  1708  et 
fut  inhumé,  le  17  septembre,  à  Saint-Landry,  où  il  avait  été  trans- 
porté de  l'église  des  Missions  étrangères  (Adrien  Launay,  Histoire  de  la 
Société  des  Missions  étrangères,  Paris,  189/I,  3  vol.  in-8,  t.  I,  p.  liil\). 
Il  était  fils  de  Jean  Prioux,  natif  de  Rethel,  procureur  au  Parlement 
et  d'Anne  Esmery.  Deux  de  ses  sœurs,  Agnès  et  Marie  étaient  reli- 
gieuses à  Saint-Nicolas  de  Melun  (Bibl.  Nationale,  Pièces  originales 
et  Dossiers  bleus;  registres  de  Saint-Landry,  fr.  32585,  f*  46  à  60, 
passim).  Son  portrait,  peint  par  de  La  Croix,  a  été  gravé  par  Nicolas 
Habert. 


94  CORRESPONDANCE  [oct.  1699 

bien  entonner  la  Messe  pontificale^  J'irai  à  Lusancy 
et  à  La  Ferté-sous-Jouarre,  et  me  rendrai  ici  mer- 
credi. Je  salue  de  tout  mon  cœur  Mme  d'Armainvil- 
liers  et  toute  la  religieuse  et  sainte  jeunesse. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


1968.  —  A  M™"  Cornu  AU. 

A  Germig^ny,   i4  octobre  1699. 

Les  circuits  qu'ont  faits  vos  lettres  pendant  mes 
voyages  à  Fontainebleau  et  ailleurs  ' ,  ont  empêcbé 
que  je  susse  si  tôt  le  péril  oii  a  été  Mme  de  Luynes, 
votre  chère  supérieure.  En  arrivant  de  Jouarre^ 
j'envoie  exprès  à  Torcy  pour  en  apprendre  des 
nouvelles:  n'oubliez  aucune  circonstance,  ma  Fille, 
sans  quoi  je  serai  toujours  en  inquiétude. 

Abandonnez-vous  à  Dieu  ;  ofFrez-lui  vos  peines  pour 
ceux  qui  en  souffrent  de  semblables,  de  quelque  côlé 
qu'elles  viennent.  Vous  y  trouverez  du  soulagement. 

Je  vous  ai  écrit  depuis  quelques  jours  sur  ce  qu  il 

6.   Sans  doute  à  l'occasion  de  la  bénédiction  de  l'Abbesse. 

Lettre  1968.  —  Cent  cinquante-quatrième  dans  Lâchai  comme 
dans  Ledieu  ;  cent  cinquante-troisième  dans  Na  et  Ma  ;  cent  cinquante- 
deuxième  dans  Ne  ;  cent  quarante-neuvième  dans  Nd.  La  date  est 
Fournie  par  Mme  Cornuau.  L'année  seule  est  indiquée  par  Ledieu, 
qui  a  transcrit  toute  cette  lettre. 

1.  Nous  n'avons  pu  suivre  la  trace  de  Bossuet  du  5  août  au  8  octo- 
bre 1699  ;  nous  ne  saurions  donc  fixer  avec  précision  la  date  des 
voyages  du  prélat ?i  Fontainebleau,  ni  dire  en  quels  autres  endroits  il 
a  été. 

2.  On  a  vu  (p.  93  et  gS)  que,  le  12  octobre,  Bossnel  parlait  pour 
Jouarre,  d'où  i!  devait  revenir  le  i^. 


oct.  1699]  DE  BOSSUET.  96 

y  avait  de  plus  pressé  dans  vos  dernières,  principa- 
lement sur  la  serge^,  en  vous  expliquant  que  vous 
ne  devez  point  hésiter  à  en  demander  la  dispense 
toutes  les  fois  que  vous  en  aurez  besoin.  Du  reste,  ma 
Fille,  vous  n'avez  qu'à  offrir  au  saint  Epoux  létat 
où  il  vous  met  par  la  disposition  de  vos  peines.  Je 
vous  ai  résolue  sur  le  principal  de  vos  autres  dou- 
tes. Je  vous  offrirai  de  bon  cœur  à  Dieu,  Mme  votre 
supérieure  et  vous. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


1969.  —  Mémoire  A  M.  le  Comte  de  Pontchartrain, 

SUR    LES    RÉUNIS    DU    DIOCÈSE    DE   MEAUX. 

Le  nombre  des  réunis  est  environ  de  deux  mille  quatre 
cents  ^,  répandus  en  cinquante  ou  soixante  paroisses  du  diocèse 
de  Meaux. 

Mon  dessein  est  de  pourvoir  principalement  et  d'abord  aux 

3.  Cette  lettre  n'a  pas  été  conservée.  —  Sans  doute,  la  sœur  Cor- 
nuau  souffrait  «le  ne  pas  porter  sur  elle  du  lingfe  de  toile. 

Lettre  1969.  —  Les  éditions  placent  à  la  fin  de  mars  1700  ce 
mémoire,  qui  est  en  réalité  du  mois  d'octobre  précédent.  En  effet,  il 
y  est  répondu  dans  une  lettre  du  28  octobre  1699  qu'on  lira  plus  loin. 
D'ailleurs,  le  témoijjnage  de  Ledieu  est  formel:  «...  A  Germigny,  le 
2^  d'octobre,  il  fit  un  mémoire  de  l'état  en  grénéral  de  ces  religion- 
naires,  des  pnroisses  où  il  y  en  a  un  plus  grand  nombre,  des  secours 
spirituels  et  des  livres  dont  ils  ont  besoin,  et  y  joignit  le  dessein 
d'une  ou  deux  missions  dans  les  lieux  principaux.  Ce  mémoire  fut 
envoyé  à  la  Cour  à  la  fin  d'octobre,  et  tout  l'effet  qu'il  eut  en  ce 
temps,  ce  fut  que  trois  ou  quatre  jeunes  demoiselle.s  mal  instruites 
dans  la  religion  protestante  furent  enfermées  aux  Nouvelles  catholi- 
ques de  Paris  »  (Ledieu,  t.  II,  p.  5  et  6).  Une  lettre  d'envoi  devait 
accompagner  ce  mémoire  :  nous  ne  l'avons  pas  retrouvée. 

I.  L'Intendant  constatait  en  1698  l'existence  de  ces  deux  mille 
quatre  cents  nouveaux  catholiques,  vivant  pour  la  plupart  comme 
avant  leur  conversion,  presque  tous   vignerons   ou   artisans,   formant 


96  CORRESPONDANCE  [oct.  1699 

plus  grands  lieux,  dont  l'exemple  fera  plus  d'eflet  dans  le 
voisinage. 

Ces  lieux  sont  Meaux  et,  autour  de  Meaux,  Nanteuil, 
où  était  le  prêche,  Mareuil  et  Quincy;  La  Ferté-sous-Jouane, 
où  il  y  avait  autrefois  un  prêche,  et  Saacy  dans  le  voisinage  ; 
Lisy,  où  était  aussi  un  prêche,  et  à  Claye  pareillement  ;  Saint- 
Denis-de-Rebais  avec  Chalendos  •'  près  de  là,  où  il  y  avait 
aussi  un  prêche. 

Je  pourvoirai  à  Meaux  par  moi-même  et  par  le  clergé  de  la 
ville  :  on  aura  soin  aussi  de  Mareuil  et  de  Quincy,  qui  sont 
plus  proches,  et  dont  les  curés  %  capables  d'ailleurs,  ont  aussi 
des  vicaires. 

A  Nanteuil-les-Meaux*,  où  était  le  temple  et  où  il  y  a 
encore"^  six  cents  personnes  des  réunis,  outre  les  ecclésiasticjues 
que  je  pourrai  envoyer  de  la  ville  de  temps  en  temps,  on  y  a 
besoin  d'un  vicaire  chargé  uniquement  du  soin  journalier  des 
réunis,  et  d'un  maître  et  d'une  maîtresse  d'école. 

A  La  Ferté-sous-Jouarre,  qui  est  un  grand  lieu,  on  aura 
besoin  d'un  prêtre  résidant  :  l'école  y  est  bien  remplie,  tant 
pour  les  garçons  que  pour  les  fdles.  Le  prêtre  de  La  Ferté 
sera  chargé  de  Saacy,  qui  est  à  une  lieue,  où  il  faudra  seule- 
ment un  maître  d'école.  Le  Roi  a  eu  la  bonté  ci-devant 
d'accorder  un  prêtre  à  celte  ville,  Sa  Majesté  étant  sur  le  lieu* 

environ  cinq  cents  familles,  au  lieu  de  quinze  cents  familles  hugue- 
notes qui  vivaient  dans  le  diocèse  avant  la  Révocation  ^Mémoires  des 
intendants,  édit.  de  Boislisle,   li^Si,  in-4,  p.  72  et  i5i). 

2.  Sur  le  château  de  Chalendos,  situé  sur  la  paroisse  de  Saint- 
Siméon,  canton  de  La  Ferté-Gaucher,  voir  aux  Archives  de  Seine- 
et-Marne,  E  227  et  229,  et  Elisée  Briet,  Le  Protestantisme  en  Brie, 
Paris,  i885,  ia-8.  Avant  la  Révocation,  l'exercice  du  culte  protes- 
tant se  faisait  chez  le  seigneur. 

3.  Il  a  déj?!  été  parlé  de  Nicolas  Chéron,  curé  de  Quincy  (tome  IX, 
p.  i5o).  Quant  au  curé  de  Mareuil,  c'était  Philippe  Charpentier, 
qui  signe  les  registres  paroissiaux  du  27  septembre  1690  au  22  septem- 
bre 1735. 

4.  Le  temple  de  Nanteuil  se  trouvait  dans  le  hameau  de  Chermont. 

5.  Ch.  Read,  Bossuet  déooilé,  p    34,  imprime  :  où  il  y  a  eu. 

6.  Louis  XIV  s'arrêta  à  La  Ferté-sous-Jouarre  le  11  mai  et  le 
5  juin  1687  (Journal  de  Dangeau,  t.  II,  p.  42  et  47)- 


ort.  1699]  ^^   BOSSU Kï.  97 

et  en  vovant  la  nécessité,  dont  la  pension  a  été  payée  durant 
cinq  ou  six  ans  sur  les  confiscations  des  fugitifs,  et  qui  ne  se 
paie  plus  depuis  six  ans  ;  et  il  le  faudrait  rétablir. 

Mon  intention  serait,  dans  un  si  grand  lieu,  de  commencer 
par  une  mission  durant  tout  l'Avent,  où  trois  ecclésiastiques 
habiles  trouveraient  une  grande  moisson,  et  au  secours  des- 
quels j'irais  le  plus  souvent  que  je  pourrais. 

Pour  Lisy,  qui  est  un  grand  bourg,  j'y  ai  pourvu  en  toute 
manière,  excepté  à  une  maîtresse  d'école,  qui  y  serait  très 
nécessaire  :  moyennant  cela,  j'espère  que  les  réunis  de  cette 
paroisse  donneront  l'exemple  à  tout  le  diocèse. 

Il  faudrait  un  ecclésiastique  pour  Claye  et  pour  les  envi- 
rons, outre  le  curé  du  lieu,  un  autre  ecclésiastique  pour 
Saint-Denis-de-Rebais,  avec  un  maître  d'école. 

C'est  en  tout,  pour  le  diocèse  de  Meaux,  quatre  prêtres,  trois 
maîtres  d'école  et  deux  maîtresses. 

On  peut  mettre  les  maîtres  d'école  à  cent  vingt  livres,  et  les 
maîtresses  à  cent  francs.  Le  Roi  a  la  bonté,  pour  les  prêtres, 
d'accorder  quatre  cents  francs,  et  c'est  le  moins. 

Outre  cela,  il  y  a  déjà  plus  d'un  an  que  j'ai  fait  travailler 
le  sieur  abbé  Chabert  '  dans  toutes  les  paroisses  de  ce  diocèse 

7.  André  Chabert,  «  commissaire  pour  les  nouveaux  convertis  « 
au  diocèse  de  Meaux  (Cf.  notre  tome  VIII,  p.  99  et  loo).  Depuis 
1696,  il  recevait  déià  du  clergf<^  une  pension  de  /joo  livres,  dont  il 
jouit  jusqu'en  172/I,  date  probable  de  sa  mort.  Après  avoir  habité  aux 
Galeries  du  Louvre,  de  1696  à  1705,  puis  rue  aux  Febvres,  paroisse 
Saint-Martial,  dans  la  Cité,  il  passa  ses  dernières  années,  non  loin  de 
là,  rue  et  paroisse  Saint-Cliristopbe  (Archives  Nationales,  G*  23/i). 
Ledieu,  qui,  en  1701,  le  desservit  auprès  de  M.  de  Bissy  et  le  traita 
de  it  coureur  »,  écrivait  en  1700  :  M.  de  Meaux  «  envoya  le  sieur 
abbé  Chabert  dans  toutes  les  paroisses  du  diocèse  où  il  y  a  des  reli- 
gionnaires,  dès  le  commencement  de  1699,  prendre  leurs  noms  el 
facultés,  en  savoir  le  nombre,  les  faire  aller  aux  instructions,  et  les 
enfants  à  l'école...  Au  mois  d'octobre  suivant,  à  l'occasion  d'une 
nouvelle  déclaration  du  Roi  sur  l'instruction  et  les  mariages  des 
réunis,  il  leur  envoya  de  nouveau  le  même  abbé  Chabert  pour  savoir 
ceux  qui  s'étaient  mariés  contre  les  lois  et  faire  réhabiliter  leurs 
mariages  avec  une  formule  de  profession  de  foi  qu'ils  devaient  faire 
auparavant...  Enfin    l'abbé   Chabert,  prêchant  l'Avent   dernier  à  La 

XII  —  7 


ç)8  CORRESPONDANCE  [oct.  1699 

où  il  y  a  des  réunis,  à  les  visiter  tous  en  particulier,  et  les 
mettre  en  mouvement  :  la  continuation  de  son  travail  m'est 
absolument  nécessaire.  Il  y  a  quatorze  ans  qu'il  sert  à  de 
pareils  emplois  en  Languedoc,  dans  le  Bas-Poitou  ^  et  ailleurs. 
Sa  Majesté  l'a  honoré  de  plusieurs  gratifications,  et  de  huit 
cents  livres  de  pension  par  chacun  an.  Il  mériterait  qu'il  plût 
à  Sa  Majesté  de  lui  fixer  cette  pension,  et  même  de  l'établir 
sur  un  bénéfice,  si  elle  l'avait  agréable,  afin  qu'après  avoir 
consacré  toute  sa  vie  dans  ce  travail,  il  put  avoir  quelque 
établissement  dans  ses  vieux  jours. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  nécessaire  que  des  livres  français  pour 
le  bon  succès  de  l'ouvrage  :  j'en  ai  composé  exprès  pour  cela, 
et  j'ai  répandu  plus  de  deux  mille  exemplaires  de  mon  caté- 
chisme, de  prières  et  d'autres  pareils  ouvrages.  J'ai  pris  des 
mesures  pour  en  faire  des  impressions  au  moindre  prix  qui 
se  pourra,  et,  s'il  plaisait  à  Sa  Majesté  de  nous  aider  dans  ce 
dessein  si  nécessaire,  une  somme  de  mille  écus  nous  mettrait 
au  large,  afin  que  personne  ne  manquât  d'instruction. 

Il  y  aurait  quelques  demoiselles  de  condition  à  mettre  aux 
Nouvelles  catholiques  de  Paris,  comme  Sa  Majesté  a  eu  la 
bonté  de  me  le  faire  espérer.  On  pourrait  à  présent  com- 
mencer par  les  demoiselles  de  Chalendos,  demeurantes  au 
château  de  Chalendos  près  de  Rebais,  chez  M.  de  Chalendos'', 

Ferté-sous-Jouarre,  instruisit  particulièrement  ceux  de  cette  ville  et 
du  voisinage  «   (Ledieu,  t.  II,  p.   5,  et  t.  III,  p.  244)- 

8.  Cf.  H.  de  La  Fontenelle  de  Vaudoré,  Histoire  du  monastère  et  des 
évêques  de  Luçon,  Fontenay-le-Gomte,   i847,  in-8,  2*  partie,  p.  617. 

ç).  Cf.  Mémoires  des  Intendants,  p.  i53.  Alexandre  Luillier,  sieur 
de  Chalendos,  a  été  souvent  confondu  avec  son  cousin  germain 
Alexandre  Luillier,  sieur  du  Breuil,  demeuré  protestant.  Il  était  fils 
d'Alexandre  Luillier,  seigneur  de  Chalendos  en  partie,  demeurant  au 
Pin,  près  de  Lagny,  qui  avait  épousé,  le  21  septembre  i65i,  Marie  de 
La  Planche,  fille  de  feu  Philippe  de  La  Planche,  sieur  de  Villiers, 
gentilhomme  de  la  chambre  du  Roi.  Il  fit  son  abjuration  au  mois  de 
décembre  i685  entre  les  mains  de  Fr.  Caillebot  de  La  Salle,  évéque 
de  Tournay  et  abbé  de  Rebais  (Mercure,  déc.  i685,  p.  260).  Il  étaitsi 
peu  Ji  l'aise  du  côté  de  la  fortune  que,  convoqué  en  1689  avec  le  bap 
et  l'arrière-ban  de  Meaux,  il  déclara  qu'il  «  s'offrait  de  servir,  m  R 
qu'il   n'avait    ni   équipages,  ni    chevaux,   ni    argent,    ni    moyen    d'en 


oct.  1699]  DE  BOSSUET.  gg 

leur  frère,  bien  converti  :  de  quatre  sœurs,  les  deux  cadettes 
sont  celles  qu'il  est  le  plus  nécessaire  de  renfermer  '°. 

Il  y  a  aussi  les  trois  demoiselles  de  Neuville*',  sans  père  et 
sans  mère,  dont  le  frère  est  en  Angleterre,  au  service  du  roi 

avoir  »  {Revue  nobiliaire,  1871).  Néanmoins  il  entretenait  d'excellents 
rapports  avec  les  d'Harville  des  Ursins,  seigneurs  de  Doue.  Il  épousa, 
le  26  juin  169^,  à  Saint-Jean,  de  Rebais,  Henriette-Françoise  TorF 
(al.  Storf),  fille,  croyons-nous,  de  Peu  JonasTorf,  sieur  de  Podendorf, 
gentilhomme  de  la  chambre  du  Roi,  et  d'Anne  Le  Clerc  ;  Louis- 
Armand  de  Scudéry  fut  témoin  de  ce  mariage,  d'où  naquirent  plu- 
sieurs enfants.  Alexandre  de  Chalendos  mourut  le  7  août  1728,  à 
l'âge  de  quatre-vingt-trois  ans  (Etat  civil  de  Doue,  de  Rebais  et  de 
Saint-Siméon  ;  Ilaag,  France  protestante  ;  Elisée  Briet,  le  Protes- 
tantisme en  Brie.  Paris,  i885,  in-8).  On  a  dit  que  les  Luillier  de  Cha- 
lendos étaient  de  la  même  famille  que  Jean  L'Huillier,  évêque  de 
Meaux  de  i483  à  l5oo,  et  que  les  Luillier  aux  Coquilles;  mais  ce 
point  de  généalogie  ne  semble  pas  suffisamment  établi.  Ce  qui  est 
sûr,  c'est  que,  par  sa  grand'mère,  Esther  Guichard  de  Péray,  qui 
avait  épousé  en  i5gi  Théodore  Luillier  de  Chalendos,  gentil- 
homme de  la  Chambre,  fils  de  Jf  an  Luillier,  conseiller  au  Parlement, 
et  de  Calherine  Bochart  de  Champigny,  et  petit-fils  du  conseiller 
Guillaume  Luillier,  notre  Alexandre  Luillier  était  cousin  issu  de 
germain  de  Mlle  de  Péray,  prosélyte  de  Bossuet,  puis  carmélite  sous 
le  nom  de  Sœur  Charlotte  de  Saint-Cyprien.  D'un  autre  côté,  il  était 
apparenté  aux  Bochart  de  Champigny,  et  son  grand-père  Théodore  de 
Chalendos  avait  été  le  cousin  germain  de  Charles  Bochart,  dit  le  P. 
Honoré  de  Paris,  capucin  mort  en  odeur  de  sainteté  en  162^  (Bibl. 
Nationale,  Pièces  originales  et  Dossiers  bleus,  aux  mots  L'Huillier, 
Luii.LiKR  et  Guichard  ;  abbé  F.  Mazelin,  Histoire  du  P.  Honoré  de 
Paris,  Paris,  1882,  in-12,  p.  6). 

10.  M.  de  Chalendos  avait  eu  onze  frères  et  sœurs.  L'une  de  ces 
sœurs,  Henriette,  fut  mise  aux  Nouvelles  catholiques  de  Paris,  puis, 
comme  elle  ne  donnait  aucun  espoir  de  conversion,  elle  fut  envoyée 
au  château  de  Saumur,  où  bientôt  après  elle  perdit  l'esprit.  Elle  passa 
alors  quelque  temps  chez  un  chirurgien  nommé  du  Bignon  ;  après 
quoi,  elle  fut  mise  chez  les  Hospitalières  de  Saumur,  où  le  Roi  paya 
pour  elle  trois  cents  livres  de  pension  (Archives  Nationales,  0'46, 
II  janvier  1702;  O1362,   F  3^o  ;  0'363,  fo«  182  et  aS/j). 

11.  Les  renseignements  font  défaut  sur  la  famille  de  Neuville.  — 
La  duchesse  de  Hanovre,  en  1712,  s'intéressait  à  une  Dlle  de  Neu- 
ville, protestante  réfugiée,  qui  aurait  voulu  rentrer  en  possession 
de  ses  biens  (Correspondance  de  Madame,  trad.  Jaeglé,  2*  édit.,  1890, 
in-l8,  t.  II,  p.   162). 


lOO  CORRESPONDANCE  [oct.  1699 

Guillaume.  Elles  n'ont  rien,  non  plus  que  les  demoiselles  de 
Clialendos;  et  il  faudrait  enfermer  les  deux  cadettes  :  leur 
demeure  est  à  Cuisy,  paroisse  d'Ussy,  près  de  La  Ferté-sous- 
Jouarre. 

Sur  la  même  paroisse  d'Ussy,  il  y  a  les  deux  jeunes  demoi- 
selles de  Maulien  *-,  qu'il  faudra  aussi  renfermer  avec  le 
temps,  mais  qui  ne  sont  pas  présentement  sur  les  lieux. 


1970.   —  A  Jacques-Bémgne  Winslow. 

A  Germigny,  3D  octobre  iGqq. 

Je  vous  envoie,  Monsieur,  la  lettre  que  vous  dé- 

12.  Aujourd'hui,  Moliens.  Mme  de  Molien,  Elisabeth  de  Riiquet, 
fille  de  Charles  de  R.iquetde  Molien  et  veuve  de  François  de  Raquet, 
seigneur  de  Cuisy  et  de  Molien,  avait  abjuré  à  Menux  entre  les  mains 
de  l'évèque,  avec  son  fils  Alexandre,  âgé  d'environ  dix  ans  (3i  dé- 
cembre i685).  Peu  de  temps  auparavant,  elle  avait  perdu  son  mari, 
qu'elle  avait  épousé  en  1675  ;  peut-être  avait-elle  eu  les  filles  dont 
parle  ici  Bossuet.  Peut-être  celles-ci  étaient-elles  deux  des  cinq  filles 
(Antoinette,  Catherine,  Elisabeth,  Marie  et  Anne)  de  feu  Samuel  de 
Raquet,  et  de  feu  Marquise  d'Aubry,  domiciliés  au  hameau  de  Cuisy, 
qui  avaient  abjuré  à  Ussy  le  24  décembre  i685  (Etat  civil  d'Ussy). 
Lettre  1910.  —  Inédite.  Copie  faite  sur  l'original,  qui  était  en  la 
possession  de  M.  Lullier,  docteur  de  la  Faculté  de  médecine  de  Paris 
et  arrière-petit-fils  de  Winslow  ;  communiquée  par  M.  l'abbé  Guéry, 
aumônier  du  lycée  d'Évreux.  —  Jacques  Winslow,  né  le  2  avril  1669 
à  Odensee,  dans  l'île  de  Fionie,  était  fils  d'un  pasteur  luthérien  et 
petit-fils  d'une  sœur  du  célèbre  anatomiste  Sténon,  qui,  s'étant  Fait 
catholique,  avait  été  nommé  vicaire  apostolique  pour  les  pays  du  Nord. 
Il  fut  destiné  au  ministère  pastoral,  mais  ayant  renoncé  à  la  théologie 
pour  étudier  la  médecine,  il  vint  à  Paris  en  1698,  fut  converti  par 
Bossuet  et  abjura  le  luthéranisme  ii  Germigny,  le  8  octobre  1699.  Il 
prit  ensuite  le  doctorat  dans  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  puis  fut 
nommé  membre  de  l'Académie  des  Sciences,  interprète  à  la  Biblio- 
thèque du  Roi  et  enfin  professeur  d'anatomie  au  Jardin  royal.  Il  se 
fit  remarquer  par  son  opposition  à  la  résolution  prise  par  la  Faculté, 
de  repousser  la  bulle  Uniqenitiis.  Il  mourut  le  /i  avril  1760,  âgé  de 
quatre-vingt-onze  ans,  et  fut  inhumé  à  Saint-Benoît.  Après  la  '  évo- 
lution, son  inscription  funéraire  a  été  placée  à  Saint-Etienne-du  Mont 


oct.  1699]  DE   BOSSUET.  lOI 

sirez  pour  M.  l'abbé  Bignon',  que  vous  lui  rendrez 
vous-même.  J'annonce  votre  dessein  de  vous  loger 
chez  M.  Duvernet^  pour  quatre  mois.  M.  de  Saint- 
André'  vous  dira  le  surplus  de  mes  intentions. 

(Cf.  E.  Raunlé,  ÉpUaphier  da  Vieux  Paris,  t.  I,  p.  355).  On  a  de 
lui  nombre  de  mémoires  insérés  dans  les  recueils  de  l'Académie  des 
Sciences  ;  son  principal  ouvrasse  est  V Exposition  anaiomiqiie  de  la 
strncUirc  da  corps  humain  (Paris,  1732,  in-4),  demeurée  longtemps 
classique.  La  bibliothèque  Mazarine  (ms.  1 167)  conserve  un  recueil 
de  copies  revues  par  Winslow  lui-même  et  contenant  sur  sa  per- 
sonne et  sur  sa  vie  de  précieux  renseignements.  Il  avait  épousé, 
vers  171/t,  Jeanne-Françoise  Gilles,  de  qui  il  eut,  en  1715,  un  fils 
qui  mourut  avant  lui  capitaine  de  vaisseau,  sans  postérité,  et  en 
1716  une  fille  qui  se  maria,  au  mois  de  janvier  17^7,  avec  un 
médecin,  Le  Clhat  de  La  Sourdière.  C'est  de  celle-ci  que  descendait 
le  docteur  Lullier-Winslow,  l'un  des  auteurs  du  Dictionnaire  des 
sciences  médicales,  Paris,  181 3  (Voir  les  Nouvelles  ecclésiastiques, 
années  1728,  I73i,  1736,  etc.;  Eloge  de  Winslow  prononcé  à  l'Aca- 
démie des  Sciences  le  12  novembre  1760  par  Grandjean  de  Fou- 
chy  ;  Ch.  Urbain,  Un  prosélyte  de  Bossuet,  dans  la  Revue  du  Clergé 
français,  du  i5  septembre  1902,  et  Anecdotes  sur  la  vie  de  Bossuet, 
dans  la  Revue  d'histoire  littéraire,  janvier  i9o3;  Bulletin  de  la  So- 
ciété d'histoire  de  la  médecine,  t.  V  (1906),  p.  358  et  suiv.  ;  P.  De- 
launay.  Le  monde  médical  parisien  au  XVIII^  siècle,  Paris,  1906, 
in-8  ;  Vilhem  Maar,  Autobiographie  de  ,}.-B.  Winslow,  Copenhague 
et  Paris,  191 2,  in-8;  Bibl.  Nationale,  Dossiers  bleus). 

1.  Ayant  appris  que  M.  Duliamel  voulait  faire  connaître  à  l'Aca- 
démie des  Sciences  le  petit-neveu  de  Sténon,  «  M.  de  Meaux,  mon 
père  et  mon  patron,  me  procura  la  connaissance  de  M.  l'abbé  Bignon 
par  une  lettre,  qu'il  me  donna  pour  lui  porter  moi-même  »  (Winslow, 
dans  la  Revue  du  Clergé,  p.  i3i).  —  L'abbé  Bignon  (cf.  t.  V,  p.  809) 
était  président  de  l'Académie  des  Sciences. 

2.  Ayant  formé  ce  projet,  dit  Winslow  (^Revue  du  Clergé,  p.  120), 
j'en  écrivis  h  M.  de  Meaux,  «  qui  l'approuva  par  une  réponse  vraiment 
paternelle  écrite  de  sa  propre  main,  que  je  garde  encore  précieuse- 
ment »,  C'est  cette  réponse  que  nous  donnons  ici.  — Guichard  Joseph 
du  Verney  (i 648- 1730),  membre  de  l'Académie  des  Sciences  et  profes- 
seur d'anatomie  au  Jardin  du  Roi.  Il  fut  l'un  des  médecins  de  Bossuet, 
qui  l'avait  connu  dès  le  temps  de  l'éducation  du  Dauphin  (Voir  les 
Éloges  de  Fontenelle,  édit.  Fr.  Bouillier,  Paris,  s.  d.,  in-i8,  p.  2^8). 

3.  L'abbé  de  Saint-André  avait  été  le  parrain  de  confirmation  de 
Winslow  et  l'avait  préparé  à  faire  sa  confession  générale. 


I02  CORRESPONDANCE  [oct.  1699 

Je  reçois  tous  les  témoignages  de  votre  amitié 
comme  un  bon  père'  celle  de  son  enfant,  et  suis  à 
vous  de  tout  mon  cœur,  priant  Dieu  d'augmenter 
ses  dons  en  vous, 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


1971.  —  Le  Comte  de  Pontchartrain  a  Bossuet. 

28  octobre  1699. 

J'ai  lu  au  Roi  le  mémoire  que  vous  avez  pris  la  peine  de 
m'envoyer*.  S.  M.  prendra  sa  résolution  sur  tout  ce  qui 
regarde  les  missionnaires  et  les  maîtres  et  maîtresses  d'école 
dont  vous  parlez. 

A  l'égard  des  Dlles  de  Clialendos,  de  Neuville  et  de  Molien  "^, 
j'envoie  dès  aujourd'hui  à  M.  Phelypeaux  ^  des  ordres  pour 

[\.  Bossuet  suivit  avec  sollicitude  son  prosélyte  dans  la  vie.  En 
témoignage  d'affection,  illui  avait  donné,  à  la  confirmation,  sou  nom 
de  Bénigne,  comme  en  fait  foi  le  certificat  qu'il  lui  délivra  : 
«  M.  Wiaslovv  ayant  déjà.Ie  nom  de  Jacques,  qui  est  l'un  des  miens, 
je  lui  ai  donné  en  le  confirmant  celui  de  Bénigne  que  je  porte  aussi  ; 
et  je  lui  en  ai  donné  ce  témoignage,  ce  jour  de  Saint-Saintin, 
XI  octobre  1699,  ^-  Bénigne,  é.  de  Meaux.  » 

Lettre  1911.  —  Archives  Nationales,  0'/i3,  f°  35/»,  copie. 
Publiée  par  Cli.  Read  dans  Bossuet  dévoilé,  p.  34- 

I.    Celui  qu'on  vient  de  lire,  p    g5  et  suiv. 

:>..  La  copie  :  A  l'égard  de  la  Dlle  de  Chalendos  de  Neuville  et  de 
la  Dlle  Molien.  Leçon  fautive,  comme  il  paraît,  soit  par  le  texte  du 
mémoire  de  Bossuet,  soit  par  celui  de  la  lettre  à  Plielipeaux  que  nous 
allons  transcrire. 

3.  Jean  Phelypeaux,  intendant  de  Paris  (l.  \I,  p.  73).  Voici  le 
texte  de  la  lettre  que  lui  adressa  Pontchartrain  :  «  Ayant  reçu  de 
M.  l'évèque  de  Meaux  un  mémoire  par  lequel  il  me  marque  qu'il 
serait  nécessaire  de  mettre  dans  la  maison  des  Nouvelles  catholiques 
de  Paris  les  demoiselles  de  Chalendos  et  de  Neuville,  j'en  ai  rendu 
compte  au  Roi,  qui  m'a  ordonné  de  vous  écrire  d'envoyer  prendre 
une  des  Dlles  de  Chalendos,  qui  s'appelle  Henriette  et  qui  demeure 
au  château  de  Chalendos  près  de  Rebais,  et   les  deux  cadette  ides 


iiov.  1699]  DE  BOSSUET.  io3 

faire   mettre   dans   la  maison  des  Nouvelles  catholiques  de 
Paris  celles  que  vous  proposez. 


1972.  —  Le  Comte  de  Pontchartrain  a  Bossuet. 

9"  novembre  1699. 

J'ai  reçu  la  lettre  que  vous  m'avez  écrite  concernant  le 
nommé  de  Vrillac',  de  La  Ferté-sous-Jouarre,  qui  s'est 
absenté  et  qui  a  laissé  un  bien  assez  considérable,  que  vous 
voudriez  appliquer  aux  dépenses  à  faire  pour  l'instruction  des 
nouveaux  catholiques.  Mais,  comme  la  confiscation  ne  peut 
avoir  lieu  que  quand  il  sera  condamné,  il  faut  attendre 
qu'il  ait  été  rendu  un  jugement'-  contre  lui;  après  quoi, je 

Dlles  de  Neuville,  qui  demeurent  à  Guissy,  paroisse  d'Ussy,  près  La 
Ferté-sous-Jouarre.  lesquelles  vous  ferez  conduire,  s'il  vous  plaît,  aux 
?Souvelles  catholiques.  Il  y  a  aussi  sur  la  même  paroisse  d'Ussy  deux 
jeunes  demoiselles  nommées  de  Molien,  que  M.  de  Meaux  croit  néces- 
saire de  renfermer  ;  mais,  comme  elles  ne  sont  pas  présentement 
sur  les  lieux,  il  ne  faudra  les  envoyer  aux  Nouvelles  catholiques  que 
de  concert  avec  M.  de  Meaux  et  dans  le  temps  qu'il  dira  »  (0'i43, 
f°  354  v",  28  octobre  1699).  Les  deux  demoiselles  de  Neuville 
furent  transférées  des  Nouvelles  catholiques  au  château  de  Saumur 
à  la  fin  de  janvier  1701,  en  même  temps  que  Mlle  Henriette  de 
Chalendos  (0'/i5,  f»^  l5  et  34). 

Lettre  1912.  —  Archives  Nationales  0'43,  f"  36o.  Publiée  par 
M.  Gh.  Read,  Bossuet  dévoilé,  p.  36. 

1.  On  verra  plus  loin  qu'on  veut  parler  de  Jacques  de  Vrillac,  sieur 
de  Biard,  marchand  à  La  Ferté-sous-Jouarre.  Il  était  frère  de  Pierre 
de  Vrillac,  avec  qui  Bossuet  échangea  plusieurs  lettres  (Gf.  t.  III, 
p.  i48,  181,  2o4j  335  et  279).  I!  s'était  converti,  et  avait  pu  ainsi 
être  mis  en  possession  des  biens  de  ses  parents  fugitifs  ;  puis  il  s'était 
retiré  à  létranger  (vers  le  mois  d'octobre  1699).  Après  avoir  perdu 
sa  première  femme,  Gatlierine  de  Besset,  en  juillet  1676,  il  avait 
épousé  en  secondes  noces  Madeleine  Le  Glerc,  veuve  de  Louis  Lon- 
gelet  (Registres  de  la  communauté  protestante,  à  La  Ferté). 

2.  Ge  jugement  fut  rendu  conformément  aux  désirs  de  Bossuet. 
Gependant  le  prélat  n'obtint  pas  toute  la  fortune  du  fugitif.  En  effet, 


Io4  CORRESPONDANCE  [nov.  1699 

le  proposerai  au   Roi  suivant  vos  intentions  ^   Je  suis,  etc. 

une  somme  de  dix  mille  livres  en  fut  dlstr;iite  au  profil  du  marquis  de 
Louville,  à  la  suite  d'une  requête  adressée  par  celui-ci  au  Conseil,  et 
dont  voici  le  résumé.  «  Le  sieur  de  Louville,  gentilhomme  de  la 
manche  de  Mgr  le  duc  d'Anjou,  expose  que  le  sieur  de  Lliumière, 
son  oncle  maternel,  doit  par  un  contrat  de  constitution  une  somme 
de  dix  mille  livres  en  principal,  tant  à  Jacques  de  Vrillac,  sieur  de 
Biard,  qu'à  Charlotte  de  Vrillac,  sa  sœur.  Cette  Charlotte  de  Vrillac 
est  temme  du  sieur  Le  Sueur,  ci-t!evant  ministre  de  La  Ferté-sous- 
Jou.irre,  qui  s'est  retiré  depuis  longtemps  en  Hollande  avec  toute  sa 
famille,  et  il  n'est  resté  en  France  que  Jacques  de  Vrillac  de  Biard, 
frère  de  cette  Charlotte,  qui  a  joui  de  ses  biens  en  vertu  de  la  décla- 
ration du  Roi,  ayant  fait  abjuration.  Ce  nouveau  converti,  s'élant 
repenti  de  s'être  fait  catholique,  a  tout  abandonné,  a  passé  depuis 
deux  mois  dans  les  pays  étrangers  et  a  laissé  auprès  de  La  Ferté-sous- 
Jouarre  et  ailleurs  pour  plus  de  vingt-cinq  mille  livres  d'effets,  sans 
compter  les  dix  mille  qui  lui  sont  dues  par  moitié  avec  sa  sœur. 
Comme  il  méditait  sa  retraite  depuis  longtemps,  il  a  offert  plusieurs 
fois  au  dit  sieur  de  Lhumière  de  le  quitter  pour  peu  de  chose  des 
dix  mille  livres  qu'il  lui  devait  ;  ce  qu'il  a  re  été  pour  ne  pas  contri- 
buer à  son  évasion  et  encore  moins  contrevenir  aux  ordres  de  S.  M. 
Le  fugitif  et  sa  sœur,  femme  du  ministre,  n'ont  laissé  aucun  héritier 
en  France,  tous  étant  sortis  pour  fait  de  religion.  Le  sieur  de  Lou- 
ville représente  encore  que  son  oncle  est  lui-même  le  dénonciateur 
de  sa  propre  dette,  dont  personne  que  lui  n'a  connaissance,  et  il  lui 
aurait  été  aisé  par  ce  moyen,  en  gardant  le  silence,  d'en  profiter. 
Mais,  comme  il  a  cru  par  délicatesse  que  sa  conscience  y  serait  en- 
gagée, il  a  recours  à  S.  M.,  à  qui  tout  ce  bien  appartient  par  sa 
confiscation,  pour  lui  demander  en  faveur  de  son  neveu  la  remise 
de  ladite  somme  de  dix  mille  livres  seulement.  Et  au  cas  que  la  piété 
de  S.  M.  la  porte  à  vouloir  employer  de  ces  sortes  de  biens  en  œu- 
vres pies,  elle  en  trouvera  encore  dans  ceux  dont  est  question  pour 
plus  de  vingt-cinq  mille  livres  »  (Séance  du  conseil  d'Etat,  2  janvier 
1700,  aux  Archives  Nationales,  TT  435.  En  marge  :  Bon  pour  les  dix 
mille  livres  et  les  arrérages).  —  Charles  Auguste  d'Allonville,  mar- 
quis de  Louville,  frère  du  mathématicien,  était,  par  sa  mère  Marie 
Charlotte  de  Vaultier,  neveu  de  Philippe  de  Vaullier,  sieur  de  Lhu- 
mière, terre  voisine  de  Guérard  (Voir  t.  V,  p.  280,  et  t.  VI,  p.  379). 
3.   Read  :  selon  vos  instructions. 


[699J  DE   BOSSUET.  io5 


1978.  —  Le  Comte  de  Po^tchartraix  a  Bossuet. 

Il  novembre  1699. 

Vous  avez  sans  doute  connaissance  de  la  lettre  qu'un  théo- 
logien vous  écrit,  qui  tend  à  éluder  la  condamnation  du 
livre  de  M.  de  Cambrai  par  la  distinction  du  fait  et  du  droit  '. 
Cette  lettre  se  débite  à  Paris,  et  j'en  ai  reçu  un  exemplaire 
par  la  voie  de  M.  d'Argenson.  J'en  ai  parlé  au  Roi,  qui  m'a 
ordonné  de  savoir  de  vous  ce  que  vous  croyez  qu'on  doive 
faire  pour  la  défense  de  cette  lettre  par  rapport  aux  consé- 
quences que  peut  avoir  une  sévère  défense  ou  une  trop  grande 
dissimulation.  Cette  lettre  parle  d'un  Traité  historique  con- 
tenant le  jugement  d'un  protestant  sur  la  théologie  mystique  -,  le 
quiélisme  et  les  démêlés  d'entre  vous  et  M.  de  Cambrai, 
imprimé  en  Hollande  depuis  quelque  temps.  Je  vous  prie 
aussi  de  me  faire  savoir  votre  sentiment  sur  ce  livre,  et  si 
vous  jugez  qu'on  doive  faire  quelques  diligences  pour  en  dé- 
fendre le  débit  ^. 

Je  suis,  etc. 


197  A.  —  A  M""'  Cornu  AU. 

A  Paris,  26  novembre  1699. 

J'écris  à  Mme  de  Luynes,  pour  la  prier,  ma  Fille, 
de  ne  point  venir  à  Paris  sans  vous.    Je  m'offre  à 

Lettre  1913.  —  Bibliothèque  Nationale,  Clérarabault  689,  f»  i43o. 
Publiée  dans  la  Correspondance  admlnistratire  sous  le  règne  de  Louis  XIV, 
par  Guil.  Depping-,  Paris,  i855,  in-4,  t.  I\  ,  p.   197. 

I.   Voir  plus  haut,  p.  82. 

3.   C'est  le  traité  de  Jurieu,  dont  il  a  été  question,  p.  80. 

3.  Le  même  jour,  Pontchartrain  demanda  aussi  l'avis  de  l'arche- 
vêque de  Paris  (Archives  Nationales,  0^3,  ï°  363). 

Lettre  1974.  —  Cent  cinquante-cinquième  dans  Lâchât  comme 
dans  Ledieu  ;    cent    cinquante-quatrième  dans    Na  et  Ma  ;    cent   cin- 


Io6  CORRESPONDANCE  [nov.  1699 

demander  votre  obédience  à  Mgr  l'archevêque', 
même  à  faire  pour  vous  tout  ce  qui  se  pourra  pour 
voire  repos.  Vous  pouvez  prendre  les  mesures  dont 
vous  me  parlez.  Ne  suivez  pas  votre  inclination, 
mais  les  ouvertures  que  vous  trouverez  ;  et  vous  les 
devez  regarder  comme  un  témoignage  de  la  volonté 
de  Dieu  et  un  effet  de  sa  bonté. 

Je  pars  demain ^  s'il  plaît  à  Dieu;  je  ferai  par 
lettres,  le  mieux  que  je  pourrai,  ce  que  le  temps  ne 
me  permet  pas  de  faire  de  vive  voix. 

Vous  avez  pour  père,  en  ce  qui  regarde  votre  vo- 
cation, Mgr  l'archevêque  :  remettez-vous  en  ses  bon- 
tés plus  que  paternelles,  et  ne  m'épargnez  pas  dans 
le  besoin. 

Saluez  de  ma  part  Mme  de  Luynes,  et  croyez-moi 
tout  à  vous,  et  toujours  résolu  à  ne  vous  abandonner 
point. 

Je  prie  Notre-Seigneur,  ma  Fille,  qu'il  soit  avec 
vous. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Vous"  pouvez  vous  confesser  à  la  personne  dont 

a)  Les  lignes  suivantes,  mises  dans  le  corps  de  la  lettre  par  les  éditeurs, 
sont  un  post-scriptum,  comme  l'indiquent  le  ms.  Ma  et  la  copie  de  Ledieu, 
où  cette  lettre  est  transcrite  intégralement. 

quante-lroisième  dans  Ne  et  dans  un  manuscrit  de  l'abbaye  de  Gomer- 
fontaine  venu  récemment  à  notre  connaissance;  cent  cinquantième 
dans  Nd.  La  date  est  donnée  par  Mme  Cornuau  ;  Ledieu  s'est  borné 
à  noter  l'année. 

1.  L'archevêque  de  Paris,  dans  le  diocèse  duquel  était  situé  Torcy  ; 
les  religieuses  devaient  donc  avoir  son  agrément  pour  sortir  de  leur 
couvent. 

2.  Bossuet,  dont  la  présence  à  Meaux  est  constatée  le  2/i  novembre, 
se  trouvait  à  Paris  le  26  ;  il  était  à  Versailles  le  39.  En  disant  qu'il 
part  demain.  Bo>suet  veut  peut-être  parler  de  son  voyage  à  Versailles, 
qui  est  en  effet  de  cette  époque  et  dura  jusqu'au  9  décembre.  t 


nov.  1699J  DE   BOSSUET.  107 

VOUS  me  parlez:  ne  vous  embarrassez  pas  de  certai- 
nes matières  qui  vous  peinent. 


1975.   —  A  MM.   DU  Pkésidial  de  Meaux. 

A  Versailles,  26  novembre  1699. 

Messieurs,  je  ne  puis  m'empêcher  d'envisager 
toujours  avec  crainte  les  fâcheuses  suites  de  l'aflaire 
qui  partage  aujourd'hui  toute  notre  ville.  Quel  qu'en 
puisse  être  l'événement,  il  sera  toujours  funeste  à  la 
charité  que  je  désirerais  y  pouvoir  conserver  au 
prix  de  mon  sang.  Je  vous  supplie  donc,  Messieurs, 
par  les  entrailles  de  la  miséricorde  de  Jésus-Christ, 
de  me  donner  vos  justes  ressentiments  contre  les 
auteurs,  quels  qu'ils  soient,  de  cet  ouvrage  de  té- 
nèbres. J'écris,  en  même  temps,  à  M.  le  Président 
MacéS  que  je  ne  croirai  jamais  capable  d'une  entre- 
Lettre  1975.  —  L.  s.  Copie  faite  par  A.  Floquet  sur  l'original 
appartenant  à  M.  de  Longpérier,  de  Meaux.  Inédite.  —  Le3i  mai  1699 
avait  été  répandue  à  Meaux  une  chanson  injurieuse  au  Présidial  et  à 
chacun  de  ses  membres.  On  accusa  M.  Macé,  président  en  l'élection, 
d'en  être  l'auteur.  Il  s'en  défendit.  De  part  et  d'autre  le  feu  s'alluma 
et  on  craignit  un  grand  procès.  Bossuet,  pour  préparer  les  esprits 
h  la  paix,  écrivit  aux  membres  du  Présidial  cette  lettre,  qu'il  envoyait 
à  Nicolas  Payen,  chef  du  Présidial,  avec  qui  il  était  en  relation 
d'amitié.  De  retour  à  Meaux,  il  sollicita  si  bien  les  parties  qu'elles 
firent  leur  soumission  entre  ses  mains  et  signèrent  la  paix  le  3i  dé- 
cembre 1699.  Toutefois  l'affaire  ne  fut  complètement  terminée  que 
le  10  mai  1700  (Ledieu,  t.  II,  p.  4,  5,  3a  et  33). 

I.  Macé  le  fils,  dit  Ledieu  (t.  II,  p.  4  et  33).  C'était  Antoine 
Macé,  qui  avait  depuis  peu  succédé,  comme  président  en  l'élection  de 
Meaux,   à  son  père,  encore  vivant  et   aussi  nommé  Antoine.    Celui-ci 


Io8  CORRESPONDANCE  [nov.  1699 

prise  comme  celle-ci.  La  déférence  que  vous  aurez 
pour  votre  pasteur,  qui  vous  honore,  qui  vous  con- 
sidère, qui  vous  aime  autant  que  je  fais,  ne  peut  être 
qu'avantageuse  à  un  corps  aussi  sage,  aussi  modéré, 
aussi  digne  de  considération  que  le  vôtre.  Faites- 
moi  donc  cet  honneur,  que  je  compterai  pour  beau- 
coup, de  laisser  là  une  poursuite  qui  ne  peut  jamais 
produire  que  du  mal  en  causant  des  inimitiés  et  des 
vengeances  où  je  ne  vois  point  de  fin.  Que  si  vous 
ne  croyez  pas  pouvoir  m'accorder  un  renoncement 
entier,  j'espère,  du  moins,  que  vous  ne  me  refuserez 
pas  un  délai  jusqu'à  ce  que  je  sois  sur  les  lieux,  ce 
qui  sera  bientôt,  s'il  plaît  à  Dieu.  Je  me  sentirai 
éternellement  votre  obligé  pour  cette  complaisance, 
et  je  la  reconnaîtrai  par  tous  les  services  dont  je 
serai  jamais  capable  envers  votre  compagnie  et  en- 
vers tous  les  particuliers  qui  la  composent,  étant 
d'ailleurs  avec  une  estime  particulière,  Messieurs  , 
votre  très  humble  serviteur. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


était  fils  de  Romaine  Monguillon,  qui  figure  dans  notre  tome  II, 
p.  371,  comme  fondatrice  desI^Ues  charitables  de  La  Ferlé-Gaucher, 
et  il  y  a  lieu  de  corriger  ce  que  nous  avons  dit  alors  des  Macé  établis 
à  Meaux.  Quant  à  Macé  le  fils,  il  épousa  Catherine  Navarre,  cousine 
du  chanoine  de  ce  nom  (Ledieu,  t.  IV,  p.  6  i).  Il  mourut  sans  doute 
en  1700,  car,  aux  mois  d'août  et  de  septembre  de  cette  année,  son 
office  fut  vendu  par  sa  veuve,  tutrice  de  quatre  enfants  mineurs,  à 
l'avocat  Denis  Muly  (Registres  paroissiaux  de  La  Ferté-Gaucher  et 
de  Saint-Remy  de  Meaux;  Bibliothèque  Nationale,  Pièces  originales). 


/i 


nov.  1699]  DE   BOSSUET.  109 


1976.  —  A  Nicolas  Payen, 

Vous  aurez  sans  doute  bien  agréable  que  je  vous 
prie  de  vouloir  rendre  à  MM.  du  Présidial,  dont  vous 
êtes  le  digne  chef,  la  lettre  que  je  vous  envoie.  Je 
vous  l'adresse  toute  ouverte,  afin  que  vous  en  voyiez 
le  contenu  et  que  vous  appuyiez  de  votre  crédit  le 
dessein  que  la  seule  charité  pastorale  et  paternelle 
m'a  inspiré.  J'espère,  Monsieur,  y  réussir,  si  vous 
y  joignez  voire  suffrage,  que  votre  mérite,  autant  que 
votre  charité,  rend  si  considérable  en  cette  occasion. 
Ce  succès  vous  fera  honneur,  je  l'oserai  dire,  et  me 
fera  un  plaisir  extrême.  J'attends  cet  effet  de  1  ami- 
tié qui  est  entre  nous,  et  je  serai  toujours  avec  la 
confiance  et  l'estime  que  vous  savez.  Monsieur, 
votre  très  humble  serviteur. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux, 

A  Versailles,  26  novembre  1699. 

Au  bas:  M.  le  Lieutenant  général. 


1977.    A  M""   DE    Bëringhen. 

A  Versailles,  29  novembre  1699. 

Je  suis  très  aise,  Madame,  que  M.  de  La  Roque\ 

Lettre  1916.  —  L.  a.  s.  Collection  du  baron  H.  de  Rothschild. 
Inédite.  —  Bossuet  a  daté  sa  lettre  en  tète  et  à  la  fin. 

Lettre  1911.  —  L.  a.  s.  Archives  de  Saint-Sulpice.  Publiée  pour 
la  première  fois  dans  l'édition  de  Versailles,  t.   XLIII,  Supp.,  p.  5i. 

I.  François  de  La  Rocque,  originaire  du  diocèse  de  Glermont, 
maître  es  arts  du  28  août  iG^Q,  avait  obtenu  le  vingt  et  unième  rang 


iio  CORRESPONDANCE  [déc.  1699 

notre  ancien  théologal,  prêche  TAventet  le  Carême 
chez  vous.  Il  est  approuvé  pour  cela  et  pour  les  con- 
fessions mêmes  des  religieuses.  C'est  un  homme  de 
piété  et  de  doctrine. 

Je  ne  puis,    Madame,    vous    remercier  assez  de 
toutes  vos  bontés,    ni  vous  témoigner  assez    com- 
bien^ je  vous  suis  acquis,  et  à  la  sainte  maison. 
J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


1978.  —  A  M"""  DE  Beringhen. 

A  Versailles,  4  décembre  1699. 

Je  serais  fâché,  Madame,  que  vous  sussiez  d'autre 
que  de  moi  la  disposition  que  je  fais  de  la  personne 


à  la  licence  de  i654,  et  pris  le  bonnet  le  3o  juin  de  la  même  année.  Il 
fut  théologal  sous  M.  de  Ligny,  el  vicaire  capitulaire  sede  vacante.  A 
la  fin  de  novembre  1681,  après  la  nomination  de  Bossuet  à  Meaux, 
il  quitta  cette  ville,  et  vint  se  fixer  h  Paris.  Il  fut  professeur  au 
collège  de  Navarre,  et,  de  juillet  1701  au  1"  août  1708,  puis  du 
mois  d'août  1707  jusqu'à  sa  mort,  en  1718,  doyen  de  la  Faculté  de 
théologie.  11  souscrivit  le  fameux  Cas  de  conscience  ;  mais,  sur  les 
instances  de  Bossuet,  il  retira  sa  signalure.il  prêchait  avec  succès.  Il 
ne  faut  pas  le  confondre  avec  l'abbé  de  La  Roque,  officiai  de  Rouen, 
directeur  du  Journal  des  savanis  et  correspondant  de  R.  Simon 
(Bibliothèque  Nationale,  fr.  i/i^gO,  et  lat.  giô/»,  f  io5  ;  Pierre  Jan- 
vier, Les  fastes  et  annales  des  évêques  de  Meaux,  t.  I,  f  65  ;  Ledieu, 
t.  II,  p.  877;  Histoire  du  Cas  de  conscience ,  Nancy,  1705,  8  vol.  in-12, 
t.  I,  p.  126  et  254  ;  le  Mercure,  juin  1708,  p.  89  à  91  ;  juillet  1712, 
p.  287  et  suiv.  ;  article  de  M.  Gh.  Urbain  dans  la  Revue  d'histoire 
littéraire,  janvier  1908,  p.  106). 

2.   Edit.  :  témoigner  combien. 

Lettre  1918.  —  L.  a.  s.  Archives  de  Saint-Sulpice.  Publiée  dans 
l'édition  de  Versailles,  t.  XLIII,  Supp.,  p.  5i  Suscription  de  la  main 
de  Ledieu. 


déc.  1699]  DE   BOSSUET  m 

de  votre  curé*  pour  la  curedeTancrou\  Nous  aurons 
le  loisir  de  penser  à  son  successeur.  Je  suis,  Madame, 
comme  vous  savez,  plein  d'estime  et  de  confiance  pour 
vous. 

Je  ne  crois  pas  pouvoir  confier  cette  paroisse  à 
un  plus  capable  d'y  mettre  l'instruction  en  vigueur. 
J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Sascription  :  A  Madame  l'Abbesse  de  Faremou- 
tiers  à  Faremoutiers. 


1979.    —  Leibniz  a  Bossuet. 

Monseigneur, 

Lorsque  j'arrivai  ici,  il  y  a  quelques  jours.  Monseigneur  le 
duc  Antoine  Ulrich  me  demanda  de  vos  nouvelles  ;  et  quand 
je  répondis  que  je  n'avais  point  eu  l'honneur  d'en  recevoir 
depuis  longtemps,  il  me  dit  qu'il  me  voulait  fournir  de  la 
matière  pour  vous  faire  souvenir  de  nous  :  c'est  qu'un  abbé 
de  votre  religion,  qui  est  de  considération  et  de  mérite,  lui 
avait  envoyé  le  livre  que  voici  ' ,  qu'il  avait  donné  au  public 

1.  Philbert  Lasne  de  Villeneuve,  d'abord  curé  de  Condé-Sainte- 
Libialre  de  1690  à  1692,  puis  de  Faremoutiers  à  partir  de  169.3.  Il  dut 
prendre  possession  de  la  cure  de  Tancrou  au  mois  de  janvier  1700.  11 
fut,  le  i5  novembre  1700,  pourvu  du  doyenné  de  Gandelu.  Il  donna 
sa  démission  en  1722,  et  mourut  à  Tancrou  le  ig  mai  1728,  âgé  de 
soixante-dix-buit  ans.  Il  avait  appelé  de  la  bulle  Unigenilus  en  1719 
(Registres  paroissiaux  de  Faremoutiers  et  de  Tancrou  ;  Nivelle,  la 
Constitution  Unicjenitus  déférée,  etc.,  t.  III,  p.  282). 

2.  Tancrou   fait  aujourd'hui  partie   du  canton  de  Lizy-sur-Ourcq. 
Lettre  i919.  —  L.  s.  Une  copie  de  Ledieu,  dans  la  collection  de 

M.  H.   de   Rothschild.    Publiée   d'abord   dans  les  Œuvres  posthumes 
de  Bossuet,  t.  I,  p.  445. 

I.  Secretio  eorum  quœ  de  fïde  catholica  ah  lis  quae  non  sunt  de  Jïde, 
in  controversiis  plerisque  hoc  sœculo  motis.  juxta  regulam  fidei  ab  Exe. 
D.  Franc.  Veronio,  sacrœ   Theologix  doctore.   antehac  compilatam,  ab 


112  CORRESPONDANCE  [déc.  1699 

sur  ce  qui  est  de  foi,  que  S.  A.  S.  m'ordonna  de  vous  com- 
muniquer pour  le  soumettre  à  votre  jugement,  et  pour  tâcher 
d'apprendre.  Monseigneur,  selon  votre  commodité,  s'il  a 
votre  approbation,  de  laquelle  ce  prince  ferait  presque  autant 
de  cas  que  si  elle  venait  de  Rome  même  ;  m'ayant  ordonné 
de  vous  faire  ses  compliments,  et  de  vous  marquer  combien 
il  honore  votre  mérite  éminent. 

Le  dessein  de  distinguer  ce  qui  est  de  foi  de  ce  qui  ne  l'est 
point  paraît  assez  conforme  à  vos  vues  et  à  ce  que  vous 
appelez  la  méthode  de  l'exposition  ;  et  il  n'y  a  rien  de  si  utile, 
pour  nous  décharger  d'une  bonne  partie  des  controverses, 
que  de  faire  connaître  que  ce  qu'on  dit  de  part  et  d'aulre 
n'est  point  de  foi.  Cependant  S.  A.  S.,  ayant  jeté  les  yeux 
sur  ce  livre,  y  a  trouvé  bien  des  difficultés  :  car,  première- 
ment, il  lui  semble  qu'on  n'a  pas  assez  marqué  les  conditions 
de  ce  qui  est  de  foi,  ni  les  principes  par  lesquels  on  le  peut 
connaître;  de  plus,  il  semble,  en  second  lieu,  qu'il  y  a  des 
degrés  entre  les  articles  de  foi,  les  uns  étant  plus  importants 
que  les  autres. 

Si  j'ose  expliquer  plus  amplement  ce  que  S.  A.  S.  m'avait 
marqué  en  peu  de  mots,  je  dirai  que,  pour  ce  qui  est  des  con- 
ditions et  principes,  tout  article  de  foi  doit  être  sans  doute 
une  vérité  que  Dieu  a  révélée  ;  mais  la  question  est,  si  Dieu 
en  a  seulement  révélé  autrefois,  ou  s'il  en  révèle  encore,  et  si 
les  révélations  d'autrefois  sont  toutes  dans  l'Écriture  sainte, 
ou  sont  venues  du  moins  d'une  tradition  apostolique,  ce  que 
ne  nient  point  plusieurs  des  plus  accommodants  entre  les 
protestants. 

Mais,  comme  bien  des  choses  passent  aujourd'hui  pour  être 
de  foi,  qui  ne  sont  point  assez  révélées  par  l'Écriture  et  où 
la  tradition  apostolique  ne  parait  pas  non  plus,  comme,  par 

omnibus  Sorbon.  Doclor.  in  plena  congregatione  Facultatis  Theologix 
approbatam.  necnon  anno  i645  in  gen.  convenlu  ab  universo  Clero  GalU- 
cano  receptnm  ac  per  Illustres  et  Doctissimos  D.  D.  de  Walenburch 
cpiscopos  laudatam.  ex  ipso  Concilio  Tridentino  et  prœfala  régula  com-ï 
pendioseexcerpta.  anno  Christi  iGgtj,  un  vol.  in-i6,  sans  nom  d'auteu., 
ni  de  ville,  ni  d'imprimeur. 


déc.  i699l  DE  BOSSUET.  Il3 

exemple,  la  canonicité  des  livres  que  les  protestants  tiennent 
pour  apocryphes-,  laquelle  passe  aujourd'hui  pour  être  de  foi 
dans  voire  communion,  contre  ce  qui  était  cru  par  des  per- 
sonnes d'autorité  dans  l'ancienne  Église,  comment  le  peut-on 
savoir,  si  l'on  n'admet  des  révélations  nouvelles,  en  disant 
que  Dieu  assiste  tellement  son  Église  qu'elle  choisit  toujours 
le  bon  parti,  soit  par  une  réception  tacite  ou  droit  non  écrit, 
soit  par  une  définition  ou  loi  expresse  d'un  concile  œcuméni- 
que? Où  il  est  encore  question  de  bien  déterminer  les  condi- 
tions d'un  tel  concile,  et  s'il  est  nécessaire  que  le  Pape  prenne 
part  aux  décisions,  pour  ne  rien  dire  du  Pape  à  part,  ni  encore 
de  quelque  particulier  qui  pourrait  vérifier  ses  révélations  par 
des  miracles.  Mais,  si  l'on  accorde  à  l'Église  le  droit  d'établir 
de  nouveaux  articles  de  Coi,  on  abandonnera  la  perpétuité, 
qui  avait  passé  pour  la  marque  de  la  foi  catholique.  J'avais 
remarqué  autrefois  que  vos  propres  auteurs  ne  s'y  accordent 
point  et  n'ont  point  les  mêmes  fondements  sur  l'analyse  de 
la  foi,  et  que  le   P.  Grégoire  de  Valentia^,  jésuite,  dans  un 

2.  Les  protestants  donnaient  le  nom  d'apocryphes  aux  livres  de 
l'Écriture  Sainte  que  les  catholiques  appellent  deutérocanoniques. 
Pour  l'Ancien  Testament,  ce  sont  les  livres  ou  parties  de  livres  qui  ne 
se  lisent  que  dans  les  Septante  ;  les  livres  contenus  dans  la  Bible 
hébraïque  sont  désignés  sous  le  nom  de  protocanoniques.  Pour  le  Nou- 
veau Testament,  on  appelle  deutérocanoniques  les  livres  ou  fragments 
sur  lesquels  il  régna  dans  certaines  Eglises  quelque  incertitude  au 
sujet  de  leur  réception  dans  le  canon  des  livres  inspirés.  La  discus- 
sion sur  les  livres  deutérocanoniques  reviendra  dans  les  lettres  de 
Leibniz  des  années  suivantes. 

3.  Ce  jésuite,  né  en  mars  i55i,  à  Médina  del  Campo,  dans  la 
Vieille-Gastille,  mort  à  Naples  le  25  avril  i6o3,  enseigna  longtemps 
la  théologie  à  Dillingen,  à  Ingolstadt  et  au  Collège  romain.  Il  prit 
une  pHrt  très  active  à  la  controverse  avec  les  protestants,  comme  aux 
discussions  que  fit  naître  la  congrégation  de  Auxiliis  (Voir  Somraer- 
vogel,  Bibliothèque,  t.  VIII  ;  le  P.  Ignace  Agricola,  Historia  Provinciœ 
Societaiis  Jesu  Germanise  superiom.  Augsbourg  et  Munich,  1627-1639, 
in-fol.,  t.  II,  p.  2^0  ;  Xav.  Santagata,  hioria  délia  Compagnia  di  Gesii 
appartenente  al  regno  di  Napoli,  Naples,  1756,  in-4,  t.  III,  p.  112 
à  119  ;  les  différentes  histoires  de  la  congrégation  de  Auxiius).  L'ou- 
vrage auquel  fait  allusion  Leibniz  est  intitulé-:  Analysis  fidei  calholicœ. 
hoc  est  ratio  methodica  eam  in  universumjidem  ex  certis  principiis  probandi 

XII  —  8 


ll/i  CORRESPONDANCE  [déc.  1699 

livre  l'ait  là-dessus,  la  réduit  aux  décisions  du  Pape,  avec  ou 
sans  le  concile  ;  au  lieu  qu'un  docteur  de  Sorbonne,  nommé 
Holden  *,    voulait  (aussi  dans    un  livre   exprès)    que    tout 

(juam  sancta  Romana  Ecclesia  adversus  miiUiplices  sectariorum  errores 
projiletur,  Ingolsladt,  i585,  in-4.  CF.  Phil.  L.  Hanneken,  Paralysis 
fidei  fapœx  juxta  Analjsinjidei  catholicse  Gregoriide  ]  alenlia,  Giessen, 
l683, in-4. 

l^.  Henri  Holden,  né  en  lÔgG,  était  fils  de  Richard  Holden,  petit 
propriétaire  de  Cliaigley,  près  de  Longridge  (Lancashire).  En  1618, 
il  passa  à  Douai  sous  le  nom  de  Johnson  ;  il  vint,  en  1628,  étudier  à 
Pans,  se  fit  naturaliser  et  prit  le  bonnet  de  docteur  en  i636.  Il 
s'adonna  ensuite  au  ministère  dans  la  paroisse  de  Saint-iNicolas-du- 
Chardonnet.  Alteutit  aux  querelles  qui,  de  son  temps,  divisaient  les 
catholiques  anglais,  il  prit  parti  pour  Thomas  Blackloe,  plus  connu 
sous  le  nom  de  Ihomas  Anglus,  adversaire  des  jésuites.  Dans  l'attaire 
d'Arnauld  en  ïjorboiine,  il  estima  que  ce  docteur  devait  être  absous  ; 
néanmoins  il  souscrivit  la  censure  une  fois  votée.  Holden  mourut  au 
mois  de  mars  I0U2.  Son  principal  ouvrage  est  :  Diuinœ  Jidei  analjsis, 
seu  de  Jidei  chrisLianœ  resolutione  (Paris,  i652,  iu-12  ;  édition  aug- 
mentée de  dillérents  opuscules  et  d'une  Vie  de  l'auteur,  par  Godes- 
card,  Fans,  1767,  in-12).  Là,  Holden  s'attache  à  distinguer  dans  la 
théologie  ce  qui  est  proprement  de  foi  et  ce  qui  est  librement  con- 
troversé entre  catholiques.  Cet  auteur  a  donné  en  outre  :  Lettre  d'un 
docteur  en  théotoyie  à  une  personne  de  condition  touchant  les  questions  du 
temps,  Paris,  lOoi,  in-12  ;  A  letter  to  a  friend  of  his  upon  the  occasion 
0/ Mr.  blackLuw,  submiltiny  his  writings  to  the  See  of  Rome,  Paris, 
1(557,  in-4  ;  Epistola  5  februarii  anno  i656  ad  Antonium  Arnaldum  de 
censura  in  ipsum  Lata,  el Epistola  22aprili.s  i656  de  censura  in  D.  Arnal- 
dum lala,  s. l.,  lOÔb,  in-4;  Novum  Teslamentum  brevibus  annotationibus 
iUustratum,  Pans,  lObo,  2  vol.  in-12;  A  Checii,  or  enquiry  into  the 
laie  acl  uf  the  roman  Inquisition,  Paris,  1662,  in-4  (Voir  Dodd,  The 
Church  history  oj  Euyland,  Bruxelles,  17^9,  2  vol.  in-fol.  ;  Jos.  Gillow, 
Dictiunary  of  the  tnydsh  catholics,  t.  111,  p.  332  ;  National  biography, 
I.  WVli;  Ch.  butier,  Historical  memoirs  respecting  the  Eaglish,  Irish 
and  Scottish  catholics,  Londres,  1819,  2  vol.  in-8;  Robert  Pugh, 
Blackloe's  Cabal  discouered,  2«'  édit.,  s.  I.,  i(38o,  in-4;  The  memoirs 
of  Gregorio  Panzuni,  gioing  an  account  oJ  his  agency  in  England  in 
the  years  iG3/i.-iGd6,  édit.  Jos.  Berington,  Biruiingham,  1798,  in-8  ; 
Anl.  Arnauld,  UEuores,  t.  XIX  et  XX  ;  EUies  du  Pin,  Bibliothèque. 
xvii'^  siècle,  t.  il,  p.  151-177;  les  Mémoires  de  Rapin,  t.  H,  p.  32i, 
et  de  G.  Hermant,  t.  1,  p.  671,  et  t.  V,  p.  420  ;  d'Argentré,  Varix 
disputationes,  à  la  suite  des  Opéra  theologica  de  M.  Grandin,  Paris, 
1713,   in-4,  2*  part.,  p.  221-225  ;  La  France  catholique,  i835,t.  JV  ; 


déc  i6y.j]  DE   BOSSUET.  Il5 

devait  avoir  déjà  été  révélé  aux  apôtres,  et  puis  propagé  jus- 
qu'à nous  par  l'entremise  de  l'Église  :  ce  qui  paraîtra  le 
meilleur  aux  protestants.  Mais  alors  il  sera  difficile  de  justifier 
l'antiquité  de  bien  des  sentiments  qu'on  veut  faire  passer  pour 
être  de  foi  dans  l'Église  romaine  d'aujourd'hui. 

Et  quant  aux  degrés  de  ce  qui  est  de  foi,  on  disputa,  dans 
le  colloque  de  Ratisbonne  de  ce  siècle ',  entre  Hunnius,  pro- 
article de  Hundhausea  dans  le  Kirchen-Lexikon  ;  Scheeben,  Dog- 
mcitik,  Paris,  1877,  tiad.  française,  t.  I,  p.  178  et  suiv.  ;  le  P.  Kleut- 
gen,  die  Théologie  der  Vorzeit  vertheidigt,  Munster,  i853-i86o,  3  vol. 
in-8  ;  Hurter,  Nomenclator.  I.  III,  col.  lOii  ;  l'abbé  Féret,  La  faculté 
de  théologie  de  Paris,  Paris,   iQoi,  in-8,  t.  III,  p.  220. 

5.  La  conférence  de  Ratisbonne  se  tint  du  28  novembre  nu  7  décem- 
bre 1601,  devant  Maximilien,  comte  palatin  du  Rhin,  duc  de  Bavière, 
et  son  cousin  Philippe-Louis,  aussi  palatin  du  Rhin,  comte  de  Vel- 
dentz  et  Sponheim.  La  doctrine  luthérienne  y  était  représentée  par 
Gilles  Hunnius,  Jacques  Heilbronner,  etc.  ;  et  les  catholiques  avaient 
pour  champions  Albert  Hunger,  pro-chancelier  de  l'Université 
d'Ingolstadt,  les  P.  P.  Gretser  et  Tanner,  de  la  Compajjnie  de 
Jésus,  etc.  Cette  conférence  n'aboutit  à  aucun  résultat  et  provoqua 
des  deux  côtés  plusieurs  écrits  :  Acta  coUoquii  Ratisbonensis  de  norma 
doctrinœ  catholicœ  et  controversiarum  religionis  judice.  aathoritate,  con- 
sensu,  et  in  prœseniia  Serenissimi  Principis  acD.  D.  Maximiliani,  eomitis 
palatini  Rheni,  utriusque  Bavariœ  ducis,  et  Illustrissimi  quoque  Principis 
ac  D.  D.  Philippi  Ludovici.  eomitis  palatini  Rheni.  ducis  Bavariœ, 
habiti  anno  1601 ,  édita  ejasdeni  Serenissimi  ducis  Maximiliani  voluntate 
oplima  fide  juxta  authenticum  exemplar.  Munich,  1602,  in-4  ;  Hunnius, 
Relalio  historica  de  colloquio  Ratisbonensi,  Erfurt,  1602,  In-^  ;  Tanner, 
Examen  narrationis  quam  Hisloricas  relationis  nomine  insignitarn  de  collo- 
quio Ratisbonensi  edidil  Mgidius  Hunnius  prœdicans  Wittebergensis  ad 
normam  historicse  veritatis  institutum.  Munich,  1603,  in-/(  ;  jEgidii 
Hunnii  et  Heilbrunneri  Anti-Tannerus,  hoc  estscriplum  apologeticum  con- 
tra mendacij  Adarni  Tanneri,  Francfort,  i6o3,  in-8;  J.  Gretser,  Rc- 
sponsum  ad  thèses  Hunnianas  de  colloquio  cum  Poniificiis  ineundo,  et 
Digressiones  sex  contra  ejusdem  Hunnii  calumnias,  Ingolstadt,  1602, 
iii-^  ;  Basilii  de  Varna  (anagramme  d'Andreae  Libavii)  Analysis  dia- 
lectica  colloquii  Ratisponensis  anni  iGoi,  de  norma  et  judice  omnium  con- 
troversiarum Jidei  christianx  habiti,  cum  collatione  Relationis  Adami 
Tanneri  et  Responsi  Jacobi  Grelseri  ad  thèses  Mgidii  Hunnii,  Francfort, 
1602,  in-4  ;  Apologeiicus  Adami  Tanneri  S.  J.  adversus  calumnias. 
mendacia  cxteraque  errata  quibus  /Egidius  Hunnius  prœdicans  Witteber- 
gensis suum  Examen  prœfationis  Colloquio  Ratisbonensi  Monachi  recuso 


Il6  CORRESPONDANCE  [déc.  1699 

testant,  et  le  P.  Tanner,  jésuite'',  si  les  vérités  de  peu  d'im- 
portance qui  sont  dans  l'Écriture  sainte,  comme,  par  exemple, 
celle  du  chien  de  Tobie  (suivant  votre  canon),  sont  des 
articles  de  foi,  comme  le  P.  ïanner  l'assura^.  Ce  qui  étant 
posé,  il  faut  reconnaître  qu'il  y  a  une  infinité  d'articles  de 
foi  qu'on  peut  non  seulement  ignorer,  mais  même  nier 
impunément,  pourvu  qu'on  croie  qu'ils  n'ont  point  été 
révélés  :  comme  si  quelqu'un  croyait  que  ce  passage  :  Très 
sunl  qui  leslimonium  perhibent^,  etc.,  n'est  point  authentique. 


prœjîxse  exornare  volait,  Munich,  iGo3,  iii-4  (Cf.  Matthieu,  Histoire 
de  France  et  des  choses  mémorables  advenues  aux  provinces  étrangères 
durant  sept  années  de  paix,  Paris,  i6o5,  in-4,  1.  IV,  ad.  an.  lOoi  ; 
Adr.  Baillet,  les  Satires  personnelles  qui  portent  le  titre  d'Anti,  art. 
XXI  et  I.X  (dans  le  tome  VU  dos  Jugements  des  savants,  Paris, 
T723,  in-Zi). 

6.  Gilles  Hunnius,  célèbre  théologien  luthérien,  né  le  20  décembre 
l55o,  à  Winnenden,  en  Wurtemberg,  mort  le  4  avril  i6o3,  à 
Wittemberg.  Il  étudia  à  Tubingue,  fut  admis  au  doctorat  en  1670, 
enseigna  à  Marbourg  et  à  Wittemberg,  fut  théologien  des  deux  land- 
graves, Louis  et  Guillaume  de  Hesse,  membre  du  sénat  ecclésiastique 
et  surintendant  de  l'Eglise  de  Wittemberg.  Il  se  signala  par  son  into- 
lérance, combattit  non  seulement  les  catholiques  et  les  calvinistes, 
mais  encore  les  disciples  du  luthérien  Illyricus.  Ses  écrits,  parmi  les- 
quels on  remarque  Caloinus  judaizans.  Wittemberg,  iSgS,  ln-8,  ont 
été  réunis  à  Wittemberg,  1606-1609,  5  vol.,  in-fol.  (Voir  Melchlor 
Adam,  Vitse  Germanoruni  theologoram,  Ileldelberg,  1620,  ln-8;  Adam 
Contzen,  S.  J.,  Jubilum  jabilorum,  Mayence,  1618,  in-8  ;  Micraelius, 
Syntagma  historiœ  ecclesiasticœ ,  i63o,  in-8,  p.  70  ;  Dictionnaire  de 
Bayle,  t.  111  ;  [Schenk,  Vitœ  theologoram  Marburgens.  ;  R.  Simon, 
Lettres,  t.  II,  p.  ^2  et  suiv.  ;  G.  Frank,  Geschichte  der  protestantischen 
Théologie.  Leipsig,  1862-1905,  in  8,  l.  I,  p.  2/(8  ;  article  de  Henke, 
dans  l'Encyclopédie  de  Hertzog;  J.  Janssen,  V Allemagne  et  la  Ré- 
forme, trad.  E.  Paris,  Paris,  1907,  in-8,  t.  VII,  p.  453  et  passim.  — 
Adam  Tanner,  né  it  Inspruck  en  1571,  mort  à  Unken,  en  Tyrol,  le 
25  mai  i632.  Entré  dans  la  Compagnie  de  Jésus  en  1690,  il  enseigna 
vingt-deux  ans  à  Munich,  à  Ingolsladt  et  à  Vienne,  et  fut  chancelier 
de  rUiilversité  de  Prague.  La  longue  liste  de  ses  ouvrages  se  trouve 
dans  la  Bibliothèque  de  Sommervogel,  t.  VII.  Cf.  le  P.  Ignace  Agrl- 
cola,  op.  cit.  ;  Hurter,  Nomenclator,  t.  III,  col.  638. 

7.  Acta  colloquii,  p.  i32  (Sesslo  undeclma). 

8.  ï  Joan.,  V,  7,  8.  f 


déc.  1699]  DE  BOSSUET.  117 

puisqu'il  manque  dans  les  anciens  exemplaires  grecs'.  Mais  il 
sera  question  maintenant  de  savoir  s'il  n'y  a  pas  des  articles 
tellement  fondamentaux  qu'ils  soient  nécessaires  necessitate 
medii,  en  sorte  qu'on  ne  les  saurait  ignorer  ou  nier  sans 
exposer  son  salut,  et  comment  on  les  peut  discerner  des 
autres. 

La  connaissance  de  ces  choses  paraît  si  nécessaire,  Mon- 
seigneur, pour  entendre  ce  que  c'est  que  d'être  de  foi,  que 
Mgr  le  Duc  a  cru  qu'il  fallait  avoir  recours  à  vous  pour  les 
bien  connaître,  ne  sachant  personne  aujourd'hui,  dans  votre 
Église,  qu'on  puisse  consulter  plus  sûrement,  et  se  flattant, 
sur  les  expressions  obligeantes  de  votre  lettre  précédente,  que 
vous  aurez  bien  la  bonté  de  lui  donner  des  éclaircissements. 
Je  ne  suis  maintenant  que  son  interprète,  et  je  ne  suis  pas 
moins  avec  respect,  Monseigneur,  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur. 

Leibniz. 

Wolfenbuttel,  11'' Décembre  1699. 


1980.     A  M™'  DE    LUYNES. 

A  Paris,  dimanche  malin  [i3  décembre  1699?]. 

Je  fus  d'autant  plus  fâché,  ma  Fille,  de  ne  vous 
trouver  pas  hier*,  que  je  ne  vois  aucune  assurance 
à  pouvoir  retourner  chez  vous  avant  votre  départ.  Je 
ne  perds  pas  pour  cela  l'espérance  ni  le  dessein  de 
de  vous  aller  voir  à  Torcy,  oii  je  suis  très  aise  de 

9.   Voir  plus  loin,  p.  i55  et  i56. 

Lettre  1980.  —  L.  a.  sifjnée  des  initiales.  Collection  de  M.  Le 
Blondel,  à  Meaux. 

I.  Peut-être  le  samedi  12  décembre.  Bossuet  était  revenu  du 
voyage  à  Versailles  dont  il  avait  parlé  à  Mme  Cornuau  (p.  106).  Le 
lendemain  de  ce  dimanche  i3,  jour  où  il  aurait  écrit  cette  lettre,  il 
retournait  à  Meaux  (Ledieu,  t.  Il,  p.  3). 


Il8  CORRESPONDANCE  [déc.  1699 

vous  voir  retourner".  Les  tentations  de  quitter  ce  lieu 
étant  surmontées  par  l'obéissance,  vous  ferez  l'œuvre 
de  Dieu  avec  plus  de  liberté,  et  l'Eglise  en  sera 
édifiée.  Vous  songerez  plus  que  jamais  à  vous  rendre 
la  mère  et  l'exemple  en  toutes  choses  de  votre  com- 
munauté :  vous  vous  sanctifierez  aussi  bien  qu'elle 
par  ce  moyen. 

Je  vous  recommande  la  Sœur  de  Saint-Bénigne, 
qui  s'attachera  plus  que  jamais  à  vous  obéir,  et 
même  à  vous  soulager  dans  ce  que  vous  voudrez  lui 
ordonner.  Consolez-la,  je  vous  prie,  du  peu  d'espé- 
rance que  je  lui  donne  de  la  voir. 

Notre-Seigneur  soit  avec  vous  à  jamais. 

J.  B.,  é.  de  Meaux. 


1981.  — A  Antoine  de  Noailles. 

X  Meaux,  i4  déc.  lOgg. 

Ceux'  avec  qui  je  parlai  hier,  mon  cher  Seigneur, 
chez  M.  l'archevêque  de  Reims  conviennent  de  dé- 
clarer leur  soumission  à  toutes  les  constitutions  et 
brefs  d'Innocent  X,  Alexandre  Vil  et  Innocent  XII, 
et  la  conformité  de  leur  doctrine  avec  votre  ordon- 
nance et  celle  de  M.   de  Reims".    Ils   conviennent 

2.  Mme  de  Luynes  avait  fait  le  voyage  de  Paris,  d'où  elle  allait  re- 
tourner à  Torcy. 

Lettre  1981.  —  L.  a.  s.  Collection  H.  de  Rothschild.  In<idite. 

I.    Certains  docteurs  favorables  au  jansénisme. 

i.  L'ordonnance  de  Noailles  publiée  le  20  août  i6g6  contre  Bar- 
cos,  et  celle  de  l'archevêque  de  Reims  contre  deux  thèses  de  Jtiéo- 
logie  soutenues  au  oollige  des  jésuites  de  celte  ville  (Voir  i.  IX, 
p.  55). 


déc.  1699]  DE   BOSSUET.  119 

aussi  de  la  définition  de  la  grâce  suffisante  selon  les 
principes  de  saint  Augustin.  Mais  il  est  vrai  en  même 
temps  que,  loin  d'en  apporter  aucune  preuve,  ils 
affaiblissent  celles  qu'on  peut  apporter  en  sa  faveur  : 
par  exemple,  celles  qu'on  tire  de  la  possibilité  des 
commandements  à  l'égard  des  justes,  de  l'expression 
Si  velles,  etc.,  du  principe  Non  deserit  nisi  desera- 
tur^,  du  livre  De  Vesprlt  et  de  la  lettre\  ainsi  que 
des  autres:  ce  qui  nous  ferait  un  procès  plus  grand 
que  celui  qu'on  semble  avoir  terminé  par  le  silence 
réciproque  ^ 

On  ne  peut  désirer  plus  de  docilité  qu'en  marquent 
lesPP^  Ils  travaillent  sur  les  fondements  que  nous 
avons  posés,  et  vous  pouvez  leur  témoigner  toute  sorte 
de  satisfaction  de  ce  côté-là.  Du  reste,  c'est  à  vous 
et  à  nous  d'assurer  la  fermeté  incontestable  des  défi- 
nitions de  l'Eglise  et  à  la  fois  de  la  doctrine  de 
saint  Augustin.  J'espère  que  tout  ira  bien  et  qu'on 
fermera    la    bouche    aux    calomniateurs  \    Tout  se 


3.  Allusion  aux  règles  établies  par  Mabillon  dans  son  projet  de 
préface  à  l'édition  bénédictine  de  saint  Augustin.  Bossuet  s'est  ex- 
pliqué sur  ces  rèfjfles  dans  ses  notes  sur  cette  préface  (Revue  Bossuet, 
juillet  1900,  p.  i5o,  et  juin.  190/I,  p.  iA5):  il  est  question  du  Perse- 
verares  si  velles  de  saint  Augustin  dans  la  quatrième  règle  (juillet  1900, 
p.  167,  et  juillet  i90,'4,  p.  1^7).  La  maxime:  Non  deserit  (Deus)  nisi 
deseratur,  que  le  concile  de  Trente  emprunte  à  saint  Augustin,  est 
expliquée,  ib id.,  '\\n\let  190/1,  P-  1/18. 

4.  Le  traité  de  saint  Augustin  De  spiritu  et  littera  [P.  L.,  t.  XLIV, 
col.  201]. 

5.  Ce  qu'on  a  appelé  la  Paix  de  l'Église. 

6.  Les  Pères  bénédictins,  éditeurs  de  saint  Augustin.  Voir  Ingold, 
Histoire  de  l'édition  bénédictine  de  saint  Augustin,  p.  19 1  et  suiv. 

7.  Les  jésuites,  qui  ont  accusé  de  jansénisme  l'édition  de  saint 
Augustin.  Le  2  juin  1700,  l'Inquisition,  outre  le  Problème,  condamna 
la  Lettre  de  l'Abbé  de  ***  aux  R.   R.  P.  P.  Bénédictins  sur  le  dernier 


I20  CORRESPONDANCE  [déc.  1699 

passa  sans   la  moindre  contestation,    quoique  j  aie 
touché  toutes  les  cordes. 

J'aurai  l'honneur  de  vous  rendre  compte  au  plus 
tôt  de  l'écrit  que  vous  m'avez  confié. 

Vous  savez  mon  respect  et  mon  cordial  attache- 
ment. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


1982.  —  A  M"'  DE  Beringhen. 

A  Meaux,  ig  décembre  1699. 

Il  est  vrai,  Madame,  que  je  vous  ai  ôté  un  bon 
curé  '  ;  mais  il  m'était  nécessaire  au  lieu  où  je  l'ap- 
pelle. Nous  aurons  tout  loisir  de  conférer  ensemble 
sur  le  sujet  de  son  successeur. 

Il  vaque  à  votre  nomination  une  cure  considéra- 
ble, et  qui  a  bien  besoin  d'un  bon  pasteur:  c'est 
celle  de  Morou^  dans  votre  voisinage.  Gomme  je 
sais  vos  intentions  très  pures  pour  fournir  l'Eglise 
de  bons  pasteurs,  je  vous  indique  les  sieurs  Lenfant 


tome  de  leur  édition  de  saint  Augustin,  Cologne,  iii-4  ;  la  Lettre  d'un 
Bénédictin  non  réformé  aux  R.  R.  P,  P.  Bénédictins  de  la  Congrégation 
de  Saint-Maur  (s.  1  ),  1699,  in-12,  et  la  Lettre  d'un  abbé  commenda- 
taire  adressée  à  MM.  les  prélats  de  France  sur  la  réponse  d'un  théologien 
des  R.  R.  P.  P.  Bénédictins  à  la  lettre  de  l'abbé  Allemand  (s.  1.), 
1699,  in-12,  voir  t.  XI,  p.  i3i  et  347. 

Lettre  1982.  —  L.  a.  s.  Collection  de  M.  le  chanoine  Jacquelin, 
à  Meaux. 

1.  Pliilbert  Lasne  de  Villeneuve,  nommé  à  la  cure  de  Tancrou, 
comme  il  a  été  dit  à  la  page  1 1 1 . 

2.  Mouroux,    commune  importante    située   entre    Faremoutier. '  et 
Coulommiers. 


déc.  1699]  DE    BOSSUET.  I2I 

et  Foliez\  vicaires  de  Coulommiers,  elles  sieurs  Lan- 
dri  [et]  Saints"^  vicaires  de  Saint-Nicolas  de  cette 
ville,  comme  les  meilleurs  sujets  du  diocèse.  Vous 
ne  sauriez  trop  prendre  garde  à  ce  bénéfice,  dont  le 
dernier  possesseur"  n'a  pas  été  de  grande  édification. 
Je  salue  Madame  votre  sœur  de  tout  mon  cœur. 
J.  Bénigne,   é.  deMeaux. 

Suscripiion  :    A  Madame  l'Abbesse  de  Faremou- 
tiers,  à  Faremoutiers. 


3.  Éditeurs  :  L'enfant  et  Folien.  Etienne  Lenffant  resta  vicaire  à 
Coulommiers  jusqu'en  1702,  et  fut,  cette  année-là,  nommé  à  la  cure 
de  La  Ferté-sous-Jouarre,  qu'il  conserva  jusque  dans  les  premiers 
mois  de  1737.  Il  mourut  à  La  Ferté  le  8  octobre  suivant,  à  l'â<je  de 
soixante  et  onze  ans  et  deux  mois.  Quant  à  Jean  Folliez  (et  non  Folien), 
il  éla  t  bachelier  en  théolo[jie  ;  il  avait  été  vicaire  à  La  Chapelle-sur- 
Grécy  en  1697  et  i6g8  ;  il  fut  nommé  curé,  non  pasde  Mouroux,  mais 
de  Faremoutiers,  en  1700;  il  passa  en  1706  à  Quincy,  puis  fut  mis 
en  1709  à  la  tête  de  la  paroisse  Saint-Nicolas  de  Meaux,  où  il  resta 
jusqu'à  sa  mort,  le  28  juillet  1726  :  il  était  alors  âgé  de  soixante- 
deux  ans  (Etat  civil  de  Coulommiers,  de  Faremoutiers,  de  Quincy  et 
de  Meaux;  cf.  Ledieu,  t.  IV,  p.  171  et  175). 

4.  Editeurs:  Landis,  vicaires.  D'ailleurs  les  registres  paroissiaux  ne 
permettent  pas  de  croire  à  l'existence  de  deux  vicaires  de  Saint- 
Nicolas  de  Meaux  du  nom  de  Landry.  Il  faut  donc  corriger  Deforis  et 
les  autres  éditeurs,  et  lire  :  «  les  sieurs  Landry  et  Desaint,  vicaires». 
Landry  (Thomas  Jacques)  et  Desaint  (Philippe  François)  quittèrent 
bientôt  après  la  paroisse  Saint-Nicolas  ;  mais  nous  ne  savons  quels 
postes  leur  furent  alors  assignés.  Jacques  Landry  figure  à  Mauregard, 
en  171  A,  comme  curé  de  Villeneuve-sous-Dammartin. 

5.  C'était  Denis  Richer,  bachelier  en  théologie,  qui,  le  16  mars 
168/i,  n'ayant  encore  que  les  ordres  mineurs,  avait  pris  possession  de 
la  cure  de  Mouroux,  vacante  par  la  mort  de  son  oncle,  Louis  Richer, 
décédé  le  12.  Il  faut  croire  qu'en  169g,  il  avait  donné  sa  démission 
et  l'avait  ensuite  retirée,  car  il  resta  à  la  tète  de  la  paroisse  de  Mou- 
roux jusqu'au  mois  de  janvier  1715. 


122  CORRESPONDANCE  fjanv.  1700 

1983.  —  Le  Comte  de  Pontchartrain  a  Bossuet. 

fA  Versililles,  3  janvier  1700.] 

Le  sieur  de  La  Roque  *,  qui  avait  été  enfermé  au  château 
[de  Saumur]  pour  avoir  fait  une  préface  à  un  mauvais  livre, 
fut  mis  en  liberté  l'année  passée,  à  condition  de  rester  dans  la 
ville  [de  Saumur]  ^  jusqu'à  nouvel  ordre,  ce  qui  fut  fait  après 
que  mon  père  ^  vous  eut  consulté  par  ordre  du  Pioi  sur  son 
sujet.  Ce  même  homme  demande  à  présent  la  liberté  entière 
de  se  retirer  où  il  trouvera  à  propos.  Je  vous  prie  de  prendre 
la  peine  de  me  mander  quel  est  votre  sentiment  à  cet  égard, 
afin  qu'en  rendant  compte  au  Roi  de  sa  lettre,  je  puisse  en 
même  temps  dire  à  S.  M.  ce  que  j'aurai  appris  de  vous*.  Je 
suis... 

Lettre  1983.  —  Bibliothèque  Nationale,  Clérambault,  690,  f"  3. 
Publiée  par  M.  A.  Gasté,  Lettres  et  pièces,  p.  38.  —  Jérôme  Phelypeaux 
(167^-17/17),  fils  de  Louis,  comte  de  Pontchartrain,  fut  d'abord  connu 
sous  le  nom  de  M.  de  Mnurepas.  Il  était  conseiller  au  Parlement  de 
Paris  lorsqu'il  succéda  comme  secrétaire  d'Etat  à  son  père  nommé 
chancelier  le  5  septembre  1699.  C'est  alors  qu'il  «  se  comtifia  », 
comme  dit  Saint-Simon,  et  prit  le  nom  de  Pontchartrain.  Sous  la 
Régence,  il  dut  se  démettre  de  sa  charge  de  secrétaire  d'Etat  en  fa- 
veur de  son  fils,  le  comte  de  Maurepas,  futur  ministre  de  Louis  XV 
(Consulter  Saint-Simon.  Sourclies  et  autres  mémorialistes;  L.  Dela- 
\aud,  Jérôme  Phelypeaux  de  Pontchartrain.  La  Rochelle,    191 1,  in-8). 

I.   Daniel  de  Larroque,  déjà  mentionné,  t.  XI,  p.  2.08. 

3.  La  minute  dans  Clérambault  et  la  copie  O'/i/J,  f"  i  portent: 
d'Angers,  mais  par  erreur.  Cf.  t.  XI,  p.  258  et  0^l^l^,  f°  10. 

3.   Voyez  t.  XI,  p.  258. 

/j.  Le  témoignage  de  Bossuet  fut  favorable,  puisque  Larroque  était 
en  liberté  au  mois  de  mars  et  réclamait  les  papiers  qui  lui  avaient  été 
confisqués  (Ibid.,  f  97).  On  lit  aussi  (fr.  2/1988,  f»  89),  à  la  date  du 
a8  juillet  1700  :  «  Le  sieur  de  Larroque,  qui  a  une  pension  sur  les  éco- 
nomats, a  été  emprisonné  pendant  quelques  années  pour  une  faute 
qu'il  avait  commise  plutôt  par  nécessité  que  par  d'autres  motifs.  Et, 
sur  le  rapport  favorable  qui  a  été  tait  au  Roi  de  sa  capacité,  tant  par 
M.  de  Meaux  que  par  d'autres  personnes  qui  en  ont  rendu  de  bons 
témoignages,  S.  M.  l'a  fait  mettre  en  liberté  et  m'a  ordonné  de  vous 
écrire  de  lui  faire  payer  celte  pension.  «  (A  Daguesseau). 


janv.  I700]  DE  BOSSUET.  l  a3 

1984.   —  A   Leibniz. 

A  Meaux,   9  janvier   1700. 

Monsieur, 

Rien  ne  me  pouvait  arriver  de  plus  agréable  que 
d'avoir  à  satisfaire,  selon  mon  pouvoir,  aux  demandes 
d'un  aussi  grand  prince  que  Mgr  le  duc  Antoine 
Ulrich,  et  encore  m'étant  proposées  par  un  homme 
aussi  habile  et  que  j'estime  autant  que  vous.  Elles  se 
rapportent  à  deux  points  :  le  premier  consiste  à  juger 
d'un  livret  intitulé  :  Secretio,  etc.,  ce  qui  demande 
du  temps,  non  pour  le  volume,  mais  pour  la  qualité 
des  matières  sur  lesquelles  il  faut  parler  sûrement 
et  juste.  Je  supplie  donc  Son  Altesse  de  me  permet- 
tre un  court  délai,  parce  que,  n'ayant  reçu  ce  livre 
que  depuis  deux  jours,  à  peine  ai-je  eu  le  loisir  de 
le  considérer. 

La  seconde  demande  a  deux  parties,  dont  la  pre- 
mière regarde  les  conditions  et  les  principes  par 
lesquels  on  peut  reconnaître  ce  qui  est  de  foi,  en  le 
distinguant  de  ce  qui  n'en  est  pas  ;  et  la  seconde 
observe  qu'il  y  a  des  degrés  entre  les  articles  de  foi, 
les  uns  étant  plus  importants  que  les  autres. 

Quant  au  premier  point,  vous  supposez,  avant 
toutes  choses,  comme  indubitable,  que  tout  article 

Lettre  1984.  —  De  la  main  d'un  copiste,  avec  signature  et  cor- 
rections auiographes  de  Bossuet,  Hanovre,  Papiers  de  Leibniz, 
f"  A26.  Publiée  d'abord  dans  les  Œuvres  posthumes,  t.  I,  p.  448.  — 
Il  existe  une  minute  de  la  m.iin  d'un  copiste  avec  corrections  de  la 
main  de  Bossuet  dans  la  collection  Henri  de  Rothschild.  Les  éditeurs 
ont  aiouié  les  mots  :  Premier  fait,  deuxième  fait,  troisième  fait,  etc., 
là  où  le  manuscrit  na  que  des  numéros  d'ordre,  i,  2,  3,  etc. 


124  CORRESPONDANCE  [janv.  1700 

de  foi  doit  être  une  vérité  révélée  de  Dieu,  de  quoi 
je  conviens  sans  difficulté  ;  mais  vous  venez  à  deux 
questions,  dont  l'une,  si  Dieu  en  a  seulement  révélé 
autrefois,  ou  s'il  en  révèle  encore  ;  et  la  seconde  :  si 
les  révélations  d'autrefois  sont  toutes  dans  VÉcriture 
sainte  ou  sont  venues  du  moins  d'une  tradition  apos- 
tolique, ce  que  ne  nient  point  plusieurs  des  plus  accom- 
modants entre  les  protestants. 

Je  réponds  sans  hésiter,  Monsieur,  que  Dieu  ne 
révèle  point  de  nouvelles  vérités  qui  appartiennent  à 
la  foi  catholique,  et  qu'il  faut  suivre  la  règle  de  la 
perpétuité,  qui  avait,  comme  vous  dites  très  bien, 
passé  pour  la  règle  de  la  cathoHcité,  de  laquelle 
aussi  jamais  l'Eglise  ne  s'est  départie. 

Il  ne  s'agit  pas  ici  de  disputer  de  l'autorité  des 
traditions  apostoliques,  puisque  vous  dites  vous- 
même,  Monsieur,  que  les  plus  accommodants,  c'est- 
à-dire,  comme  je  l'entends,  non  seulement  les  plus 
doctes,  mais  encore  les  jîIus  sages  des  protestants, 
ne  les  nient  pas  ;  comme  je  crois,  en  effet,  l'avoir 
remarqué  dans  votre  savant  Calixte'  et  dans  ses 
disciples.  Mais  je  dois  vous  faire  observer  que  le  con- 
cile de  Trente  reconnaît  la  règle  de  la  perpétuité, 
lorsqu'il  déclare  qu'il  n'en  a  point  d'autre  que  «  ce 
qui  est  contenu  dans  l'Écriture  sainte,  ou  dans  les 
traditions  non  écrites,  qui,  reçues  par  les  apôtres  de 
la  bouche  de  Jésus-Christ,  ou  dictées  aux  mêmes  apô- 
tres par  le  Saint-Esprit,  sont  venues  à  nous  comme  de 
main  en  main  »  (Sess.  IV,  de  Canon,  script.). 

I.  Cf.  t.  II,  p.  180. 


janv.  1700]  DE  BOSSUET.  125 

Il  faut  donc,  Monsieur,  tenir  pour  certain  que 
nous  n'admettons  aucune  nouvelle  révélation,  et  que 
c'est  la  foi  expresse  du  concile  de  Trente,  que  toute 
vérité  révélée  de  Dieu  est  venue  de  main  en  main 
jusqu'à  nous  ;  ce  qui  aussi  a  donné  lieu  à  cette 
expression  qui  règne  dans  tout  ce  concile,  que  le 
dogme  qu'il  établit  a  toujours  été  entendu  comme  il 
l'expose  :  Sicut  Ecclesia  catholica  semper  intellexit. 

Selon  cette  règle,  on  doit  tenir  pour  assuré  que 
les  conciles  œcuméniques,  lorsqu'ils  décident  quel- 
que vérité,  ne  proposent  point  de  nouveaux  dogmes, 
mais  ne  font  que  déclarer  ceux  qui  ont  toujours  été 
crus,  et  les  expliquer  seulement  en  termes  plus  clairs 
et  plus  précis. 

Quant  à  la  demande  que  vous  me  faites,  s'il  faut, 
avec  Grégoire  de  Valence,  réduire  la  certitude  de  la 
décision  à  ce  que  prononce  le  Pape,  ou  avec  ou  sans 
le  concile,  elle  me  paraît  assez  inutile.  On  sait  ce 
qu'a  écrit  sur  ce  sujet  le  cardinal  du  Perron^,  dont 
l'autorité  est  de  beaucoup  supérieure  à  celle  de  ce 
célèbre  jésuite  ;  et,  pour  ne  point  rapporter  des 
autorités  particulières,  on  voit  en  cette  matière  ce 
qu'enseigne  et  ce  que  pratique,  même  de  nos  jours, 
et  encore  tout  récemment,  l'Eglise  de  France  ^ 

Nous  donnerons  donc  pour  règle  infaillible,  et 
certainement  reconnue  par  les  catholiques,  des  véri- 
tés de  foi,  le  consentement  unanime  et  perpétuel  de 
toute   l'Eglise,   soit  assemblée  en  concile,  soit  dis- 

2.  Voir  t.  XI,  p.  062. 

3.  Dans  les  assemblées  provinciales  tenues  en  1699  pour  la  récep- 
tion du  bref  de  condamnation  des  Maximes  des  saints. 


ia6  CORRESPONDANCE  [janv.  1700 

persée  par  toute  la  terre,  et  toujours  enseignée  par 
le  même  Esprit*.  Si  c'est  là,  pour  me  servir  de  vos 
expressions,  ce  qui  est  le  plus  agréable  aux  protes- 
tants, bien  éloignés  de  les  détourner  de  cette  doc- 
trine, nous  ne  craignons  point  de  la  garantir,  comme 
incontestablement  saine  et  orthodoxe. 

Mais  alors,  continuez-vous,  il  sera  difficile  de 
justifier  t antiquité  de  bien  des  sentiments  qu'on  veut 
faire  passer  pour  être  de  foi  dans  l'Église  romaine 
d'aujourd  hui. 

Non,  Monsieur,  j'ose  vous  répondre  avec  con- 
fiance que  cela  n'est  pas  si  difficile  que  vous  pensez, 
pourvu  qu'on  éloigne  de  cet  examen  l'esprit  de  con- 
tention, en  se  réduisant  aux  faits  certains. 

Vous  en  pouvez  faire  l'essai  dans  l'exemple  que 
vous  alléguez,  et  qui  est  aussi  le  plus  fort  qu'on 
puisse  alléguer,  de  la  canonicité  des  livres  que  les 
protestants  tiennent- pour  apocryphes,  laquelle  passe 
aujourd'hui  pour  être  de  foi  dans  votre  communion 
contre  ce  qui  était  cru  par  des  personnes  d'autorité 
dans  l'ancienne  Église.  Mais,  Monsieur,  vous  allez 
voir  clairement,  si  je  ne  me  trompe,  cette  question 
résolue  par  des  faits  entièrement  incontestables. 

I.  Le  premier  est  que  ces  livres,  dont  on  dispute, 
ou  dont  autrefois  on  a  disputé,  ne  sont  pas  des  livres 
nouveaux  ou  nouvellement  trouvés,  auxquels  on  ait 
donné  de  l'autorité.  La  seconde  lettre  de  saintPierre, 
celle  aux  Hébreux,  l'Apocalypse,  et  les  autres  livres 
qui  ont  été  contestés,  ont  toujours  été  connus  dans 
l'Eglise,  et  intitulés  du  nom  des  apôtres  à  qui  encore 

4.   Edit.  :  le  même  Saint-Espril. 


janv.  1700]  DE  BOSSUET.  127 

aujourd'hui  on  les  attribue.  Si  quelques-uns  leur  ont 
disputé  ce  titre,  on  na  pas  nié  pour  cela  l'existence 
de  ces  livres,  et  qu'ils  ne  portassent  cette  intitula- 
tion,  ou  partout,  ou  dans  la  plupart  des  lieux  011  on 
les  lisait,  ou  du  moins  dans  les  plus  célèbres. 

II.  J'en  dis  autant  des  livres  de  l'Ancien  Testa- 
ment. La  Sagesse,  lEcclésiastique,  les  Machabées  et 
les  autres,  ne  sont  pas  des  livres  nouveaux  :  ce  ne 
sont  pas  les  chrétiens  qui  les  ont  composés  ;  ils  ont 
précédé  la  naissance  de  Jésus-Christ,  et  nos  pères, 
les  ayant  trouvés  parmi  les  Juifs,  les  ont  pris  de  leurs 
mains  pour  l'usage  et  pour  l'édification  de  l'Eglise. 

III.  Ce  n'est  point  non  plus  par  de  nouvelles 
révélations  ou  par  de  nouveaux  miracles  qu'on  les  a 
reçus  dans  le  canon.  Tous  ces  moyens  sont  suspects 
ou  particuliers,  et  par  conséquent  insuffisants  à  fon- 
der une  tradition  et  un  témoignage  de  la  foi.  Le 
concile  de  Trente,  qui  les  a  rangés  dans  le  canon, 
les  y  a  trouvés  il  y  a  près  de  douze  cents  ans,  et  dès 
le  quatrième  siècle,  le  plus  savant  sans  contestation 
de  toute  l'Eglise. 

IV.  Personne  n'ignore  le  canon  xLvn  du  con- 
cile III  de  Carthage",  qui  constamment  est  de  ce 
siècle-là,  et  où  les  mêmes  livres,  sans  en  excepter 
aucun,  reçus  dans  le  concile  de  Trente,  sont  recon- 
nus comme  livres  «  qu'on  lit  dans  l'Eglise  sous  le 
nom  de  divines  Ecritures  et  d'Ecritures  canoniques  : 


5.  En  397.  Cf.  Mansi,  Colleclio,  t.  III,  p.  891  ;  H.  Denziger, 
Enchiridion  symbolorum,  definitionum,  etc.,  edit.  décima,  1908,  p.  ^2, 
cite  le  texte  des  Statuta  concilii  hipponensis.  reproduit  dans  le  canon 
XLvii  du  concile  de  Garthage. 


128  CORRESPONDANCE  [janv.  1700 

sub  nomine  divinarum  Scriptararum,  etc.,  canonicae 
Scriptarœ,  etc. 

V.  C'est  un  fait  qui  n'est  pas  moins  constant,  que 
les  mêmes  livres  sont  mis  au  rang  des  saintes  Ecri- 
tures, avec  le  Pentateuque,  avec  l'Evangile,  avec 
tous  les  autres  les  plus  canoniques,  dans  la  réponse 
du  Pape  Innocent  I"  à  la  consultation  du  saint  évê- 
que  Exupère  de  Toulouse  (cap.  7),  en  l'an  4o5  de 
Notre-Seigneu^^  Le  décret  du  concile  romain,  tenu 
par  le  pape  saint  Gélase,  fait  le  même  dénombre- 
ment au  v*"  siècle,  qui  est  ^  le  dernier  canon  de 
l'Eglise  romaine  sur  ce  sujet,  sans  que  ses  décrets 
aient  jamais  varié.  Tout  l'Occident*  l'a  suivie,  et  le 
concile  de  Trente  n'a  fait  que  marcher  sur  ses  pas. 

VI.  Il  y  a  des  Eglises  que,  dès  le  temps  de  saint 
Augustin,  on  a  regardées  comme  plus  savantes  et 
plus  exactes  que  toutes  les  autres,  doctiores  ac  diligen- 
tiores  Ecclesise  {Dedoclr.  chr.,  lib.  II,  n"  22).  On  ne 
peut  dénier  ces  titres  à  l'Eglise  d'Afrique,  ni  à  l'Eglise 
romaine,  qui  avait  outre  cela  la  principauté  ou  la 
primauté  de  la  chaire  apostolique,  comme  parle 
saint  Augustin  :  Jn  qaa  semper  apostolicœ  cathedrse 
viguit  principatus^ ,  et  dans  laquelle  on  convenait, 
dès  le  temps  de  saint  Irénée,  que  la  tradition  des 
apôtres  s'était  toujours  conservée  avec  plus  de  soin. 

VII.  Saint  Augustin  a  pris  séance  dans  ce  concile  ; 

6.  Epist.  ad  Exuperium,  20  febr.  4o5.  Cf.  Denziger,  Enchiridion, 
p.  /.4., 

7.  Éclit.  :  et  c'est  là...  sans  que  ces  décrets.  —  Ex  Epist.  XLll, 
an.  495.  Cf.  Denziger,  p.  71. 

8.  Edit.  :  Tout  l'Occident  a  suivi  l'Église  en  ce  point. 

9.  Epist.  XLIII,  III,  7.  [P.  L.,  t.  XXXII,  col.  162]. 


janv.  1700]  DE   BOSSUET.  129 

du  moins  il  était  du  temps  '",  et  il  en  a  suivi  la  tra- 
dition dans  le  \i\reDe  la  doctrine  chrétienne,  où  nous 
lisons  ces  paroles  :  Tout  le  canon  des  Ecritures  con- 
tient ces  livres,  cinq  de  Moïse,  etc.,  où  sont  nommés 
en  même  rang  :  «  Tobie,  Judith,  deux  des  Macha- 
bées,  la  Sagesse,  Y  Ecclésiastique,  quatorze  épîtres  de 
saint  Paul,  et  notamment  celle  aux  Hébreux,  »  ainsi 
qu'elles  sont  comptées,  [tant]  dans  le  canon  de 
Cartilage  que  dans  saint  Augustin  :  deux  lettres  de 
saint  Pierre,  trois  de  saint  Jean,  et  l'Apocalypse^^  ». 

VIII.  Ces  anciens  canons  n'ont  pas  été  une  noa- 
veauté  introduite  par  ces  conciles  et  par  ces  papes, 
mais  une  déclaration  de  la  tradition  ancienne,  comme 
il  est  expressément  porté  dans  le  canon  déjà  cité  du 
concile  III  de  Carthage  :  ((  Ce  sont  les  livres, 
dit-il,  que  nos  pères  nous  ont  appris  à  lire  dans 
Véglise,  sous  le  titre  d'Ecritures  divines  et  canoni- 
ques y),  comme  marque  le  commencement  du  canon '^. 

IX.  La  preuve  en  est  bien  constante  par  les  sui- 
vantes remarques.  Saint  Augustin  avait  cité,  contre 
les  pélagiens,  ce  passage  du  livre  de  la  Sagesse  (iv, 
II)  :  lia  été  enlevé  de  la  vie,  de  crainte  que  la  malice 
ne  corrompît  son  esprit.  Les  semi-pélagiens  avaient 
contesté  l'autorité  de  ce  livre,  comme  n'étant  point 
canonique  ;  et  saint  Augustin  répond  «  qu'il  ne  fal- 
lait point  rejeter  le  livre  de  la  Sagesse,  qui  a  été  jugé 
digne  depuis  une  si  longue  antiquité,  tamlongaanno- 
sitate,    d'être   lu  dans  la  place  des  lecteurs,  et  d'être 

10.  Edit.  :  de  ce  temps-là. 

11.  De  doctrina  chrisliana,  lib.  II,  c.  viii.  n.  i3. 

12.  Mansi,  Concil.  nova  collcct.,  i    III,  col.  891. 

XII  —  9 


l3o  CORRESPONDANCE  [janv.  i-oa 

OUÏ  par  tous  les  chrétiens,  depuis  les  évêques  Jus- 
qu'aux derniers  des  laïques,  fidèles,  catéchumènes  et 
pénitents,  avec  la  vénération  qui  est  due  à  l'autorité 
divine.  »  A  quoi  il  ajoute  ((  que  ce  livre  doit  être  pré- 
féré à  tous  les  docteurs  particuliers,  parce  que  les 
docteurs  particuliers  les  plus  excellents  et  les  plus 
proches  du  temps  des  apôtres  se  le  sont  eux-mêmes 
préféré ^^,  et  que,  produisant  ce  livre  à  témoin,  ils 
ont  cru  ne  rien  alléguer  de  moins  qu'un  témoignage 
divin  :  Nihil  se  adhibere  nisi  divinum  testimonium 
crediderunt  »  ;  répétant  encore  à  la  lin  le  grand 
nombre  d'années,  tanta  annorum  numerosilate ,  oii  ce 
livre  a  eu  cette  autorité  (Lih.  de  prsed.  sanct., 
cap.  i/i).  On  pourrait  montrer  à  peu  près  la  même 
chose  des  autres  livres,  qui  ne  sont  ni  plus  ni  moins 
contestés  que  celui-là,  et  en  faire  remonter  l'auto- 
rité jusqu'aux  temps  les  plus  voisins  des  apôtres, 
sans  qu'on  en  puisse  montrer  le  commencement. 

X.  En  effet,  si  l'on  voulait  encore  pousser  la  tra- 
dition plus  loin,  et  nommer  ces  excellents  docteurs 
et  si  voisins  du  temps  des  apôtres,  qui  sont  marqués 
dans  saint  Augustin,  on  peut  assurer  qu'il  regardait 
au  livre'*  des  Témoignages  de  saint  Cyprien,  qui  est 
un  recueil  de  passages*'  de  l'Ecriture,  où,  à  l'ou- 
verture du  livre,  la  Sagesse,  l'Ecclésiastique  et  les 
Machabées  se  trouveront  cités  en  plusieurs  endroits, 
avec  la  même  autorité  que  les  livres  les  plus  divins, 
et  après  avoir  promis  deux  et  trois  fois  très  expres- 


i3.    La  copie  ici  donne  à  tort  :  se  les  sont  eux-mêmes  préfér«^s. 
l4-   Edit.  :  qu'il  avait  en  vue  le  livre... 
l5.   Edit.   :  des  passages. 


janv.  1700]  DE  BOSSUET.  l3l 

sèment,  dans  les  préfaces,  de  ne  citer  dans  ce  livre 
que  des  Ecritures  prophétiques  et  apostoliques. 

XI.  L'Afrique  ni  l'Occident  *'  n'étaient  pas  les 
seuls  à  reconnaître  pour  canoniques  les  livres  que 
les  Hébreux  n'avaient  pas  mis  dans  leur  canon.  On 
trouve  partout  dans  saint  Clément  d'Alexandrie  et 
dans  Origène  *\  pour  ne  point  parler  des  autres  Pères 
plus  nouveaux,  les  livres  de  la  Sagesse  et  de  l'Ecclé- 
siastique cités  avec  la  même  autorité  que  ceux  de 
Salomon,  et  même  ordinairement  sous  le  nom  de 
Salomon  même,  afin  que  le  nom  d'un  écrivain 
canonique  ne  leur  manquât  pas;  à  cause  aussi,  dit 
saint  Augustin  '^  qu'ils  en  avaient  pris  l'esprit. 

XII.  Quand  Julius  Africanus"  rejeta  dans  le 
prophète  Daniel  l'histoire  de  Susanne,  et  voulut 
défendre  les  Hébreux  contre  les  chrétiens,  on  sait 
comme  il  fut  repris  par  Origène^".  Quand  il  s'agira 
de  l'autorité  et  du  savoir,  je  ne  crois  pas  qu'on 
balance  entre  Origène  et  Julius  Africanus.  Personne 
n'a  mieux  connu  l'autorité  de  l'hébreu  qu  Origène, 
qui  l'a  fait  connaître  aux  Eglises  chrétiennes  ;  et, 
sans  plus  de  discussion,  sa  lettre  à  Africanus,   dont 

16.  Édit.  :  l'Afrique  et  l'Occident. 

17.  Clément  d'Alexandrie  cite  plus  de  vingt  fois  la  Sagesse  et  plus 
de  cinquante  fois  l'Ecclésiastique.  Origène  allègue  plus  de  vingt 
fois  comme  parole  divine  la  Sagesse,  plus  de  soixante-dix  fois  l'Ecclé- 
siastique. 

18.  De  doctrina  chrisliana,  1.  II,  c.  vin,  n.  i3. 

19.  Sextus  Julius  Africanus,  historien  du  m»  siècle,  converti  du 
paganisme  et  élevé  à  la  prêtrise,  vécut  en  Palestine  et  à  Alexandrie. 

I  II  avait  composé  une  Chronographie,  dont  on  retrouve  des  fragments 
i  dans  Eusèbe  et  dans  le  Svncelle.  Sa  lettre  à  Origène  fut  imprimée, 
j  Bâle,  1674.  Cf.  P.  G.,  t"  XI,  col.  ^I-l^8. 

20.  P.  G.,  à  la  suite  de  la  précédente  lettre,  col.  47-80. 


j33  correspondance  [janv.  1700 

on  nous  a  depuis  peu  donné  le  grec'V  établit  le  fait 
constant  que  ces  livres,  que  les  Hébreux  ne  lisaient 
point  dans  leurs  synagogues,  étaient  lus  dans  les 
églises  chrétiennes,  sans  aucune  distinction  d'avec 
les  autres  livres  divins. 

XIII.    Il    faut    pourtant    avouer    que    plusieurs 
Églises"  ne  les  mettaient  pas  dans  leur  canon,  parce 
que,  dans  les  livres  du  Vieux  Testament,  elles  ne 
voulaient  que    copier    le    canon    des    Hébreux,  et 
compter  simplement  les  livres  que  personne  ne  con- 
testait,  ni  juif,  ni  chrétien.    Il  faut    aussi    avouer 
que  plusieurs  savants,  comme  saint  Jérôme  et  quel- 
ques  autres   grands  critiques,   ne   voulaient    point 
recevoir  ces  livres  pour  établir  les  dogmes  ;  mais  leur 
avis  particulier  n'était  pas  suivi,  et  n'empêchait  pas 
que  les  plus  subUmes  et  les  plus  fidèles''  théolo- 
giens de  rÉgUse  ne  citassent  ces  livres  en  autorité, 
même  contre  les  hérétiques,   comme  l'exemple  de 
saint  Augustin  vient  de  le  laire  voir,  pour  ne  point 
entrer   ici    dans    la   discussion  inutile   des    autres 
auteurs.  D'autres  ont  remarqué,  devant  moi,    que 
saint  Jérôme  lui-même  a  souvent  cité  ces  livres  en 
autorité   avec  les  autres  Écritures,  et  ainsi  que  les 
opinions  particuUères    des    docteurs    étaient,   dans 
leurs  propres  Uvres,  souvent  emportées  par  I" esprit 
de  la  tradition  et  par  l'autorité  des  ÉgHses. 

ui.  Origenis  Dialogus  contra  Marcionitas,  Exhorlalio  ad  marlyrium, 
Responsum  ad  Africain  epistolam  de  historia  Susannœ.  grœce  et  latine, 
éait.  Je«n  Rodolphe  Wettstein,  Bàle,  1674,  in-/4.  Ces  opuscules 
.Haient  «lors  publiés  pour  la  première  fois.  # 

33.   Édit.  :  Églises  chrétiennes. 

■jZ.   Copie  de  Ledieu  :  les  plus  solides. 


janv.  1700]  DE   BOSSU  ET.  i^'S 

XIV.  Je  n'ai  pas  besoin  de  m'étendre  ici  sur  le 
canon  des  Hébreux^*,  ni  sur  les  divers  significations 
du  mot  d'apocryphe,  qui,  comme  on  sait,  n'est  pas 
toujours  également  désavantageux.  Je  ne  dirai  pas 
non  plus  quelle  autorité  parmi  les  Juifs,  après  leur 
canon  fermé '^'  par  Esdras,  pouvaient  avoir,  sous 
un  autre  titre  que  celui  de  canoniques,  ces  livres 
qu'on  ne  trouve  point  dans  l'hébreu.  Je  lais- 
serai encore  à  part  l'autorité  que  leur  peuvent  con- 
cilier les  allusions  secrètes  qu'on  remarque  aux 
sentences  de  ces  livres,  non  seulement  dans  les 
auteurs  profanes,  mais  encore  dans  l'Evangile.  Il  me 
semble  que  le  savant  évêque  d'Avranches^^  dont  le 
nom  est  si  honorable  dans  la  littérature,  n'a  rien 
laissé  à  dire  sur  cette  matière  ;  et  pour  moi,  Mon- 
sieur, je  me  contente  d'avoir  démontré,  si  je  ne  me 
trompe,  que  la  définition  du  concile  de  Trente  sur  la 
canonicité  des  Ecritures,  loin  de  nous  obliger  à 
reconnaître  de  nouvelles  révélations,  fait  voir  au 
contraire  que  l'Eglise  catholique  demeure  toujours 
inviolablement  attachée  à  la  tradition  ancienne, 
venue  jusqu'à  nous  de  main  en  main. 

XV.  Que  si  enfin  vous  m'objectez  que  du  moins 
cette  tradition  n'était  pas  universelle,  puisque  de  très 
grands  docteurs  et  des  Eglises  entières  ne  l'ont  pas 
connue,  c'est,  Monsieur,  une  objection  que  vous 
avez  à  résoudre  avec  moi.  La  démonstration  en  est 

a4-  Le  canon  hébreu  ou  palestinien  contient  les  vingt-quatre 
livres  de  la  Bible  hébraïque. 

25  Édit.  :  leur  canon  par  Esdras.  —  Entendez  :  la  collectioii 
des  Livres  saints  close  au  temps  d'Esdras. 

26.   P.-D.  Huet. 


l34  CORRESPONDANCE  [janv.  1700 

évidente  :  nous  convenons  tous  ensemble,  protes- 
tants ou  catholiques,  également  des  mêmes  livres  du 
Nouveau  Testament;  car  je  ne  crois  pas  que  per- 
sonne voulût  suivre  encore  les  emportements  de 
Luther  contre  l'Epître  de  saint  Jacques  ^\  Passons 
donc  une  même  canonicité  à  tous  ces  livres,  contes- 
tés autrefois  ou  non  contestés  :  après  cela,  Monsieur, 
permettez- moi  de  vous  demander  si  vous  voulez 
affaiblir  l'autorité  ou  de  l'Epîlre  aux  Hébreux,  si 
haute,  si  théologique,  si  divine,  ou  celle  de  l'Apo- 
calypse, oii  reluit  l'esprit  prophétique  avec  autant 
de  magnificence  que  dans  Isaïe  ou  dans  Daniel.  Ou 
bien  dira-t-on  peut-être  que  c'est  une  nouvelle  révé- 
lation qui  les  a  fait  reconnaître.  Vous  êtes  trop  ferme 
dans  les  bons  principes  pour  aujourd'hui  les  aban- 
donner. Nous  dirons  donc,  s'il  vous  plaît,  tous  deux 
ensemble,  qu'une  nouvelle  reconnaissance  de  quel- 
que livre  canonique,  dont  quelques-uns  auront  douté, 
ne  déroge  point  à  la  perpétuité  de  la  tradition,  que 
vous  voulez  bien  avouer  pour  marque  de  la  vérité 
catholique.  Pour  être  constante  et  perpétuelle,  la 
vérité  catholique  ne  laisse  pas  d'avoir  ses  progrès  : 
elle  est  connue  en  un  lieu  plus  qu'en  un  autre,  plus 
clairement,  plus  distinctement,  plus  universellement. 
Il  suffit,  pour  établir  la  succession  et  la  perpétuité 
de  la  foi  d'un  livre  saint,  comme  de  toute  autre 
vérité,  qu'elle  soit  toujours  reconnue  ;  qu'elle  le  soit 
dans    le    plus   grand    nombre    sans    comparaison  ; 

37.  C'est,  disait-il,  «  une  épître  de  paille,  dans  laquelle  il  n'y  a 
rien  d'évany^hque  «  {Vorwort  zum  Neiien  Testament,  4,  dans  les 
Werke,  Mît.  Walcli.,  t.  XIV,  col.  io5).  Voir  F.  Vlgouroux,  Les  Livres 
Saintset  la  critique  rationaliste,  5^  édit.,  in-12,  Paris, 1901,  1. 1, p. 428. 

t 


janv.  1700]  DE   BOSSUET.  l35 

qu'elle  le  soit  dans  les  Eglises  les  plus  émi- 
nentes,  les  plus  autorisées,  les  plus  révérées;  qu'elle 
s'y  soutienne,  qu'elle  gagne  et  qu'elle  se  répande 
d'elle-même,  jusqu'à  tant  que  le  Saint-Esprit,  la 
force  de  la  tradition,  et  le  goût,  non  celui  des 
particuliers,  mais  l'universel  de  l'Eglise,  la  fasse 
enfin  prévaloir,  comme  elle  a  fait  au  concile  de 
Trente. 

XVI.  Ajoutons,  si  vous  l'avez  agréable,  que  la 
foi  qu'on  a  en  ces  livres  nouvellement  reconnus 
a  toujours  eu  dans  les  Eglises  un  témoignage  au- 
thentique dans  la  lecture  qu'on  en  a  faite  dès  le 
commencement  du  christianisme,  sans  aucune  mar- 
que de  distinction  d'avec  les  livres  reconnus  di- 
vins ;  ajoutons  l'autorité  qu'on  leur  donne  partout 
naturellement  dans  la  pratique,  comme  nous 
lavons  remarqué  ;  ajoutons  enfin  que,  le  terme  de 
canonique  n'ayant  pas  toujours  une  signification 
uniforme,  nier  qu'un  livre  soit  canonique  en  un 
sens,  ce  n'est  pas  nier  qu'il  ne  le  soit  en  un 
autre  ;  nier  qu'il  soit,  ce  qui  est  très  vrai,  dans 
le  canon  des  Hébreux,  ou  reçu  sans  contradiction 
parmi  les  chrétiens,  n'empêche  pas  qu'il  ne  soit 
au  fond  dans  le  canon  de  l'Eglise,  par  l'autorité 
que  lui  donne  la  lecture  presque  générale,  et  par 
l'usage  qu'on  en  faisait  par  tout  l'univers.  C'est 
ainsi  qu'il  faut  concilier,  plutôt  que  commettre 
ensemble  les  Eglises  et  les  auteurs  ecclésiastiques, 
par  des  principes  communs  à  tous  les  divers  sen- 
timents, et  par  le  retranchement  de  toute  ambi- 
guïté. 


l36  CORRESPONDANCE  [janv.  1700 

XVII.  II  ne  faut  pas  oublier  un  fait^*  que  saint 
Jérôme  raconte  à  tout  l'univers,  sans  que  personne 
l'en  ait  démenti,  qui  est  que  le  livre  de  Judith  avait 
reçu  un  grand  témoignage  par  le  concile  de  Nicée^^. 
On  n'aura  point  de  peine  à  croire  que  cet  infatigable 
lecteur  de  tous  les  livres  et  de  tous  les  actes  ecclé- 
siastiques ait  pu  voir  par  ses  curieuses  et  laborieuses 
recherches,  auxquelles  rien  n'échappait,  quelque 
mémoire  de  ce  concile,  qui  se  soit  perdu  depuis. 
Ainsi  ce  savant  critique,  qui  ne  voulait  pas  admettre 
le  livre  dont  nous  parlons,  ne  laisse  pas  de  lui 
donner  le  plus  grand  témoignage  qu'il  pût  jamais 
recevoir,  et  de  nous  montrer  en  même  temps  que, 
sans  le  mettre  dans  le  canon,  les  Pères  et  les  con- 
ciles les  plus  vénérables  s'en  servaient  dans  l'occa- 
sion, comme  nous  venons  de  le  dire,  et  le  consa- 
craient par  la  pratique. 

XVIII,  Quoique  je  commence  à  sentir  la  lon- 
gueur '°  de  cette  lettre,  qui  devient  un  petit  livre, 
contre  mon  attente,  le  plaisir  de  m'entretenir,  par 
votre  entremise,  avec  un  prince  qui  aime  si  fort  la 
religion,  qu'il  daigne  même  m'ordonner  de  lui  en 
parler  de  si  loin,  me  fera  encore  ajouter  un  fait  qu'il 
approuvera.  C'est,  Monsieur,  que  la  diversité  des 
canons  de  l'Ecriture,  dont  on  usait  dans  les  Eglises, 
ne  les  empêchait  point  ^'  de  concourir  dans  la  même 
théologie,  dans  les  mêmes  dogmes,  dans  la  môme 

28.  Édit.  :  le  fait. 

29.  S.  Jérôme,  Prœfatio  in  librum  Judith  [P.  L.,  t.  XXIX,  col.  Sg]. 

30.  Ms.  :  sentir  par  la  longueur.  La  copie  de  Ledieu  :  à  sentir  la 
longueur. 

3i.   Ms.  :  ne  les  empêchaient  point.  Ledieu  :  ne  les  empêchai»  ;^as. 


janv.  1700I  DE   BOSSUET.  187 

condamnation  de  toutes  les  erreurs,  et  non  seule- 
ment de  celles  qui  attaquaient  les  grands  mystères, 
de  la  Trinité,  de  l'Incarnation,  de  la  Grâce  ;  mais 
encore  de  celles  qui  blessaient  les  autres  vérités 
révélées  de  Dieu,  comme  faisaient  les  montanistes, 
les  novatiens,  les  donatistes,  et  ainsi  du  reste.  Par 
exemple,  la  province  de  Phrygie,  qui,  assemblée 
dans  le  concile  de  Laodicée,  ne  recevait  point  en 
autorité,  et  semblait  même  ne  vouloir  pas  lire  dans 
l'Eglise  quelques-uns  des  livres  dont  il  s'agit,  contre 
la  coutume  presque  universelle  des  autres  Eglises, 
entre  autres  de  celles  d'Occident^",  n'en  condamnait 
pas  moins  avec  elles  toutes  les  erreurs  qu'on  vient  de 
marquer  ;  de  sorte  qu'en  vérité  il  ne  leur  manquait 
aucun  dogme,  encore  qu'il  manquât  dans  leur 
canon  quelques-uns  des  livres  qui  servaient  à  les 
convaincre. 

XIX.  C'est  pour  cela  qu'on  se  laissait  les  uns  aux 
autres  une  grande  liberté,  sans  se  presser  d'obliger 
toutes  les  Eglises  au  même  canon  ;  parce  qu'on  ne 
voyait  naître  de  là  aucune  diversité  dans  la  foi,  ni 
dans  les  mœurs  :  et  la  raison  en  était  que  les  fidèles, 
qui  ne  cherchaient  pas  les  dogmes  de  foi  dans  les 
livres  '^  non  canonisés  en  quelques  endroits,  les 
trouvaient  suffisamment  dans  ceux  qui  n'avaient 
jamais  été  révoqués  en  doute  ;  et  que  même  ce  qu'on 
ne  trouvait  pas  dans  les  Ecritures  en  général,  on  le 
recouvrait  dans  les  traditions  perpétuelles  et  univer- 
selles. 

Sa.   Edit.  :  de  celle  d'Occident.  Ledieu  :  de  celles  d'Occident. 
33.  Èdlt.  :  dans  ces  livres. 


l38  CORRESPONDANCE  fjanv.  1700 

XX.  Sur  cela  môme  nous  lisons  dans  saint 
Augustin,  et  dans  l'un  de  ses  plus  savants  écrits, 
cette  sentence  mémorable  :  L'homme  qui  est  affermi 
dans  la  foi,  dans  l'espérance  et  dans  la  charité,  et  qui 
est  inébranlable  à  les  conserver,  n'a  besoin  des  Ecri- 
tures que  pour  instruire  les  autres  ;  ce  qui  fait  aussi 
que  plusieurs  vivent  sans  aucuns  livres  dans  les  soli- 
tudes (Lib.  I  de  Doct.  chr.,  xxxix,  n"  /i3).  »  On  sait 
d'ailleurs  qu'il  y  a  eu  des  peuples  qui,  sans  avoir 
l'Ecriture,  qu'on  n'avait  pu  encore  traduire  en  leurs 
langues  barbares  et  irrégulières,  n'en  étaient  pas 
moins  chrétiens  que  les  autres  ;  par  011  aussi  l'on 
peut  entendre  que  la  concorde  dans  la  foi,  loin 
de  dépendre  de  la  réception  de  quelques  livres  de 
l'Ecriture,  ne  dépend  pas  même  de  toute  l'Ecriture 
en  général  ;  ce  qui  se  pourrait  prouver  encore  par 
TertuUien^*  et  par  tous  les  autres  auteurs,  si  cette 
discussion  ne  nous  jetait  trop  loin  de  notre  sujet. 

XXI.  Que  si  enfin  on  demande  pourquoi  donc  le 
concile  de  Trente  napas  laissé  sur  ce  point  la  même 
liberté  que  l'on  avait  autrefois,  et  qu'il  défende,  sous 
peine  d'analhème,  de  recevoir  un  autre  canon  que 
celui  qu'il  propose  (Sess.  IV),  sans  vouloir  rien  dire 
d'amer,  je  laisserai  seulement  à  examiner  aux  pro- 
testants modérés  si  l'Eglise  romaine  a  dû  laisser 
ébranler  par  les  protestants  le  canon  dont,  comme 
on  a  vu,  elle  était  en  possession  avec  tout  l'Occident, 
non  seulement  dès  le  quatrième  siècle,  mais  encore  dès 
l'origine  du  christianisme,  canon  qui  s'était  affermi 

34.   Liber  de  Prasscr'ndionibus,  XIV  [P.  L.,  t.  II,  col.  Sa]. 


janv.  1700]  DE   BOSSUET.  iSg 

depuis  par  l'usage  de  douze  cents  ans,  sans  aucune 
contradiction  ;  canon  enfin  dont  on  prenait  occasion 
de  la  calomnier,  comme  falsifiant  les  Ecritures,  ce 
qui  faisait  remonter  l'accusation  jusqu'aux  siècles 
les  plus  purs  :  je  laisse,  dis-je,  à  examiner  si  l'Eglise 
a  dû  tolérer  ce  soulèvement,  ou  bien  le  réprimer  par 
ses  anathèmes. 

XXII.  Il  n'est  donc  rien  arrivé  ici  que  ce  qu'on 
a  vu  arriver  à  toutes  les  autres  vérités,  qui  est  d'être 
déclarées  plus  expressément,  plus  authentiquement, 
plus  fortement,  par  le  jugement  de  l'Eglise  catholi- 
que, lorsqu'elles  ont  été  plus  ouvertement,  et,  s'il 
est  permis  de  dire  une  fois  ce  mot,  plus  opiniâtre- 
ment contredites  ;  en  sorte  qu'après  ce  décret,  le 
doute  ne  soit  plus  permis. 

XXIII.  Je  n'ai  point  ici  à  rendre  raison  pourquoi 
nous  donnons  le  nom  d'Eglise  catholique  à  la  com- 
munion romaine,  ni  le  nom  de  concile  œcuménique 
à  celui  qu'elle  reconnaît  pour  tel.  C'est  une  dispute 
à  part,  oîj  l'on  ne  doit  pas  entrer  ici  ;  et  il  me  suffit 
d'avoir  remarqué  les  faits  constants  d'où  résulte 
l'antiquité  et  la  perpétuité  du  canon  dont  nous  usons. 

XXIV.  Après  tout,  quelque  inviolable  que  soit  la 
certitude  que  nous  y  trouvons,  il  sera  toujours  véri- 
table que  les  livres  qui  n'ont  jamais  été  contestés 
ont  dès  là  une  force  particulière  pour  la  conviction  ; 
parce  qu'encore  que  nul  esprit  raisonnable  ne  doive 
douter  des  autres  après  la  décision  de  l'Eglise,  les 
premiers  ont  cela  de  particulier  que,  procédant  ad 
hominem  et  ex  concessis,  comme  on  parle,  ils  sont 
plus  propres  à  fermer  la  bouche  aux  contredisants. 


l/io  CORRESPONDA.NCE  [janv.  1700 

Voilà,  Monsieur,  un  long  discours,  encore  que  je 
n'aie  fait  que  proposer  les  principes.  C'est  à  Dieu  à 
ouvrir  les  cœurs  de  ceux  qui  le  liront.  Ce  dont  je 
vous  prie,  c'est  de  le  présenter  à  votre  grand  prince, 
de  prendre  les  moments  heureux  011  son  oreille  sera 
plus  libre,  et  enfin  de  le  lui  faire  regaider  comme  un 
effet  de  mon  très  humble  respect.  Le  reste  se  dira 
une  autre  fois  et  bientôt,  s'il  plaît  à  Dieu. 

Je  suis  cependant,  et  serai  toujours,  avec  une 
estime  et  une  affection  cordiale,  Monsieur '%  votre 
très  humble  serviteur. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux'^ 


1985.     —    A   M-""    DUMANS. 

A  Meaux,    13,  janvier    1700. 

Mon  neveu  m'a   rapporté  de  vos  nouvelles,  ma 

35.  Ces  derniers  mots,  ainsi  que  la  signature,  sont  de  la  main  de 
Bossuet. 

36.  Cette  lettre  fut  envoyée  de  Wolfenbuttel  à  Leibniz,  par 
M.  du  Héron,  le  3  février  1700  (Hanovre,  f"  SgS)  Leibniz  écrivit  à 
ce  sujet  :  «  ...  Je  vous  remercie  tiès  humblement  du  soin  que  vous 
avez  en  de  me  procurer  la  lettre  de  M.  l'évêque  de  Meaux,  qui  est 
assurément  très  savante  et  délicate  au  possible.  Il  faudra  savoir  là- 
dessus  les  sentiments  de  Mgr  le  Duc,  pour  qui  proprement  elle  a  été 
écrite,  et  \e  viendrais  (^sic)  recevoir  les  ordres  de  S.  A.  S.  là-dessus, 
pour  savoir  si  elle  veut  que  la  matière  soit  approfondie  par  des  gens 
du  métier.  Car,  puisqu'elle  ne  reg.trde  ni  le  droit,  ni  l'histoire,  ni  les 
mathématiques,  ni  la  philosopiiie,  ,|'ai  peur  (et  ce  n'est  pas  sans  rai- 
son) que  M.  de  Meaux  ne  me  prenne  pour  un  homme  trop  ambitieux 
et  téméraire  si  je  voulais  entrer  en  lice  avec  lui.  Outre  que  je  suis 
déjà  trop  embarrassé  d'occupations  pour  avoir  envie  de  m'en  attirer 
des  nouvelles  en  voulant  tenir  tète  au  plus  grand  homme  de  contro- 
verses de  votre  parti...  »  (/6(rf.,  f"  39'4). 

Lettre  i9i.5.  —  L.  a.  s.  Collection  de  M.  Le  Blondel,  h  Meaux. 
Une  fopie  à  la  Bibliothèque  Nationale,  fr.  i5i8i. 

i 


janv.  i-oo]  DE   BOSSUET.  I^I 

Fille,  et  votre  lettre  me  fait  connaître  une  partie  de 
vos  dispositions  et  de  celles  de  la  Maison.  Détachez- 
vous  de  vous-mêmes,  et  remplissez- vous  de  Jésus- 
Gluist,  afm  de  le  faire  naître  dans  ces  âmes  tendres, 
en  sorte  qu'il  y  établisse  sa  demeure. 

Ayez  soin  de  Mme  de  Rodon\  et  écrivez  moi  de  ses 
nouvelles  ;  donnez-lui  ma  bénédiction  avec  ma  lettre, 
et  croyez,  ma  Fille,  que  je  n'oublie  aucune  de  vous, 
et  vous  moins  que  personne. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Suscription  :  A  Mme  Dumans,  à  Jouarre,  par  La 
Ferté-sous-Jouarre. 


1986.  —  A  DoM  Martène. 

A.   Versailles,    26  janvier   1700. 

J'ai  reçu,  mon  Révérend  Père,  en  arrivant  de 
Meaux  à  Paris,  il  y  a  deux  ou  trois  jours,  le  docte 
et  curieux  ouvrage'  que  vous  m'avez  envoyé,  avec 
la  lettre  qui  l'accompagnait,  et  je  n'ai  pas  tardé  à 
commencer  cette  lecture.  Le  dessein  me  plaît  tout 
à  fait  ;  et  je  juge,  par  le  peu  que  j'en  ai  lu,  que  l'exé- 
cution n'en  est  pas  moins  heureuse  :  ainsi  je  vous 
rends  grâces  de  votre  souvenir.  Notre  commune 
patrie  ',  outre  votre  habit  et  votre  congrégation,  que 

I.    Voir  t.  IV,  p.  67. 

Lettre  1986.  —  Publiée  dans  l'édit.  de  Versailles,  t.  XXXVIJl, 
p.  66.  —  D.  Martène  a  eu  sa.  notice,  t.  IV,  p.  52. 

I.  Les  deux  premiers  volumes  du  grand  ourrage  :  De  anllquis 
Ecclesix  ritibus,  Rouen,  1700-1702,  3  vol.  in-4. 

3.   D.    Martène   était   né    en    Bourgogne,    à    Saint-Jean-de-Losne, 


l42  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 

j'honore,  me  fait  prendre  un  intérêt  particulier  au 
succès  de  cet  ouvrage  ;  et  c'est,  mon  Révérend  Père, 
ce  qui  m'oblige  à  vous  dire  ce  qui  m'est  venu  de 
divers  endroits  :  qu'étant  très  exact  dans  les  rits 
anciens,  vous  en  avez  rapporté  un  petit  nombre, 
comme  actuellement  pratiqués,  qui  ne  le  sont  plus 
depuis  assez  longtemps.  On  m'a  allégué  pour 
exemple  la  coutume  de  ne  se  point  agenouiller 
devant  le  Saint-Sacrement  dans  l'église  de  Lyon  '. 
C'est  ce  que  je  vous  laisse  à  examiner  ;  et  je  me 
contente  que  vous  sachiez  ce  qui  se  dit,  afin  que 
rien  ne  manque  à  l'exactitude  que  l'on  attend  d'une 
main  aussi  savante  que  la  vôtre.  Soyez  cependant 
persuadé  de  l'estime  singulière  avec  laquelle  je 
suis,  etc. 


1987.   —  A  Leibmz. 

A  Versailles,    2   février   l'joo. 

Monsieur,  des  deux  difficultés  que  vous  m'avez  pro- 
ville à  laquelle  Bossuet  se  rattacluiit  par  la  famille  de  sa  mère  ;  il 
était  cousin  de  l'abbé  Jannel,  de  qui  nous  avons  parlé,  t.  II,  p.  68 
(Bibl.  Nationale,  fr.    20538,  fo^  /i3  ei  U). 

3.  En  rappelant  la  coutume  générale  de  faire  la  génuflexion  devant 
le  Saint-Sacrement  en  signe  d'adoration,  Dom  Martène  signale  une 
exception  (t.  I,  p.  666)  :  «  Canonici  lugdunenses  ex  antiqua  Ecclesiœ 
consuetudine  hactenus  stando  id  praestant.  »  Mais,  s'il  est  vrai  qu'ils 
ne  font  pas  la  génuflexion,  il  n'est  cependant  pas  exact  qu'ils  se 
tiennent  del)out  en  faisant  une  simple  inclination.  Dans  le  rite  lyon- 
nais, la  génuflexion  est  remplacée  par  une  «  révérence  à  l'autel 
en  pliant  les  genoux  comme  les  femmes  et  comme  les  enfants  de 
chœur  des  églises  cathédrales,  ainsi  qu'il  est  expressément  ordonné 
dans  l'ancien  ordinaire  de  cette  église  »  (Le  sieur  de  Moléon  (Le 
Rriin  des  Maiettes),  Voyages  liturgiques  de  France.  Paris,  1757,  in-8, 
p.  Ag-So).  Cet  usage  subsiste  encore. 

Lettre  1981.  —  De    la    main    d'un   copiste,    avec    une    signature 


f('v.  I700]  DE  BOSSUET.  1^3 

posées  dans  votre  lettre  du  1 1""*  décembre  1699,  de 
la  part  de  votre  grand  et  habile  prince  ',  la  seconde 
regardait  les  degrés  entre  les  articles  de  foi,  les  ans 
étant  plus  importants  que  les  autres  ;  et  c'est  celle-là 
sur  laquelle  il  faut  tâcher  aujourd'hui  de  le  satis- 
faire. 

Vous  l'expliquez  en  ces  termes  :  «  Quant  aux  degrés 
de  ce  qui  est  de  foi,  on  disputa  dans  le  colloque  de 
Ratishonne  de  ce  siècle,  entre  Hunnius,  protestant, 
et  le  P.  Tanner,  jésuite,  si  les  vérités  de  peu  d'impor- 
tance qui  sont  dans  l'Ecriture  sainte,  comme,  par 
exemple,  celle  du  chien  de  Tobie,  sont  des  articles  de 
foi,  comme  le  P.  Tanner  l'assura  :  ce  qui  étant  pobé, 
il  faut  reconnaître  qu'il  y  a  une  infinité  d'articles  de  foi 
qu'on  peut  non  seulement  ignorer,  mais  même  nier 
impunément,  pourvu  quon  croie  qu'ils  n'ont  point  été 
révélés  ;  comme  si  quelqu'un  croyait  que  ce  passage, 
Très  sunt  qui  testimonium  perhibent,  etc.,  nest 
point  authentique,  puisqu'il  manque  dans  les  anciens 
exemplaires  grecs.  Il  sera  question  maintenant  de 
savoir  s'il  y  a  des  articles  tellement  fondamentaux 
qu'ils  soient  nécessaires,  necessitate  medii,  en  sorte 
quon  ne  les  saurait  ignorer  ou  nier  sans  exposer  son 
salut,  et  comment  on  les  peut  discerner  d'avec  les 
autres.  » 

Il  me   semble  premièrement,   Monsieur,  que,  si 

autographe.  Hanovre,  Papiers  de  Leibaiz,  f"  4l5.  Imprimée  pour  la 
première  fois  dans  les  OEavres  posthumes,  t.  I,  p.  /jôg.  Datée, 
dans  les  éditions,  du  3o  janvier;  cette  date  est  celle  de  la  minute 
(collection  H.  de  Rothschild).  Mais  la  copie  qui  a  été  envoyée  à 
Leibniz  porte  la  date  du  2  Février  (Cf.  Ledieu,  t.  II,  p.  i4  et  p.  i5). 
I.   Antoine  Ulrich. 


144  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 

j'avais  assisté  à  quelque  colloque  semblable  à  celui 
de  Ratisbonne,  et  qu'il  m'eût  fallu  répondre  à  la 
question  du  chien  de  Tobie,  sans  savoir  ce  que  dit 
alors  le  P.  Tanner,  j'aurais  cru  devoir  user  de  dis- 
tinction. En  prenant  le  terme  d'article  de  foi  selon 
sa  signification^  moins  propre  et  plus  étendue,  j'au- 
rais dit  que  toutes  les  choses  révélées  de  Dieu  dans 
des  Ecritures  canoniques,  importantes  ou  non 
importantes,  sont  en  ce  sens  articles  de  foi  ;  mais 
qu'en  prenant  ce  terme  d'article  de  foi  dans  sa  signi- 
fication étroite  et  propre,  pour  les  dogmes  théologi- 
t[ues  immédiatement  révélés  de  Dieu,  tous  ces  faits 
particuliers  ne  méritent  pas  ce  titrée 

Je  n'ai  pas  besoin  de  vous  dire  que  je  compte  ici, 
parmi  les  dogmes  révélés  de  Dieu,  certaines  choses 
de  fait  sur  lesquelles  roule  la  religion,  comme  la 
nativité,  la  mortel  la  résurrection  de  Notre-Seigneur. 
Les  faits  dont  nous  parlons  ici  sont,  comme  je  viens 
de  le  marquer,  les  faits  particuliers.  Ily  en  a  de  deux 
sortes  :  les  uns  servent  à  établir  les  dogmes  par  des 
exemples  plus  ou  moins  illustres,  comme  l'histoire 
d'Esther  et  les  combats  de  David  ;  les  autres,  pour 
ainsi   parler,    ne  font    que  peindre  et  décrire   une 

3.    Edit.  :  selon  la  signification...  dans  les  Écritures. 

3.  Un  article  de  foi  est  «  une  proposition  révélée  distincte  et  apte 
h  s'unir  à  d'autres  pour  entrer  avec  elles  dans  l'organisme  vivant  de  la 
doctrine  chrétienne  ».  Parmi  les  objets  de  la  connaissance  surnatu- 
relle, il  est  des  propositions  qui  ne  sont  pas  manifestées  pour  elles- 
mêmes,  mais  en  vue  des  notions  principales  :  elles  ne  peuvent  être 
iippelées  vérités  de  foi.  Vacant  (Diclionnaire  de  Théologie,  aktigle  de 
1  01,  p.  2024).  Quand  il  s'agit  des  textes  inspirés,  il  y  a  lieu  de  distin- 
guer entre  la  substance  des  faits  et  la  forme  littéraire  dont  elle  r^i 
revêtue. 


fcv.  1700]  DE   BOSSUET.  i45 

action,  comme  seraient,  par  exemple,  la  couleur  des 
pavillons  qui  étaient  tendus  dans  le  festin  d'Assuérus, 
et  les  autres  menues  circonstances  de  celte  fête  royale  ; 
et  de  ce  genre  serait  aussi  le  chien  de  Tobie,  aussi 
bien  que  le  bâton  de  David,  et,  si  Ion  veut,  la  cou- 
leur de  ses  cheveux.  Tout  cela,  de  soi,  est  tellement 
indifférent  à  la  religion  qu'on  peut  ou  le  savoir  ou 
l'ignorer,  sans  qu'elle  en  souffre  pour  peu  que  ce 
soit.  Les  autres  faits  qui  sont  proposés  pour  appuyer 
les  dogmes  divins,  comme  sont  la  justice,  la  misé- 
ricorde et  la  providence  divine,  quoique  bien  plus 
importants,  ne  sont  pas  absolument  nécessaires, 
parce  qu'on  peut  savoir  d'ailleurs  ce  qu'ils  nous 
apprennent  de  Dieu  et  de  la  religion. 

Pour  ce  qui  est  de  nier  ces  faits,  la  question  se 
réduit  à  celle  de  la  canonicité  des  livres  dont  ils  sont 
tirés.  Par  exemple,  si  l'on  niait  ou  le  bâton  de 
David,  ou  la  couleur  de  ses  cheveux  et  les  autres 
choses  de  cette  sorte,  la  dénégation  en  pourrait 
devenir  très  importante,  parce  qu'elle  entraînerait 
celle  du  livre  des  Rois,  oii  ces  circonstances  sont 
racontées. 

Tout  cela  n'a  point  de  difficulté,  et  je  ne  l'ai  rap- 
porté que  pour  toucher  tous  les  points  de  votre 
lettre.  Mais,  pour  les  vrais  articles  de  foi,  qui  regardent 
les  dogmes*  théologiques  immédiatement  révélés  de 
Dieu,  encore  que  la  discussion  en  demande  plus 
d'étendue,  il  est  aisé  d'en  sortir. 

Je  rappelle  tout  à  trois  propositions  :  la  première, 

li.  Édit.  :  Mais  pour  les  difficultés  qui  regardent  les  vrais  articles 
xle  foi  et  les  dogmes. 

XII  -    10 


l46  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 

qu'il  y  a  des  articles  fondamentaux  et  des  articles  non 
fondamentaux  :  c'est-à-dire  des  articles  dont  la  con- 
naissance et  la  foi  expresse  est  nécessaire  au  salut, 
et  des  articles  dont  la  connaissance  et  la  foi  expresse 
n'est  pas  nécessaire  au  salut. 

La  seconde,  qu'il  y  a  des  règles  pour  les  discerner 
les  uns  des  autres. 

La  troisième,  que  les  articles  révélés  de  Dieu, 
quoique  non  fondamentaux,  ne  laissent  pas  d'être 
importants,  et  de  donner  matière  de  schisme,  sur- 
tout après  que  l'Eglise  les  a  définis. 

La  première  proposition,  qu'il  y  a  des  articles 
fondamentaux,  c'est-à-dire  dont  la  connaissance  et  la 
foi  expresse  est  nécessaire  au  salut,  n'est  pas  disputée 
entre  nous.  Nous  convenons  tous  du  symbole  attri- 
bué à  saint  Athanase,  qui  est  l'un  des  trois  reconnus 
dans  la  Confession  d'Augsbourg  comme  parmi  nous, 
et  on  y  lit  à  la  tête  ces  paroles  :  Quicunqae  vult  salvus 
esse,  etc.,  et  au  milieu  :  Qui  vuUergo  salvus  esse,  etc. , 
et  à  la  fin  :  Hsec  est  fides  catholica,  quam  nisi  quis- 
que,  etc..  absque  dabio  in  œtenuiin peribit. 

Savoir  maintenant  si  les  articles  contenus  dans 
ce  symbole  y  sont  reconnus  nécessaires,  necessitate 
medii,  ou  necessitate  prœcepti,  c'est,  à  mon  avis,  en 
ce  lieu  une  question  assez  inutile,  et  il  suffira  peut- 
être  d'en  dire  un  mot  à  la  fin, 

La  seconde  proposition,  qu'il  y  a  des  règles  pour 
discerner  ces  articles,  n'est  pas  difficile  entre  nous, 
puisque  nous  supposons  tous  qu'il  y  a  des  premiers 
principes  de  la  religion  chrétienne  qu'il  n'est  permis 
à  personne  d'ignorer  ;  tels  que  sont,  pour  descerire 


fév.  1700]  DE   BOSSUET.  lAy 

dans  un  plus  grand  détail,  le  Symbole  des  apôtres, 
l'Oraison  dominicale,  et  le  Décalogue  avec  son 
abrégé  nécessaire  dans  les  deux  préceptes  de  la  cha- 
rité, où  consiste",  selon  l'Evangile,  toute  la  Loi  et 
les  prophètes. 

C'est  de  quoi  nous  convenons  tous,  catholiques 
et  protestants,  également  ;  et  nous  convenons  encore 
que  le  Symbole  des  apôtres  doit  être  entendu  comme 
il  a  été  exposé  dans  le  symbole  de  Nicée,  et  dans 
celui  qu'on  attribue  à  saint  Athanase. 

On  se  peut  réduire  à  un  principe  plus  simple  en 
disant  que  ce  dont  la  connaissance  et  la  foi  expresse 
est  nécessaire  au  salut,  est  cela  même  sans  quoi 
on  ne  peut  avoir  aucune  véritable  idée  du  salut 
qui  nous  est  donné  en  Jésus-Christ  :  Dieu  vou- 
lant nous  y  mener  ®  par  la  connaissance,  et  non 
par  un  instinct  aveugle,  comme  on  ferait  des  bêtes 
brutes. 

Dans  ce  principe,  si  clair  et  si  simple,  tout  le 
monde  voit  d'abord  qu'il  faut  connaître  la  personne 
du  Sauveur,  qui  est  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu  ;  qu'il 
faut  aussi  connaître  son  Père,  qui  l'a  envoyé,  avec 
le  Saint-Esprit,  de  qui  il  a  été  conçu,  et  par  lequel 
il  nous  sanctifie  ;  quel  est  le  salut  qu'il  nous  propose, 
ce  qu'il  a  fait  pour  nous  l'acquérir,  et  ce  qu'il  veut 
que  nous  fassions  pour  lui  plaire  :  ce  qui  ramène 
naturellement  l'un  après  l'autre  les  symboles  dont 
nous  avons  parlé,  l'Oraison  dominicale  et  le  Déca- 
logue ;   et  tout  cela,  réduit  en  peu  de  paroles,  est 

5.   Edit.  :  dans  lesquels  consiste, 
fi.    Edit    :  amener. 


l48  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 

ce  que  nous  avons  nommé  les  premiers  principes  de 
la  religion  chrétienne, 

La  troisième  proposition  a  deux  parties  :  la  pre- 
mière, que  ces  articles  non  fondamentaux,  encore 
que  la  connaissance  et  la  foi  expresse  n'en  soit  pas 
absolument  nécessaire  à  tout  le  monde,  ne  laissent 
pas  d'être  importants.  C'est  ce  qu'on  ne  peut  nier, 
puisqu'on  suppose  ces  articles  révélés  de  Dieu,  qui 
ne  révèle  rien  que  d'important  à  la  piété,  et  dont 
aussi  il  est  écrit  :  Je  suis  le  Seigneur  ton  Dieu,  qui 
renseigne  des  choses  utiles  (Isa.,  xlvhi,  17). 

Ce  fondement  supposé,  il  y  a  raison  et  nécessité 
de  noter  ceux  qui  s'opposent  à  ces  dogmes  utiles,  et 
qui  manquent  de  docilité  à  les  recevoir  quand 
l'Église  les  leur  propose.  La  pratique  universelle  de 
l'ancienne  Église  confirme  cette  seconde  partie  de  la 
proposition.  Elle  a  mis  au  rang  des  hérétiques,  non 
seulement  les  ariens,  les  sabelliens,  les  paulianisles, 
les  macédoniens,  les  nestorions,  les  eutyquiens,  et 
ceux  en  un  mot  qui  rejetaient  la  Trinité  et  les  autres 
dogmes  également  fondamentaux  ;  mais  encore  les 
novatiens  ou  cathares,  qui  ôtaient  aux  ministres  de 
l'Église  le  pouvoir  de  remettre  les  péchés  ;  les  mon- 
tanistes  ou  cataphrygiens,  qui  improuvaient  les 
secondes  noces  ;  les  aériens,  qui  niaient  l'utilité  des 
oblations  pour  les  morts,  avec  la  distinction  de 
l'épiscopat  et  de  la  prêtrise  ;  Jovinien  et  ses  secta- 
teurs, qui,  à  l'injure  du  Fils  de  Dieu,  niaient  la 
virginité  perpétuelle  de  sa  sainte  Mère,  et  jusqu'aux 
quartodécimants,  qui,  aimant  mieux  célébrer  la 
Pâque  avec  les  juifs  qu'avec  les  chrétiens,  tâchr/ent 


fév.  1700]  DE   BOSSUET.  1^9 

de  rétablir  le  judaïsme  et  ses  observances,  contre 
l'ordonnance  des  apôtres.  Les  auteurs  opiniâtres  de 
ces  dogmes  pervers  ont  été  frappés  d'anathème  par 
les  Pères  \  par  les  conciles,  même  quelques-uns  par 
le  grand  concile  de  Nicée,  le  premier  et  le  plus  véné- 
rable des  œcuméniques  ;  parce  qu'encore  que  les 
articles  qu'ils  combattaient  ne  fussent  pas  de  ce  pre- 
mier rang,  qu'on  appelle  fondamentaux,  l'Eglise  ne 
devait  pas  souffrir  qu'on  méprisât  aucune  partie  de 
la  doctrine  céleste  que  Jésus-Christ  et  les  apôtres 
avaient  enseignée. 

Si  MM.  de  la  Confession  d'Augsbourg  ne  con- 
venaient de  ce  principe,  ils  n'auraient  pas  mis  au 
nombre  des  hérétiques,  sous  le  nom  de  sacramen- 
taires,  Bérenger  et  ses  sectateurs,  puisque  la  présence 
réelle,  qui  fait  leur  erreur,  n'est  pas  comptée  parmi 
les  articles  fondamentaux. 

L'Eglise  fait  néanmoins  grande  différence  entre 
ceux  qui  ont  combattu  ces  dogmes  utiles  et  néces- 
saires à  leur  manière,  quoique  d'une  nécessité  infé- 
rieure et  seconde,  avant  ou  depuis  ses  définitions. 
Avant  qu'elle  eût  déclaré  la  vérité  et  l'antiquité,  ou 
plutôt  la  perpétuité  de  ces  dogmes,  par  un  jugement 
authentique,  elle  tolérait  les  errants,  et  ne  craignait 
point  d'en  mettre  même  quelques-uns  au  rang  de 
ses  saints  ;  mais,  depuis  sa  décision,  elle  ne  les  a 
plus  soufferts,  et,  sans  hésiter,  elle  les  a  rangés  au 
nombre  des  hérétiques.  C'est,  Monsieur,  comme 
vous  savez,  ce  qui  est  arrivé  à  saint  Cyprien  et  aux 
donatistes.  Ceux-ci  convenaient  avec  ce  saint  martyr 

7.   Edit.   :  frappés  par  les  Pères. 


l5o  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 

dans  le  dogme  pervers  où  l'on  rejetait"  le  baptême 
administré  par  les  hérétiques  ;  mais  leur  sort  a  été 
bien  différent,  puisque  saint  Cyprien  est  demeuré 
parmi  les  saints,  et  que  les  autres  sont  rangés  parmi 
les  hérétiques  :  ce  qui  fait  dire  au  docte  Vincent  de 
Lérins,  dans  ce  livre  tout  d'or  qu  il  a  intitulé  Com- 
monitorium,  ou  Mémoire  sur  l'antiquité  de  la  foi  : 
0  changement  étonnant!  Les  auteurs  d'une  opinion 
sont  catholiques,  les  sectateurs  sont  condamnés  comme 
hérétiques:  les  maîtres  sont  ahsous,  les  disciples  sont 
réprouvés  ;  ceux  qui  ont  écrit  les  livres  erronés  sont 
les  enfants  du  royaume,  pendant  que  leurs  défenseurs 
sont  précipités  dans  F  enfer  ^.  Voilà  des  paroles  bien 
terribles  pour  la  damnation  de  ceux  qui  avaient 
opiniâtrement  soutenu  les  dogmes  que  les  saints 
avaient  proposés  de  bonne  foi,  dont  on  voit  bien  que 
la  différence  consiste  précisément  à  avoir  erré  avant 
que  l'Eglise  se  fut  expliquée,  ce  qui  se  pouvait 
innocemment,  et  avoir  erré  contre  ses  décrets 
solennels,  ce  qui  ne  peut  plus  être  imputé  qu'à 
orgueil  et  irrévérence. 

C'est  aussi  ce  que  saint  Augustin  ne  nous  laisse 
point  ignorer,  lorsque,  comparant  saint  Cyprien  avec 
les  donatistes  :  Nous-mêmes,  dit-il,  nous  n'oserions 
pas  enseigner  une  telle  chose,  contre  un  aussi  grand 
docteur  que  saint  Cyprien,  c'est-à-dire  la  sainteté 
et  validité  du  baptême  administré  parles  hérétiques, 
si  nous  n'étions  appuyés  sur  l'autorité  de  l'Eglise  uni- 
verselle, à  qui  il  aurait  très  certainement  cédé  lui- 

8.  Edit.  :  qui  rejetait.  ^ 

9.  Commonitorlum.  VI  [l^.  L.,  i.  L,  col.  6/(6]. 


fév.  i^oo]  DE   BOSSUET.  l5l 

même,  si  la  vérité  éclaircie  avait  été  confirmée  dès 
lors  par  un  concile  universel  :  Cui  et  ille  pvocal 
dabio  cederet,  si  qaaestionis  hujus  veritas  eliquata  et 
declarata per  plenarium  conciliam  solidaretar  (hih.  II 
de  Bapt.,  /j). 

Telle  est  donc  la  différence  qu'on  a  toujours  mise 
entre  les  dogmes  non  encore  entièrement  autorisés 
par  le  jugement  de  l'Eglise,  et  ceux  qu'elle  a  déclarés 
aulhentiquement  véritables  :  et  cela  est  fondé  sur  ce 
que  la  soumission  à  l'autorité  de  l'Eglise  étant  la 
dernière  épreuve  où  Jésus-Christ  a  voulu  mettre  la 
docilité  de  la  foi,  on  n'a  plus,  quand  on  méprise 
cette  autorité,  à  attendre  que  cette  sentence  :  S'U 
n  écoute  pas  VEglise,  qu'il  vous  soit  comme  un  païen 
et  un puhlicain^" . 

Il  ne  s'agit  pas  ici  de  prouver  cette  doctrine,  mais 
seulement  d'exposer  à  votre  grand  prince  la  méthode 
de  l'Eglise  catholique  pour  distinguer,  parmi  les 
articles  non  fondamentaux,  les  erreurs  où  l'on  peut 
tomber  innocemment,  d'avec  les  autres.  La  racine  et 
l'effet  de  la  distinction  se  tire  principalement  de  la 
décision  de  l'Eglise.  Nous  n'avançons  rien  de  nou- 
veau en  cet  endroit,  non  plus  que  dans  toutes  les 
autres  parties  de  notre  doctrine.  Les  plus  célèbres 
docteurs  du  iv'"  siècle  parlaient  et  sentaient**  comme 
nous.  Il  n'est  pas  permis  de  mépriser  des  autorités 
si  révérées  dans  tous  les  siècles  suivants,  et  d'ailleurs, 
quand  saint  Augustin  assure  que  saint  Cyprien  aurait 
cédé  à  l'autorité   de  l'Eglise    universelle   si  sa    foi 

10.  Matt.,  XVIII,  i-j. 

11.  Edit.  :  pensaient. 


l52  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 

s'était  déclarée  de  son  temps  par  un  concile  de  toute 
la  terre,  il  n'a  parlé  de  cette  sorte  que  sur  les  paroles 
expresses  de  ce  saint  martyr,  qui,  interrogé  par 
Antonien,  son  collègue  dans  l'épiscopat,  quelles 
étaient  les  erreurs  de  Novatien  :  «  Sachez  première- 
ment, lui  disait-il,  que  nous  ne  devons  pas  même 
être  curieux  de  ce  qu'il  enseigne,  puisqu'il  est  hors 
de  l'Eglise  :  quel  qu'il  soit,  et  quelque  autorité  qu'il 
s'attribue,  il  n'est  pas  chrétien,  puisqu  il  n'est  pas 
dans  l'Eglise  de  Jésus-Christ  :  Christianus  non  est, 
qui  in  Christi  Ecclesia  non  estyy  {Ëpist.  ad  Anton.). 
Saint  Augustin  n'a  pas  tort  de  dire  qu'un  homme 
qui  ne  souffre  pas  qu'on  juge  digne  d'examen  une 
doctrine  qu'on  enseigne  hors  de  l'Eglise,  mais  qui 
veut  qu'on  la  rejette  à  ce  seul  titre,  n'avait  eu  garde 
de  se  soustraire  lui-même  à  une  autorité  si  invio- 
lable. 

Il  n'est  pas  même  toujours  nécessaire,  pour  méri- 
ter d'être  condamné,  d'avoir  contre  soi  une  expresse 
décision  de  l'Eglise,  pourvu  que  d'ailleurs  sa  doc- 
trine soit  bien  connue  et  constante.  C'est  aussi  pour 
cette  raison  que  le  même  saint  Augustin,  en  parlant 
du  baptême  des  petits  enfants,  a  prononcé  ces 
paroles  :  <(  Il  faut,  dit-il,  souffrir  les  contre- 
disants dans  les  questions  qui  ne  sont  pas  encore 
bien  examinées,  ni  pleinement  décidées  par  1  auto- 
rité de  l'Eglise  :  In  qaxstionibus  nondum  plena  Eccle- 
siai  aactoritate  discussis.  » —  «  C'est  là,  continue  'ce 
Père,  que  l'erreur  se  peut  tolérer  ;  mais  elle  ne  doit 
pas  entreprendre  d'ébranler  le  fondement  de  l'Eglise  : 
Jbi  ferendas  est  error,  non  usque  adeo  progredidebA, 


fév.  1700]  DE  BOSSUET.  i53 

ul  fundamentam  ipsam  EcclesisB  quatere  moliatur  » 
(Serm.  XIV  de  Verb.  Apost.). 

On  n'avait  encore  tenu  aucun  concile  pour  y  traiter 
expressément  la  question  du  baptême  des  petits  en- 
fants ;  mais,  parce  que  la  pratique  en  était  constante  et 
universelle,  en  sorte  qu'il  n'y  avait  aucun  moyen  de 
la  contester,  loin  de  permettre  de  la  révoquer  en 
doute,  saint  Augustin  la  prêche  hautement  comme 
une  vérité  toujours  établie,  et  dit  que  ce  doute  seul 
emporte  le  renversement  du  fondement  de  l'Eglise. 

C'est  à  cause  que  ceux  qui  nient  cette  autorité 
sont  proprement  ces  esprits  contentieux  que  l'Apôtre 
ne  souffre  pas  dans  les  Eglises  (l  Cor.,  xi,  16).  Ce 
sont  ces  frères  qui  marchent  désordonné  me  nt ,  et  non 
pas  selon  la  règle  qu'il  leur  a  donnée,  dont  le  même 
Apôtre  veut  qu'on  se  retire  (II  Thess.,  ni,  6).  On  ne 
se  doit  retirer  d'eux  qu'à  cause  qu'ils  se  retirent  les 
premiers  de  l'autorité  de  l'Eglise  et  de  ses  décrets, 
et  se  rangent  au  nombre  de  ceux  qui  se  séparent  eux- 
mêmes  (Ep.  Judae,  y  19)  :  d'où  l'on  doit  conclure 
qu'encore  que  la  matière  de  leur  dispute  ne  soit 
peut-être  pas  fondamentale,  et  du  rang  de  celles 
dont  la  connaissance  est  absolument  nécessaire  à 
chaque  particulier,  ils  ne  laissent  pas,  par  un  autre 
endroit,  d'ébranler  le  fondement  de  la  foi,  en  se  sou- 
levant contre  l'Eglise,  et  en  attaquant  directement 
un  article  du  Symbole  aussi  important  que  celui-ci  : 
Je  crois  l'Eglise  catholique. 

S'il  faut  maintenant  venir  à  la  connaissance  néces- 
saire necessitate  medii,  la  principale  de  ce  genre  est 
celle  de  Jésus-Christ  ;   puisqu'il  est  établi  de  Dieu 


l54  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 

comme  l'unique  moyen  du  salut,  sans  la  foi  duquel 
on  est  déjà  jugé,  et  la  colère  de  Dieu  demeure  sur  nous 
(Joan.,  m,  18,  36).  Il  nest  pas  dit  qu'elle  y  tombe, 
mais  qu'elle  y  demeure  ;  parce  qu'étant,  comme  nous 
le  sommes,  dans  une  juste  damnation  par  notre  nais- 
sance. Dieu  ne  fait  point  d'injustice  à  ceux  qu'il 
y  laisse.  Ce  peut  être  à  cet  égard  qu'il  est  écrit  :  Qui 
ignore  sera  ignoré  (i  Cor.,  xiv,  38)  ;  et,  quoi  qu'il  en 
soit,  qui  ne  connaît  pas  Jésus-Christ  n'en  est  pas 
connu  ;  et  il  est  de  ceux  à  qui  il  sera  dit  au  juge- 
ment :  Je  ne  vous  connais  pas^'~. 

On  pourrait  ici  considérer  cette  parole  de  Notre- 
Seigneur  :  La  vie  éternelle  est  de  vous  connaître,  vous 
qui  êtes  le  seul  vrai  Dieu,  et  Jésus-Christ  que  vous 
avez  envoyé^'.  Cependant,  à  parler  correctement,  il 
semble  qu'on  ne  doit  pas  dire  que  la  connaissance  de 
Dieu  soit  nécessaire  necessilate  medii,  mais  plutôt 
d'une  nécessité  d'un  plus  haut  rang,  necessilate 
finis,  parce  que  Dieu  est  la  fin  unique  de  la  vie 
humaine,  le  terme  de  notre  amour,  et  l'objet  où 
consiste  le  salut  ;  mais  ce  serait  inutilement  que  nous 
nous  étendrions  ici  sur  celte  expression,  puisqu'elle 
ne  fait  aucune  sorte  de  controverse  parmi  nous. 

Pour  le  hvret  intitulé  Secretio^\  etc.,  il  est  très 
bon  dans  le  fond.  On  en  pourrait  retrancher  encore 
quelques  articles  :  il  y  en  aurait  quelques  autres  à 
éclaircir  un  peu  davantage.  Pour  entrer  dans  un  plus 
grand  détail,  il  faudrait  traiter  tous  les    articles  de 

12.  Matt.,  vu,  33. 
i3.  Joan.,  XVII,  3. 
i4-    Cf.  p.   III. 


fév  1700I  DE  BOSSUET.  l55 

controverse  ;  ce  que  je  pense  avoir  assez  fait,  et  avec 
toutes  les  marques  d'approbation  de  l'Eglise,  dans 
mon  livre  de  l'Exposition. 

Je  me  suis  aussi  expliqué  sur  cette  matière  dans 
maréponse  lalineàM.  l'abbé  de  Loccum^".  Si  néan- 
moins votre  sage  et  babile  prince  souhaite  que  je 
m'explique  plus  précisément,  j'embrasserai  avec  joie 
toutes  les  occasions  d'obéir  à  S.  A.  S. 

Rien  n'est  plus  digne  de  lui  que  de  travailler  à 
guérir  la  plaie  qu'a  faite  au  christianisme  le  schisme 
du  dernier  siècle.  Il  trouvera  en  vous  un  digne  ins- 
trument de  ses  intentions  ;  et  ce  que  nous  avons  tous 
à  faire,  dans  ce  beau  travail,  est,  en  fermant  cette 
plaie,  de  ne  donner  pas  occasion  au  temps  à  venir 
d'en  rouvrir  une  plus  grande. 

J'avoue,  au  reste.  Monsieur,  ce  que  vous  dites  des 
anciens  exemplaires  grecs  sur  le  passage  :  Très 
sunt,  etc.  ;  mais  vous  savez  aussi  bien  que  moi  que 
l'article  contenu  dans  ce  passage  ne  doit  pas  être 
pour  cela  révoqué  en  doute,  étant  d'ailleurs  établi 
non  seulement  par  la  tradition  des  Eglises,  mais 
encore  par  lEcriture  très  évidemment.  Vous  savez 
aussi,  sans  doute,  que  ce  passage  se  trouve  reçu  dans 
tout  l'Occident;  ce  qui  paraît  manifeste,  sans  même 
remonter  plus  haut,  par  la  production  qu'en  fait 
saint  Fulgence  dans  ses  écrits'^  et  même  dans  une 

i5.  De  scripto  cuititulus:  Co^'itaùones  privatae...  Episcopi  Meldensis 
senlenlia  (Œuvres,  édit.  Lâchât,  t.  XVII,  p.  458-/199). 

16.  Sur  saint  Fulgeuce  et  le  veiset  des  trois  témoins,  voir 
J.-P.  Martin,  Introduclionà  la  critique  textuelle  du  Nouveau  Testament. 
partie  pratique,  P;iris,  1886,  t.  V,  p.  73-82.  Dans  la  Responsio  ad 
Arianos  [P.  L.,  t.  LXV,  col.  aa^J  et  dans  le  De  Trinitale  liber  unus. 


i56  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 

excellente  confession  de  foi  présentée  unanimement 
au  roi  Hunéric  par  toute  l'Eglise  d'Afrique.  Ce 
témoignage,  produit  par  un  aussi  grand  théologien 
etparcette  savante  Eglise,  n'ayant  point  été  reproché 
par  les  hérétiques,  et  au  contraire  étant  confirmé  par 
le  sang  de  tant  de  martyrs,  et  encore  par  tant  de 
miracles  dont  cette  confession  de  foi"  fat  suivie, 
est  une  démonstration  de  la  tradition,  du  moins  de 
toute  l'Eglise  d'Afrique,  l'une  des  plus  illustres  du 
monde.  On  trouve  même  dans  saint  Cyprien '^  une 
allusion  manifeste  à  ce  passage  qui  a  passé  naturel- 
lement dans  notre  Vulgate,  et  confirme  la  tradition 
de  tout  l'Occident. 

Je*"  suis,  avec  toute  l'estime  possible.  Monsieur, 
votre  très  humble  serviteur, 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Suscription:  A  Monsieur  de  Leibniz,  à  Hanovre^". 

cap.  IV  (ibid.,  col.  5oo),  saint  Fulgence  fait  allusion  au  verset  7  du 
cl».  V  de  la  f^  Epître  de  saint  Jean.  La  façon  dont  il  allègue  saint 
Gyprien,  qui  ne  fait  allusion  qu'au  verset  8  de  saint  Jean,  l'.ipplica- 
tion  spirituelle  que  les  Pères,  au  vi'"  siècle,  faisaient  de  ce  verset  à  la 
Trinité,  montrent  que  l'évèque  de  Ruspe  vise  en  réalité  ce  verset. 

Actuellement  la  grande  majorité  des  commentateurs  catholiques 
ne  reconnaît  pas  l'authenticité  du  verset  touchant  les  trois  témoins 
célestes.  Mais  l'idée  énoncée  en  ce  verset  se  trouve  démontrée 
par  ailleurs  dans  l'Ecriture  et  était  reçue  universellement  dans  la 
tradition.  En  somme,  c'est  un  témoignage  traditionnel  qui  s'est  intro- 
duit après  le  vi<*  siècle  dans  le  texte  latin  du  Nouveau  Testament; 
mais  il  est  sûr  que  les  mss.  grecs  des  dix  premiers  siècles  ne  con- 
tiennent pas  ce  passage. 

17.  Edit.  :  confession  de  la  foi. 

18.  Sur  saint  Cyprien  et  le  verset  des  trois  témoins,  voir  P.  Mar- 
tin, op.  laud..  p.  III.  Saint  Cyprien  ne  connaît  en  réalité  que  le 
verset  8,   sur  les  trois  témoins  terrestres. 

19.  Cette  conclusion  et  la  signature  sont  de  la  main  de  Bossuet. 

20.  Cette  lettre  fut  envoyée  à  son  destinataire  par  M.  du  Héron, 


70o]  DE   BOSSUET.  167 


1988.  —  Nicolas  Payen  a  Bossuet. 

Monseigneur,  je  viens  joindre  mes  très  humbles  prières  à 
celles  de  MM.  les  ofTiciers  de  ville.  Ils  sont  dans  le  dessein 
de  rendre  à  M.  Pelletier*  le  prix  de  son  office  de  lieutenant 
de  Roi  ;  ils  en  ont  obtenu  la  permission,  mais  la  difficulté, 
c'est  d'avoir  à  la  main  les  deniers  nécessaires  pour  (aire  une 
si  belle  action.  Le  fonds  ne  leur  manque  pas,  car,  par  leur 
sage  économie,  ils  ont  en  dépôt  plus  de  dix  mille  livres  :  il 
ne  s'agit  que  d'obtenir  de  M.  l'Intendant  la  liberté  de  tou- 
cher à  ce  fonds  réservé  :  Noli  me  tangere,  quia  sum  Cse- 
saris. 

Le  crédit  de  l'hôtel  de  ville  et  celui  de  tous  les  corps 
ensemble  est  bien  peu  de  chose,  si  vous  ne  le  soutenez  de 
votre  autorité.  Ils  demanderont  assez,  mais  ils  ne  seront  pas 
écoutés  si  vous  n'avez  agréable  de  prévenir  M.  l'Intendant  en 
leur  faveur.  Cependant,  Monseigneur,  il  est  de  l'intérêt  de 
la  ville  de  faire  cesser  tout  d'un  coup  des  sujets  de  contesta- 
tion qui  se  renouvelleront  à  toutes  les  heures  du  jour,  et  de 
tarir  pour  toujours  une  source  inépuisable  de  procès  et  de 
différends.  Il  n'y  a  que  vous.  Monseigneur,  qui  puissiez  faire 


qui  écrivit  le  16  février  à  Leibniz  :  «  Je  reçus  hier,  Monsieur,  une 
lettre  de  M.  l'évêque  de  Meaux  pour  vous.  Je  vous  l'envoie  sans 
l'avoir  montrée  à  S.  A.  M.  le  duc  Antoine  Ulrich.  Le  temps  de  la 
foire  (de  Brunswick)  n'est  g^uère  un  temps  convenable  à  de  pareilles 
lectures.  Si  votre  fluxion  tous  empêche  d'y  venir,  si  vous  jugez  à 
propos  de  me  l'envoyer,  je  prendrai  le  plus  de  sa  commodité  pour  la 
lui  lire.  Si  vous  vous  portez  assez  bien,  comme  je  le  souhaite,  pour 
faire  ce  vovage,  je  vous  prierai  de  me  la  communiquer,  afin  (jue  je 
puisse  voir  de  quelle  manière  il  répond  aux  difficultés  que  vous  lui 
aviez  proposées  ».  (Hanovre,  f"  Sga). 

Lettre  1988.  —  Publiée  par  M.  Gasté  (Deux  lettres,  p.  46),  d'après 
le  recueil  de  N.  Payen,  où  elle  est  Intitulée  :  Lettre  à  M.  l'Evêque 
de  Meaux  pour  le  remboursement  de  l'office  de  lieutenant  de  Roi. 

I.  Pelletier  (al.  Le  Pelletier),  lieutenant  de  Roi  de  Meaux.  Cf. 
lettre  du  19  janvier  1698,  t.  IX,  p.   i34. 


l58  CORRESPONDANCE  [fév.  170a 

un  si  beau  coup  et  procurer  à  tout  le  monde  un   bien  dont 
la  mémoire  ne  se  perdra  jamais  2. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  beaucoup  de  respect,  Monseigneur, 
votre  très  humble,  très  obéissant  et  très  obligé  serviteur. 
A  Meaux,  ce  4  février  1700. 


1989.    —  A  Pierre   de   La  Broue. 

A   Versailles,   ce   21    février   1700. 

Je  crois,  Monseigneur,  vous  devoir  envoyer  la  let- 
tre de  notre  confrère  Monseigneur  l'évêque  d'Alais  ' . 
et  la  réponse  que  j'y  ai  faite.  Je  n'ai  pas  besoin  de 
vous  dire  que  je  persiste  toujours  dans  mes  premiers 
engagements  et  dans  le  même  désir  de  vous  voir 

2.  L'intervention  de  Bossuet  dut  être  efficace,  car,  dans  ses  lettres 
d'anoblissement,  du  mois  de  juin  1714,  Guillaume  Léger  Le  Pelle- 
tiei'  est  qualifié  de  s(»us-lieutenant  aux  Gardes  françaises  et  ci-devant 
lieutenant  de  Roi  au  gouvernement  de  Meaux.  Ce  document  nous 
apprend  qu'il  s'est  distingué  à  Ramillies,  à  Oudenarde  et  en  maintes 
autres  circonstances,  et  il  rappelle  que  son  père  était  décédé  doyen 
des  conseillers  au  présldial  de  Meaux  et  que,  depuis  l'an  1^20,  ses 
ancêtres  avaient  possédé  successivement  la  première  charge  du  bail- 
liage et  prévôté  de  Grécy-en-Brie  (Bibliotlièque  Nationale,  Pièces 
originales). 

Lettre  1989.  —  Copie  authentique,  au  Séminaire  de  Meaux. 

I.  François  Chevalier  de  Saulx,  docteur  de  Sorbonne,  abbé  de 
Psalmody,  vicaire  général  de  Nîmes,  puis  évèque  d'Alais  (de  169/4  ît 
1712).  Il  était  en  compétition  avec  P.  de  La  Broue  au  sujet  de  la 
députation  des  Etats  du  Languedoc,  dont  il  a  été  parlé,  t.  X,  p.  i58 
(Voir  Sourches,  t.  II,  p.  76;  t.  VII,  p.  83;  t.  X,  p.  Ixki  ;  t.  XIII, 
p.  525).  C'est  l'évêque  d'Alais  qui  eut  le  dessus  et  qui,  le  21  juin 
1701,  porta  la  parole  au  nom  des  autres  députés  des  États,  en  pré- 
sentant au  Roi  les  cahiers  de  cette  assemblée  (Ga/Zia  christiana,  t.  VI, 
col.  517).  Ce  prélat  était  un  gentilhomme  poitevin  (Beauchet-Fil- 
\eAii,Dict.  des  familles  du  Poitou.  Poitiers,  1891,  t.  II,  p.  434)-  H  est 
parlé  de  lui  dans  l'Histoire  (jénérale  du  Languedoc,  on  l'on  a  imprimé 
une  lettre  qu'il  écrivit  sur  la  révolte  des  Cévennes. 


fév.   1700J  DE   BOSSUET.  lÔQ 

ici  :  on  vous,  aura  même  rendu  compte  de  la  démar- 
che que  j'ai  faite  auprès  de  M.  du  Maine.  Je  ne  vous 
dis  rien  davantage  ;  et  j'espère  que  vous  demeurerez 
aussi  parfaitement  assuré  de  moi,  que  je  suis  engagé 
à  poursuivre  de  mon  côté  tout  ce  qui  vous  touche. 
Vous  serez  bien  aise,  mon  cherSeigneur,  desavoii- 
de   moi   que  je  fais  demain,   s'il    plaît  à   Dieu,  le 


•6^'' 


Briffe,  fille  de  M.  le  Procureur  général,  et  que,  par 
la  grâce  de  Dieu,  je  trouve  dans  cette  alliance  tout 
ce  que  je  pouvais  désirer^. 

J'ai  eu  une  petite  indisposition  '  par  un  épanche- 
ment  de  bile,  qui  m'a  causé  un  vomissement,  et  m'a 
obligé  à  quelques  remèdes  que  Dieu  a  bénis,  en 
sorte  qu'il  y  aura  sujet  de  croire  que  ce  mal  n'aura 
aucune  suite,  n'y  ayant  eu,  par  sa  grâce,  ni  fièvre, 
ni  altération,  ni  aucun  autre  accident  fâcheux. 

Je  suis,  Monseigneur,  avec  le  respect  que  vous 
savez,  votre  très  obéissant  serviteur. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

2.  Ce  mariage  avait  été  ménagé,  dit  Ledieu,  en  huit  jours  par 
l'abbé  Bossuet.  Le  contrat  en  fut  signé  le  21  février  par  le  Roi  el 
tous  les  princes  et  princesses.  L'abbé  y  abandonnait  à  Louis  Bossuel, 
son  frère,  la  créance  de  quatre-vingt-dix  mille  livres  qu'il  avait  sur 
lui  pour  la  part  qui  lui  revenait  dans  la  charge  de  maître  des 
requêtes  qu'avait  possédée  leur  père  (Ledieu,  t.  II,  p.   18  et  19). 

3.  Louis  Bossuet  d'Azu,  maître  des  requêtes  après  son  père,  épou- 
sait Alarguerite  de  La  Briffe,  fille  du  procureur  général  Arnauld  de 
La  Briffe,  seigneur  de  Ferrières,  et  de  sa  première  femme  Martlie 
Agnès  Potier  de  Novion.  Le  mariage  se  fit  le  22  février  dans  la  cha- 
pelle de  M.  de  La  Briffe.  L'avant-veille,  l'évêque  de  Meaux  avait 
fait  porter  à  sa  future  nièce,  en  présent  de  noces,  deux  brillants  pour 
les  oreilles,  valant  neuf  mille  livres.  (Ledieu,  ibid.). 

4.  Sur  la  nature  de  cette  indisposition  et  sur  le  traitement  dont 
elle  fut  l'objet,  voir  Ledieu,  t.  II,  p.   16  et  suiv. 


[6o  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 


1990.   —  A  Antoine  de  Noailles. 

Vendredi   matin   [27    février   1700]. 

Je  vous  renvoie,  mon  cher  Seigneur,  la  censure 
des  Docteurs'  ;  vous  aurez  demain  avant  midi,  s'il 
plaît  à  Dieu,  la  qualification  comme  je  l'ai  faite.  La 
seconde  thèse,  sur  la  contrition -,  est  plus  délicate.  Je 
vous  envoyerai  la  manière  dont  je  l'ai  tournée, 
dimanche  au  soir,  à  votre  arrivée  à  Versailles. 

Pour  vous  dire  un  mot  de  mon  sentiment,  je 
trouve,  en  eflet,  que  la  thèse  atteint,  combat  le  péché 
philosophique,    mais   très    imparfaitement,    sans   y 

Lettre  1990.  —  La.  s.  imprimée  par  M.  Gasté  {Lettres  et 
pièces  inédites,  p.  40'  d'après  une  copie  Paite  en  i844,  à  Metz,  par 
A.  Floquet  sur  l'autographe  appartenant  à  M.  d'Hunolslein.  Celte 
lettre  accompajfnait  un  autre  document  aussi  publié  par  M  Gasté  (op. 
cit..  p.  57)  et  qui,  à  en  juger  par  son  contenu,  a  été  envoyé  le  37 
févripr,  suivant  Ledieu,  t.  II,  p.  19  et  suivantes.  Or  le  27  février 
1700  était  bien  un  vendredi.  Nous  sommes  donc  autorisés  à  dater  du 
même  jour  et  la  lettre  et  le  long  fragment  dont  nous  la  faisons  suivre, 
p.   162. 

I.  Touchant  une  thèse  soutenue  le  \l\  décembre  1699  au  collège 
Louis  le-Grand.  On  peut  lire  dans  la  Reoue  Bossuet  du  25  jan- 
vier 1901,  p.  35,  une  censure  de  cette  thèse  signée  le  26  février 
de  quinze  docteurs  (Pirot,  Tournely,  Frassen,  etc.).  Mais  ce  n'est 
pas  de  celle-ci  que  parle  Bossuet.  Les  expressions  qu'il  reproduira 
tout  à  l'heure  se  lisent  dans  une  autre  censure  (fr.  20  70^,  f»  235),  du 
3i  ianvier,  signée  de  Boileau,  T.  Roullaud,  Lefeuvre,  L.  de  Targuy, 
Anquetil  et  J.-B.  J.  Favart  (Sur  cette  aflaire,  on  peut  voir  un  recueil 
du  P.  Léonard,  aux  Archives  Nationales,  M  243,  f"^  i32  et  suiv.  Ce 
Père  a  transcrit,  en  particulier,  une  brochure  apologétique  des  jé- 
suites imprimée  en  1700  et  intitulée:  Lettre  à  un  docteur  de  Sorbonne 
touchant  la  thèse  soutenue  chez  les  Jésuites  le  i4  décembre  iGgg). 

a.  Cette  seconde  thèse,  sur  l'attrition  ou  contrition  imparfaite, 
avait  été  soutenue  aussi  chez  les  jésuites  du  collège  Louis-le-Grand, 
le  3  février  (Ledieu,  t.  II,  p.  19).  / 


fév.  i-oo]  DE  BOSSUET.  l6l 

parler  ni  de  lattention  actuelle,  ni  des  autres  cir- 
constances intolérables  de  cette  erreur. 

Je  suis  assuré  que  les  propositions  en  question 
ont  déjà  été  censurées  dans  le  livre  de  V Apologie  ^ 
Du  reste,  la  distinction  de  M.  Pirot  est  très  bonne, 
et  il  en  faut  profiter  ;  mais  elle  n'affaiblit  point  les 
qualifications  [des]  docteurs  et  il  ne  faut  que  les 
tourner  pour  les  rendre  plus  fortes,  et  y  ajouter  la 
note  d'erronées*. 

3.  Apologie  pour  les  Casuistes  contre  les  calomnies  des  Jansénistes, 
par  un  théologien  et  professeur  en  droit  canon  (le  P.  Georges  Pirot, 
jésuite),  Paris,  1657,  '"-'^-  Cet  ouvrage  fut  condamné  par 
Alexandre  Vil,  le  21  août  1609  ;  le  16  juillet  de  l'année  précédente, 
la  Faculté  de  Paris  avait  censuré  un  grand  nombre  de  propositions 
extraites  de  cette  Apologie  (Voir  plus  loin  la  circulaire  de  l'assem- 
blée du  clergé,  du  17  septembre  1700). 

4.  La  thèse  visée  ici  roulait  sur  les  pécheurs  endurcis.  Elle  était 
du  P.  Germain  Bescbeler,  né  à  Châlons  le  10  août  1670,  dune 
famille  établie  à  Vitry-Ie-François,  à  Épernay  et  à  Chàlons,  et  dont' 
une  branche  quitta  la  France  à  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes.  Il 
régenta  au  collège  de  Reims,  et  se  livra  à  la  prédication.  Il  mourut 
à  Cliâlons  le  i/^  août  1720  (L.  Carrez,  Calalogi  socioruniet  officiorum 
provincix  Campaniœ  socielatis  Jesii,  Chàlons,  1906,  in-8  (J.  Erman, 
Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  réfugiés  français,  etc.,  t.  IX, 
Berlin,  1799,  in-8,  p.  27;  Bibliothèque  Nationale,  Dossiers  bleus). 
A  la  même  famille  appartenait  le  P.  Thierry  Beschefer,  qui  mourut 
fort  âgé  à  Reims,  le  4  février  171 1,  après  avoir  été  missionnaire 
chez  les  Iroquois  du  Canada  (1670),  puis  supérieur  du  collège  de 
Québec  (C.  de  Rochemonteix,  Les  Jésuites  de  la  Nouvelle  France, 
Paris,  1896,  in-8,  t.  III,  p.  371). 

—  Le  texte  de  la  thèse  incriminée  nous  a  été  conservé  par  d'Argentré: 
«  VIII.  —  Unum  peccatnm  saepe  est  pœna  alterius  peccati,  non 
tamen  per  se,  sed  tantum  per  accidens,  quatenus  nempe  obcaecatione 
punitur  et  obduratione,  cum  Deus  prius  desertus  peccatorem  deserit. 
Très  sunt  desertionis  gradus  :  primus  gratiam  uberiorem,  secundus 
minorera  aliam,  tertius  vero  omnem  omnino  excludit  ;  peccata  gravia 
primo  et  secundo  desertionis  gradu  in  bac  vita  puniuntur  ;  nuUa 
autera  punirl  desertione  summa  ita  ut  Deus  opem  gratis  omnem  pec- 
catori  subtrahat  niagis  videtur  opinioni  Augustin!  congruere  et 
aperte  docet  author  libri  de  Vocalione  gentium. 

XII  -  II 


l62  CORRESPONDANCE  (fév.  1700 

Je  prie  Dieu  qu'il  vous  illumine  pour  démêler  les 
artifices  de  ceux  qui  ne  travaillent,  par  des  chemins 
détournés,  qu'à  donner  de  spécieux  prétextes  à  l'er- 
reur, et  que  plus  il  vous  élève  et  continuera  à  vous 
élever**  sur  le  chandelier,  plus  il  vous  rende  humble 
et  docile  à  sa  vérité.  Je  suis  en  lui,  mon  cher  Sei- 
gneur, tout  à  vous  et  avec  le  respect  que  je  dois. 
J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


ï 


1990  bis.   —  A  Antoine  de  Noailles. 

[37  février  1700J. 

((  Eorum^  qui  aiunt peccatores  nonnallos  ita  deseri 
a  /)eo(etc.  jusquesà  la  fin)exconclusionibus  theolo- 

Eorum  qui  aiunt  peciatores  nonnullos  ita  deseri  a  Deo  ut  ab  inte- 
riore  illius  luce  penitus  secludantur  et  priventur  omni  motu,  non  una 
est  opinio  ;  alii  enim  errant  dum  asserunt  peecatori  plane  obcaecato 
et  indurato  peccata  niliilominus  impiitari,  alii  tolerabilius  sentiunt 
dum  neg^anl  »  {Collectio  judiciorum  de  novis  erroribus,  t.  III,  p.  4 '2). 

5.  Allusion  à  la  prochaine  promotion  de  cardinaux,  dont  Noailles 
devait  faire  partie. 

Lettre  i990  bis.  —  Pièce  publiée,  pour  la  partie  française,  par 
M.  Gasté  (cf.  p.   160);  inédite  pour  la  partie  latine. 

I.  Ce  qui  suit  se  trouve  en  une  minute  avec  corrections  et  signa- 
ture autographes,  aux  Archives  Nationales,  M  836,  n"  19.  Nou.s 
allons  donner  le  texte  de  la  consultation  appréciée  et  corrigée  par 
Bossuet,  afin  que  l'on    puisse  comprendre  mieux  sa  pensée. 

Excerptum  ex  conclusionibus  tlieologicis  de  Peccalo  et  gratia 
(col.  f''  ;  sect.  8«). 

...Très  sunt  desertionis  gradus  :  primus  gratiam  uberiorem,  secun- 
dus  minorem  aliam,  tertius  vero  omnem  omnino  excludit.  Peccata  gra- 
via  1°  et  2"  desertionis  gradu  in  hac  vita  puniuntur  :  nuUa  auteni  puniri 
desertione  summa  ita  ut  Deusopem  omnem  peecatori  subtraliaf,  niagis 
videlur  Augustiniopinioni  congruereetaperledocetautborlibri  de  foca- 
tione  gentium.  Eorum  qui  aiunt  peccatores  nonnullos  ita  deseri  a  Deo 


fév.  1700]  DE   BOSSUET.  l63 

gicis  in  rcgio  Lud.  Magni  GoUegio  propugnatis,  die 
i/j  dec.   1699.  Appendice  VHP. 

Quod  hujus  divisionisprior pars erro ris  insimulat, 
sive  theologica  locutione  erroneam  reputat  sanam  et 
orthodoxam  ac  multis  S. S.  P.P.  atque  optimae  notœ 
theologis  probatam,  nec  non  Sacris  Scripturis  dic- 
tisque  dominicis  valde  conformem"  sententiam  qu* 

ut  ab  interiori  illius  luce  penitus  secludantur  et  priventur  omni  motu, 
non  una  est  opinio.  Alii  enim  errant,  dum  asserunt  peccatori  plane 
obcœcato  et  obdurato  peccata  nihilominus  imputari  ;  alii  tolerabilius 
sentiunt  dum  negant,  etc. 

Harum  conclusionuin  veritas...  propuguabitur  die  lunae  i4*  deceni- 
bris  1699,  in  Regio  Ludovici  Magni  collegio  Societatis  Jesu. 

Errant  qui  asserunt  peccatori  plane  obcœcato  et  obdurato  peccata 
nihilominus  imputari.  De  qua  propositione  posl  accuratum  et  diuiur- 
nuin  examen  ita  sentimus  :  Ilaec  propositio,  in  quantum  erroris  insi- 
mulat tlieologorum  orthodoxe  sentientium  verani  sanamque  doetri- 
nam,  temeraria  est,  scandalosa,  sanclis  Patribus  injuriosa  ;  in 
quantum  vero  negat  a  Deo  imputari  peccata  homini  plane  obcœcato  et 
obdurato,  falsa  est,  temeraria,  scandiilosa,  piarum  aurium  offensiva, 
verbo  Dei  contraria,  latam  impiis  atque  perversis  hominibus  aperiens 
viam  ad  elTrenem  scelerum  licentiam  et  ad  excusandas  excusationes 
in  peccatis  (Psalm.  cxl).  Haec  eadem  propositio  magno  animarum 
detrimento  rénovât  doctrinam  a  pluribus  episcopis  nostro  saeculo 
proscriplam  in  celebribus  censuris*  adversus  exitialem  libellum 
editis  qui  inscribitur  vernacule  Apologie  pour  les  casuistes,  elc,  quem 
et  Facultas  theologica  Parisiensis  **  damnandum  duxit  et  reipsa  da- 
mnavit  ob  perniciosas  plerasque  propositiones  quarum  uni  aut  pluribus 
non  absimilis  est  hodierna  isthaec  propositio:  Errant  qui  asserunt,  etc., 
quae  insuper  turpem  de  peccato  philosophico  doctrinam  ab  Aposfolica 
Sede***  rejectam  clanculum  Fovere,  eique  per  latus  patrocinari  non 
obscure  videtur.  Datum  Parisiis,  die  trigesima  prima  et  ultima 
Januarii  an.  R.  S.  1700. 

BoiLEAu,  T.  RouLLAND,  Lefeuvre,  S.  Theologia; proFessor  regius, 
L.  DE  Targny,  Anquetil,  J.-B.-J.  Favart. 

2.   Au-dessus  de  conformem,  non  effacé,  on  lit  :  consentaneam. 

*  Censuras  Episcoporum  Gallia;  in  librum  qui  inscribitur  Apologie  poar 
les  casaisles,   i(j58  et  iGSg. 

**  Censura  Facultalis  Parisiensis,  an.  i658.  Censura  Lovaniensis  in  simili 
materia,  an.   1667. 

***  Decretum  Alex.  Papae  VIII,  an.   1690. 


i64  CORRESPONDANCE  [fé,.  1700 

asserit  peccatori  plane  obcaecato  et  indurato  nihilo- 
minus  imputari  peccata,  temeraria  est,  scandalosa, 
Patribus  ac  theologis  contumeliosa  (ac  vim  evan- 
i::elic8e  praîdicationis  '  sive  adhortationis  et  commi- 
nationis  infringit). 

Quod  autem  eadem  divisio  ''  altéra  parte  supponit, 
esse  aliquos  theologos  qui  eo  modo  quo  ipsi  obcœ- 
cationem  et  indurationem  explicant,  propter  eam 
peccata  imputari  negent,  falsum  est  ac  temerarium. 
Quatenus  vero  eadem  propositio  significat  eam  sen- 
tentiam  falso  theologis  quibusdam  attributam,  tole- 
rabilem  esse,  sive  tolerabiliorem  comparatione  facta 
ad  alteram  sententiam  ;  non  autem  certo  et  aperte 
falsam  ac  nemini  theologo  tolerabilem  visam  qua 
scilicet  statuatur  obcœcatos  et  induralos  atque  a  Dec 
penitus  desertos,  justoque  judicio,  sed  occulto,  sibi 
ac  suis  cupiditatibus  omnino  traditos,  peccato  non 
esse  obnoxios,  aut  eis  ipsa  peccata  quantumvis  hor- 
renda  non  imputari  ;  falsa  item  est,  temeraria,  scan- 
dalosa, verbo  Dei  contraria,  erronea,  impiis  atque 
perversis  hominibus  viam  aperiens  ad  effrenampec- 
candi  licentiam  et  ad  excusandas  excusationes  in 
peccatis. 

Hœc  eadem  propositio...,  etc.,  comme  dans  les 
qualifications  des  Docteurs. 

Eadem  insuper...  etc.,  comme  dans  les  mêmes 
qualifications,  excepté  que  je  mettrais  simplement 
eiqae  per  latus  non  obscure  patrocinatur ,  plutôt  que 

3.  Au-dessus  de  ccclesiastica: ,  non  rayé,  on  voit  :  evangelicœ .  Le 
c.'t)piste  a  écrit  :  prœdicatoris  au  lieu  de  prsedicationis. 

4.  Ces  deux  mots  :  eadem  divisio,  sont  ajoutés  de  la  main  de  Br  f 
suet  au-dessus  de  nutcni  altéra. 


fév    1700]  DE  BOSSUET.  l65 

palrocinari  videlur.  et  j'ajouterais  :  nec  sufficit  pes- 
siml  dogmatis  aliquam  partem  elidere  ut  in  haruni 
conchisionum  prima  appendice  factam,  cum  illud  in 
totum,  et  quavis  specie  ohtrudatur ,  radicitus  amputari 
aique  ab  omni  theologiœ  lamine  arceri  oporteat. 

Neque  propterea  intendimas  probare  alias  harum 
conclusionum  partes ,  ut  est  illa  appendicis  V,  de  invin- 
cibiliignorantiajuris  naturalis  aliaeque  ejusmodi  aut  ea 
quse  speciant  (appendice  quarta)  ad  imputandos  ortho- 
doxis  theologis  ac  scholis  errores  gravissimos  quos 
damnant. 

J'espère,  mon  cher  Seigneur,  que  vous  trouverez 
comme  moi  qu'il  n  y  a  rien  de  plus  important,  dans 
la  conjoncture  présente,  oîi  l'on  tâche  d'établir  qu'il 
faut  être  ou  janséniste  ou  moliniste,  de  venger 
l'Ecole  de  saint  Thomas  de  l'erreur  énorme  de  faire 
Dieu  auteur  du  péché  et  d'ôter  absolument  au  libre 
arbitre  la  faculté  ad  alteram  partem  contradictionis . 
Cela  me  paraît  de  la  dernière  importance.  Vous 
savez  néanmoins  que  je  soumets  mes  lumières  aux 
vôtres,  et  par  la  connaissance  que  j'en  ai  et  par  la 
confiance  que  Dieu  assiste  ceux  qui  sont  en  place  et 
bénit  leur  application. 

La  saine  doctrine  de  saint  Augustin  et  de  saint 
Bernard^  est,  premièrement,  que  les  péchés  où 
l'on  tombe  par  nécessité  en  conséquence  de  la 
désertion  et  en  punition  des  péchés  précédents, 
sont  vrais  péchés  ;  secondement,  qu'il  ne  laisse  pas 


5.  S.  Augustin.,  Opus  imperf.  contra  Julianum,  lib.  I,  xciv  [P.  L., 
t.  XLV,  col.  II 10].  S.  Bernard.,  Serm.  in  Cantic.,  lxxxi,  7  [P.  L., 
t.  GLXXXIII,  col.  1174J. 


l66  CORRESPONDANCE  [fév.  1700 

d'être  véritable  que  Dieu  ne  refuse  jamais  tout 
secours  absolument  en  cette  vie  au  pécheur,  quel- 
que endurci  qu'il  soit,  et  qu'on  doit  toujours  lui 
dire  que  Dieu  le  veut  encore  sauver  et  qu'il  est 
lui-même  le  seul  auteur  de  sa  perte.  Troisième- 
ment, que  ces  deux  doctrines  sont  très  compa- 
tibles, et  que  c'est  mal  à  propos  qu'on  les  oppose. 
Quatrièmement,  que  ces  deux  Pères,  et  notamment 
le  premier,  lorsqu'ils  admettent  comme  véritable 
que  le  péché  inévitable  n'est  pas  péché,  y  mettent 
toujours  l'exception  du  péché  qui  est  tellement  péché 
qu'il  est  encore  peine  du  péché.  Cinquièmement, 
qae,  malgré  la  nécessité  de  pécher  011  l'on  tombe 
comme  on  vient  de  voir,  la  liberté  de  contradiction* 
demeure  toujours  par  le  libre  choix  entre  les  péchés, 
à  peu  près  comme  dans  les  péchés  véniels  \  Si  vous 

6.  La  liberté  de  contradic'.ion  est  la  faculté  qu'on  a  d'agir  ou  de 
n'agir  pas,  de  faire  telle  chose  ou  de  ne  pas  la  faire,  comme  d'écrire 
ou  de  ne  pas  écrire.  Elle  se  dislingue  de  la  liberté  que  les  théologiens 
appellent  Ubertas  contrarietalis,  qui  est  le  pouvoir  d'agir  après  avoir 
choisi  entre  deux  partis  contraires,  comme  aimer  ou  haïr,  mentir  ou 
dire  la  vérifé.  Un  pécheur  peut  être  tellement  affaibli  par  ses  habi- 
tudes mauvaises  et  ses  résistances  continuelles  à  la  grâce,  qu'il  se 
trouve  dans  une  nécessité  morale  de  pécher  un  jour  ou  l'autre, 
bien  qu'en  chaque  cas  particulier,  il  reste  toujours  libre  de  ne  le  pas 
faire,  en  sorte  que  si,  en  telle  ou  telle  occasion,  il  évite  de  pécher, 
sa  faiblesse  est  telle  qu'il  succombera  dans  une  autre. 

7.  Le  juste  ne  peut  moralement,  avec  les  secours  ordinaires  de  la 
grâce,  éviter  tous  les  péchés  véniels  (Conc.  Tridenlinum,  Sess.  VI, 
can.  i3);  il  ne  le  peut  sans  un  privilège  spécial  de  grâce.  Cepen- 
dant il  demeure  libre  dans  chacun  des  péchés  qu'il  commet.  Cette 
impuissance  morale  n'affecte  pas  chacun  des  actes  en  particulier,  mais 
l'ensemble,  en  sorte  que,  dans  cet  acte  pris  en  particulier,  il  peut  évi- 
ter le  péché,  mais,  par  le  fait  de  la  fragilité  humaine,  ici  ou  là,  il  tom- 
bera dans  une  faute  vénielle  plus  ou  moins  délibérée  (S.  Thomas, 
Suin.  th.,  1°,  II"®,  q.  109,  art.  8;  Suarez,  Tractatus  de  (jratia,  iib.  I?C^ 
cap.  VIII,  art.   17  à  33). 


mars  1700]  DE  BOSSUET.  167 

m'ordonnez  de  vous  rapporter  les  passages  de  ces 
deux  saints,  je  crois  le  pouvoir  faire  en  peu  de  jours, 
aidé  de  vos  ordres  et  de  vos  prières. 

Pour  exposer  toute  ma  pensée,  je  crois  qu'il  faut 
faire  la  censure  en  latin  et  la  faire  en  même  temps 
traduire  et  publier  en  française 

J'espère  que  vous  serez  content  du  tour  que  j'aurai 
à  vous  proposer  sur  la  thèse  de  l'attrition, 

J.   Bénigne,  é.  de  Meaux. 


1991.   —  Pierre   db  La  Broue  a  Bossuet. 

A  Mazerettes,  ce  lO  mars  1700. 

Je  vous  rends  mille  grâces,  Monseigneur,  de  toutes  vo*; 
bontés  ;  et  je  commence  par  me  réjouir  avec  vous  du  mariage 
de  M.  votre  neveu.  Je  ne  connais  pas  la  demoiselle,  mais  on 
me  mande  que  le  mérite  de  la  personne  répond  à  tout  le 
reste'  :  ainsi  il  y  a  mille  sujets  de  vous  en  féliciter. 

J'ai  vu  la  lettre  de  M.  l'évêque  d'Alais  :  elle  ne  m'a  pas 
surpris,  car  je  connaisses  manières;  mais  j'aurais  cru  qu'il 
vous  aurait  fait  plus  d'honnêtetés  qu'il  ne  vous  en  fait.  Vous 
aurez  vu,  Monseigneur,  dans  la  lettre  que  j'ai  cru  devoir 
écrire   à    M.    l'évêque  de  Chartres,    combien    tout   ce    que 

8.  L'archevêque  était  décidé  à  publier  une  censure  de  ce  genre. 
Pour  détourner  le  coup,  les  jésuites  donnèrent  d'abord  une  décla- 
ration dont  Bossuet  dit  qu'elle  était  pire  que  la  thèse  même,  puis- 
qu'elle tendait  à  l'excuser.  L'évêque  de  Meaux,  le  29  mars,  envoya  à 
l'arclievèque  le  projet  d'une  rétractation  édifiante  (Ledieu,  t.  II, 
p.  21  et  28),  et  il  est  probable  que  c'est  conformément  à  ce  projet 
que  le  P.  Beschefer  fit,  le  3  avril,  une  déclaration  dont  11  sera  parlé 
plus  loin. 

Lettre  1991.  —  i.  L'abbé  Millet,  qui  fut  le  précepteur  de  l'abbé 
Bossuet,  revient  souvent  dans  ses  lettres  sur  l'élog^e  de  Mme  Bossuet 
(Ms.  de  Lyon,  77^  à  777,  passim).  Au  contraire,  Ledieu  se  scanda- 
lise des  familiarités  de  cette  jeune  femme  avec  son  beau-frère. 


l68  CORRESPONDANCE  [mars  1700 

M.  l'évoque  d'Alais  dit  des  prétendus  engagements  qu'il  pré- 
tend que  j'avais  pris  avec  lui,  est  faux  et  sans  fondement.  Il 
est  étonnant  que,  le  lui  ayant  nié  bien  formellement,  il  ose 
encore  l'avancer,  et  citer  des  témoins  qui  ne  le  disent  pas 
assurément.  Mais  ce  n'est  pas  de  quoi  il  s'agit  :  il  s'agit  si 
c'est  lui  faire  une  injustice,  comme  il  le  prétend  ;  il  s'agit  s'il 
s'est  cru  déshonoré  de  ce  que  M.  l'évêque  de  Montpellier-  a 
été  député  avant  lui,  et  pourquoi  il  prétend  l'être  de  ce  que 
je  songe  à  être  député  après  M.  l'évêque  de  Montpellier,  à 
qui  c'est  moi,  et  non  M.  l'évêque  d'Alais,  qui  a  cédé.  Vous 
pouvez  le  demander  à  M.  l'évêque  de  Montpellier,  que  vous 
aurez  bientôt  à  Paris.  Il  ne  fut  pas  seulement  parlé  de 
M.  l'évêque  d'Alais,  qui  ne  fut  que  fort  peu  de  jours  aux 
derniers  États  de  Narbonne,  où  la  chose  se  décida  il  y  a  envi- 
ron quinze  mois.  Avec  tout  cela,  Monseigneur,  je  vous 
avoue  que  cette  concurrence  avec  un  homme  dont  les 
manières  sont  si  rudes,  ne  laisse  pas  de  me  faire  une  extrême 
peine  ;  et  je  souhaiterais  fort  qu'avant  d'en  venir  à  une 
espèce  de  combat,  qui  ne  me  paraît  point  convenir  à  deux 
évêques,  on  trouvât  quelque  moyen  d'apaiser  M.  l'évêque 
d'Alais.  Je  ne  sais  si  M.  de  Basvllle  le  pourrait  faire;  mais  je 
crois  qu'il  faut  auparavant  laisser  user  à  M.  l'évêque  d'Alais 
toute  sa  poudre.  11  sera  plus  traitable  quand  il  verra  qu'il  ne 
lui  reste  plus  guère  d'espérance  de  réussir  :  car,  s'il  n'arrive 
point  de  changement,  je  crois  que  j'aurai  les  trois  quarts  des 
voix.  Mais,  encore  une  fois,  il  me  semble  que  c'est  un  scan- 
dale dans  l'Eglise,  qu'on  voie  deux  évêques  disputer  à  qui 
s'éloignera  de  son  évêché  ;  et  je  voudrais  bien  qu'avant  le 
terme  des  États  prochains,  les  choses  fussent  réglées  entre 
nous  deux.  Vous  aurez  à  Paris,  et  dans  l'assemblée  même  du 
clergé,   deux  ou   trois  de  nos  prélats^   qui   vous  diront  ce 

2.  L'évêque  de  Montpellier  était,  depuis  1696,  Cliarles-Joachim 
Colbert  de  Croissy. 

3.  Les  évêques  du  Languedoc  députés  à  l'assemblée  de  1700  furent 
celui  de  Béziers,  pour  la  province  de  Narbonne,  celui  de  Montauban 
pour  la  province  de  Toulouse,  et  celui  de  Cabors  pour  la  province 
d'Albi. 


mars  1700]  DE   BOSSU  ET.  169 

qu'ils  pensent  de  la  prétention  de  M.  l'évêque  d'Alais  :  ils 
savent  nos  usages,  et  je  ne  crois  pas  qu'ils  soient  suspects  à 
M.  l'évêque  d'Alais.  Le  P.  Le  Valois,  à  qui  M.  d'Alais  avait 
écrit  comme  pour  lui  demander  conseil,  me  mande  ce  qu'il 
lui  a  répondu,  qui  me  paraît  fort  sage  :  je  ne  sais  si 
M.  l'évêque  d'Alais  s'en  laissera  toucher.  Ce  que  je  puis  vous 
assurer,  Monseigneur,  c'est  que  le  seul  plaisir  de  vous  voir 
et  de  passer  quelques  mois  auprès  de  vous,  m'a  fait  désirer 
la  députation,  et  que  sans  cela  je  l'aurais  déjà  cédée  sans 
peine  à  M.  l'évêque  d'Alais. 

Nos  nouveaux  convertis  font  un  peu  mieux  :  M.  Le 
Gendre*,  intendant  de  Montauban,  a  donné  ordre  à  un 
subdélégué  qu'il  a  dans  le  pays  de  Foix,  d'ordonner  de  sa 
part  à  tous  les  nouveaux  convertis  d'assister  à  la  messe,  et 
qu'il  ne  leur  donnait  de  terme  que  jusqu'au  premier 
dimanche  de  carême,  auquel  il  entendait  que  tout  le  monde 
y  assistât.  Cet  ordre  a  eu  un  très  grand  succès,  et  il  y  a  eu 
très  peu  de  personnes  dans  une  paroisse  très  nombreuse  qui 
n'y  soient  venues.  Ils  sont  encore  venus  en  plus  grande  Ibule 
aux  sermons  que  je  leur  fais  tous  les  dimanches  sur  la 
matière  de  rEucliaristie,  que  je  traite  avec  beaucoup  d'éten- 
due, et  d'une  manière  familière,  avec  les  livres  à  la  main. 
Je  ne  sais  si  Dieu  bénira  nos  soins  ;  mais  ces  commence- 
ments sont  heureux. 

Je  suis  toujours  avec  un  respect  et  une  reconnaissance 
infinie,  etc. 


1992.    —   Frémont   a   Bossuet. 

De  Rouen,  ce  17  mars  1700. 
Le   sieur    Le    Normand,    ci-devant   curé     de    Mareuil-la- 

A-    Sur  Le  Gendre,  voir  plus  loin,  p.  170. 

Lettre  1992.  —  L.  a.  s.  Bibliothèque  de  sir  Thomas  Phillips,  à 
Cheltenham.  Inédite.  — Les  renseignements  font  défaut  sur  le  sijjna- 
taire  de  cette  lettre.  Il  était  sans  doute  apparenté  à  Thomas  Frémont, 


I^o  GORllESPONDANCE  [mars  1700 

Ferlé*,  dans  votre  diocèse,  m'étant  venu  trouver  en  cette 
ville  pour  se  consoler  de  sa  disgrâce  et  du  malheur  qu'il  a  eu 
de  n'avoir  pas  obéi.  Monseigneur,  aux  premiers  ordres  et 
avis  de  Votre  Grandeur,  m'a  fait  voir  la  consultation  des 
quatre  des  plus  célèbres  avocats  du  Parlement  de  Paris  en 
matière  bénéficiale,  qui  sont  unanimement  d'avis  qu'il  est 
toujours  en  état  et  en  pouvoir  de  résigner  ou  permuter  sa 
dite  cure,  attendu  l'appel  interjeté  de  la  sentence  de  votre 
officiai  qui  le  condamne  à  s'en  démettre  dans  quatre  mois, 
lequel  suspend  de  droit  l'exécution  de  cette  sentence.  Plu- 
sieurs avocats  les  plus  éclairés  de  ce  pai-lement  sont  aussi  de 
même  sentiment  que  ceux  de  Paris.  Fondé  sur  ces  assurances 
et  certitudes  de  droit,  le  S'"  Le  Normand  a  cherché,  Monsei- 
gneur, dans  Paris  le  plus  honnête  ecclésiastique  que  ses  amis 
ont  pu  lui  indiquer  par  préférence  à  plusieurs.  Us  lui  ont 
donné  un  bachelier  en  théologie  qui  est  un  ecclésiastique  des 

qui  figure,  en  1671^,  comme  procureur  au  Parlement  de  Rouen 
(Bibliothèque  Nationale,  Tlioisy,  ig/l,  f"  6). 

I.  Mareuil-la-Ferté,  aujourd'hui  Mareuil-sur-Ourcq,  canton  de 
Betz,  département  de  l'Oise,  faisait  autrefois  partie  du  diocèse  de 
Meaux.  François  Olivier  Le  Normand,  curé  de  celte  paroisse,  avait, 
par  ses  dérèglements,  mis  Bossuet  dans  la  nécessité  de  lui  demander 
sa  démission  ;  mais,  s'y  étant  refusé,  il  avait  été  arrèlé,  et  traduit 
devjint  i'officialité,  qui  le  condamna,  au  mois  de  novembre  1699,  à 
sortir  du  diocèse  et  à  perdre  ou  permuter  dans  les  quatre  mois  son 
bénéfice.  De  plus,  le  juge  royal  de  Meaux,  qui  connut  de  son  affaire 
pour  le  cas  privilégié,  le  punit  de  la  confiscation  de  ses  biens  et  le 
bannit  à  perpétuité  des  bailliages  de  Meaux  et  de  La  Ferté-Milon, 
par  sentence  du  i4  novembre  1699.  ^^  Procureur  général,  qui  avait 
réclamé  pour  l'accusé  les  galères,  fit  appel  a  minima.  tandis  que  le 
condamné  interjetait  appel  comme  de  juge  incompétent.  Le  Par- 
lement confirma  la  sentence  du  premier  juge,  sauf  en  ce  qui  re- 
gardait la  confiscation,  et  il  y  ajouta  le  bannissement  de  la  ville, 
prévôté  et  vicomte  de  Paris.  L'abbé  Le  Normand  avait  été  accusé 
d'avoir,  avec  la  complicité  d'une  certaine  Antoinette  Cailla,  veuve 
Claude  Lemaire,  lente  d'abuser  par  force  de  Marguerite  Hujart,  sa 
paroisienne.  Les  gens  de  Mareuil  avaient  pris  parti  pour  leur  curé; 
c'est  ce  qui  explique  l'indulgence  dont  il  bénéficia  en  appel  (CP. 
Ledieu,  t.  H,  p.  '1,  et  Archives  Nationales,  X'-'A  r)oi,  arrêt  du  7  jan 
vier  1700). 


mars  i7ooJ  DEBOSSUET.  171 

plus  recommandablcs  de  Paris  en  science,  bonne  vie,  mœurs 
et  mérites,  doué  d'un  esprit  doux  et  pacifique,  de  toutes  les 
belles  qualités  qu'on  peut  désirer,  que  plusieurs  évêques  ont 
désiré  avoir  dans  leur  diocèse,  avec  lequel  il  a  permuté  sa 
dite  cure  de  Mareuil  dès  le  commencement  de  janvier  dernier 
et  envoyé  en  cour  de  Rome.  C'est  ce  qui  l'oblige.  Monsei- 
gneur, de  supplier  très  humblement  V^otre  Grandeur,  avec 
tout  respect  et  soumission,  d'agréer  et  trouver  bon  qu'il  ait 
permuté  avec  cet  honnête  ecclésiastique  qui  l'a  tiré  du  che- 
min où  il  était  du  fâcheux  désespoir  par  ses  bons  et  salu- 
taires conseils  pleins  de  charité  et  de  consolation,  [reconnais- 
sant] toutes  ses  fautes  passées,  dont  il  m'a  témoigné  plusieurs 
fois  être  vivement  touché  et  repentant.  Il  a  voulu  vous  don- 
ner. Monseigneur,  ce  bon  ecclésiastique  pour  curé  de  Mareuil, 
afin  de  réparer  par  ses  bons  exemples  et  conduites  le  scan- 
dale qu'il  a  causé  dans  cette  paroisse.  Il  attend  de  confiance, 
Monseigneur,  dans  la  bonté  de  Votre  Grandeur,  qu'il  en 
espère  et  attend  toute  justice'^,  et  moi  aussi,  en  particulier, 
comme  son  allié  de  parenté,  qui  suis  avec  un  très  profond 
respect, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

Frémont,  avocat. 
J'adresse  celle-ci  dans  le  paquet  d'un  de  mes  amis  que  je 
prie   de  faire  tenir  à  Votre   Grandeur,   qui   aura  la   bonté 
d'excuser  ma  liberté. 


1993.  —  A  Pierre  de  La  Broue. 

Paris,    19  mars   l'joo. 

J'ai  appris,  Monseigneur,  et  c'est  de  Sa  Majesté 
elle-même,    que,  dans  la  ville  de  Monlauban,  tous 

2.  Le  9  janvier  1701,  l'évèqiie  mit  fin  à  cette  affaire  en  accordant 
par  bonté  à  l'ancien  curé  de  Mareuil  «  une  pension  de  trois  cents 
francs  pour  arrêter  ses  chicanes  »  (Ledieu,  ibid.,  p.  170). 

Lettre  1993.  —  Copie  authentique  au  Grand  séminaire  de 
Meaux. 


lya  CORRESPONDANCE  [mars  1700 

les  réunis  allaient  à  la  messe,  à  la  réserve  de  trois  ou 
quatre.  Je  présume  qu'il  en  est  à  peu  près  de  même 
dans  la  plupart  des  autres  villes  de  vos  quartiers.  Je 
vous  supplie  de  me  mander  en  secret  dans  quelles 
dispositions  ils  sont  pour  les  sacrements,  et  si  cet 
acte  les  dispose  à  les  recevoir.  Pour  moi,  j'éprouve 
le  contraire;  et  ceux  qui  vont  à  la  messe,  à  quoi 
plusieurs  sont  disposés,  et  à  qui  on  ne  demande 
autre  chose  quant  à  la  disposition  du  cœur,  croient 
s'être  acquittés  de  tout  par  ce  moyen,  et  ne  songent 
plus  à  rien  du  tout  ;  en  sorte  qu'on  ne  trouve  pas  leur 
conversion  plus  avancée.  Je  crois,  au  reste,  que  ceux 
qui  paraissent  si  contents  de  cette  assistance  à  la 
messe,  y  voient  autre  chose;  et,  sans  entrer  là-dedans, 
je  vous  demande  pour  mon  instruction  et  par  rap- 
port à  mon  expérience,  comment  vous  croyez  qu'on 
peut  profiter  des  exemples  que  l'on  vous  donne  en 
vos  pays. 

J'attends  avec  impatience  votre  réponse  sur  la 
lettre  que  je  vous  ai  envoyée,  pour  en  parler  encore 
une  fois  et  encore  plus  à  fond  à  M.  du  Maine*.  Au 
reste,  je  suis  à  vous  avec  le  respect,  Monseigneur, 
que  vous  savez. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


igg/i-   —  Pierre  de  La  Broue  a  Bossuet. 

A  Toulouse,  ce  21  mars  1700. 

Nous  venons,  Monseigneur,  de  députer  M.  l'abbé  de  Gatel- 

I.  Voir  p.   i58  et  173. 

Lettre  1994 Voir  la  lettre  du  21  février,  p.   i58.  i 


mars  1700]  DE  BOSSUET.  178 

lan  *  à  l'assemblée  du  clergé  ;  et  je  suis  assuré  que  vous  ne 
serez  pas  fâché  de  l'avoir  auprès  de  vous. 

Il  me  mande  que  M.  l'évèque  d'Alais  a  écrit  de  nouveau  à 
M.  le  duc  du  Maine,  et  qu'il  lui  fait  entendre  que,  quoique 
vous  ayez  trouvé  mon  procédé  fort  étrange  à  son  égard,  vous 
n'avez  pas  voulu  pourtant  m'obliger  à  lui  céder.  Ce  n'est  pas 
tout  :  il  publie  que  M.  le  duc  du  Maine  lui  a  promis  la  dépu- 
tation.  Vous  saurez  pourtant  facilement  le  contraire  par  la 
réponse  de  M.  le  duc  du  Maine,  dont  le  secrétaire  de  ce 
prince  a  fait  part  à  M.  l'abbé  de  Catellan.  Il  est  aisé  de 
juger  de  là  combien  M.  l'évèque  d'Alais  est  avantageux  dans 
ses  discours.  Je  suis  bien  assuré  que  M.  le  duc  du  Maine 
prétend  aussi  peu  lui  avoir  promis  la  députalion,  que  j'ai  peu 
prétendu  m'en  désister  en  sa  faveur,  par  la  manière  honnête 
dont  je  lui  répondis  quand  il  m'en  parla  la  première  fois. 
Cependant,  Monseigneur,  comme  il  est  déclaré  à  présent  que 
ce  sera  M.  le  duc  du  Maine  qui  prendra  connaissance  de 
tontes  les  affaires  de  nos  États,  et  qu'il  mande  à  M.  l'évèque 
d'Alais  qu'il  décidera  la  contestation  qui  est  entre  lui  et  moi, 
après  avoir  examiné  les  raisons  de  l'un  et  de  l'autre,  je  ne 
sais  s'il  ne  serait  pas  à  propos  que  vous  fissiez  auprès  de  lui 
les  mêmes  démarches  cjue  vous  eûtes  la  bonté  de  faire  auprès 
de  M.  le  cardinal  de  Bonzy.  Car  la  meilleure  raison  que  je 
puis  avoir,  c'est  que  M.  le  cardinal  de  Bonzy  vous  l'avait  pro- 
mis, et  qu'il  lui  était  libre  de  le  promettre  à  qui  il  lui  plai- 
sait, sans  que  M.  l'évèque  d'Alais  eût  sujet  de  se  plaindre. 
M.  l'évèque  de  Béziers  ^,  au  reste,  qui  doit  être  de  l'assem- 
blée du  clergé,  et  qui  vous  honore  très  particulièrement, 
expliquera  à  merveille  toutes  mes  raisons,  nos  usages,  nos 
maximes,  etc.,  et  défendra  fort  bien  ma  cause,  soit  auprès  de 
vous,    soit    auprès   de  M.    le  duc  du   Maine.   Je    mande    à 

1.  L'abbé  de  Catellan  fut  député  du  secoad  ordre  pour  la  pro- 
vince de  Toulouse.  Il  est,  en  cette  circonstance,  qualifié  de  prieur 
du  prieuré  simple  de  Saint-Sulpice  de  Brésil,  au  diocèse  de  Mirepoix. 

2.  L'évèque  de  Béziers  était  Jean  Armand  de  Rotundis  de  Bisca- 
ras,  transféré  de  Lodève  ;  il  mourut  le  i5  février  1702  (E.  Sabatier, 
Histoire  de  la  ville  et  des  évêques  de  Béziers,  Béziers,  i85/t,  in-  8). 


1^4  CORRESPONDANCE  [mars  1700 

M.  l'abbé  de  Gatellan  le  règlement  que  M.  l'archevêque  de 
Toulouse'  faisait  avant-hier  à  table  pour  nos  députations,  qui 
me  paraît  plein  de  justice  et  propre  à  calmer  tous  les  dllTé- 
rends  ;  il  aura  l'honneur  de  vous  en  rendre  compte. 

Nous  avons  ici  M.  l'évêque  de  Senez*,  qui  enchante  toute 
la  ville  de  Toulouse  par  ses  sermons.  11  a  fallu  faire  des 
échafauds  dans  l'église  où  il  prêche,  pour  satisfaire  à  la  pas- 
sion qu'on  avait  de  l'entendre. 

Je  suis  toujours  très  respectueusement  et  avec  une  extrême 
reconnaissance,  etc. 


1995.  —  Le  Comte  de  Pontchartrain  a  Bossuet. 

J'ai  rendu  compte  au  Roi  aujourd'hui  du  mémoire  que 
vous  aviez  donné',  concernant  les  maîtres  et  maîtresses 
d'école  et  les  ecclésiastiques  à  établir  dans  plusieurs  lieux  de 
votre  diocèse.  S.  M.  a  agréé  l'établissement  des  maîtres  et 
maîtresses  d'école,  et  l'imposition  des  sommes  demandées 
pour  cela.  A  l'égard  des  ecclésiastiques,  il  faut  remettre  celte 
dépense  à  un  autre  temps  ^. 

J'écris  au  P.  de  La  Chaise-'  de  faire  souvenir  S.  M.  d'une 

3.  Jean-Baptiste  Michel  Golbert  de  VillaceiF,  nommé  au  siège  de 
Toulouse  en   1687  ;  il  mourut  le  11   juillet  1710. 

l\.   Jean  Soanen.  Cf.  t.  IV,  p.  6<i. 

Lettre  1995.  —  Archives  Nationales,  OL'iA,  1"  i35.  Publiée  pa  i- 
M;  Gh.  Rend,  dans  Bossuet  déuollé,  p.  35. 

1.  Celui  du  2^  octobre  1699,  qu'on  a  vu,  p.  95. 

2.  Pontchartrain  écrit  dans  le  même  sens  à  l'intendant  Pliely- 
peaux,  0144,  f  i34. 

3.  Cette  lettre  se  trouve  au  f"  i35  v"  du  registre  0'44- 
«  M.  l'évêque  de  Meaux  ayant  représenté  au  Roi  que  le  S'  Ciiabert, 
qui  travaille  depuis  plusieurs  années  dans  son  diocèse  pour  l'instruc- 
tion des  nouveaux  convertis  et  qui  jusqu'à  présent  a  eu  quelques  gra- 
tifications de  800'*  par  an,  méritait  une  pension  établie  par  un  béné- 
fice, afin  de  pouvoir  l'exciter  à  continuer  son  travail,  S.  M.  m'a 
ordonné  de  vous  écrire  de  l'en  faiie  souvenir  lors  de  la  distributio/ 
des  bénéfices  ».    On   verra,  à  la    date    du  29  décembre  1701,  qu'une 


avril  1700]  DE   BOSSUET.  176 

pension  pour  le  sieur  Chabert,  que  vous  marquez  dans  votre 
mémoire  *  comme  un  homme  qui  la  mérite,  à  cause  du  tra- 
vail qu'il  fait  dans  votre  diocèse.  Je  suis,  etc.. 

A  Versailles,  ce  29  in:irs   1700. 


1996.    —  Pierre  de  La  Broue  a  Bossuet. 

A  Mazerettes,  le  i*"''  avril   1700. 

Ce  que  le  Roi  vous  a  dit  des  nouveaux  convertis  de  Mon- 
tauban  est  très  vrai,  Monseigneur  ;  mais  il  n'en  est  pas  de 
même  partout  ailleurs,  surtout  en  Languedoc,  où  M.  de 
Basville  n'a  pas  cru  pouvoir  se  donner  les  mouvements  que 
M.  Le  Gendre  s'est  donnés'  à  Montauban,  quoiqu'il  soit  vrai 
généralement  que,  depuis  que  la  paix  est  confirmée  et  que 
les  délais  dont  on  les  amusait  ont  été  passés,  plusieurs  se 
sont  déterminés  à  venir  à  l'église  et  à  assister  à  tous  les 
exercices.  Il  est  même  arrivé  à  Mazères-,  où   sont  la  plupart 

pension  de  neuF  cents  livres  fut  accordée  à  l'abbé  Gliabert  (cf.  plus 
haut,  p.  97). 

4.   Voir  le  mémoire  cité,  p.  97. 

Lettre  1996.  —  i.  Gaspard  François  Le  Gendre,  baptisé  le 
l5  février  1668,  fut  successivement  conseiller  au  Ghàtelet  (1687), 
puis  au  Parlement  (1689),  et  maître  des  requêtes  (1698).  Il  fut  ensuite 
envoyé  en  qualité  d'intendant  à  Montauban  (8  novembre  1699),  à 
Pau  (29  mars  1716)  et  à  Tours  (7  mars  1718).  Il  avait  pris  pour 
femme,  en  1*395,  Marie- Anne  Pajot,  fille  de  Pajol  d'Osembray,  contrô- 
leur des  postes.  Il  mourut  le  28  juin  1740.  Sous  son  administration, 
des  troubles  éclatèrent  dans  sa  province,  à  l'occasion  d'un  impôt  mis 
sur  les  baptêmes  et  sur  les  mariages  (1707).  Voir  les  Mémoires  de 
Saint-Simon,  t.  XIV,  p.  317,  et  t.  XV,  p.  io3,  et  la  Correspondance 
des  contrôleurs  généraux,  édition  de  Bolslisle.  Dans  la  lettre  qu'il 
écrivit  à  Bossuet  le  21  avril  (plus  loin,  p.  i8i  et  182),  Le  Gendre  dit 
lui-même  à  quels  procédés  il  a  eu  recours;  cf.  ses  lettres,  dans  la 
Correspondance  des  contrôleurs  généraux,  t.  II,  p.  28. 

2.  Deforis,  qui  avait  d'abord  imprimé  :  Mazerettes,  s'est  corrigé 
dans  Verratum.  à  la  fin  du  t.  X  de  son  édition.  —  Mazères,  importante 
commune  du  canton  de  Saverdun  (Ariège),  patrie  de  Gaston  de  Foix. 


176  CORRESPONDANCE  [avril  1700 

de  mes  nouveaux  convertis,  quelque  chose  de  semblable  à  ce 
qui  est  arrivé  à  Montauban.  Je  m'y  trouvai  au  commence- 
ment du  carême,  pour  leur  prêcher  sur  la  matière  de  FEu- 
charislie,  que  j'avais  réservée  pour  moi  ;  et  ce  fut  en  ce  temps- 
là  que  M.  Le  Gendre  y  envoya  son  subdélégué,  avec  ordre  de 
déclarer  de  sa  part  aux  nouveaux  convertis  qu'ils  eussent  à 
aller  à  la  messe,  et  à  commencer  dès  le  premier  dimanche  de 
carême.  On  fît  même  mettre,  par  ordre  du  maire  et  des 
consuls,  des  gens  à  la  porte  de  l'église,  pour  marquer  ceux 
qui  y  viendraient.  Cet  ordre  eut  tout  l'efTet  qu'on  attendait, 
et  il  n'y  eut  que  quelques  obstinés  de  l'un  et  de  l'autre  sexe 
qui  manquèrent  à  la  messe.  Ils  vinrent  avec  encore  plus 
d'aflluence  au  sermon,  et  ils  ont  continué  depuis  à  peu  près 
de  même  à  venir  au  sermon  et  à  la  messe.  Plusieurs  sem- 
blent se  disposer  à  s'approcher  des  sacrements  ;  mais  de 
ceux-là  le  plus  grand  nombre  a  des  raisons  particulières  :  jps 
uns,  parce  qu'ils  demandent  qu'on  les  marie;  les  autres, 
parce  qu'ils  sont  entrés  dans  le  conseil  de  ville  sous  cette 
condition,  et  après  avoir  promis  et  signé  devant  un  commis- 
saire du  Parlement,  qui  vint  pour  la  réformation  du  conseil 
de  ville,  de  vivre  et  de  mourir  en  bons  catholiques.  Nous 
verrons  plus  particulièrement  les  mouvements  qu'ils  feront 
pour  s'approcher  des  sacrements  dans  le  temps  où  nous 
allons  entrer  ;  mais  je  ne  crois  pas  que  nous  devions  les 
presser  sur  cela. 

11  est  important,  ce  me  semble,  de  travailler  à  les  bien 
instruire  sur  la  matière  de  l'Eucharistie,  qui  est  presque  la 
seule  qui  les  empêche  d'être  sincèrement  catholiques. 
J'espère,  pour  moi,  que  l'assistance  à  la  messe  les  disposera 
insensiblement  à  tout  le  reste.  Elle  fait  d'ailleurs  un  bien 
infini  à  l'égard  des  enfants  qui  sortent  des  écoles,  et  qui  ne 
venaient  plus  à  la  messe  ni  aux  autres  exercices,  aussitôt 
qu'ils  avaient  atteint  l'âge  où  ils  sont  dispensés  d'aller  aux 
écoles  :  pour  ceux-là,  je  crois  qu'il  n'y  a  nul  inconvénient  de 
les  presser  de  s'approcher  des  sacrements.  Ce  que  j'ai  princi- 
palement remarqué.  Monseigneur,  c'est  qu'on  gagne  beau- 
coup  à  demeurer   ferme  sur  les  mariages,  et  à  ne  les  point 


avril  1700]  DE   BOSSU  ET.  177 

marier  qu'ils  n'aient  fait  une  déclaration  signée  et  publique', 
qu'ils  viennent  de  leur  propre  mouvement,  sans  aucune  con- 
trainte, déclarer,  etc.,  et  se  soumettre  aux  peines  que  l'Église 
impose  à  ceux  qui  manquent  à  un  semblable  engagement. 
Plusieurs  ont  eu  de  la  peine  à  faire  cette  déclaration  ;  mais 
ceux  qui  l'ont  faite  ont  tenu  parole  jusqu'ici.  11  serait  bien  à 
soubaiter  que  le  Roi  voulût  punir  de  quelque  peine  ceux  qui 
vivent  ensemble  comme  mariés,  sous  prétexte  que  nous  avons 
refusé  de  les  marier  :  ce  que  nous  n'avons  refusé  de  faire 
que  parce  qu'ils  ont  refusé  eux-mêmes  de  se  mettre  en  état 
de  recevoir  ce  sacrement.  Je  ne  sais  pourquoi  on  tarde  tant 
à  donner  une  déclaration  sur  cette  matière  ;  mais,  quoi  qu'il 
en  soit,  on  gagne,  ce  me  semble,  beaucoup  à  demeurer  ferme 
jusqu'au  bout  sur  cette  manière  d'agir  envers  eux.  Ils  se  las- 
sent de  vivre  dans  cet  état  :  ils  craignent  pour  l'étal  de  leurs 
enfants,  et  à  la  fin  ils  prennent  une  bonne  résolution  et  la 
suivent  :  c'est  le  moyen  qui  jusqu'ici  m'a  le  mieux  réussi. 

11  est  difficile  au  reste.  Monseigneur,  de  décider  la  question 
que  vous  proposez,  à  cause  du  peu  de  temps  qu'il  y  a  que  la 
plupart  des  nouveaux  convertis  viennent  à  la  messe  ;  mais  je 
ne  saurais  croire  que  cette  assistance,  qui  a  toujours,  au 
moins  dans  mon  diocèse,  été  accompagnée  de  respect,  ne  leur 
soit  à  la  fin  très  utile,  lis  perdent  peu  à  peu  l'aversion  qu'ils 
avaient  pour  la  messe  ;  ils  forment  leurs  dispositions  exté- 
rieures et  intérieures  sur  celles  des  anciens  catholiques  ;  on 
trouve  une  occasion  favorable  de  les  instruire  sur  le  sacrifice 
de  nos  autels,  le  grand  acte  de  la  religion  chrétienne,  et  celui 
qui,  ce  me  semble,  lui  concilie  plus  de  vénération.  Cette 
matière  leur  est  entièrement  inconnue,  et  elle  a  quelque 
chose  de  si  grand  et  de  si  auguste,  que  j'ai  commencé  de 
reconnaître  que  rien  n'était  si  capable  de  les  rendre  bons 
catholiques  que  de  les  bien  instruire  sur  ce  sujet,  et  surtout 
de  leur  proposer  la  pratique  de  l'ancienne  Église,  si  claire  et 
si  constante  sur  cet  article  de  notre  croyance.  Voilà,  Mon- 

3.  Voir  plus  loin,  p.  ^22,  la  déclaration  que  signaient  les  nou- 
veaux catholiques  du  diocèse  de  Meaux. 

Xlî  —   la 


178  CORRESPONDANCE  [avril  1700 

seigneur,  ce  que  j'ai  remarqué  depuis  deux  ou  trois  ans  à 
l'égard  de  nos  nouveaux  convertis.  J'ai  résolu  de  continuer  à 
les  instruire  à  fond  sur  l'Eucharistie,  dont  je  compte  faire 
une  douzaine  de  sermons,  et  peut-être  davantage.  11  m'a  paru 
que  ceux  que  j'avais  faits  n'étaient  pas  sans  fruit  :  je  les  fais 
familièrement,  et  les  livres  souvent  à  la  main.  Je  vous  sup- 
plie, Monseigneur,  de  me  mander  si  vous  croyez  que  je  fasse 
bien,  et  en  quoi  je  pourrais  mieux  faire. 

Au  reste,  ce  que  le  Roi  vous  a  dit  de  Montauban,  est  dû 
principalement  à  la  vivacité  et  à  l'application  de  M.  Le 
Gendre.  Mais  cela  fait  voir  combien  il  serait  facile,  même 
sans  aucune  punition,  au  moins  par  de  très  légères  à  l'égard 
des  plus  opiniâtres,  de  faire  assister  tout  le  royaume  aux 
exercices  de  la  religion  catholique  ;  et  cette  uniformité,  quand 
même  on  attendrait  encore  quelques  années  à  voir  les  nou- 
veaux convertis  approcher  des  sacrements,  ne  doit-elle  être 
comptée  pour  rien  ?  Combien  y  a-t-il  de  catholiques  qui  pas- 
sent plusieurs  années  sans  se  confesser  ni  communier  ?  On 
gagnerait  au  moins  certainement  le  plus  grand  nombre  des 
enfants,  que  l'on  "perd  presque  toujours  au  sortir  des  écoles. 
Mais  en  voilà  trop.  Monseigneur  :  vous  voyez  en  cela  plus 
que  personne.  Instruisez-nous;  nous  ne  demandons  qu'à  tra- 
vailler, et  à  travailler  utilement. 

J'ai  eu  l'honneur  de  vous  écrire  au  sujet  de  la  députation. 

Je  suis  toujours  avec  un  respect  infini,  etc. 


^997-   —  ^   Antoine  de  Noailles. 

A    Mc;iux,  6  avril    1700. 

Après  avoir,  mon  cher  Seigneur,  bien   considère- 
ce  matin  la  déclaration \  et  la  lettre  de  M.  Pirot  à 

Lettre  1991.  —  L.  a.  s.  Papiers    Cond.'-,   à   Chantilly.    Sur  ceti. 
lettre,  il  faut  voir  Ledieu,  t.  II,  p.  26. 

I.  Drclaratio  data   illustrissimo  archiepiscopo   Parisiensi  a  Theolo<j'i 


avril  1700]  DE   BOSSUET.  179 

laquelle  vous  me  renvoyez,  je  vois  que  la  chose  est 
faite,  qu'on  nous  a  satisfait  sur  les  deux  difficultés 
de  la  thèse  des  endurcis*,  et  que  vous  avez  pu  en 
être  content. 

Je  prie  Dieu  qu'on  vous  satisfasse  sur  la  thèse  de 
^attrition^  en  sorte  que  la  saine  doctrine  et  votre 
ordonnance*  demeurent  dans  toute  leur  force  :  c'est 
là  l'endroit  important  pour  la  vérité  et  pour  votre 
autorité. 

Permettez-moi  de  vous  dire  qu'en  cette  occasion, 
il  faut  beaucoup  prendre  garde,  par  rapport  à  la 
volonté  d'accomplir  le  commandement',  à  la  distinc- 

Societatis  Jesu  Germano  Beschefer,  redore  coUegii  Parisiensis  afférente, 
novitialus  qiioque  redore  prœsente  ul  offensioni  ex  thesi  piihlica  obortœ 
fieret  salis  (du  3  avril  1700)  (S.  1.  n.  d.,  in-/l,  Bibl.  Nationale,  Ld^'» 
245,  in-4  ;  Ada  erudilorum,  1700,  p.  383). 

3.  Cette  thèse  avait  été  soutenue  au  collège  Louis-le-Grand  le 
i4  décembre  précédent.  Elle  avait  déjà  été  l'objet  d'une  censurer 
portée  le  3i  janvier  1700  par  des  docteurs  particuliers  (Boileau, 
T.  RouUand,  Lefeuvre,  L.  de  Targny,  Anquetil  et  Favart),  qui  y 
avaient  relevé  la  proposition  suivante  :  Errant  qui  asserunt  peccatori 
plane  obcœcato  et  obdurato  peccata  nihiloininus  imputari  (Bibl.  Nat.,  fr. 
20754,  f"  235).  Sur  quoi,  dans  sa  déclaration,  le  P.  Beschefer  proteste 
qu'il  n'a  jamais  pensé  que  les  pécheurs,  arrivés  à  l'aveuglement  et  à 
l'endurcissement,  ne  péchassent  plus,  ni  que  Dieu  ne  leur  imputai 
point  leurs  péchés  ;  qu'il  reconnaît  au  contraire  que  l'Ecriture  et  les 
saints  Pères  enseignent  l'aFfirmative  de  ces  deux  propositions,  de 
sorte  que  sa  thèse,  à  cet  égard,  a  besoin  d'explication.  Il  proteste 
aussi  qu'en  croyant  qu'en  cet  état  les  pécheurs  ne  sont  pas  privés  de 
toute  sorte  de  grâce,  il  n'a  pas  voulu  censurer  les  théologiens  catho- 
liques qui  sont  dans  un  sentiment  opposé  souffert  par  l'Église,  mais 
qu'il  a  seulement  entendu  qu'ils  se  trompent»  (Ledieu,  t.  II,  p.  26. 
Cf.  d'Argentré,  Colledio  judiciorum,  t.  III,  p.  4i2).  Voir  plus  haut 
la  lettre  du  27  février,  p.   160. 

3.  Cette  thèse  avait  été  aussi  souteuue  chez  les  Jésuites,  le 
3  février  1700. 

4-   Relative  au  P.  Beschefer. 

5.  Le  commandement  de  l'amour  de  Dieu  ou  charité.  Le 
P.  Antoine  Sirmond,  jésuite,  avait  soutenu  que,   pour   accomplir   ce 


l8o  CORRESPONDANCE  [avril  1700 

tion  d'implicitement  et  d'explicitement  ;  car  c'est  par 
là  qu'on  se  sauve  de  l'obligation  d'accomplir  le  pré- 
cepte de  la  charité  absolument  ;  et  cependant  c'est 
un  endroit  011  la  condamnation  d'Alexandre  VII, 
d'Innocent  XI  et  d'Alexandre  VIII  est  formelle. 

Je  ne  sais  si,  dans  la  thèse  du  3  février  1700,  on 
ne  doit  pas  demander  quelque  explication  sur  l'igno- 
rance invincible  du  droit  natureP,  qu'il  semble 
qu'on  ne  peut  admettre  au  plus  qu'à  l'égard  des 
conséquences  éloignées,  quoad  consecutiones  remotas . 

Je  soumets  tout,  à  mon  ordinaire,  à  votre  pru- 
dence, avec  un  respect  sincère,  mon  très  cher 
Seigneur, 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


1998.   —  L'Intendant  Le  Gendre  a  Bossuet. 

A  Montauban,  ce  21  avril  1700. 

Rien  n'est  plus  obligeant,  Monsieur,  que  la  lettre  dont 
vous  m'avez  honoré  :  je  suis  charmé  de  voir  que   l'éloigne- 

précepte,  il  suFfisait  d'observer  les  autres  commandements,  sans  être 
obligé  à  produire  aucun  acte  explicite  d'amour  de  Dieu,  attendu  que 
l'observation  du  premier  commandement  était  impliquée  par  celle 
des  autres.  Voir  P.  L.  R.  P.  (J.-P.  Camus),  Notes  sur  un  livre  intitulé 
la  Défense  de  la  vertu,  Paris,  iG^S,  in-8  ;  A.  Arnauld,  OEuvres. 
t.  XXIX,  p.  I  à  78  ;  Pascal,  Provinciale  A",  avec  les  notes  de  VVen- 
drock. 

6.  Ceci  semble  se  rapporter,  non  pas  à  la  thèse  du  3  février  sur 
l'attrition,  mais  à  celle  du  16  février  sur  la  loi  (Voir  Ledieu,  t.  II, 
p.  19,  21). 

Lettre  1998.  —  Il  Faut  rapprocher  cette  lettre  de  celles  que  Le 
Gendre  adressa  vers  le  même  temps  au  contrôleur  des  finances  Cha- 
millart  et  au  secrétaire  d'État  ChâteauneuF,  dans  la  Correspondance 
des  contrôleurs   généraux,    édit.    de   Boislisle,  t.  II,  p.  28.   On  ^rouve 


avril  1700!  DE   BOSSUET.  181 

ment  ne  diminue  point  les  bontés  que  vous  avez  toujours 
eues  pour  moi  et  pour  toute  ma  famille. 

Si  vous  approuvez,  Monsieur,  la  conduite  que  nous  tenons 
ici  pour  ramener  les  nouveaux  convertis  à  l'Église,  nous 
sommes  trop  heureux.  Vous  êtes  le  modèle  et  l'oracle  qu'on 
doit  consulter  sur  les  affaires  de  la  religion  les  plus  épi- 
neuses :  c'est  vous  qui  avez  la  gloire  de  leur  avoir  rendu 
simple  et  naturel,  dans  vos  savants  écrits,  ce  qu'ils  croyaient 
si  difficile  auparavant.  La  pureté  de  la  doctrine  que  vous  leur 
avez  enseignée  dans  votre  livre  de  l'Exposition  de  la  foi,  a 
plus  attiré  d'âmes  à  Dieu  que  les  plus  beaux  sermons  et  ces 
faibles  secours  que  nous  pourrions  employer  si  nous  ne  mar- 
chions sous  votre  étendard. 

Pour  vous  rendre  compte  exactement.  Monsieur,  comme 
vous  le  souhaitez,  de  la  conduite  que  nous  avons  tenue  pour 
déterminer  les  nouveaux  convertis  à  venir  à  l'église,  et  de 
l'effet  que  cette  première  démarche  a  produit  sur  leur  cœur, 
j'aurai  l'honneur  de  vous  dire  qu'en  arrivant  dans  la  pro- 
vince, j'ai  envoyé  quérir  dans  mon  cabinet  tous  les  nouveaux 
convertis  de  Montauban,  l'un  après  l'autre,  pour  leur  expli- 
quer l'envie  que  le  Roi  avait  de  détruire  entièrement  l'héré- 
sie dans  son  royaume,  et  de  réunir  tous  ses  sujets  à  l'Église  ; 
et  pour  cela  qu'il  fallait  qu'ils  se  fissent  instruire  par  ceux  en 
qui  ils  avaient  le  plus  de  confiance. 

Je  Irouvai  d'abord  beaucoup  d'opiniâtres,  qui  ne  voulaient 
entendre  parler  ni  de  messe  ni  d'instruction.  Je  leur  repré- 
sentai qu'après  avoir  épuisé  les  voies  de  douceur,  le  Roi 
serait  obligé  de  faire  sur  eux  des  exemples  de  sévérité*,  s'ils 
ne  se  mettaient  à  la  raison.  Dieu  a  touché  leurs  cœurs  ;  ils  se 

dans  ce  recueil  d'utiles  renseignements  sur  les  affaires  de  la  religion 
à  cette  époque  du  règne  de  Louis  XIV. 

I.  Le  (jendre  écrit  à  M.  de  GliàteauneuF  :  «  ...  Il  est  nécessaire 
d'accorder  quelques  secours  à  beaucoup  de  nouveaux  convertis  qui 
sont  dans  le  besoin  ;  j'ai  déjà  eu  l'Iionneur  de  vous  en  écrire  plusieurs 
fois  et  de  vous  supplier  de  m'envoyer.  quelques  lettres  de  cachet,  le 
nom  en  blanc,  dont  la  seule  inspection  fera  trembler  ceux  qui  en 
seront  menacés.  » 


l82  CORRESPONDANCE  [avril  1700 

sont  tous  déterminés  par  la  douceur  à  venir  à  la  messe.  Cette 
première  démarche  deviendrait  inutile,  si  nous  ne  joignions 
l'instruction  à  la  pratique  :  c'est  à  quoi  M.  l'évêque  de  Mon- 
tauban,  tous  les  Pères  jésuites,  M.  d'Arbussy*,  avocat  général 
de  la  Cour  des  Aides,  et  les  plus  habiles  gens  de  la  ville  ont 
travaillé  avec  un  soin  et  une  application  continuelle. 

Quand  quelqu'un  manque  à  aller  à  la  messe  ou  à  l'instruc- 
tion, aussitôt  je  l'envoie  quérir,  pour  lui  représenter  de 
quelle  conséquence  il  est  de  ne  se  point  relâcher  dans  une 
affaire  aussi  importante  que  celle  de  la  religion.  Cela  a  pro- 
duit un  si  bon  effet,  que  presque  tous  nos  nouveaux  convertis 
les  plus  opiniâtres,  qui  regardaient  avec  horreur  la  porte  de 
l'église,  vont  assidûment  à  la  messe.  Ils  l'entendent  avec 
assez  de  dévotion  ;  ils  s'accoutument  à  nos  cérémonies,  et 
enfin  ils  commencent  à  convenir  que,  si  on  en  avait  usé  de 
même  après  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  ou  immédia- 
tement après  la  guerre,  ils  seraient  tous,  à  l'heure  qu'il  est, 
bons  catholiques.   Ils  deviennent  tous  les  jours  plus  dociles, 

2.  C'est  le  même  que  l'ancien  pasteur,  Joseph  Arbussy,  auteur 
d'un  ouvrafje  de  controverse  approuvé  par  Bossuel  (Voir  notre 
tome  I,  p.  5o8).  Fils  de  Pierre  Arbussy  et  de  Suzanne  Béraud,  il 
était  né  à  Montauban  le  17  avril  lôa/J-  H  avait  été  nommé  ministre  à 
Sorèze  dès  l'année  i645,  et  était  passé  l'année  suivante  à  l'église  de 
Montauban.  Plus  tard,  il  avait  ajouté  à  ses  fonctions  celles  de  pro- 
fesseur d'hébreu  à  l'Université  et  de  principal  du  collège  de  sa  ville 
natale.  Mais,  à  la  suite  c|e  divisions  survenues  parmi  ses  coreligion- 
naires au  sujet  du  fameux  J.  de  Labadie,  ancien  jésuite  devenu  son 
collègue,  Arbussy  fut  suspendu  de  son  ministère  à  Montauban  ;  il 
alla  ensuite  desservir  l'église  de  Bergerac.  Il  abjura  en  1670,  reçut  du 
clergé,  de  1675  au  29  juillet  1710,  date  de  sa  mort,  une  pension  de 
7/io  livres,  qui,  dans  les  années  i()86  et  1687,  fut  portée  à  800,  puis 
ramenée  h  7/io  et  enfin  réduite  à  600.  Le  i3  août  1689,  il  fut  nommé 
avocat  général  à  la  Cour  des  Aides  de  Montauban.  La  France  pro- 
testante le  fait,  iV  tort,  mourir  le  5  avril  169/I.  Il  fut  inhumé  dans 
l'église  des  Cordeliers  de  Montauban  (Archives  Nationales,  G^'3  2o). 
Consulter  :  Lettre  de  Joseph  Arbussy  à  tous  les  fidèles  des  Eglises 
réjormées  de  France,  Montauban,  i6ii7,  in-Zj  ;  Réponse  (attribuée  à 
J.  de  Coras)  à  un  libelle  intitulé  Lettre  de  Joseph  Arbussy,  i658; 
Colomirs,  Gallia  orientnlis,  La  Haye,  1666,  in-i4  ;  Ilaag,  la  Fr 0ice 
protestante,  édil.  II.  Bordier,  Paris,  1877,  in-8. 


.nrll  1700]  DE   BOSSUET.  l83 

ri  ne  demandent  que' d'être  instruits.  Cela  en  a  disposé  plus 
de  cent  à  se  confesser  et  à  communier  à  Pâques  avec  édilica- 
tion.  Toutes  les  filles  nouvelles  converties  qui  sont  dans  les 
couvents,  qui  ne  voulaient  entendre  parler  ni  de  messe  ni 
d'instruction,  vont  depuis  deux  mois  à  la  messe,  se  sont  fait 
instruire,  et  ont  toutes  été  à  confesse  à  Pâques.  Voilà,  Mon- 
sieur, l'effet  que  cette  première  démarche  a  produit  sur  leur 
cœur. 

Tous  ces  heureux  commencements  ne  doivent  point  nous 
éblouir  :  je  demeure  d'accord  que  toutes  ces  dispositions 
favorables  sont  aisées  à  détruire,  si  l'on  n'en  profite  avec 
vivacité.  Mais  aussi  je  prendrai  la  liberté  de  vous  dire, 
quoique  avec  peu  d'expérience,  qu'il  me  paraît  que  si  l'on 
n'avait  pas  engagé  les  nouveaux  convertis  par  la  douceur 
mêlée  d'autorité  à  aller  à  la  messe,  non  seulement  ils  n'au- 
raient jamais  été  catholiques  dans  le  cœur  ni  à  l'extérieur, 
mais  leurs  enfants  auraient  été  aussi  huguenots  qu'eux,  une 
seule  parole  des  pères  et  mères  étant  capable  de  détruire  en 
un  moment  le  fruit  de  dix  années  de  couvent  ou  d'instruc- 
tion. 

Le  Roi  ne  pouvait  donner  une  plus  grande  marque  de  sa 
bonté  à  la  ville  de  Montauban  que  de  lui  envoyer  le  P.  de 
La  Rue^  dans  ce  mouvement  heureux.  Il  a  enlevé  les  cœurs 
avec  une  rapidité  étonnante,  et  a  trouvé  le  secret  de  gagner 
la  confiance  de  tous  les  nouveaux  convertis.  Je  lui  ai  com- 
muniqué la  lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire  :  je  crois  qu'il   vous   explique   son  sentiment   par 

3.  Le  P.  de  La  Rue,  cf.  t.  I,  p.  878  ;  t.  III,  p.  78  et  76  ;  t.  X, 
p.  17D.  Le  P.  de  La  Rue  était  arrivé  à  Montauban  le  jeudi  18  février, 
el  il  y  séjourna  jusque  vers  la  fin  de  septembre  de  la  même  année. 
Le  Gendre  dit  de  même  h  M.  de  Cliâteauneuf  :  «  Le  Roi  ne  pouvait 
nous  faire  un  plus  jjrand  présent  que  de  nous  envoyer  le  P.  de  La  Rue 
dans  ces  heureux  commencements  :  l'église  est  trop  petite  pour  con- 
tenir tous  ceux  qui  ont  envie  de  l'entendre,  quoique  nous  ayons  fait 
faire  des  tribunes  de  tous  côtés.  Son  éloquence  et  sa  douceur  font 
une  grande  impression  sur  l'esprit  des  nouveaux  convertis.  C'est  un 
homme  admirable  en  public  et  en  particulier...  »  (Correspondance  des 
contrôleurs  généraux,  t.  II,  p.  28). 


l8A  CORRESPONDANCE  [avril  1700 

celle  que  je  prends  la  liberté  de  vous  envoyer  de  sa  part*. 

Dieu  n'a  pas  renfermé  ses  grâces  dans  la  seule  ville  de 
Montauban  ;  il  les  a  répandues  dans  toute  la  généralité,  où 
les  nouveaux  convertis  commencent  à  ouvrir  les  veux  et  à 
prendre  le  bon  parti.  11  y  en  a  plus  de  quinze  mille,  dans  les 
principales  villes,  qui  ont  commencé  à  aller  à  la  messe,  et 
beaucoup  qui  ont  approché  des  sacrements  à  Pâques.  Il  n'y  a 
rien.  Monsieur,  de  si  nécessaire  pour  terminer  heureusement 
une  affaire  aussi  importante,  que  d'établir  l'uniformité  dans 
les  provinces  voisines  et  dans  tout  le  royaume^,  afin  que  nos 
jeunes  plantes  ne  puissent  pas  se  plaindre  que  l'on  cultive 
leur  terre,  pendant  que  l'on  néglige  celle  de  leurs  voisins.  Ce 
n'est  pas  une  petite  affaire,  ni  l'ouvrage  d'un  jour  ;  mais 
n'est-on  pas  bien  récompensé,  quand  on  travaille  pour  la 
gloire  de  Dieu  et  pour  le  succès  d'une  affaire  que  le  Roi  a 
si  fort  à  cœur  ? 

Je  vous  supplie  très  humblement.  Monsieur,  de  corriger 
dans  ma  conduite  tout  ce  que  vous  y  désapprouverez  :  vous 
pouvez  compter  sur  une  soumission  entière  à  vos  avis  et  à  vos 
conseils,  personne  au  monde  ne  vous  honorant  plus  que  moi, 
et  n'étant  avec  plus  de  respect,  etc. 

Le  Gendre. 

4-  A  défaut  de  cette  lettre,  on  lira  avec  intérêt  celle  que  le  P.  de 
La  Rue  écrivit  au  contrôleur  jjénéral  Cliamillart,  le  31  septembre 
1700  (Dans  la  Correspondance  des  contrôleurs  généraux,  t.  II,  p.  56). 

5.  Le  P.  de  La  Rue  dit  de  même  :  «  ...  Qu'il  serait  aisé  de  porter 
ce  grand  ouvrage  à  sa  dernière  perfection,  si  cette  uniformité  de 
sentiments  se  trouvait  entre  tous  les  prélats  et  les  intendants  des 
provinces  !  Il  ne  faudrait  qu'une  parole  du  Roi  pour  l'établir  où  elle 
n'est  pas.  En  vérité,  rien  ne  retarde  plus  la  parfaite  réunion  que 
l'attention  que  font  les  réunis  à  la  diversité  des  manières  dont  on  a 
usé  à  leur  égard.  Elle  leur  persuade  que  le  Roi  ne  veut  pas  qu'ils 
aillent  à  l'église,  puisque,  en  tant  de  provinces,  on  ne  les  presse 
point  sur  ce  sujet.  Cependant,  si  on  laisse  languir  l'ouvrage  encore 
cinq  ou  six  années,  il  ne  s'achèvera  jamais,  et  six  cent  mille  âmes  sans 
religion  formeront  dans  le  royaume  un  peuple  également  ennemi  de 
l'Église  et  de  l'État...  »  (Loc.  cil.). 

â 


avril  1700]  DE   BOSSUET.  l85 

1999.    —  Leibniz  a  Bossuet. 

Wolfenbuttel,  3o  avril   1700. 

Monseigneur,  il  y  a  plus  de  deux  mois  que  j'ai  écrit  deux 
lettres  très  amples  pour  répondre  distinctement  à  deux  des 
vôtres  '  que  j'avais  eu  l'honneur  de  recevoir,  sur  ce  qui  est 
de  foi  en  général  et  sur  l'application  des  principes  généraux 
à  la  question  particulière  des  livres  canoniques  de  la  Bible. 
J'avais  laissé  le  tout  alors  à  Wolfenbuttel,  pour  être  mis  au 
net  et  expédié  ;  mais  j'ai  trouvé,  en  y  arrivant  présentement, 
que  la  personne  qui  s'en  était  chargée  ne  s'est  point  acquit- 
tée de  sa  promesse.  C'est  ce  qui  me  fait  prendre  la  plume 
pour  vous  écrire  ceci  par  avance,  et  pour  m'excuser  de  ce 
délai,  que  j'aurai  soin  de  réparer. 

Je  suis  fâché  cependant  de  ne  pouvoir  pas  vous  donner 
cause  gagnée  sans  blesser  ma  conscience,  car,  après  avoir 
examiné  la  matière  avec  attention,  il  me  paraît  incontestable 
que  le  sentiment  de  saint  Jérôme  a  été  celui  de  toute 
l'Eglise  ^  jusqu'aux  innovations  modernes  qui  se  sont  faites 

Lettre  1999.  —  Minute  autographe  sig^née,  Hanovre,  Papiers  de 
Leibniz,  f*  10  et  11.  Imprimée  d'iibord  dans  les  OEuvres  posthumes 
de  Bossuet,  t.  I,  p.  5o6.  Le  premier  éditeur  a  cru  fautive  la  date 
du  3o  avril,  estimant  que  la  présente  lettre  devait  être  postérieure 
aux  deux  autres  qui  y  sont  mentionnées  comme  précédemment 
écrites  et  qui,  dans  les  éditions,  sont  datées  du  i4  et  du  a^  mai. 
Mais  celles-ci  sont  datées  du  jour  où  elles  furent  mises  au  net  et 
expédiées,  et  non  du  jour  où  elles  furent  rédigées  :  c'est  ce  qu'ex- 
plique une  lettre  au  duc  Anloine  Ulrich  (édit.  Fouclier  de  Careil, 
t.  II,  p  3i3)  ;  d'ailleurs,  Bossuet  (p.  202)  lait  allusion  à  la  lettre  du 
3o  avril. 

1.  Celles  du  9  janvier  et  du  2  février,  p.  128  et  i^a. 

2.  Sous  l'influence  du  milieu  juif  où  il  avait  longtemps  vécu,  saint 
Jérôme  ne  reconnaît  comme  canoniques  que  les  vingt-quatre  livres 
de  la  Bible  hébraïque.  En  cela  il  s'éciirte  du  sentiment  des  anciens 
Pères  (Voir  l'article  Canon  des  Ecritures  dans  Vigoureux,  Diction- 
naire de  la  Bible,  t.  II,  col.  -i54,  et  le  Canon  chrétien  de  l'Ancien 
Testament,  dans  Vacant,  Dictionnaire  de  Théologie,  I.  II,  col.  1674  à 
i582). 


l86  CORRESPOi\DANCE  [avril  1700 

dans  votre  parti,  principalement  à  Trente  ;  et  que  les  papes 
Innocent  et  Gélase,  le  concile  de  Carthage  et  saint  Augustin 
ont  pris  le  terme  d'Écriture  canonique  et  divine  largement, 
pour  ce  que  l'Église  a  autorisé  comme  conforme  aux  écri- 
tures inspirées  ou  immédiatement  divines  ;  et  qu'on  ne 
saurait  les  expliquer  autrement  sans  les  faire  aller  contre  le 
torrent  de  toute  l'antiquité  chrétienne  ;  outre  que  saint 
Augustin  favorise  lui-même  avec  d'autres  cette  interpré 
tation  ^.  Ainsi,  Monseigneur,  à  moins  qu'on  ne  donne  encore 
avec  quelques-uns  une  Interprétation  de  pareille  nature  aux 
paroles  du  concile  de  Trente  (que  je  voudrais  bien  le  pou- 
voir souffrir),  la  conciliation  par  voie  d'exposition  cesse  ici  ; 
et  je  ne  vois  pas  moyen  d'excuser  ceux  qui  ont  dominé  dans 
cette  assemblée,  du  blâme  d'avoir  osé  prononcer  anathème 
contre  la  doctrine  de  toute  l'ancienne  Église.  Je  suis  bien 
trompé  si  cela  passe  jamais,  à  moins  que,  par  un  étrange 
renversement,  on  ne  retombe  dans  la  barbarie,  ou  qu'un  ter- 
rible jugement  de  Dieu  fasse  régner  dans  l'Église  quelque 
chose  de  pis  que  l'ignorance  ;  car  la  vérité  me  semble  ici  trop 
claire,  je  l'avoue.  Il  me  paraît  fort  supportable  qu'on  se 
trompe  en  cela  à  Trente  ou  à  Rome,  pourvu  qu'on  raye  les 
anathématismes,  qui  sont  la  plus  étrange  chose  du  monde, 
dans  un  cas  où  il  me  paraît  impossible  que  ceux  qui  ne  sont 
point  prévenus  très  fortement  se  puissent  rendre  de  bonne 
foi. 

C'est  avec  cette  bonne  foi  et  ouverture  de  cœur  que  je  parle 
ici.  Monseigneur,  suivant  ma  conscience.  Si  l'allaire  était 
d'une  autre  nature,  je  ferais  gloire  de  vous  rendre  les  armes  : 
cela  me  serait  honorable  et  avantageux  de  toutes  les 
manières.  Je  continuerai  d'entrer  dans  le  détail  avec  toute 
sincérité,  application  et  docilité  possible  ;  mais,  en  cas  qu'en 
procédant    avec    soin    et  ordre,    nous    ne  trouvions   pas  le 


3.  Dans  le  traité  de  Doct.  christ.,  II,  viii,    i3  [P.  L.,  t.  XXXIV, 
col.  4'].  saint   Au(>fustiu  donne  un    canon   des  Ecritures   conforme  à 
celui  des  conciles  de  Carlliage  de  son    lenips,   et  à  celui  du   concile       t 
de  J  rente. 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  187 

moyen  de  convenir  sur  cet  article,  quand  même  il  n'y  en 
aurait  point  d'autres,  quoiqu'il  n'y  en  ait  que  trop,  il  faudra 
ou  renoncer  aux  pensées  iréniqiies  là-dessus,  ou  recourir  à  la 
voie  de  l'exemple  que  je  vous  ai  allégué  autrefois*,  auquel 
vous  n'avez  jamais  satisfait,  et  où  vous  n'avez  voulu  recou- 
rir^ qu'après  avoir  épuisé  les  autres  moyens  ;  j'entends  ceux 
de  douceur  :  car,  quant  aux  voies  de  fait  et  guerres,  je  sup- 
pose que,  suivant  le  véritable  esprit  du  christianisme,  vous 
ne  les  conseilleriez  pas  ;  et  que  l'espérance  qu'on  peut  avoir 
dans  votre  parti  de  réussir  un  jour  par  ces  voies  (laquelle, 
quelque  spécieuse  qu'elle  soit,  peut  tromper)  ne  sera  pas  ce 
qui  vous  empêchera  de  donner  les  mains  à  tout  ce  qui  paraî- 
tra le  plus  propre  à  refermer  la  plaie  de  l'Eglise. 

Monseigneur  le  Duc  a  pris  garde  à  un  endroit  de  votre 
lettre,  où  vous  dites  que  cela  ne  se  doit  point  faire  d'une 
manière  où  il  y  ait  danger  que  cette  plaie  se  pourrait  rou- 
vrir davantage,  et  devenir  pire  ;  mais  il  n'a  point  compris  en 
quoi  consiste  ce  danger,  et  il  a  souhaité  de  le  pouvoir  com- 
prendre, car,  non  plus  que  vous,  nous  ne  voulons  pas  des 
cures  palliatives,  qui  fassent  empirer  le  mal. 

Je  suis  avec  zèle,  Monseigneur,  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur. 

Leibniz. 


2000.    —   A  M"'"  DE  L\  Maisonfort. 

Le  i*""  de  mai  1700. 

1.        D.  Comme  on    rapporte  de    diverses   personnes   qu'elles 
étaient  dans  une  actuelle  et  continuelle  présence  de  Dieu,  au 

/j.  Celui  de  la  suspension  du  concile  de  Constance  par  rapport  aux 
Bohémiens.  Voir  t.  VI,  p.  3o,  335  et  336. 

5.   Edit.  :  venir. 

Lettre  2000.  —  A  Sainl-Sulpice,  une  copie  faite  pour  Mme  de 
La  Maisonfort.  —  «  Cette  lettre,  écrit  Mme  de  La  Maisonfort,  est 
celle  dont  il  est  pnrlé  dans  la  précédente  (celle  qui  se  trouve  au  t.  XI, 


l88  CORRESPONDANCE  |  mai  1700 

moins  pendant  qu'elles  veillaient,  j'aurais  quelque  penchant 
à  croire  que  Dieu  fait  cette  grâce  à  quelques  âmes. 
R.   Cela  se  peut,  mais  je  n'en  sais  rien. 

2.  D.  11  est  rapporté  de  la  Mère  de  l'Incarnation,  ursuline  ', 
que  rien  ne  la  pouvait  distraire  de  son  union  avec  Dieu,  ni 
les  travaux,  ni  la  conversation,  ni  la  nuit,  ni  le  jour. 

R.  Je  crois  que  ces  âmes  ont  souvent  des  distrac- 
tions dont  elles  ne  s'aperçoivent  pas;  mais,  comme 
elles  ont  une  grande  facilité  à  revenir  à  Dieu,  on  en 
conclut,  etc. 

3.  D.  Elle  dit  elle-même  :  «  Je  me  vois  par  état  perdue  dans 
la  divine  majesté,  qui,  depuis   plusieurs   années,   me  tient 

dans  une  union  que  je  ne  puis  expliquer H  y  a  près  de 

cinquante  ans  que  Dieu  me  tient  dans  cet  état Ce  que  je 

fais  à  mon  oraison  actuelle,  je   le   fais  tout   le  jour,  à  mon 
coucher,  à  mon  lever  et  ailleurs^.  » 

R.  Si  sa  disposition  avait  été  un  acte  direct  et 
continu,  elle  aurait  dû  ignorer  son  état:  car  ce  ne 
peut  être  que  par  réflexion  qu'on  sait  tout  ce  que 
cette  Mère  démêle  ici. 

4.  D.  Je  n'ai  lu  que  quelques  endroits  de  la  Vie  de  cette 
religieuse^  ;  mais,  par  ce  que  j'en  ai  vu,  il  m'a  paru  que 
cette  union,  quoique  continuelle,  ne  l'empêchait  pas  de 
s'exciter  aux  actes  distincts. 

R.   Cela  est  vrai. 


p.   3io).   J'y  propose   à    M.    de    Meaux   quelques    difficultés  sur  son 
livre  des  EtHts  d'oraison.  Il  n'y  répondil  que  le  i*"^  de  mai  1700.  » 

1.  Voir  la  Vie  de  la  Vénérable  M.  Marie  de  l'Incarnation,  première 
supérieure  des  Ursulines  de  la  Nouvelle  France  (par  le  P.  Claude  Mar- 
tin, son  fils),  Paris,  1677,  in-^,  p.  ^7,  55  et  78. 

2.  Dans  une  lettre  de   la   Vénérable  à  son    fils,    du  25  septembre 
1670.  (Léon  Cliapot,  Histoire  de  la  Vénérable  Mère  de   l'Incarnation,  , 
Paris,  1892,  t.  II,  p.  32  1).  * 

3.  Voir  la  lettre  du  i"  juin  1695  à  Mme  Cornuau,  t.  VII,  p.  ii5. 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  189 

5.  1).  Il  est  dit  et  souvent  répété  dans  la  Vie  du  bienheureux 
Grégoire  Lopez'',  qu'il  était  dans  un  acte  perpétuel  et  conti- 
nuel d'amour  de  Dieu,  et,  dans  une  conversation  qu'il  eut 
avec  un  de  ses  amis,  à  qui  il  fit  cette  confidence,  il  dit  qu'il 
connaissait  une  âme  qui,  depuis  trente-six  ans,  n'avait  pas 
discontinué  un  seul  moment  de  faire  de  toute  sa  force  un 
acte  de  pur  amour  de  Dieu. 

R.  Si  cela  est,  il  n'a  pas  péché  ;  et  en  effet  il  disait 
à  son  confesseur  :  Mon  Père,  par  la  grâce  de  Dieu, 
je  ne  me  souviens  pas  de  l'avoir  offensé.  Mais  c'est 
discontinuer  de  faire  un  acte  direct,  de  revenir  sur 
son  état.  Je  ne  dis  pas  qu'on  ne  puisse  avoir  une 
certaine  sorte  de  présence  de  Dieu  qui  peut,  quoi- 
qu'on la  nomme  simple,  compatir  avec  de  délicates 
réflexions. 

6,  D.  Il  est  rapporté  dans  la  Vie  de  Grégoire  Lopez~%  qu'un 
grand  et  savant  prédicateur,  nommé  le  P.  Jean  de  Saint- 
Jacques,  l'étant  allé  trouver  pour  lui  parler  sur  ce  sujet, 
Dieu  fit  en  lui  quelque  chose  de  semblable  à  la  disposition  de 
Grégoire  Lopez  ;  et,  par  une  lumière  intérieure,  il  lui  fil 
connaître  que  c'était  là  la  manière  dont  Grégoire  Lopez 
l'aimait  de  toutes  ses  forces,  sans  qu'aucune  chose  créée  put 
empêcher  cet  acte  d'amour,  et  qu'en  cette  sorte  il  était  com- 
patible avec  les  œuvres  extérieures,  faites,  par  obéissance  ou 
autrement,  pour  la  gloire  de  Dieu. 

R.  On  ne  peut  répondre  de  ce  que  Dieu  a  fait 
dans  certaines  âmes  :  il  est  le  maître  de  ses  dons  ; 
mais  elles  ont  dû  être  toujours  dans  la  disposition  de 

4.  Par  les  citations  que  fera  lout  à  l'heure  Mme  de  La  Maisonfort, 
on  voit  qu'elle  lit  celte  vie  traduite  de  l'espagnol  de  Fr.  Losa  par 
Arnauld  d'Andilly,  Paris,  1671^,  in-12.  Op.  cit.,  ch.  xxix.  On  y  voit 
que  l'ami  dont  il  est  ici  question  était  le  P.  Jean  de  Saint-Jacques, 
Franciscain,  et  que  celui-ci  était  convaincu  que  c'est  de  lui-même 
que  parlait  Grégoire  Lopez. 

5.  Ibid. 


icjO  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

Il  exclure  aucun  des  actes  essentiels  au  chrétien  ; 
on  ne  doit  en  aucun  moment  les  exclure,  il  faut  tou- 
jours être  disposé  à  les  faire. 

D.  Quoiqu'il  soit  rapporté  à  la  page  398  de  la  Vie  de  ce 
saint  homme,  qu'il  disait  qu'il  ne  pouvait  faire  autre  chose, 
si  Dieu  ne  lui  en  donnait  le  moyen,  il  est  rapporté  en 
d'autres  endroits  qu'il  faisait  divers  autres  actes,  à  quoi  il 
paraît  qu'il  s'excitait,  sans  attendre  d'inspirations  particu- 
lières ;  ainsi  il  fallait  que  son  acte  continu  fut  bien  différent 
de  celui  des  nouveaux  mystiques. 

R.  Il  est  vrai. 

D.  A  la  page  295  et  à  la  suivante,  il  est  rapporté  qu'il  ne 
croyait  pas  que  nulle  pure  créature,  excepté  la  sainte  Vierge, 
demeurât  toujours  dans  une  sorte  d'union  à  Dieu  fort  par- 
faite, quoique,  dans  l'union  ordinaire,  telle  que  celle  dont 
il  avait  plu  à  Dieu  de  le  favoriser,  il  pût  bien  y  avoir  une 
continuelle  persévérance. 

R.  Je  suis  bien  persuadé  que  la  sainte  Vierge  a  été 
unie  à  Dieu  d'une  manière  très  éminente  ;  mais  on 
ne  sait  point  au  vrai  comment  Dieu  Ta  mue,  et  quel- 
que passive  qu'ait  été  sa  voie,  elle  n'a  [pas]  laissé 
d'être  méritoire  ;  car  Dieu,  quand  il  lui  plaît,  laisse  la 
liberté  dans  les  états  passifs,  comme  il  est  croyable 
qu'il  la  laissa  à  Salomon  dans  ce  ravissement  où  il 
choisit  la  sagesse  \  puisque  Dieu  le  récompensa  de 
ce  choix. 

Quelquefois    aussi  Dieu  y  agit   avec  une  pleine 

autorité  ;   et  quoique  l'âme  alors  ne   mérite  point, 

cela  ne  laisse  pas  de  lui  être  très  utile,  parce  que 

Dieu,  par  là,  en  la  captivant,  la  prépare  et  la  dispose 

à  des  actes  très  parfaits. 

t 

G.  III  Rej..,  III,  5-i3. 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  191 

9.  D.  Grégoire  Lopez  était,  comme  saint  François  de  Sales 
et  d'autres  que  vous  citez,  Monseigneur,  bien  éloigné  d'atta- 
cher la  perfection  aux  états  passifs.  Cette  Vie  m'a  paru  d'une 
assez  grande  autorité  ;  car,  outre  ceux  qui  ont  approuvé  la 
traduction',  le  chapitre  xxxviii  contient  neuf  ou  dix,  tant 
éloges  de  la  vertu  de  ce  saint  homme  qu'approbations  du 
livre,  et  il  y  a  six  ou  sept  évêques*.  Ainsi  j'ai  été  surprise 
que  vous  n'ayez  pas  cité  ce  livre. 

R.  Je  n'ai  pas  eu  besoin  de  cette  autorité  ;  celle 
de  l'Ecriture  m'a  paru  encore  plus  grande. 

10.  D-  Dès  que,  dans  le  temps  convenable,  on  fera  les  actes 
distincts  à  quoi  le  chrétien  est  obligé,  et  qu'on  ne  voudra 
point  exclure  de  l'état  de  contemplation  ni  les  Personnes 
divines,  ni  aucun  des  attributs,  ni  les  mystères  de  Jésus- 
Christ  ;  et  que,  comme  il  est  dit  dans  les  Articles  d'Issy  xxiv 
et  xxxiv,  on  sera  persuadé  que  tout  ce  qui  n'est  vu  que  par 
la  foi  est  l'objet  du  chrétien  contemplatif  :  vous  ne  blâme- 
riez pas,  ce  me  semble,  que  dans  l'oraison  on  suive  son 
attrait,  n'occupât-il  toujours,  dans  le  temps  de  l'oraison 
actuelle,  que  du  même  objet. 

R.  Je  ne  blâme  point  cela  :  il  suffit  de  ne  point 
exclure. 

11,  D.  La  Mère  de  l'Incarnation  disait  que  quelquefois'  elle 
voulait  se  distraire  pour  s'occuper  des  mystères,  mais  qu'aus- 
sitôt elle  les  oubliait,  et  que  l'esprit  qui  la  conduisait  la 
remettait  plus  intimement  dans  son  fond. 

R.  Je  crois  bien  que  cela  était  ainsi.  Quand  on 
est  dans  la  disposition  de  ne  point  exclure  les  autres 

7.  La  traduction  porte  l'approbation  des  docteurs  de  Breda,  curé 
de  Saint-André,  Genêt,  curé  de  Saint-Benoît,  Martin,  curé  de  Sainl- 
Eustache,  Gobillon,  curé  de  Saint-Laurent,  et  Fortin,  proviseur  du 
collège  d'Harcourt. 

8.  Les  six  évéques  sont  de  la  Nouvelle  Espagne. 

9.  Loc.  cit.  Cf.  L.  Cliapot,  Histoire  de  la  vénérable  Mère  Marie  de 
l'Incarnation,  t.  M,  p.  821. 


iga  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

actes,  ils  viennent,  quand  même  on  ne  s'en  aperce- 
vrait pas. 

12.  D.  Dans  la  définition  de  l'état  passif*'*,  vous  dites,  Mon- 
seigneur, que  l'âme  demeure  alors  impuissante  à  produire 
des  actes  discursifs  ;  il  me  paraît  que  cela  n'est  pas  toujours 
de  la  sorte. 

R.   Cette  impuissance  n'est  pas  toujours  absolue. 

13.  D.  11  paraît  par  divers  endroits  des  écrits  de  saint  Fran- 
çois de  Sales,  qu'il  voulait  que  certaines  âmes  se  conten- 
tassent, lorsqu'elles  apercevaient  de  la  distraction  dans  leur 
oraison,  de  revenir  à  Dieu  par  un  simple  retour,  et  que  de 
ramener  ainsi  leur  esprit  à  Dieu  était  le  seul  effort  qu'il  vou- 
lait qu'elles  fissent  alors. 

R.  Ce  simple  retour  est  très  suffisant  ;  c'est  l'acte 
le  plus  eflectif  :  souvent  les  autres  ne  sont  que  dans 
l'imagination. 

14.  D.  Supposé  que  ce  simple  retour  ne  fût  pas  suffisant  dans 
certains  tennps  que  l'attrait  s'est  retiré,  vous  ne  demanderiez 
pas  que  ces  âmes  en  revinssent  à  la  méditation,  mais  qu'elles 
se  contentassent  de  faire  de  petits  actes  courts  de  temps  en 
temps. 

R.  Non  à  une  méditation  méthodique  ;  mais, 
quand  l'opération  de  Dieu  cesse  et  qu'on  a  besoin 
du  discours,  il  faut  y  revenir,  et  c'est  y  revenir  que 
de  faire  ces  actes  courts.  Ce  qu'on  a  condamné  dans 
la  XVI*  proposition^',  c'est  qu'il  est  dit  qu'alors  l'âme 
n'a  plus  besoin  de  revenir  au  discours.  Or,  quand 
Dieu  laisse  les  âmes  à  elles-mêmes,  il  faut  bien 
qu'elles  s'excitent,  et  au  lieu  de  dire  :  toutes  les  fois 


10.  Cf.  t.  VII,  p.  35oet  35i. 

11.  [Il  indique  la  xvi^  proposition  condamnée   par  le  breFd'Inno- ^ 
nt  XII  contre  le  livre  des  Maximes.] 


15. 


116. 


mai  1 700]  DEBOSSUET.  jq3 

quune  âme  (de  cet  état),  lauteur  aurait  dû  dire  : 
ordinairement^'^ . 

D.  La  M.  de  Chantai  voulait  que  ces  âmes  se  conten- 
tassent, quand  elles  ne  sentaient  plus  d'attrait,  de  dire  de 
temps  en  temps  quelque  parole  d'abandon  et  de  confiance,  et 
de  demeurer  en  révérence  devant  Dieu. 

R.  Je  ne  blâmerai  jamais  cela. 

D.  Je  comprends  bien,  Monseigneur,  que,  sans  les  orai- 
sons extraordinaires,  on  peut  parvenir  à  une  grande  pureté 
d'amour,  et  que  la  purification  des  péchés  n'est  point  atta- 
chée à  ces  oraisons. 

R.   Cela  est  certain. 

17.  D.  Mais  cet  épurement  des  puissances  de  l'âme,  qui  est  si 
bien  expliqué  au  cinquième  livre  des  Étals  d'oraison,  pour- 
rait-il se  (aire  sans  la  contemplation  ? 

R.  C'est  dans  la  contemplation  que  se  fait  cet 
épurement  :  c'est  là  proprement  lacle  de  contempla- 
tion, cet  acte  pur,  simple  et  direct  ;  mais,  sans  la 
contemplation,  on  peut  avoir  une  très  grande  cha- 
nté, en  quoi  consiste  la  vraie  perfection. 

•  D.  Je  n'entends  pas  bien  pourquoi  la  proposition  xiii 
(d'Issy)  joint  à  la  vie  la  plus  parfaite  l'oraison  la  plus  parfaite, 
parce  qu'en  expliquant  cet  article,  vous  marquez  que  l'in- 
tention de  cette  proposition  est  de  montrer  aux  quiétisles,  qui 
s'imagment  être  les  seuls  qui  connaissent  la  simplicité,  la  ma- 
nière dont  tous  les  actes  se  réduisent  à  l'unité  dans  la  charité. 
^  R.  L'oraison  et  la  vie  la  plus  parfaite  peuvent  être 
séparées,  supposé  que  l'oraison  la  plus  parfaite  soit 
l'oiaison  passive.  La  fin  de  cette  xni«  proposition  n'a 
pas  été  de  marquer  que  ces  deux  choses  sont  insé- 
parables, ni  de  distinguer  les  parfaits  des  imparfaits 

12.   Voir  pourtant  Féneloii,  Ma 


XII 


194  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

par  la  réunion  des  vertus  dans  la  charité,  puisque 
tous  les  actes  méritoires  dans  les  justes  doivent  être 
commandés  par  la  charité  ;  mais  les  parfaits  sont 
plus  fidèles  que  les  autres  à  rapporter  à  la  charité 
les  actes  des  vertus  inférieures.  C'est  la  vertu  univer- 
selle, qui  comprend  sous  soi  tous  les  objets  des  autres 
vertus,  pour  s'en  servir  à  s'exciter  et  à  se  perfec- 
tionner elle-même  ;  mais  les  parfaits,  quoique  plus 
rarement  que  les  imparfaits,  font  quelquefois  des 
actes  de  vertu  qu'ils  ne  rapportent  pas  à  la  charité, 
et  qui  ne  sont  pas  commandés  par  elle. 

19.  D.  Il  est  dit,  p.  4i3  [livre  X,  article  xv],  qu'une  âme 
continuellement  passive  ne  pourra  pécher,  même  vcnielle- 
ment. 

R.   Cela  est  vrai. 

20  !)•  Mais  ne  pourrait-elle  pas  résister  à  cet  attrait? 

R.  Dès  qu'elle  y  résisterait,  elle  ne  serait  plus 
passive. 

21  D.  Ou  si  Dieu  agit  avec  une  pleine  autorité,  comment  cet 
état  est-il  méritoire?  La  sainte  Vierge,  qu'on  suppose  dans 
cet  état,  est  pourtant  parvenue  à  un  si  haut  degré  de 
mérite. 

R.  Cet  état  n'est  pas  méritoire,  lorsqu'on  n'y  a 
pas  l'usage  de  son  libre  arbitre;  mais  quelquefois  on 
y  agit  avec  liberté.  L'état  de  la  sainte  Vierge  était 
méritoire,  et  au-dessus  de  tout  ce  qu'on  en  peut 
dire. 

22.  D-  Je  sais,  Monseigneur,  que  vous  dites  en  quelque 
endroit  que  le  libre  arbitre  agit  dans  la  passiveté  ;  qu  il  y  a 
certaines  actions  tranquilles   que   l'âme  y  exerce  ;  que  cela 


mai  1700]  DE  BOSSUET.  196 

suffit  pour  y  mérifer  ;  que  la  liberté  se  conserve  même  quel- 
quefois dans  les  extases  et  les  ravissements. 
R.  Tout  cela  est  vrai. 

23_  D.  Ainsi  ma  difTiculté,  c'est  qu'il  est  dit,  p.  4i3  de  votre 
livre,  comme  je  viens  de  le  marquer,  qu'une  âme  toujours 
passive  ne  pourrait  déchoir  de  la  grâce. 

R.  Quand  on  pèche,  on  cesse  d'être  passif;  ce 
n'est  plus  alors  Dieu  qui  meut  l'âme. 

24.  D.  L'article  viii  (c?7ssj)  dit  que  l'Oraison  dominicale  est 
l'oraison  journalière  de  toute  âme  fidèle.  Cela  se  doit-il 
entendre  à  la  rigueur?  Il  est  rapporté  de  la  M.  de  l'Incarna- 
tion, carmélite,  qu'elle  ne  pouvait  dire  un  Pater  de  suite", 
et  il  me  semble  que  cela  se  dit  encore  de  quelques  autres. 

R.  n  est  vrai  ;  mais  elle  avait  intention  de  le  dire, 
elle  en  disait  le  principal.  Quelqu'un  qui  manquerait 
quelquefois  de  dire  le  Pater,  parce  qu'il  serait  occupé 
d'autres  bonnes  choses,  et  parce  qu'il  n'y  penserait 
point,  ne  pécherait  pas;  mais  il  n'en  serait  pas  de 
même  de  celui  qui  ne  voudrait  pas  le  dire. 

25.  D-  11  est  l'apporté  dans  la  Vie  de  la  Mère  de  Chantai^'' 
qu'à  la  messe,  pour  préparation  et  action  de  grâce  de  la  com- 
munion, elle  demeurait  dans  la  simple  union  à  Dieu. 

R.  Je  ne  blâme  point  tout  cela. 

26.  D.  Elle  dit'°  qu'ayant  voulu,  dans  le  temps  de  la  com- 
munion, faire  des  actes  plus  distincts,  Dieu  l'en  avait 
reprise.  Je  crois  donc.  Monseigneur,  que  ce  que  vous  blâmez 
est  un  certain  laisser-faire  Dieu,  qui  exclut  par  état  la  propre 
excitation. 

R.  Oui. 

l3.    Dans   sa  Vie,    par    Andr<*  Duval,  p.   663  (Voir   noire    t.  VII, 
p.  Sac). 

i4     Par  Maupas  du  Tour,  p.  294. 
i5.   Ibid. 


IÇ)6  GORRESPONDAPsCE  [mai  1700 

27.  D.  Je  crois  de  même  que  ce  que  vous  désapprouviez  par 
rapport  à  la  contrition,  c'est  de  ne  vouloir  jamais  s'y  exci- 
ter ;  mais  que  vous  n'exigeriez  pas  toujours  d'une  personne, 
qui,  loin  de  faire  profession  de  haïr  le  péché  en  la  manière 
(jue  Dieu  le  hait,  sans  douleur,  sait  au  contraire  qu'on  doit 
s'en  affliger,  et  s'en  afflige  ;  qui  va,  dans  la  résolution  de  ne 
le  plus  commettre,  chercher  le  pardon  dans  le  sacrement  de 
pénitence;  vous  n'exigeriez,  dis-je,  pas  toujours  d'une  telle 
personne  qu'allant  à  confesse,  elle  fit  des  actes  distincts  de 
contrition,  puisque,  lors  même  qu'elle  serait  demeurée  dans 
son  recueillement,  il  serait  à  supposer  qu'elle  aurait  eu  dans 
le  fond  du  cœur  vraiment  la  contrition. 

R.   Gela  est  vrai. 

28.  D.  Dans  une  de  mes  anciennes  lettres,  je  vous  demandais 
comment  un  pécheur,  que  Dieu  convertirait  miraculeusement 
à  la  mort,  pourrait  en  un  moment  faire  tous  les  actes 
distincts  que  Dieu  a  commandés.  Vous  répondez  que  Dieu  ne 
convertira  jamais  parfaitement  aucun  homme,  sans  lui  faire 
faire  distinctement  divers  actes  que  vous  expliquez  *•'.  Mais, 
par  la  page  ii5  [article  v  du  livre  IV]  de  votre  livre,  il 
semble  que,  dans  certaines  circonstances,  un  acte  d'amour 
peut  suffire  à  la  justification  du  pécheur. 

R.  C'est  qu'il  y  a  des  occasions  on  un  acte 
d'amour,  sans  songer  en  particulier  à  regretter  un 
péché  qu'on  aurait  commis,  ne  laisserait  pas  de  jus- 
tifier. 

29.  D.  Dans  une  autre  de  vos  réponses,  parlant  sur  l'oraison 
de  simple  présence  de  Dieu,  vous  dites  que,  quand  Dieu 
retire  un  long  temps  son  opération,  c'est  alors  le  temps  de 
s'exciter  comme  les  autres  fidèles.  Ces  actes  courts  que  prati- 
quait et  que  conseillait  la  M.   de  Chantai   ne  suffiraient-ils 


pas 


R.   Oui  :  les  actes  les  plus  longs  ne  sont  pas  les 
16.   Voir  t.  VII,  ,3.  a5i. 


mai  1700J  DE   BOSSUEÏ.  197 

meilleuis.  Jaimela  simplicité,  et  je  conviens  de  ce 
que  disait  cette  Mère. 

30.  D.  Je  n'entends  pas  tout  à  fait  bien  ces  mots  de  la 
page  5o,  ligne  12  [article  mii  du  livre  II]  :  La  raison  essen- 
tielle et  constilutive  de  Dieu et  ces  autres-ci,  ligne    19  : 

Dans  un  acte  de  simple  et  pure  intelligence. 

R.  Ce  mot  raison,  qui  vous  a  paru  obscur  en  cet 
endroit,  est  un  terme  de  l'Ecole,  qui  signifie  ce  qui 
donne  la  forme  à  une  chose,  qui  la  fait  être.  J'ai 
marqué,  à  cet  endroit  du  livre,  que  dans  l'Ecole  on 
n'est  pas  d'accord  de  la  notion  qu'il  faut  avoir  de  ce 
qui  fait  proprement  l'essence  divine. 

Un  acte  de  simple  et  pure  intelligence  est  un  acte 
où  l'imagination  n'a  point  de  part. 

31  D.  Je  n'entends  pas  bien  non  plus,  à  la  page  228  [art.  xliv 
du  livre  VI],  ces  mots  d'un  passage  de  saint  Clément 
d'Alexandrie  :  U âme  parfaite  ne  médite  rien  moins  que  d'être 
Dieu. 

R.   Par  participation. 

32.  D.  L'oraison  que  saint  François  de  Sales  appelle  oraison 
de  patience,  et  celle  qu'on  nomme  proprement  oraison  de 
pure  foi,  n'est-ce  pas  la  même  chose?  l'âme  alors  non  seule- 
ment ne  raisonnant  ni  ne  discourant  plus,  mais  étant  privée 
de  tous  les  goûts. 

R.  Cette  oraison  est  celle  que  le  saint  explique  en 
se  servant  de  la  comparaison  de  la  statue '\  Dans 
cette  oraison,  les  actes  sont  insensibles  ;  on  les  croit 
perdus,  mais  ils  ne  le  sont  pas'*, 

17.  Voir  t.  VIT,  p.  39/i. 

18.  On  s'esl  dera;indé  quelle  était  la  pénitente  de  Bossuet  qui  fuii 
le  sujet  de  la  lettre  suivante  de  Mme  de  Maintenon  à  l'archevêque  de 
Paris  :  «  Je  voudrais  bien,  Monseigneur,  ne  point  voir  la   dévote  de 


TgS  CORRESPONDANCE  |mai  1700 

2001.   —  Leibniz  a   Bossuet. 

Wolfenbultel,  ce  i/i  mai  1700. 

Monseigneur, 
Vos  deux  grandes  et  belles  lettres  '  n'étant  pas  tant  pour 
moi  que  pour  Mgr  le  duc  Antoine  Ulrich,  je  n'ai  point 
manqué  d'en  faire  rapport  à  S.  A.  S.,  qui  même  a  eu  la 
satisfaction  de  les  lire.  Il  vous  en  est  bien  obligé  ;  et,  comme 
il  honore  extrêmement  votre  mérite  éminent,  il  en  attend 
aussi  beaucoup  pour  le  bien  de  la  chrétienté,  jugeant,  sur  ce 
qu'il  a  appris  de  votre  réputation  et  autorité,  que  vous  y 
pourriez  le  plus  contribuer.  Il  serait  fâché  de  vous  avoir 
flonné  de  la  peine,  s'il  ne  se  félicitait  de  vous  avoir  donné  en 
même  temps  l'occasion  de  tourner  de   nouveau  vos  grands 

M.  de  Meaux  ;  il  y  a  bien  des  clioses  qui  sont  plus  belles  de  loin  que 
de  près.  Je  ne  suis  ni  intérieure,  ni  expérimentée  dans  les  voies  de 
Dieu,  et  je  n'entends  pas  la  moitié  des  consultations  que  cette  per- 
sonne faisait  à  son  directeur.  Sauvez-moi  donc,  si  vous  le  pouvez, 
cette  visite  inutile  pour  elle  et  pour  moi.  Mais  si,  nonobstant  ce  que 
l'ai  l'honneur  de  vous  dire,  je  vous  Fais  le  moindre  plaisir  en  lui  pro- 
curant ce  qu'elle  désire,  qu'elle  vienne,  Monseigneur,  samedi  ou 
dimanche  après-dîner  à  Saint-Gyr.  Ce  sont  les  jours  où  j'y  vais  le 
plus  ordinairement...  »  (.3  mai  1700,  dans  la  Correspondance  géné- 
rale, t.  IV,  p.  827).  Nous  sommes  tentés  de  croire  que  cette  lettre  de 
Mme  de  Maintenon  est  mal  datée  et  postérieure  à  la  mort  de  Rossuet  : 
s  il  en  était  ainsi,  la  «  dévote  de  M.  de  Meaux  »  serait  Mme  Goruuau. 

Lettre  2001.  —  Imprimée  d'abord  dans  les  Œuvres  posthumes  de 
Bossuet,  t.  I,  p.  471.  11  existe,  pour  cette  lettre  et  pour  la  suivante, 
trois  minutes  autoffraphes,  Hanovre,  Papiers  de  Leibniz,  f°^3ii,  3i2 
et  3i3  ;  nous  les  désigpnons  par  A,  B,  G,  et  nous  suivons  la  dernière, 
comme  plus  conforme  au  texte  donné  par  le  premier  éditeur.  En  marge, 
Leibniz  a  écrit  :  «  Geci  est  le  commencement  d'un  discours  de  ceni 
vingt-quatre  paragraphes  sur  le  canon  du  Vieux  Testament,  que  j'ai 
partagé  en  deux  lettres.  »  Ges  deux  lettres  sont  celles  du  id  et  du 
2  I  mai.  La  copie  destinée  à  Bossuet  fut  exécutée  par  les  soins  du  due 
Antoine  Ulrich,  à  qui  Leibniz  donna  ses  instructions  le  4  mai  (Fou- 
.lur  de  Gareil,  t.  II,  p.  3i3). 

i .   B  :  grandes  et  importantes  lettres. 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  199 

talents  à  ce  qu'il  croit  le  plus  utile,  et  même  très  conforme  à 
la  volonté  du  Roi,,  suivant  ce  que  M.  le  marquis  de  Torcy 
avait  (ait  connaître. 

1.  Comme  vous  entrez  dans  le  détail,  j'avais suppliéce  prince 
de  charger  un  théologien  de  la  discussion  des  points  qui  le 
demandent  ;  mais  il  a  eu  ses  raisons  pour  vouloir  que  je  con- 
tinuasse de  vous  proposer  les  considérations  qui  se  présente- 
raient, et  dont  une  bonne  partie  a  été  fournie  par  S.  A. 
même  ;  et  j'ai  tâché  d'expliquer  et  de  fortifier  ses  senliments 
par  des  autorités  incontestables. 

II.  11  trouve  fort  bon  que  vous  avez  choisi  une  controverse 
particulière,  agitée  entre  les  Tridentins  et  les  protestants  : 
car,  s'il  se  trouve  un  seul  point,  tel  que  celui  dont  il  s'agit 
ici,  où  il  est  visible  que  nous  avons  contre  certains  analhé- 
malismes,  prononcés  chez  vous,  des  raisons  qui,  après  un 
examen  fait  avec  soin  et  avec  sincérité,  nous  paraissent  invin- 
cibles^, on  est  obligé  chez  vous,  suivant  le  droit  et  suivant 
les  exemples  pratiqués  autrefois',  de  les  suspendre  à  l'égard 
de  ceux  qui  ne  s'éloignent  point  pour  cela  de  l'obéissance 
due  à  l'Église  catholique. 

III.  Mais,  pour  venir  au  détail  de  vos  lettres,  dont  la 
première  donne  les  principes  qui  peuvent  servir  à  distinguer 
ce  qui  est  de  foi  de  ce  qui  ne  l'est  pas,  et  dont  la  seconde 
explique  les  degrés  de  ce  qui  est  de  foi,  je  m'arrêterai  prin- 
cipalement à  la  première,  où  vous  accordez  d'abord.  Monsei- 
gneur, que  Dieu  ne  révèle  point  de  nouvelles  vérités  qui  appar- 
tiennent à  la  foi  catholique  ;  que  la  règle  de  la  perpétuité  est 
austii  celle  de  la  catholic  té  ;  que  les  conciles  œ^-uméniqaes  ne 
proposent  point  de  nouveaux  dogmes  ;  enfin,  que  la  règle  infail- 
lible des  vérités  de  la  foi  est  le  consentement  unanime  et  perpé- 
tuel de  toute  l'Église.  J'avais  dit  que  les  protestants  ne  recon- 
naissent pour  un  article  de  la  foi  chrétienne  que  ce  que  Dieu 

2.  A  et  B  :  nous  avons  des  raisons  qui,  après  un  examen  fait  avec 
soin  et  avec  sincérité,  nous  paraissent  invincibles  contre  les  anatlié- 
matismes  de  Trente. 

3.  A  et  B  :  pratiqués  dans  l'Eglise. 


200  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

a  révélé  d'abord  par  Jésus-Christ  et  ses  apôtres  ;  et  je  suis 
bien  aise  d'apprendre,  par  votre  déclaration,  que  ce  sentiment 
est  encore  ou  doit  être  celui  de  voire  communion. 

IV.  J'avoue  cependant  que  l'opinion  contraire,  ce  semble, 
d'une  infinité  de  vos  docteurs  me  fait  de  la  peine  :  car  on 
voit  que,  selon  eux,  l'analyse  de  la  foi  revient  à  l'assistance 
du  Saint-Esprit,  qui  autorise  les  décisions  de  l'Église  univer- 
selle ;  ce  qui  étant  posé,  l'ancienneté  n'est  point  nt'rcssalre, 
et  encore  moins  la  perpétuité. 

Y.  Le  concile  de  Trente  ne  dit  pas  aussi  qu'elles  le  sont*^, 
quoiqu'il  dise,  sur  quelques  dogmes  particuliers,  que  l'Église 
l'a  toujours  entendu  ainsi  ;  car  cela  ne  tire  point  à  consé- 
quence pour  tous  les  autres  dogmes. 

VI.  Encore  depuis  peu,  Georges  BulP,  savant  prêtre  de 
l'Église  anglicane,  ayant  accusé  le  P.  Petau  d'avoir  attribué 
aux  Pères  de  la  primitive  Église  des  erreurs  sur  la  Trinité, 
pour  autoriser  davantage  les  conciles  à  pouvoir  établir  et 
manifester,  constiluere  et  pnlefacere,  de  nouveaux  dogmes  ;  le 
curateur  de  la  dernière  édition  des  Dogmes  Théologiques  ^  de 
ce  Fère,  qui  est  apparemment  de  la  même  société,  répond 
dans  la  préface  :  Est  quidem  hoc  dogma  catholicx  ralionis,  ah 
Ecclesia  conslitui  fidei  capita  ;  sed  propterea  minime  sequilur 
Petavium  malis  arlibus  ad  id  confirmandam  usiim. 

Ml.  Ainsi  le  P.  Grégoire  de  Valentia  a  bien  des  approba- 
teurs de  son  Analyse  de  la  foi  ;  et  je  ne  sais  si  le  sentiment  du 
cardinal  du  Perron,  que  vous  lui  opposez,  prévaudra  à  celui 
de  tant  [d'Jautres  docteurs.  Le  cardinal  d'ailleurs  n'est  pas 
toujours  bien  sur,  et  je  doute  que  l'Église  de  France  d'aujour- 
d'hui approuve  la  harangue  '^  qu'il  prononça  dans  l'assemblée 

4.  Edit.  :  qu'elles  sont  n^eessHires. 

5.  Il  sera  parlé  de  ce  théolo{jien,  p.  822. 

6.  La  première  édition  de  cet  ouvrage  considérable,  mais  mallieu- 
reiistmenl  inaelievé,  avait  paru  de  i64^  à  i65o.  Celle  dont  parle 
Leibniz  a  été  donnée,  non  par  un  jésuite,  mais  par  Jean  Le  Clerc, 
savant  proteilant,  accusé  de  latitudinarisme  et  même  de  socinianisme, 
caché  celte  fois  sous  le  pseudonyme  de  Theophilus  Alethinus,  Anvers 
(Amsterdam),  1700,  6  tomes  in-fol. 

7.    Parce  qu'elle  était  favorable  à  l'ultramontanisme.  Cf.  plus  haut. 


1 


mai  1700I  DI-:    BOSSUEÏ.       ,  201 

des  États,  un  peu  après  la  mort  de  Henri  IV,  et  qu'il  n'au- 
rait osé  prononcer  dans  un  autre  temps  que  de  minorité*  ;  car 
il  passe  pour  un  peu  politique  en  matière  de  foi. 

VIII.  De  plus,  suivant  votre  maxime^,  il  ne  serait  pas  dans 
le  pouvoir  du  Pape  ni  de  toute  l'Éylise,  de  décider  la  ques- 
tion de  la  Conception  immaculée  de  la  sainte  Vierge.  Cepen- 
dant le  concile  de  Bâle  entreprit  de  le  faire,  et  il  n'y  a  pas 
encore  long'emps  qu'un  roi  d'Espagne  envoya  exprès  au 
Pape  pour  le  solliciter  à  donner  une  décision  là-dessus,  ce 
qu'on  entendait  sans  doute  sous  analhème.  On  croyait  donc 
en  Espagne  que  cela  n'excède  point  le  pouvoir  de  l'Église.  Le 
relus  aussi,  ou  le  délai  du  Pape,  n'était  pas  fondé  sur  son 
impuiss  nce  d'établir  de  nouveaux  articles  de  foi. 

IX.  J'en  dirai  autant  de  la  question  De  auxiliis  gratue, 
qu'on  dit  que  le  pape  Clément  VIII  avait  dessein  de  décider 
pour  les  thomistes  contre  les  molinistes  ;  mais,  la  mort  l'en 
ayant  empêché,  ses  successeurs  trouvèrent  plus  à  propos  de 
laisser  la  chose  en  suspens. 

X.  11  semble  que  vous-même,  Monseigneur,  laissez  quelque 
porte  de  derrière  ouverte,  en  disant  que  les  conciles  œcumé- 
niques, lorsqu'ils  décident  quelque  vérité,  ne  proposent  point  de 
nouveaux  dogmes,  mais  ne  font  que  déclarer  ceux  qui  ont  iou- 

p.  155.  Cette  Harangue,  faite  de  la  part  de  la  Chambre  ecclt^siastique 
en  celle  du  Tiers-État  sur  l'article  du  serment,  Paris,  i6i5,  in-4,  se 
trouve  parmi  les  Diverses  œuvres  du  cardinal,  Paris,  1622,  in-fol., 
p.  Sg^  ei  suiv.  Bossuet  l'a  appréciée  du  point  de  vue  gallican  dans  la 
Dejensio  declarotionis,  lib.  IV,  cap.  xiv  à  xvii. 

8.  Edit.  :  que  celui  d'une  minorité. 

9.  «  Nous  n'admettons  aucune  nouvelle  révélation  :  toute  vérité 
révélée  de  Dieu  est  venue  de  main  en  main  |usqu'à  nous  »,  avait  écrit 
Bossuet  (cf.  p.  125).  Mais  ce  que  Leibniz  oublie  ici,  c'est  que  la  vérité 
peut  bien  n'être  pas  révélée  par  son  concept  particulier,  mais  seule- 
ment dans  une  autre  vérité  qui  sans  elle  n'aurait  point  son  concept 
intégral.  Ainsi  l'Immaculée  conception  se  trouve  révélée  dans  la 
pureté  parfaite  de  la  Vierge  et  sa  divine  maternité  (cf.  l'abbé  de 
Broglle,  Conférences  sur  la  vie  surnaturelle,  t.  II,  1882,  dixième  con- 
férence: Histoire  du  dogme  de  ilminnculéc  conception,  p.  439-478,  et 
Diclionnaire  de  Théologie  calholique,  de  \  acant,  art.  Dogve,  de  M.  Du- 
blancliy). 


'J.02  CORRESPONDANCE  [mal  1700 

jours  été  crus  et  les  expliquer  seulement  en  termes  plus  clairs  et 
plus  précis.  Car,  si  la  déclaration  contient  quelque  proposition 
qui  ne  peut  pas  être  tirée,  par  une  conséquence  légitime  et  cer- 
taine, de  ce  qui  était  déjà  re.u  auparavant,  et  par  conséquent 
n'y  est  point  comprise  virtuelleinent,  il  faudra  avouer  que  la 
décision  nouvelle  établit  en  elîet  un  article  nouveau,  quoi- 
qu'on veuille  couvrir  la  chose  sous  le  nom  de  déclaration. 

XI.  C'est  ainsi  que  la  décision  contre  les  monolhélites  éta- 
blissait en  effet  un  article  nouveau,  comme  je  crois  d'avoir 
marqué  autrefois  "•  ;  et  c'est  ainsi  que  la  transsubslanliation  a 
été  décidée  bien  tard  dans  l'Église  d'Occident,  quoique  cette 
manière  de  la  présence  réelle  et  du  changement  ne  fût  pas 
une  conséquence  nécessaire  de  ce  que  l'Eglise  avait  toujours 
cru  auparavant. 

XII.  Il  y  a  encore  une  autre  difficulté,  sur  ce  que  c'est  que 
d'avoir  été  cru  auparavant.  Car  voulez-vous,  Monseigneur, 
qu'il  suffise  que  le  dogme  que  l'Église  déclare  être  véritable 
et  de  foi  ait  été  cru  en  un  temps  par  quelques-uns,  quels 
qu'ils  puissent  être,  c'est-à-dire  par  un  petit  nombre  de  per- 
sonnes et  par  des  gens  peu  considérés  ;  ou  bien  faut-il  qu'il 
ait  toujours  été  cru  par  le  plus  grand  nombre,  ou  par  les 
plus  accrédités?  Si  vous  voulez  le  premier,  il  n'y  aura  guère 
d'opinion  qui  n'ait  toujours  eu  quelqvies  sectateurs,  et  qui  ne 
puisse  ainsi  s'attribuer  une  manière  d'ancienneté  et  de  per- 
pétuité ;  et  par  conséquent  cette  marque  de  la  vérité,  qu'on 
fait  tant  valoir  chez  vous,  sera  fort  alTaiblie. 

XIII.  Mais  si  vous  voulez  que  l'Église  ne  manque  jamais 
de  prononcer  pour  l'opinion  qui  a  toujours  été  la  plus  com- 
mune ou  la  plus  accréditée,  vous  aurez  de  la  peine  à  justifier 
ce  sentiment  [par]  les  exemples'*.  Car,  outre  qu'il  y  a  opi/u'ones 
communes  contra  communes,  et  que  souvent  le  grand  nombre 
et  les  personnes  les  plus  accréditées  ne  s'accordent  pas,  le  mal 
est  que  des  opinions  qui  étaient  communes  et  accréditées 
cessent  de  l'être  avec  le  temps,  et  celles  qui  ne   l'étaient  pas 

10.  CF.  t.  V,  p.  a^C. 

11.  .Ms.  :  dans  les  exemples. 


mai  1700]  DE    BOSSUET.  2o3 

le  deviennent.  Ainsi,  quoiqu'il  arrive  naturellement  qu'on 
prononce  pour  l'opinion  qui  est  la  plus  en  vogue  lorsqu'on 
prononce,  néanmoins  il  arri\e  ordinairement  que  ce  qui  est 
eudoxe  dans  un  temps  était  paradoxe  auparavant,  et  vice  versa. 

XIV.  Comme,  par  exemple,  le  règne  de  mille  ans  était  en 
vogue  dans  la  primitive  Église,  et  maintenant  il  est  rebuté'^. 
On  croit  maintenant  que  les  anges  sont  sans  corps,  au  lieu 
que  les  anciens  Pères  leur  donnaient  des  corps  animés,  mais 
plus  parfaits  que  les  nôtres*'.  On  ne  croyait  pas  que  les  âmes 
qui  doivent  être  sauvées  parviennent  sitôt  à  la  parlaite  béati- 
tude'^; sans  parler  de  quantité  d'autres  exemples. 

XV.  D'où  il  s'ensuit  que  l'Église  ne  saurait  prononcer  en 

13.  Le  Millénarisine  consiste  dans  la  crovance  à  un  rèfjne  tem- 
porel et  triomphant  du  Christ  et  de  ses  saints  sur  la  terre  durant 
mille  ans,  avant  la  fin  des  temps.  S'il  y  eut  un  certain  nombre  de 
Pères  ou  d'auteurs  ecclésiastiques  des  quatre  premiers  siècles  à  1  ,idop- 
ter,  il  ne  fut  pas  reg^ardé  par  eux  comme  un  enseignement  traditionnel, 
mais  comme  une  opinion  privée  qu'ils  pensaient  pouvoir  appuver  sur 
quelques  texte?  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  et  surtout  sur 
l'Apocalypse  (Cf.  Bossuet,  V Apocalypse,  part.  II,  eh.  xx,  Réflexions 
sur  l'opinion  des  Millénaristes;  Oiclionnaire  de  la  Bible  de  Vigouroux, 
l.  IV,  col.  1090-1097;  le  P.  Le  cœur,  le  Règne  temporel  de  Jésus- 
Christ,  Paris,  1868,  in-8  ;  Th.  H.  Martin,  la  Vie  future  suiuant  la 
foi  et  suivant  la  raison,  Paris,  1870,  in-i8,  p.  6t5  et  suiv.  ;  L.  Gry,  le 
Millénarisine  dans  son  origine  et  ses  développements,  Paris,  igoii,  in-8). 

i3  Par  suite  d'une  interprétation  donnée  à  quelques  textes  de 
l'Ancien  Testament,  et  sous  l'influence  du  Pseudo-Enoch,  les  Pères 
des  premiers  siècles,  tout  en  admettant  que  les  anges  sont  des  esprits, 
les  croyaient  revêtus  d'une  matière  subtile  et  étliérée.  A  partir 
du  iv^  siècle,  en  Face  des  Pères  latins  qui  leur  attribuaient  une 
corporéité  relative,  les  Pètes  grecs  regardaient  les  anges  comme  àioi- 
jxatoi.  La  spiritualité  absolue  des  anges,  enseignée  ensuiie  par  toute 
l'Ecole,  n'est  cependant  point  un  dogme  de  foi  catholique.  ISi  le 
IV«  ci.ncile  de  Latran,  ni  celui  du  Vatican  n'ont  eu  l'intention  de 
définir  la  nature  de  ces  esprits  célestes  (Cf.  Dict.  de  Théologie  catho- 
lique de  Vacant,  t.  I,  col.   i  iqS). 

i4.  Il  pourrait  sembler  au  premier  abord,  par  certains  textes,  que 
des  Pères,  comme  saint  Hilaire,  saint  Ambroise,  saint  Jean  Chrysos- 
tôme,  saint  Augustin,  enseignent  que  la  béatitude  des  élus  est  diiïérée 
jusqu'à  la  résurrection  générale;  mais  il  s'agit,  dans  ces  textes,  non 
du   bonheur   incomphl,    dont    peut   jouir    l'àme,    même    séparée    du 


2o4  GORRESPOxNDANGE  [mai  1700 

faveur  de  Fincorporalilé  des  anges,  ou  de  quelque  autre  opi- 
nion semblable  ;  ou,  si  elle  le  faisait,  cela  ne  s'accorderait  pas 
avec  la  règle  de  la  perpétuité,  ni  avec  celle  de  Vincent  de 
Lérins  '  ^  du  semper  et  ubiqiie,  ni  avec  votre  règle  des  vérités  de 
foi,  que  vous  dites  être  le  consentement  unardme  et  perjjétuel 
de  toute  l'Église,  soit  assemblée  en  concile,  soit  dispersée  par 
toute  la  terre.  En  effet,  cela  est  beau  et  magnifique  à  dire, 
tant  qu'on  demeure  en  termes  généraux  ;  mais,  quand  on  vient 
au  fait,  on  se  trouve  loin  de  son  compte,  comme  il  paraîtra 
dans  l'exemple  de  la  controverse  des  livres  canoniques. 

XV^I.  Enfin  on  peut  demander  si,  pour  décider  qu'une 
doctrine  est  de  foi,  il  suffit  qu'elle  a  été  "^  simplement  crue 
ou  reçue  auparavant,  et  s'il  ne  faut  pas  aussi  qu'elle  ait  été 
reçue  comme  de  foi.  Car,  à  moins  qu'on  veuille  se  fonder  sur 
des  nouvelles  révélations,  il  semble  que,  pour  faire  qu'une 
doctrine  soit  un  article  de  foi,  il  faut  que  Dieu  l'ait  révélée 
comme  telle,  et  que  l'Église,  dépositaire  de  ses  révélations, 
l'ait  toujours  reçue  comme  étant  partie  de  la  foi,  puisqu'on 
ne  pourrait  savoir  que  par  révélation  si  une  doctrine  est  de 
foi  ou  non. 

XVII.  Ainsi  il  ne  me  semble  pas  qu'une  opinion  qui  a 
passé  pour  philosophique  auparavant,  quelque  reçue  qu'elle 
ait  été,  puisse  être  proposée  légitimement  sous  anathème  ; 
comme,  par  exemple,  si  quelque  concile  s'avisait  de  pronon- 
cer pour  le  repos  de  la  terre  contre  Copernic,  il  semble  qu'on 
aurait  droit  de  ne  lui  point  obéir. 

corps,  mais  de  la  béatilude  complète,  qui  a  pour  sujet  i'àme  unie  au 
corps  {glorifié.  Cf.  Perrone,  Prselectiones  theologicœ.  t.  I,  De  fatura 
hom  nis  vita,  cli.  VI,  prop.  iv,  obj.  2",  Th.  H.  Martin,  op.  cit.,  p.  621. 

i5.  Quod  ubique.  quod  semoer.  quod  ab  omnibus  creditum  est.  Cette 
règle  n'evclut  pas  le  progrès  (profcctus)  ou  dt^veloppement  du  dogme, 
mais  seulement  toute  modification  qui  en  changerait  substantiel- 
lement la  nature.  Saint  Vincent  compare  lui-même  l'accroissement 
légitime  du  dogme  au  développement  du  corps  humain  et  à  celui  du 
végétal  (Coinrnonit.  c.  xxiii,  P.  L.,  t.  L,  col.  668).  Cf.  article  Dogme, 
dans  le  D'ccl.  de  théologie  catholique  de  Vacant,  t.  IV,  col  i625-i632  ; 
et  dans  le  Dictionnaire  apologétique  d'Alès,  t.  I,  col.  11 21-1184. 

16.   Édit.   :  qu'elle  ait  été. 


mai  1700]  DE  BOSSUET.  2o5 

XVIII.  Et  il  paraît  encore  moins  qu'une  opinion  qui  a 
passé  longtemps  pour  problématique,  puisse  enfin  devenir  un 
article  de  foi  par  la  seule  autorité  de  l'Église,  à  moins  qu'on 
ne  lui  attribue  une  nouvelle  révélation,  en  vertu  de  l'assis- 
tance infaillible  du  Saint-Esprit  :  autrement  l'Église  aurait 
d'elle-même  un  pouvoir  sur  ce  qui  est  de  droit  divin. 

XIX.  Mais,  si  nous  refusons  à  l'Église  la  faculté  de  changer 
en  article  de  foi  ce  qui  passait  pour  philosophique  ou  pro- 
blématique auparavant,  plusieurs  décisions  de  Trente  doivent 
tomber,  quand  même  on  accorderait  que  ce  concile  est  tel 
qu'il  faut  ;  ce  qui  va  paraître  particulièrement,  à  mon  avis,  à 
l'égard  des  livres  que  ce  concile  a  déclarés  canoniques,  contre 
le  sentiment  de  l'ancienne  Église. 

XX.  Venons  donc  maintenant  à  l'examen  de  la  question 
de  ces  livres  de  la  Bible,  contredits  de  tout  temps,  à  qui  le 
concile  de  Trente  donne  une  autorité  divine,  comme  s  ils 
avaient  été  dictés  mot  à  mot  par  le  Saint-Esprit,  à  l'égal  du 
Pentateuche,  des  Évangiles  et  autres  livres  reconnus  pour 
canoniques  du  premier  rang,  ou  prolocanoniques  ;  au  lieu  que 
les  protestants  tiennent  ces  livres  contestés  pour  bons  et 
utiles,  mais  pour  ecclésiastiques  seulement,  c'est-à-dire  dont 
l'autorité  est  purement  humaine,  et  nullement  infaillible. 

XXI.  J'étais  surpris.  Monseigneur,  de  vous  voir  dire  que  je 
verrais  clairement  cette  question  résolue  par  des  faits  incontes- 
tables en  faveur  de  votre  doctrine  ;  et  je  fus  encore  plus  sur- 
pris en  lisant  la  suite  de  votre  lettre  :  car  j'étais  comme 
enchanté  pendant  la  lecture,  et  vos  expressions  et  manières 
belles,  fortes  et  plausibles,  s'emparaient  de  mon  esprit.  Mais, 
quand  le  charme  de  la  lecture  était  passé,  et  quand  je  com- 
parais de  sang-froid  les  raisons  et  autorités  de  part  et  d'autre, 
il  me  semble  que  je  voyais  clair  comme  le  jour,  non  seule- 
ment que  la  canonicité  des  livres  en  question  n'a  jamais 
passé  pour  un  article  de  foi  ;  mais  plutôt  que  l'opinion  com- 
mune, et  celle  encore  des  plus  habiles,  a  été  toujours  à  l'en- 
conlre. 

XXII.  Il  y  a  même  peu  de  dogmes  si  approuvés  de  tout 
temps  dans  l'Église  que  celui  des  protestants  sur  ce  point  ; 


2o6  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

et  on  pourrait  écrire  en  sa  faveur  un  livre  de  la  perpétuité  de  la 
foi  à  cet  égard,  qui  serait  surtout  incontestable  par  rapport  à 
l'Église  grecque,  depuis  l'Église  primitive  jusqu'au  temps  pré- 
sent ;  mais  on  la  peut  encore  prouver  dans  l'Église  latine''. 
XXIII.  J'avoue  que  cette  évidence  me  fait  de  la  peine;  car 
il  me  serait  véritablement  glorieux  d'être  vaincu,  Monsei- 
gneur, par  une  personne  comme  vous  êtes.  Ainsi,  si  j'avais 
les  vues  du  monde  et  cette  vanité  qui  y  est  jointe,  je  profite- 
rais d'une  défaite  qui  me  serait  avantageuse  de  toutes  les 
manières  ;  et  on  ne  me  dirait  pas  pour  la  troisième  fois  : 
/Eneœ  macjni  dexlra  cadis  '*.  Mais  le  moyen  de  le  faire  ici  sans 
blesser  sa  conscience,  outre  que  je  suis  interprète  en  partie 
des  sentiments  d'un  grand  prince?  Je  suivrai  donc  les  vingt- 
quatre  paragraphes  de  votre  première  lettre,  qui  regardent 
ce  sujet;  et  puis  j'y  ajouterai  quelque  chose  du  mien, 
quoique  je  ne  me  fonde  que  sur  des  autorités  que  Chemnice, 
Gérard,  Calixte,  Rainold'*  et  autres  théologiens  protestants 

17.  Voir  plus  loin,  p.  a/ig. 

18.  yEneid.,  1.  X,  v.  83o. 

19.  Il  a  été  parlé  de  Callixte,  t.  VI,  p.  lio.  —  Martin  Chemnitz 
(i522-i586),  un  des  plus  remarquables  tliéoioj^iens  réformés,  disciple 
de  Mélanclilon,  fit  à  Wittemberg  des  cours  publies  sur  les  Loci  com- 
munes rerum  Iheologicariim  de  son  maître,  qji,  dans  leur  troisième  édi- 
tion, étaient  devenus  pour  les  luthériens  ce  que  le  livre  des  Sentences  de 
Pierre  Lombard  avait  été  au  moyen  âge.  Chemnitz  en  fit  un  manuel, 
Loci  theologici  (Francfort,  1691,  in-4),  qui  passa  pour  une  œuvre  dog- 
matique de  premier  ordre  dans  l'Eglise  luthérienne.  Contre  plusieurs 
ouvrages  de  jésuites  il  publia  un  écrit  de  controverse  :  Theologia- 
Jesuitarum  prœcipuacapilu,  La  Rochelle,  i58o,in-8  ;  dans  son  Examen 
conciliitridentini,  comprenant  quatre  parties  en  un  vol.  in-fol.,  Franc- 
fort, 1578,  la  première  partie  traite  de  la  Sainte  Ecriture.  Bellarmin 
a  réfuté  Chemnitz  dans  ses  Controverses.  L' Harmonia  evangelica  de 
Chemnitz  a  été  continuée  par  Polycarpe  Lyser,  Francfort,  lÔyS  (Voir 
Melchior  Adam,  Vitœ  theologorum  Germanorum  qui  super iori  seculo 
Ecclesiam  Christi  propaganmt  et  propugnaocrunt,  etc.,  3«  édit., 
Francfort,  i7o3,  in-fol.  ;  J.  Janssen  et  L.  Paslor,  L'Allemagne 
et  la  Réforme,  trad.  française,  Paris,  1907,  t.  VII,  p.  445,  406). 
—  Jean  Itainolds  ou  Reynolds,  né  à  Pinhoe,  près  d'Exeter,  eji 
i5/i9,  ^tait  fils  d'un  fermier.  Après  avoir  enseigné  la  philosophi'  *t 
le  grec,  il  prit  une  part  très  active  aux  controverses  religieuses,  assista 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  207 

ont  déjà  apportées,  dont  j'ai  choisi  celles  que  j'ai  crues  les 
plus  ellicaces. 

XXIV.  Comme  il  ne  s'agit  que  des  livres  de  l'Ancien  Tes- 
tament qu'on  n'a  point  en  langue  originale  hébraïque  et  qui 
ne  se  sont  jamais  trouvés  dans  le  canon  des  Hébreux,  je  ne 
parlerai  point  des  livres  reçus  également  chez  vous  et  chez 
nous.  J'accorde  donc  que,  suivant  votre  §  i ,  les  livres  en 
question  ne  sont  point  nouveaux,  et  qu'ils  ont  toujours  été 
connus  et  lus  dans  l'Eglise  chrétienne,  suivant  les  titres  qu'ils 
portent  ;  et  (§  2)  que  particulièrement  la   Sagesse,   l'Ecclé- 

à  la  fameuse  conférence  de  Haraptoncourt,  en  i6o4,  et  combattit 
l'Eglise  romaine.  Ses  idées  le  rapprochaient  plus  des  pur. tains  que 
des  anglicans.  11  fut  principal  du  collège  de  Corpus  Clirisli,  à  Oxford, 
et  doyen  de  Lincoln.  11  mourut  le  21  mai  1607.  Son  frère  William 
(i5/i4?-i594)  prit  les  ordres  dans  l'Église  anglicane,  puis  se  conver- 
tit en  1575  au  catholicisme.  Les  principaux  ouvrages  de  Jean  Mai- 
nolds  sont  :  Sex  thèses  de  sacra  Scriptara  et  Ecclesia.  Londres,  i58o, 
in-4  ;  The  Summe  oj  the  conférence  helween  John  Rainolds  and  John 
Hart  touching  the  Head  and  tue  J'nilh  of  Church,  Londres,  i58/i,  in-4  ; 
De  Hoinanœ  Ecclesiœ  idololatria,  Oxford,  1096,  in-4,  et  surtout  Cen- 
sura Ubroruin  apocryphorum  Veteris  Testainenli  adoersus  Pontijîcios. 
Oppenheim,  itjii,  2  vol.  iQ-4  (R.  Simon,  Lettres,  t.  IV,  p.  67,  et 
Histoire  critique  du  Vieux  Testament  ;  Ellies  du  Pin,  Bibl.  des  auteurs 
séparés  de  la  communion  romaine,  t.  IV,  p.  563  ;  Anthony  Wood, 
Athense  Oxonienses,  Londres,  i8i3-i8ao,  4  vol.  in-4;  Th.  Fuller, 
Church  History  of  Britain,  Londres,  i655,  in-fol.  ;  National  Biography, 
t.  XLVII).  —  Jean  Gerhard  ([582-i637),  un  des  plus  célèbres  théo- 
logiens de  la  confession  d'Augsbourg,  «  appelé  la  perle  de  l'ortho- 
doxie luthérienne  »  (Tholuck,  Geist  der  lutherischen  Theoloyen. 
p.  5o).  Il  naquit  à  Quediimbourg,  en  Saxe,  fut  professeur  à  léna  de 
1616  à  1637,  date  de  sa  mort.  Il  a  laissé  une  grande  quantité  d'ou- 
vrages, parmi  lesquels  on  cite  ses  commentaires  sur  différents  livres 
de  la  Bible  et  Loci  communes  theobgici,  léna,  1610-1622,  en  9  vol. 
in-fol.  ;  Liber  confessionis  catholi'.se  in  quo  doctrina  catholica  et  evange- 
lica  Ecclesiaram  Aagustanœ  conjessioni  addictarum  ex  Romano-Catho- 
licorum  scriplorum  suffragiis  confirmatur,  léna,  i634-i637,  4  vol. 
iu-4  (Voir  Ellies  Dupin,  op.  cit.,  t.  III;  Adr.  Beier,  Syllabus 
rectorum  et  professorum  Jen.,  1659,  iu-8,  p.  485  ;  Allgemeine  deutsche 
Biographie,  t.  VUI,  p.  767  ;  Erdm.  Rod.  Fischer,  Vita  J.  Gerhardi 
ad  ilLustrandam historiam  ecclesiasl.,  Leipsig,  1723,  in-8;  J  -Fr.  Cotta, 
de  \  ita  scriptisque  auctoris  en  tète  de  son  édition  des  Loci  theologici. 
Tubingue,  1762,  10  vol.  in-4  ',  Tholuck,  Vorgeschichte  des  Rationalis- 


2o8  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

siaslique,  Judith,  Tobie  et  les  Machabées  ont  précédé  la  nais- 
sance de  Notre-Seigneur  -^. 

XXV.  Mais  je  n'accorde  pas  ce  qui  est  dans  le  §  3,  que  le 
concile  de  Trente  les  a  trouvés  dans  le  canon  (le  mot  pris  en 
rigueur)  depuis  douze  cents  ans.  Et  quant  à  la  preuve  conte- 
nue dans  le  §  A,  je  crois  que  je  ferai  voir  clairement  ci-des- 
sous que,  dans  le  concile  III  de  Carthage,  saint  Augustin, 
que  plusieurs  croient  y  avoir  été"^',  et  quelques  autres,  qui 
ont  parlé  quelquefois  comme  eux  et  après  eux,  se  sont  servis 
des  mots  de  canonique  et  de  divin  d'une  manière  plus  géné- 
rale et  dans  une  signification  fort  inférieure,  prenant  cano- 
nique pour  ce  que  les  canons  de  l'Église  autorisent,  et  qui  est 
opposé  à  l'apocryphe  ou  caché,  pris  dans  un  mauvais  sens  ; 
et  divin,  pour  ce  qui  contient  des  instructions  excellentes  sur 
les  choses  divines,  et  qui  est  reconnu  conforme  aux  livres 
immédiatement  divins  ^^. 

XXVI.  Et  puisque  le  même  saint  Augustin  s'explique  fort 
nettement  en  d'autres  endroits,  où  il  marque  précisément, 
après  tant  d'autres,  l'infériorité  de  ces  livres,  je  crois  que  les 
règles  de  la  bonne  interprétation  demandent  que  les  passages 
où  l'on  parle  d'une  manière  plus  vague,  soient  expliqués  par 
ceux  où  l'auteur  s'explique  avec  distinction". 

XXVII.  On  doit  donner  la  même  interprétation  (i<  5),  à  la 
lettre  du  pape  Innocent  I,  écrite  à  Exupère,  évêque  de  ïou- 

nus.   Halle,   i853-i85^,  t.  I;   G.   Franck,   Gcschichte  (1er  Jenaischen 
Theolog.  ;  J.  Janssen  et  L.  Pastor,  L'Allemagne  et  la  Réforme,   tra- 
duction française,  Paris,  t.  Vil,  Paris,  1907,  in-8,  p.  ^540 
20.   Voir  plus  haut,  p.  laôetsuiv. 

31.  Première  rédaction  :  qui  y  a  été  présent,  à  ce  qu'on  croit. 

32.  Cette  distinction  ne  répond  pas  à  la  réalité.  Cf.  la  réponse  de 
Mossuet  dans  sa  lettre  du   17  août  1701,  n"*  xxxvi  à  xi.ix. 

aS.  Saint  Augustin  connaît  les  divergences  entre  les  diverses  Eglises, 
et  en  particulier  les  doutes  de  l'Eglise  orientale  :  De  doctr.  Christ,  II, 
vui,  12;  De  Cioitate  Dei.  XVII,  xx,  i.  Mais  personnellement  il  ne 
varia  jamais  sur  la  valeur  des  livres  deutérocaniques.  Aussi,  dit  Har- 
nack,  Précis  de  l'histoire  des  Dogmes,  p.  i5o,  «  l'opinion  de  sain'/ 
Vugustin  fît  règle  pour  l'Occident  tout  entier  ».  Voir  la  lettre  de 
lîossuet,  du  17  août  1701,  n^^  xxxvii  à  xxxi.x. 


mai  t70o]  DE   BOSSUET.  209 

louse,  en  4o5,  et  au  décret  du  pape  Gélase  ;  leur  but  ayant 
été  de  marquer  les  livres  autorisés  ou  canoniques,  pris  large- 
ment, ou  opposés  aux  apocryphes,  pris  en  un  mauvais  sens, 
puisque  ces  livres  autorisés  se  trouvaient  joints  aux  livres 
véritablement  divins,  et  se  lisaient  aussi  avec  eux  ^*. 

XXVIII.  Cependant  ces  auteurs  ou  canons  n'ont  point 
marqué  ni  pu  marquer  en  aucune  manière,  contre  le  senti- 
ment reçu  alors  dans  l'Église ^•'^,  que  les  livres  contestés  sont 
égaux  à  ceux  qui  sont  incontestablement  canoniques,  ou  du 
premier  degré  ;  et  ils  n'ont  point  parlé  de  celte  infallibilité 
de  l'inspiration  divine,  que  les  Pères  de  Trente  se  sont  hasar- 
dés d'attribuer  à  tous  les  livres  de  la  Bible,  en  haine  seule- 
ment des  protestants  et  contre  la  doctrine  constante  de 
l'Église. 

XXIX.  On  voit  en  cela  un  bel  échantillon  comment  les 
erreurs  prennent  racine  et  se  glissent  dans  les  esprits.  On 
change  premièrement  les  termes  par  une  facilité  innocente 
en  elle-même,  mais  dangereuse  par  la  suite  ;  et  enfin  on 
abuse  de  ces  termes  pour  changer  même  les  sentiments, 
lorsque  les  erreurs  favorisent  les  penchants  populaires,  et  que 
d'autres  passions  y  conspirent. 

XXX.  Je  ne  sais  si,  avec  le  §  6,  on  peut  dire  que  les 
Églises  de  Rome  et  d'Afrique  (favorables  en  apparence, 
comme  on  vient  d'entendre,  aux  livres  contestés)  étaient 
censées,  du  temps  de  saint  Augustin,  doctiores  et  diligenliores 
Ëcclesiœ  ;  et  que  saint  Augustin  les  a  eues  en  vue,  livre  II, 
chapitre  xv,  de  Doctrina  christiana,  en  disant  que,  lorsqu'il 
s'agit  d'estimer  l'autorité  des  Livres  sacrés,  il  faut  préférer 
ceux  qui  sont  approuvés  par  les  Églises  où  il  y  a  plus  de  doc- 
trine et  plus  d'exactitude. 

XXXI.  Car  les  Africains  étaient  à  l'extrémité  de  l'Empire, 
et  n'avaient  leur  doctrine  ou  érudition  que  des  Latins,  qui 
ne  l'avaient  eux-mêmes  que  des  Grecs.   Ainsi  on  peut  bien 

24.  Cf.  Ibid,,  n^"  XXXIII  et  xxxiv. 

25.  Ils  n'ont  point  parlé  contre  le  sentiment  traditionnel  et  la  pra- 
tique générale  de  l'Eglise.  Voir  plus  bas,  p.  2/49. 

XII  —    lA 


2  10  GO  nui:  S  POND  AN  CE  [mai  1700 

assurer  que  doctiores  Ecdesiœ  n'étaient  pas  la  romaine  ni  les 
autres  Eglises  occidentales,  et  encore  moins  celles  d'Afrique. 

XXXII.  L'on  sait  que  les  Pères  latins  de  ce  temps  n'étaient 
ordinairement  que  des  copistes  des  auteurs  grecs,  surtout 
quand  il  s'agissait  de  la  sainte  Écriture.  Il  n'y  a  eu  que  saint 
Hiérôme  et  saint  Augustin,  à  la  lin,  qui  aient  mérité  d'être 
exceptés  de  la  rrgle,  l'un  par  son  érudition,  l'autre  par  son 
esprit  pénétrant. 

XXXIII.  Amsi  l'Église  grecque  l'emportait  sans  doute  du 
côté  de  l'érudition  ;  et  je  ne  crois  pas  non  plus  que  l'Église 
romaine  de  ce  temps-là  puisse  être  comptée  inler  Ecclesias 
diligentiores.  Le  faste  mondain  Qyphus  sœculi),  le  luxe  et  la 
vanité  y  ont  régné  de  bonne  heure,  comme  l'on  voit  par  le 
témoignage  d'Ammien  Marcellin,  païen *^,  qui,  en  blâmatil 
ce  qui  se  Taisait  alors  à  Rome,  rend  en  même  temps  un  bon 
témoignage  aux  Églises  éloignées  des  grandes  \illes  ;  ce  qui 
marque  son  équité  sur  ce  point. 

XXXIV.  Cette  vanité,  jointe  au  mépris  des  études  (excepte 
celle  de  l'éloquence),  n'était  guère  propre  à  rendre  les  gens 
diligents  et  industrieux.  Il  n'y  a  presque  point  d'auleur  latin 
d'alors  qui  ait  écrit  quelque  chose  de  tolérable  sur  les 
sciences,  surtout  de  son  chef.  La  jurisprudence  même,  qui 
était  la  véritable  science  des  Romains,  et  presque  la  seule, 
avec  celle  de  la  guerre,  où  ils  aient  excellé,  suivant  ce  bon 
mot  de  Virgile  : 

Tu  regere  imperio  populos,   Romane,    mémento  : 
Hpe  tibi  erunt  artes  (/Eneid.  '^''), 

était  tombée,  aussi  bien  que  l'art  militaire,  avec  la  transla- 
tion du  siège  de  l'Empire.  On  négligeait  à  Rome  l'histoire 
ecclésiastique  et  les  anciens  monuments  de  l'Église  ;  et,  sans 
Eusèbe  et  quelques  autres  Grecs,  nous  n'en  aurions  pres(|ne 
rien.  Ainsi,  avant  l'irruption  des  Barbares,  la  barbarie  étail 
à  demi  formée  dans  l'Occident. 

XXXV.  Cette  ignorance,  jointe  à  la  vanité,  faisait  que  la 

36.  Lib.  XXVII,  cap.  ni. 
27.  Lib.  VI,  V.  85i  et  852. 


mai  1700J  DE   BOSSUET.  211 

«iiporstition  (vice  des  femmes  et  des  riches  ignorants,  aussi 
l)ien  que  la  vanité)  prenait  peu  à  peu  le  dessus,  et  qu'on 
donna  par  après,  en  Italie  principalement,  dans  les  excès  sur 
le  culle  surtout  des  images,  lorsque  la  Grèce  balançait  encore, 
et  que  les  Gaules,  la  Germanie  et  la  Grande-Bretagne  étaient 
les  plus  exemptes  de  cette  corruption.  On  reçut  la  mauvaise 
marchandise  d'un  Isidorus  Mercator -''  ;  et  on  tomba  enfin 
on  Occident  dans  une  barbarie  de  théologie,  pire  que  la  bar- 
barie qui  y  était  déjà  à  l'égard  des  mœurs  et  des  arts. 

XXXVI.  Encore  présentement,  s'il  s'agissait  de  marquer 
dans  votre  communion,  Ecclesias  docliores  et  diligentiores,  il 
faudrait  nommer  sans  doute  celles  de  France  et  des  Pays- 
Bas,  et  non  pas  celles  d'Italie;  tant  il  est  vrai  qu'on  s'était 
relâché  depuis  longtemps  à  Rome  et  aux  environs  à  l'égard 
de  l'érudition  et  de  l'application  aux  vérités  solides.  Ce 
défaut  des  Romains  n'empêche  point  cependant  que  cette 
capitale  n'ait  eu  la  primatie  et  la  direction  dans  l'Église, 
après  celle  qu'elle  avait  eue  dans  l'Empire.  L'érudition  et 
1  autorité  sont  des  choses  qui  ne  se  trouvent  pas  toujours 
jointes,  non  plus  que  la  fortune  et  le  mérite. 

XXXVII.  Mais,  quand  on  accorderait  que  saint  Augustin 
avait  voulu  parler  des  Églises  de  Rome  et  d'Afrique,  j'ai  déjà 
fait  voir  que  ces  Églises  ne  nous  étaient  point  contraires  ; 
et  de  plus,  saint  Augustin  ne  parlait  pas  alors  des  livres  véri- 
tablement canoniques,  dont  l'autorité  ne  dépend  pas  de  si 
faibles  preuves. 

28.  L'auteur  qui  se  caclie  sons  ce  nom  énigmatique  vivait  au 
ix«  siècle.  Il  composa  vers  85o  un  recueil  de  décrétâtes  qui  a  long- 
temps fait  loi,  mais  dont  l'autlienticité  n'est  plus  admise.  Ces  fausses 
décrétâtes  ont  été  combattues,  à  partir  du  xv«  siècle,  non  seulement 
par  les  protestants,  mais  encore  par  des  catholiques,  soit  gallicans, 
soit  ultramontains,  tels  que  Nicolas  de  Cusa,  Baronius,  Bellarmin, 
Bona,  etc.  A  partir  du  xvii»  siècle,  ce  recueil  perdit  toute  autorité 
(Voir  D.  Blondel,  Pseudo-Isidorus  et  Turrianus  vapulantes,  Genève, 
1638,  in-A  ;  les  articles  de  P.  Fournier,  dans  le  Dictionnaire  apologé- 
tique de  la  foi  catholique  d'A.  d'Alès,  Paris,  191 1,  t.  1,  col.  QoS- 
910,  et  d'Ant.  Villien,  dans  le  Dictionnaire  de  Théologie  de  Vacant- 
Mangenot,  Paris,  191 1,  t.  IV,  col.  212-222). 


212  CORRESPOiNDANGE  [mai  1700 

XXXVIII.  Poui-ce  qui  est  dit  de  l'autorité  de  saint  Augus- 
tin (^  7),  j'ai  déjà  répondu,  comme  aussi  au  texte  du  con- 
cile de  Carthage  (§  8)  ;  mais  je  le  ferai  encore  plus  distincte- 
ment en  son  lieu,  c'est-à-dire  dans  la  lettre  suivante.  H  est 
vrai  aussi  (§  9),  que  saint  Augustin  ayant  cité  contre  les 
pélagiens  ce  passage  de  la  Sagesse  :  Il  a  été  enlevé  de  la  vie, 
de  crainte  que  la  malice  ne  corrompît  son  esprit-^,  et  que  des 
prêtres  de  Marseille  ayant  trouvé  étrange  qu'il  eût  employé 
un  livre  non  canonique  dans  une  matière  de  controverse,  il 
défendit  sa  citation  ;  mais  je  ferai  voir  plus  bas  que  son  sen- 
timent n'était  pas  éloigné  du  nôtre  dans  le  fond. 

XXXIX.  Et  quant  aux  citations  de  ces  livres  qui  se  trou- 
vent chez  Clément  Alexandrin,  Origène,  saint  Cyprien  et 
autres  (§  10  et  11),  elles  ne  prouvent  point  ce  qui  est  en 
question  :  les  protestants  en  usent  de  même  bien  souvent. 
Saint  Cyprien,  saint  Ambroise  et  le  canon  de  la  messe  ont 
cité  le  quatrième  livre  d'Esdras,  qui  n'est  pas  même  dans 
votre  canon  ;  et  le  livre  du  Pasteur  a  été  cité  par  Origène  et 
par  le  grand  concile  de  Nicée^",  sans  parler  d'autres;  et  s'il 
y  a  des  allusions  secrètes  que  l'Évangile  fait  aux  sentences  des 
livres  contestés  entre  nous  (§  i4),  peut-être  en  pourra-t-on 
trouver  qui  se  rapportent  encore  au  quatrième  livre  d'Esdras, 
sans  parler  de  la  prophétie  d'Enoch  citée  dans  l'Épître  de 
saint  Juda^''. 

XL.  Il  est  sûr  qu'Origène  a  mis  expressément  les  livres 
contestés  hors  du  canon  ;  et  s'il  a  été  plus  favorable  aux  frag- 

39.  De  Prœdestinat.  sancAor..  cap.  xiv,  28  [P.  L.,  t.  XLIV,  col. 
980].  CF.  lettre  du  17  août  1701,  n"  XLI. 

3o.  Origen.,  Homil.  VIII  in  Numéros  ;  X  in  Josuam  ;  Comment- 
in  Ose,  cap.  viii  ;  in  Matlh.,  cap.  xxiv,  82,  ^2,  etc.  [P.  G.,  t.  XII, 
col.  62a  et  1880;  t.  XIII,  col.  628,  i683  et  1693,  etc.].  Mais  ce 
Père  avoue  que  ce  livre  ne  passe  pas  aux  yeux  de  tous  pour  une  Ecri- 
ture inspirt^e,  et  que  plusieurs  même  n'en  font  point  de  cas:  Comment. 
inMalth..  XIV,  ai  ;  De  prlncip.,  IV,  11  [P.  G.,  t.  XIII,  col.  ia4o, 
t.  XI,  col.  365J.  —  Saint  Athanase  dit  des  Pères  du  Concile  de  Nicée 
au  sujet  du  Pasteur  :  Librum  hune  citant,  quamvis  non  sit  ex  canone. 
{De  decrelis  Nicœnœ  Synodi.  18,  P.  G.,  t.  XXV,  col.  456). 

3i.  Jud.,  V,  i4.  * 


mai  1700]  ,    DE   BOSSUET.  2l3 

ments  de  Daniel  dans  une  lettre  écrite  à  Julius  Africanus 
(que  vous  m'apprenez,  §  12,  avoir  été  publiée  depuis  peu  en 
i:rec),  c'est  quelque  chose  de  particulier. 

\LI.  Vous  reconnaissez,  Monseigneur  (§  i3,  i5),que  plu- 
sieurs Églises  et  plusieurs  savants,  comme  saint  Jérôme,  par 
exemple,  ne  voulaient  point  recevoir  ces  livres  pour  établir 
les  dogmes  ;  mais  vous  dites  que  leur  avis  particulier  n'a  point 
été  suivi.  Je  montrerai  bientôt  que  leur  doctrine  là-dessus 
était  reçue  dans  l'Église  ;  mais  quand  cela  n'aurait  point  été, 
il  suffirait  que  des  Églises  entières  et  des  Pères  très  estimés 
ont  été  d'un  sentiment,  pour  en  conclure  que  le  contraire  ne 
pouvait  être  cru  de  foi  de  leur  temps,  et  ne  le  saurait  être 
encore  présentement,  à  moins  qu'on  n'accorde  à  l'Église  le 
pouvoir  d'en  établir  de  nouveaux  articles. 

XLII.  Mais  vous  objectez  (§  i5),  que  par  la  même  raison 
on  pourrait  encore  combattre  Taulorilé  de  l'Épître  aux 
Hébreux  et  de  l'Apocalypse  de  saint  Jean  ;  et  qu'ainsi  il  fau- 
dra que  je  reconnaisse  aussi,  ou  que  leur  canonicité^^  n'est 
point  de  foi,  ou  qu'il  y  a  des  articles  de  foi  qui  ne  l'ont  pas 
été  toujours.  Il  y  a  plusieurs  choses  à  répondre.  Car  premiè- 
rement les  protestants  ne  demandent  pas  que  les  vérités  de 
foi  aient  toujours  prévalu,  ou  qu'elles  aient  toujours  élé 
reçues  généralement  ;  et  puis  il  y  a  bien  de  la  dilférence 
aussi  entre  la  doctrine  constante  de  l'Église  ancienne,  con- 
traire à  la  pleine  autorité  des  livres  de  l'Ancien  Testament 
qui  sont  hors  du  canon  des  Hébreux,  et  entre  les  doutes  par- 
ticuliers que  quelques-uns  ont  formés  contre  l'Épître  aux 
Hébreux,  ou  contre  l'Apocalypse  ;  outre  qu'on  peut  nier 
qu'elles  sont  de  saint  Paul  ou  de  saint  Jean,  sans  nier  qu'elles 
sont  divines. 

XLIII.  Mais  quand  on  accorderait  chez  nous  qu'on  n'est 
pas  obligé,  sous  anathème^^,  de  reconnaître  ces  deux  livres 
pour  divins  et  infallibles,  il  n'y  aurait  pas  grand  mal.  Le 
moins  d'anathèmes  qu'on  peut,  c'est  le  meilleur. 

32.  Edit.   :  autorité. 

33.  Edit.   :  sous  peine  d'anathème. 


2l4  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

XLIV.  Vous  essayez  dans  le  même  endroit  (§  i5),  de  don- 
ner une  solution  conforme  à  vos  principes;  mais  il  semble 
qu'elle  les  renverse  en  partie.  Après  avoir  dit,  par  forme 
d'objection  contre  vous-même,  que  du  moins  cette  tradition 
n'était  pas  universelle,  puisque  de  très  grands  docteurs  et  des 
Eglises  entières  ne  Vont  pas  connue,  vous  répondez  qu''une  nou- 
uelle  reconnaissance  de  quelque  livre  canonique,  dont  quelques- 
uns  auront  douté,  ne  déroge  point  à  la  perpétuité  de  la  tradition, 
qui  do't  être  la  marque  de  la  vérité  catholique,  laquelle  (dites- 
vous),  pour  être  constante  et  perpétuelle,  ne  laisse  pas  d'avoir 
ses  progrès.  Elle  est  connue  en  un  lieu  plus  qu'en  un  autre,  plus 
clairement,  plus  distinctement,  plus  universellement.  Il  suffit, 
pour  établir  la  succession  et  la  perpétuité  de  la  foi  d'un  livre  saint, 
comme  de  toute  autre  vérité,  qu'elle  soit  toujours  reconnue,  quelle 
le  soit  dans  le  plus  grand  nombre  sans  comparaison,  quelle 
le  soit  dans  les  Eglises  les  plus  éminentes  et  les  plus  autorisées, 
les  plus  révérées,  qu'elle  s'y  soutienne,  quelle  gigae  et  qu'elle 
se  répande  d'elle-même  jusqu'au  temps  que  le  Saint-Esprit,  la 
force  de  la  tradition,  le  goût,  non  celui  des  particuliers,  mais 
l'universel  de  l Église,  la  fasse  enfin  prévaloir,  comme  elle  a  fait 
au  concile  de  Trente. 

XLV.  J'ai  été  bien  aise,  Monseigneur,  de  répéter  tout  au 
long  vos  propres  paroles.  Il  n'était  pas  possible  de  donner  un 
meilleur  tour  à  la  chose.  Cependant  où  demeurent  mainte- 
nant ces  grandes  et  magnifiques  promesses  qu'on  a  coutume 
de  faire  du  toujours  et  partout,  semper  et  ubique,  apparte- 
nant aux  vérités^*  qu'on  appelle  catholiques,  et  ce  que  vous 
aviez  dit  vous-même  ci-dessus,  que  la  règle  infallible  des 
vérités  de  la  foi  est  le  consentement  unanime  et  perpétuel  de 
toute  l'Église?  Le  toujours  ou  la  perpétuité  se  peut  sauver  en 
quelque  façon  et  à  moitié,  comme  je  vais  dire  ;  mais  le  par- 
tout ou  Vunanime  ne  saurait  subsister,  suivant  votre  propre 
aveu. 

XLVI.  Je  ne  parle  pas  d'une  unanimité  parfaite  ;  car 
j'avoue    que   l'exception   des   sentiments  extraordinaire  de 

34-   Édit.  :  des  vérités. 


mai  1700]  DE  BOSSUET.  2l5 

([uelques  particuliers  ne  déroge  point  à  celle  dont  il  s'agit  ; 
mais  \e  parle  d'une  unanimité  d'autorité,  à  laquelle  déroge  le 
tombal  d'autorité  contre  autorité,  quand  on  peut  opposer 
Églises  à  Eglises,  et  des  docteurs  accrédités  les  uns  aux  autres, 
surtout  lorsque  ces  Églises  et  ces  docteurs  ne  se  blâmaient 
[loint  pour  être  de  dilTérente  opinion,  et  ne  se  contestaient 
rien  et  ne  disputaient^^  pas  même  :  ce  qui  paraît  une  marque 
oortaine,  ou  qu'on  tenait  la  question  pour  problématique  et 
nullement  de  foi,  ou  qu'on  était  dans  le  fond  du  même  sen- 
timent, comme  en  effet  saint  Augustin  (à  mon  avis)  n'était 
point  d'un  autie  sentiment  que  saint  Jérôme. 

XL  Vil.  Or,  ce  que  nous  venons  de  dire  étant  vrai,  la  per- 
pétuité même  reçoit  une  atteinte.  Car  elle  subsiste,  à  la  vérité, 
à  l'égard  du  dogme  considéré  comme  une  doctrine  humaine, 
mais  non  pas  à  l'égard  de  sa  qualité,  pour  être  cru  un  article 
de  la  foi  divine^".  Et  il  n'est  pas  possible  de  concevoir  com- 
ment la  tradition  continuelle  sur  un  dogme  de  foi  puisse 
être  plus  claire,  onze  ou  douze  siècles  après,  qu'elle  n'était 
dans  le  troisième  ou  quatrième  siècle  de  l'Église,  puisqu'un 
siècle  ne  la  peut  recevoir  que  de  tous  les  siècles  pré- 
cédents. 

XLVlll.  Il  se  peut,  je  l'avoue,  que  quelquefois  elle  se  con- 
serve tacitement,  sans  qu'on  s'avise  d'v  prendre  garde  ou  d'en 
parler  ;  mais,  quand  une  question  est  traitée  expressément, 
en  simple  problème,  entre  les  Églises  et  entre  les  principaux 
docteurs,  il  n'est  plus  soutenable  qu'elle  a  été  enseignée  alors 
comme  un  article  de  foi  connu  par  une  tradition  apostolique. 
Une  doctrine  peut  avoir  pour  elle  plus  d'Églises  et  plus  de 
docteurs,  ou  des  Églises  plus  révérées  et  des  docteurs  plus 
estimés  ;  cela  la  rendra  plus  considérable,  mais  l'opinion  con- 
traire ne  laissera  pas  d'être  considérable  aussi,  et  elle  sera 
hors  d'atteinte,  au  moins  pour  lors  et  selon  la  mesure  de  la 
révélation  qu'il  y  a  alors  dans  l'Église,  et  même  absolument, 
si  l'on  exclut  les  nouvelles  révélations    ou  inspirations    en 

35.  Edit.  :  et  ne  contestaient  et  ne  disputaient. 

36.  Edit.  :  pour  être  crue  un  article  de  foi  divine. 


2l6  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

matière  de  foi.  Car  toutes  ces  Églises,  quoique  partagées  sur 
la  question,  convenaient  alors  qu'il  n'y  a  aucune  révélation 
divine  là-dessus,  puisque  même  les  Églises  qui  étaient  les 
plus  révérées  et  que  vous  faites  contraires  à  d'autres,  non  seu- 
lement n'exerçaient  point  de  censure  contre  les  autres  et  ne 
les  blâmaient  point,  mais  ne  travaillaient  pas  même  à  les 
désabuser,  quoiqu'elles  sussent  bien  leur  sentiment,  qui  était 
public  et  notoire. 

\L1X.  De  sorte  que,  si  une  doctrine  combattue  par  des 
autorités  si  considérables  et  reconnue  dans  un  temps  pour 
n'èlre  pas  de  loi,  se  soutient  pourtant,  se  répand  et  gagne  enfin 
le  dessus  de  telle  sorte  que  le  Saint-Esprit  et  le  goût  présent 
unioersel  de  l'Eglise  la  font  prévaloir  jusqu'à  être  déclarée 
eniin  article  de  loi  par  une  décision  légitime,  il  faut  dire  que 
c'est  par  une  révélation  nouvelle  du  Saint-Esprit,  dont  l'assis- 
tance inlallible  lait  naître  et  gouverne  ce  goût  universel  et  les 
décisions  des  conciles  œcuméniques,  ce  qui  est  contre  votre 
syslèiiie. 

L.  J'ai  parlé  ici  suivant  votre  supposition,  que  les  livres 
en  question  ont  eu  pour  eux  la  plus  grande  partie  des  chré- 
tiens et  les  plus  considérables  Églises  et  docteurs  ;  mais,  en 
eÛet,  je  cruis  que  c'était  tout  le  contraire,  ce  qui  ne  s'accom- 
mode pas  avec  le  principe  du  grand  nombre,  sur  lequel  certains 
auteurs  ont  voulu  fonder  depuis  peu  la  perpétuité  de  leur 
croyance,  contre  le  sentiment  des  antérieurs,  tels  qu'Alphon- 
sus  Tostatus''',  qui  a  dit  (^Ad prol.  Il  in  Matt.,  q.   4)  :  Manel 

'6-].  T.  X,  p.  35.  Sa  pensée  s'éclaire  de  la  comparaison  qu'il  fait 
de  l'Eglise  avec  un  corps.  11  dit  qu'une  partie  considérable  pourrait 
être  relraiicliée,  comme  il  arriva  au  temps  de  l'arianisme,  sans  que  l;i 
partie  uuie  avec  la  tète  cessât  d'être  l'Eglise  catholique.  —  Alionso 
Tostado  (i4oo-i4ô5),  théologien  espagnol,  à  la  fois  versé  dans  la 
connaissance  des  langues  sacrées  et  dans  les  sciences  prolanes  fut 
un  prodige  d'érudition  selon  Sclieeben,  la  Dogmatique,  trad.  Bélet, 
Pans,  1O77,  t.  1,  n°  1070.  Après  avoir  été  député  au  concile  de 
Bàle,  il  lut  évéque  d'Avila,  membre  du  Conseil  rojal  de  Castille  el 
grand  réléiendaue.  Ses  commentaires  sur  la  Bible,  imprimés  d'à' »rd 
à  \  enise  par  les  soins  du  cardinal  Ximénès,  ont  eu  plusieurs  éditions, 
dont  la   meilleure  est  celle  de  Venise,   1696,    i3    vol.    in-fol.   (Voir 


mai  1700]  DE    BOSSUET.  217 

Ecclesia  universalis  in  pnrlibus  illis  quse  non  errant,  sive  illse 
sinl  plures  numéro  quam  errantes,  swe  non  ;  où  il  suppose  que 
le  plus  grand  nombre  peut  tomber  dans  l'erreur. 

Li.  Mais  il  y  a  plus  ici  ;  et  nous  verrons  par  après,  dans  la 
lettre  suivante,  que  non  seulement  la  plupart  et  les  plus 
considérables,  mais  tous  en  effet  étaient  du  sentiment  des 
protestants,  qui  pouvait  passer  alors  pour  œcuménique. 

LII.  Il  est  vrai,  suivant  votre  §  16,  que  ces  livres  ont  tou- 
jours été  lus  dans  les  Kglises,  tout  comme  les  livres  véritable- 
ment divins  ;  mais  cela  ne  prouve  pas  qu'ils  étaient  du  même 
rang.  On  lit  des  prières  et  on  chante  des  hymnes  dans 
l'église,  sans  égaler  ces  prières  et  ces  hymnes  aux  Evangiles 
et  aux  Épîtres.  Cependant  j'avoue  que  ces  livres  que  vous 
recevez  ont  eu  ce  grand  avantage  sur  quelques  autres  livres, 
comme  sur  celui  du  Pasteur  et  sur  les  épîtres  de  Clément 
aux  Corinthiens^*,  qu'ils  ont  été  lus  dans  toutes  les  Églises, 
au  lieu  que  ceux-ci  n'ont  été  lus  que  dans  quelques-unes  : 
et  c'est  ce  qui  parait  avoir  été  entendu  et  considéré  par  ces 
anciens,  qui  ont  enfin  canonisé  ces  livres,  qu'ils  trouvaient 
autorisés  universellement  ;  et  c'est  à  quoi  saint  Augustin 
parait  avoir  butté ^',  en  voulant  qu'on  estime  davantage  les 
livres  reçus  apud  Ecclesias  doctiores  et  diUgentiores  ""^ . 

LUI.  Peut-être  pourrait-on  encore  dire  qu'il  en  est,  en 
quelque  façon,  comme  de  la  version  Vulgate,  que  votre 
Église  tient  pour  authentique  et  (pour  ainsi  dire)  canonique, 
c'est  à-dire  pour  autorisée  par  vos  canons;  mais  je  ne  crois 
pas  qu'on  pense  lui  donner  une  autorité  divine  infallible, 
égale  à  celle  de  l'original*',  comme  si  elle  avait  été  inspirée. 

Richard  Simon,  Histoire  critique  du  Vieux  Testament,  1.  III,  ch.  xii  ; 
Nie.  Antonio,  Bibliolheca  velus,  t.  II,  p.  255;  Ellies  du  Pin,  His- 
toire des  controverses  et  des  matières  ecclésiastiques  traitées  dans  le 
XV^  siècle,  t.  1,  p.  3i3;  Hurler,  Aomenclalor  literarius,  t.  II,  col.  918). 

38.  Édit.  :  aux  Corinlliiens  et  autres.  Les  mots  et  autres  sont  ra- 
turés en  C 

39.  C'est-à-dire  :  telle  paraît  avoir  été  l'intention  de  saint  Augustin . 

40.  Les  mots  :  apud  Ecclesias.  etc.,  sont  raturés  en  C. 

/il.  Édit.  :  à  l'égard  de  l'original.    —   La   pensée   de   l'Eglise  est 


2l8  CORRESPONDANCE  [mai  1 700 

En  la  faisant  authentique,  on  déclare  que  c'est  un  livre  sûr 
et  utile  ;  mais  non  pas  qu'elle  est  d'une  autorité  infaliible 
pour  la  preuve  des  dogmes,  non  plus  que  les  livres  qu'on 
avait  mêlés  parmi  ceux  de  la  sainte  Écriture  divinement 
inspirée. 

LIV.  Il  ne  paraît  pas  (ju'on  peut  concilier  les  anciens  qui 
semblent  se  contrarier  sur  notre  question,  en  disant  (avec  le 
§  16),  que  ceux  qui  mettent  les  livres  de  Judith,  de  Tobie, 
des  Machabées,etc.,  hors  du  canon,  l'entendent  seulement  du 
canon  des  Hébreux,  et  non  pas  du  canon  des  chrétiens.  Car 
ces  auteurs  marquent  en  termes  formels  que  l'Eglise  chré- 
tienne ne  reçoit  rien  du  Vieux  Testament  dans  son  canon, 
que  l'Eglise  du  Vieux  Testament  n'ait  déjà  reçu  dans  le  sien. 
J'en  apporterai  les  passages  dans  la  lettre  suivante. 

LV.  Il  faut  donc  recourir  à  la  conciliation  expliquée  ci- 
dessus,  savoir,  que  ceux  qui  ont  reçu  ces  livres  dans  le  canon, 
l'ont  entendu  d'un  degré  inférieur  de  canonicilé  :  et  cette 
conciliation,  outre  qu'elle  peut  seule  avoir  lieu  et  est  fondée 
en  raison,  est  encore  rendue  incontestable  parce  que 
quelques-uns  de  ces  mêmes  auteurs  s'expliquent  ainsi» 
comme  je  ferai  encore  voir. 

LVI.  Je  croirai  volontiers,  sur  la  foi  de  saint  Jérôme,  que 
le  grand  concile  de  Nicée  a  parlé  avantageusement  du  livre 
de  Judith  ;  mais,  dans  le  même  concile,  on  a  encore  cité  le 
livre  du  Pasteur  d'Hermas,  qui  n'était  guère  moins  estimé 
par  plusieurs  que  celui  de  Judith.  Le  cardinal  Baronius^-, 
trompé  par  le  passage  de  saint  Jérôme,  crut  que  le  concile  de 
Nicée  avait  dressé  un  canon  pour  le  dénombrement  des 
saintes  Écritures,  où  le  livre  de  Judith  s'était  trouvé  ;  mais 
il  se  rétracta  dans  une  autre  édition,  et  reconnut  que  ce  ne 
devait  avoir  été  qu'une  citation  de  ce  livre. 

LVII.  Au  reste,,  vous   soutenez  vous-même.  Monseigneur 


bien  de  lui   reconnaître  cette  autorité,  en  ce  sens  que  la  Vuljjate  ne 
contient  rien  de  faux  in  doclrina  Jïdei  et  morum  et  qu'elle  exprime  jl 
fidèlement  la  substance  du  texte  sacré. 

'l2.    Baronius,  ad  annum  325,  cap.  i:lviii. 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  219 

(§  18),  que  les  Églises  de  ces  siècles  reculés  étaient  partagées 
sur  l'autorité  des  livres  de  la  Bible,  sans  que  cela  les  empêchai 
de  concourir  dans  la  même  théologie  ;  et  vous  jugez  bien  que 
nette  remarque  plaira  à  Monseigneur  le  Duc,  comme  en  ellet 
rien  ne  lui  saurait  plaire  davantage  que  ce  qui  marque  de  la 
modération.  Ils  avaient  raison  aussi,  puisqu'ils  reconnais- 
saient, comme  vous  remarquez  (§  19),  que  cette  diversité  du 
canon  (mais  qui,  à  mon  avis,  n'était  qu'apparente)  ne  faisait 
naître  aucune  diversité  dans  la  foi  ni  dans  les  mœurs.  Or  je 
crois  qu'on  peut  dire  qu'encore  à  présent  la  diversité  du 
canon  de  vos  Églises  et  de  la  nôtre  ne  fait  aucune  diversité  des 
dogmes.  Et  comme  nous  nous  servirions  de  vos  versions  et 
vous  des  nôtres  en  un  besoin,  nous  pourrions  bien  en  user 
de  même,  sans  rien  hasarder,  à  l'égard  des  livres  apocryphes 
que  vous  avez  canonisés.  Donc  il  semble  que  l'assemblée  de 
Trente  aurait  bien  fait  d'imiter  cette  sagesse  et  cette  modéra- 
tion des  anciens,  que  vous  recommandez. 

LVIII.  J'avoue  aussi,  suivant  ce  qui  est  dit  §  'io,  que  non 
seulement  la  connai-^sance  du  canon,  mais  même  de  toute 
l'Écriture  sainte,  n'est  point  nécessaire  absolument  ;  qu'il  y  a 
des  peuples  sans  l'Écriture*^,  et  que  l'enseignement  oral  ou 
la  tradition  peut  suppléer  à  son  défaut.  Mais  il  faut  avouer 
aus-i  que,  sans  une  assistance  tonte  particulière  de  Dieu,  les 
traditions  de  bouche  ne  sauraient  aller  dans  des  siècles  éloi- 
gnés sans  se  perdre  ou  sans  se  corrompre  étrangement, 
comme  les  exemples  de  toutes  les  traditions  qui  regardent 
l'histoire  profane,  et  les  lois  et  coutumes  des  peuples,  et 
même  les  arts  et  sciences,  le  montrent  incontestablement. 

Ainsi  la  Providence,  se  servant  ordinairement  des  moyens 
naturels  et  n'augmentant  pas  les  miracles  sans  raison,  n'a 
pas  manqué  de  se  servir  de  l'Écriture  sainte,  comme  du 
moyen  plus  propre  à  garantir  la  pureté  de  la  religion  contre 
les  corruptions  des  temps  ;  et  les  anathèmes  prononcés  dans 
l'Écriture  même  contre  ceux  qui  y  ajoutent  ou  qui  en  relian- 
chent,  en  font  encore  voir  l'importance,  et  le  soin  qu'on  doit 

'|3.    Edit.  :  sans  Ecriture. 


220  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

prendre  à  ne  rien  admettre  dans  le  canon  principal,  qui  n'y 
ait  été  d'abord.  C'est  pourquoi,  s'il  y  avait  des  analhèmes  à 
prononcer  sur  cette  matière,  il  semble  que  ce  serait  à  nous  de 
le  faire,  avec  bien  plus  de  raison  que  les  Grecs  n'en  avaient 
de  censurer  les  Latins,  pour  avoir  ajouté  leur  Filioque  dans 
le  Symbole. 

LIX.  Mais  comme  nous  sommes  plus  modérés,  au  lieu 
d'imiter  ceux  qui  portent  tout  aux  extrémités,  nous  les  blâ- 
mons ;  et  par  conséquent  nous  sommes  en  droit  de  deman 
der,  comme  vous  faites  enfin  vous-même  (§  21),  pourquoi  le 
concile  de  Trente  n'a  pas  laissé  sur  ce  point  la  même  liberté  que 
Von  avait  autrefois,  et  pourquoi  il  a  défendu  sous  peine  d^ana  - 
thème  de  recevoir  un  autre  canon  que  celui  qu'il  propose 
(Sess.  IV).  Nous  pourrions  même  demander  comment  celle 
assemblée  a  osé  condamner  la  doctrine  constante  de  l'anti- 
quité chrétiefme.  Mais  voyons  ce  que  vous  direz  au  moins  à 
votre  propre  demande. 

LX.  La  réponse  est  (§  ai)  que  l'Ëglise  romaine,  avec  tout 
l'Occident,  était  en  possession  du  canon  approuvé  à  Trente 
depuis  douze  cents  ans,  et  même  depuis  l'origine  du  cbristia- 
nisme,  et  ne  devait  point  se  laisser  troubler  dans  sa  posses- 
sion sans  se  maintenir  par  des  anathèmes.  11  n'y  aurait  rien 
à  répliquer  à  celte  réponse,  si  cette  même  Église  avait  été 
depuis  tant  de  temps  en  possession  de  ce  canon  comme  cer- 
tain et  de  loi  ;  mais  c'était  tout  le  contraire  :  et  si,  selon 
votre  propre  sentiment,  l'Église  était  autrefois  en  liberté  là- 
dessus,  comme  en  elTet  rien  ne  l'avait**  encore  fait  perdre 
cette  liberté,  les  protestants  étaient  en  droit  de  s'y  maintenir 
avec  l'Église,  et  d'interrompre  une  manière  d'usurpation  con- 
traire, qui  entin  pouvait  dégénérer  en  servitude  et  faire 
oublier  l'ancienne  doctrine,  comme  il  n'est  arrivé  que  trop. 
Mais,  qui  plus  est,  il  y  avait  non  seulement  une  faculté  libre, 
mais  même  une  obligation  ou  nécessité  de  séparer  les  livres 
ecclésiastiques  des  livres  divinement  inspirés  :  et  ce  que  les 
protestants  faisaient  n'était  pas  seulement  pour  maintenir  la 

4/».    Edit.   :  ne  lui  avait. 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  221 

liberté  et  le  droit  de  faire  une  distinction  juste  et  légitime 
entre  ces  livres,  mais  encore  pour  maintenir  ce  qui  est  du 
devoir  et  pour  empêcher  une  confusion  illégitime. 

LXI.  Mais  vous  ajoutez  (§  22)  qu'il  n'est  rien  arrivé  ici  que 
f.e  que  l'on  a  vu  arriver  à  toutes  les  autres  vérités,  qui  est 
d'être  déclarées  plus  expressément,  plus  authentiquement,  plus 
fortement  par  le  jugement  de  l'Église  catholique,  lorsqu'elles  ont 
été  plus  ouvertement  et  plus  opiniâtrement  contredites.  Mais  les 
protestants  ont-ils  marqué  leur  sentiment  plus  ouvertement, 
ou  plutôt  est-il  possible  de  le  marquer  plus  ouvertement  et 
plus  fortement  que  de  la  manière  que  l'ont  fait  saint  Méli- 
ton,  évêque  de  Sardes,  et  Origène,  et  Eusèbe,  qui  rapporte 
et  approuve  les  autorités  de  ces  deux  ;  et  saint  Alhanase,  et 
saint  Cyrille  de  Jérusalem,  et  saint  Epiphane,  et  saint  Ghry- 
sostome,  et  le  synode  de  Laodicée,  et  Amphilochius,  et 
RuGn,  et  saint  Jérôme,  qui  a  mis  un  gardien  ou  suisse  armé 
d'un  casque  à  la  tête  des  livres  canoniques?  C'est  son  Prolo- 
gas  gnleatus''^,  a  qui  il  dit  avoir  donné  ce  nom  exprès  pour 
empêcher  les  livres  apocryphes  et  les  ecclésiastiques  de  se 
fourrer  parmi  eux.  Et  après  cela,  est-il  possible  d'accuser  les 
protestants  d'opiniâtreté?  ou  plutôt  est-il  possible  de  ne  pas 
accuser  d'opiniâtreté  et  de  quelque  chose  de  pis  ceux  qui,  à 
la  faveur  de  quelques  termes  équivoques  de  certains  anciens, 
ont  eu  la  hardiesse  d'établir  dans  l'Église  une  doctrine  nou- 
velle et  entièrement  contraire  à  la  sacrée  antiquité,  et  de 
prononcer  même  anathème*^  contre  ceux  qui  maintiennent 
la  pureté  de  la  vérité  catholique  ?  Si  nous  ne  connaissions  pas 
la  force  de  la  prévention  et  du  parti,  nous  ne  comprendrions 
point  comment  des  personnes  éclairées  et  bien  intentionnées 
puissent*^  soutenir  une  telle  entreprise. 

LXII.  Mais,  si  nous  ne  pouvons  pas  nous  empêcher  d'en 
être  surpris,  nous   ne   le   sommes   nullement    de  ce  qu'on 

45.  Prœfal.  in  libros  tiamuel  et  Malachim  [P.  L.,  t.  XXVIII,  col. 
547  seq.]. 

46.  Edit.   :  prononcer  le  même  anathème. 

47.  Edit.  :  peuvent. 


222  CORRESPONDANCE  [mal  170.. 

donne  chez  vous  à  voire  communion  le  nom  d'Église  catho- 
lique ;  et  je  demeure  d'accord  de  ce  qui  est  dit,  t^  23,  que  ce 
n'est  pas  ici  le  lieu  d'en  rendre  raison.  Les  protestants  en 
donnent  autant  à  leur  communion.  On  connaît  la  Confes- 
sion catholique  de  notre  Gérard,  et  le  Catholique  orthodoxe  de 
Morlon,  Anglais**.  Et  il  est  clair  au  moins  que  notre  senti- 
ment, sur  le  canon  des  livres  divinement  inspirés,  a  toutes 
les  marques  d'une  doctrine  catholique,  au  lieu  que  la  uout 
veauté  introduite  par  l'assemblée  de  Trente  a  toutes  les 
marques  ici  d'un  soulèvement  schismatique.  Car  que  des 
novateurs  prononcent  anathème  contre  la  doctrine  constante 
de  l'Église  catholique,  c'est  la  plus  grande  marque  de  rébel- 
lion et  de  schisme  qu'on  puisse  donner.  Je  vous  demande 
pardon.  Monseigneur,  de  ces  expressions  indispensables,  que 
vous  connaissez  mieux  que  personne  ne  pouvoir  point  pas- 
ser pour  téméraires,  ni  pour  injurieuses  dans  une  telle  occa- 
sion. 

LXIII.  Je  ne  vois  donc  pas  moyen  d'excuser  la  décision  de 
Trente,  à  moins  que  vous  ne  vouliez.  Monseigneur,  approu- 
ver l'explication  de  quelques-uns  qui  croient  la  pouvoir 
encore  concilier  avec  la  doctrine  des  prolestants,  et  qui,  mal- 
gré les  paroles  du  concile,  prétendent  qu'on  peut  encore  les 
expliquer  comme  saint  Augustin  a  expliqué  les  siennes.  En 
ce  cas,  il  ne  faudrait  pas  seulement  donner  aux  livres  incon- 

liS.  Thomas  Morton  (i56/l-i659),  docteur  de  Cambridge,  succes- 
sivement évèqiie  de  Cliester,  de  Coventry  et  de  Durliam.  Sa  fidélité 
à  Cliarles  I""  lui  valut  d'être  quelque  temps  emprisonné  à  la  Tour  de 
Londres,  il  a  beaucoup  écrit,  et  surtout  sur  les  matières  de  contro- 
verse. L'ouvragfe  auquel  Leibniz  fait  ici  allusion  doit  être  Apologia 
calhoUca,  ex  ineris  Jesuitaruni  contradiclionibus  conjlata,  Londres,  i6o5 
et  1606,  2  vol.  in-4,  ou  peut-être  A  catliolike  appcale  fort  protestants 
out  of  the  conjessions  of  the  Romane  doctors.  Londres,  ifiio,  in-fol. 
Parmi  les  aulres  écrits  de  Th.  Morton,  on  remarque  Causa  regia,  swe 
de  authoritate  et  dijnitate  principum  christianoram  adoersus  Bellarmini 
traclatum  de  Offieio  principis,  Londres,  1620,  in-4  (J.  Barwick,  Life 
and  death  of  Thomas  late  lord  Bishop  of  Darham,  Londres,  i6fio, 
in-/j  ;  Thom.  Baker,  History  oj  the  Coltegc  of  St.  John  tlie  Euangelist, 
Cambridge,  1869,  2  vol.  in-8  ;  article  d'E.  \  enables  dans  la  National  . 
Biography,  t.  XXXIX).  J 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  223 

lestablement  canoniques  un  avantage  ad  hominem,  comme 
vous  faites  (§  2/1),  mais  absolument,  en  disant  que  le  canon 
de  Trente,  comme  celui  d'Afrique,  comprend  également  les 
livres  infallibles  ou  divinement  inspirés,  et  les  livres  ecclé- 
siastiques aussi,  c'est-à-dire  ceux  que  l'Église  a  déclarés 
authentiques  et  conformes  aux  livres  divins.  Je  n'ose  point 
me  flatter  que  vous  approuviez  une  explication  qui  paraît  si 
contraire  à  ce  que  vous  venez  de  soutenir  avec  tant  d'esprit 
et  d'érudition  ;  cependant  il  ne  paraît  pas  qu'il  y  ait  moyen 
de  sauver  autrement  l'honneur  des  canons  de  Trente  sur  cet 
article. 

Me  voilà  maintenant  au  bout  de  votre  lettre.  Monseigneur, 
dont  je  n'ai  pu  faire  une  exacte  analyse  qu'en  m'étendant 
bien  plus  qu'elle.  Je  suis  bien  fâché  de  cette  prolixité,  mais 
je  n'y  vois  point  de  remède.  Et  cependant  je  ne  suis  pas 
encore  au  bout  de  ma  carrière  :  car  j'ai  promis  plus  d'une 
fols  de  montrer  en  abrégé,  autant  qu'il  sera  possible,  la  per- 
pétuité de  la  foi  catholique  conforme  à  la  doctrine  des  pro- 
testants sur  ce  sujet.  C'est  ce  que  je  ferai,  avec  votre  permis- 
sion, dans  la  lettre  suivante,  que  je  me  donnerai  l'honneur 
de  vous  écrire;  et  cependant  je  suis  avec  zèle.  Monseigneur, 
votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 

Leibniz. 


2002.   —  Leibniz  a  Bossuet. 

A  Wolfenbuttel,  ce  ai  mai  1700. 

Monseigneur, 
Vous   aurez    reçu   ma    lettre    précédente,   laquelle,    toute 

Lettre  2002.  —  Minute  autographe,  Hanovre,  Papiers  de  Leibniz, 
t"^  3ii  V»  et  356  V»  à  3r5.  Publiée  d'abord  dans  les  OEuvres 
posthumes  de  Bossuet,  t.  I,  p.  485.  Datée,  dans  les  éditions,  du 
2A  mai,  conformément  au  récit  de  Ledieu,  t.  II,  p.  67,  et  à  la 
réponse  de  Bossuet,  du  17  août-1701  ;  mais  la  minute  porte  la  date 
du  21. 


l-ik  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

ample  qu'elle  est,  n'est  que  la  moitié  de  ce  que  je  dois  faire. 
J'ai  tâché  d'approfondir  l'éclaircissement  que  vous  avez  bien 
voulu  donner  sur  ce  que  c'est  qu'être  de  foi*,  et  surtout  sur 
la  question,  si  l'Église  en  peut  faire  de  nouveaux  articles  :  et 
comme  j'avais  douté  s'il  était  possible  de  concilier  avec  l'anti- 
quité tout  ce  qu'on  a  voulu  définir  dans  votre  communion 
depuis  la  Réformalion,  et  que  j'avais  proposé  parliculière- 
ment  l'exemple  de  la  question  de  la  canonicité  de  certains 
livres  de  la  Bible,  ce  qui  vous  avait  engagé  à  examiner  cette 
matière  ;  j'étais  entré,  avec  toute  la  sincérité  et  docilité  pos- 
sible, dans  tout  ce  que  vous  aviez  allégué  en  faveur  du  sen- 
timent moderne  de  votre  parti.  Mais,  ayant  examiné  non  seu- 
lement les  passages  qui  vous  paraissaient  favorables,  mais 
encore  ceux  qui  vous  sont  opposés,  j'ai  été  surpris  de  me  voir 
dans  l'impossibilité  de  me  soumettre  à  votre  sentiment;  et, 
après  avoir  répondu  à  vos  preuves  dans  ma  précédente,  j'ai 
voulu  maintenant  représenter,  selon  l'ordre  des  temp"!,  un 
abrégé  de  la  perpétuité  de  la  doctrine  catholique  sur  le  canon 
des  livres  du  Vieux  Testament,  conforme  entièrement  au 
canon  des  Hébreux.  C'est  ce  qui  sera  le  sujet  de  celte  seconde 
lettre,  qui  aurait  été  plus  ample  ^,  si  je  n'avais  eu  peur  de 
faire  un  livre,  outre  que  je  ne  puis  presque  rien  dire  ici  qui 
n'ait  déjà  été  dit.  Mais  j'ai  tâché  de  le  mettre  en  vue,  pour 
voir  s'il  n'y  a  pas  moyen  de  faire  en  sorte  que  des  personnes 
appliquées  et  bien  intentionnées  puissent  vider  entre  eux  un 
point  de  fait,  où  il  ne  s'agit  ni  de  mystère  ni  de  philosophie, 
soit  en  s'accordant,  soit  en  reconnaissant  au  moins  qu'on 
doit  s'abstenir  de  prononcer  anathème  là- dessus. 

LXIV.  Je  commence  par  l'antiquité  de  l'Église  judaïque. 
Rien  ne  me  paraît  plus  solide  que  la  remarque  que  fit 
d'abord  Monseigneur  le  Duc,  que  nous  ne  pouvons  avoir  les 
livres  divins  de  l'Ancien  Testament  que  par  le  témoignage 
et  la  tradition  de  l'Église  de  l'Ancien  Testament;  car  il  n'y  a 
pas  la  moindre  trace  ni  apparence  que  Jésus-Christ  ait  donné 

I.   Edit.  :  d'être  de  foi. 

1.   Edit.  :  qui  aurait  pu  être  bien  plus  ample.  É^ 


mai  1700]  DE    BOSSLET.  225 

un  nouveau  canon  là-dessus  à  ses  disciples  ;  et  plusieurs 
anciens  ont  dit  en  termes  formels  que  l'Eglise  chrétienne  se 
tient,  à  l'égard  du  Vieux  Testament,  au  canon  des  Hébreux^. 

LXV.  Or,  cela  posé,  nous  avons  le  témoignage  incontes- 
table de  Josèphe,  auteur  très  digne  de  foi  sur  ce  point,  qui 
dit,  dans  son  premier  livre  Contre  Apion'*,  que  les  Hébreux 
n'ont  que  vingt-deux  Livres  de  pleine  autorité  :  savoir,  les 
cinq  livres  de  Moïse  qui  contiennent  l'histoire  et  les  lois  ;  les 
treize  livres  qui  contiennent  ce  qui  s'est  passé  depuis  la  mort 
de  Moïse  jusqu'à  Artaxerxès,  où  il  comprend  Job  et  les  Pro- 
phètes, et  quatre  livres  d'hymnes  et  admonitions,  qui  sont 
sans  doute  les  Psaumes  de  David  et  les  trois  livres  cano- 
niques de  Salomon  :  le  Cantique,  les  Paraboles  etl'Ecclésiaste. 

LXVI.  Josèphe  ajoute  que  personne  n'y  a  rien  osé  ajouter 
ni  retrancher  ou  changer,  et  que  ce  qui  a  été  écrit  depuis 
Artaxerxès  n'est  pas  si  digne  de  foi.  Et  c'est  dans  le  même 
sens  qu'Eusèbe  dit  que,  depuis  le  temps  de  Zorobabel  jus- 
qu'au Sauveur,  il  n'y  a  aucun  volume  sacré  ''. 

LXVll.  C'est  aussi  ce  que  confessent  unanimement  les 
Juifs,  depuis  l'auteur  du  premier  livre  des  Machabées  jus- 
qu'aux modernes,  que  l'inspiration  divine  ou  l'esprit  prophé- 
tique a  cessé  alors.  Car,  dans  le  P""  livre  des  Machabées  (ix, 
27),  il  est  dit  quil  n'y  a  jamais  eu  une  telle  tribulation  depuis 

3.  Il  est  certain  que  les  apôtres  faisaient  usage  de  la  Bible  grecque 
et  acceptaient  comme  Ecritures  divines  les  livres  qu'elle  contenait. 
I^es  deutérocanoniques  y  sont  mélangés  sans  distinction  aux  protoca- 
noniques. D'autre  part,  l'histoire  du  canon  juif  est  encore  assez  obs- 
cure, et  il  n'est  pas  démontré  que  les  Juifs  de  Palestine  n'aient  pas 
reçu  d'abord  comme  inspirés  les  livres  deutérocaniques  contenus  dans 
la  Bible  des  LXX.  Ils  en  ont  certainement  fait  usage  à  l'origine,  et  ce 
ne  fut  que  plus  tard  qu'ils  rejetèrent  la  Bible  grecque,  dont  les  chré- 
tiens faisaient  usage  contre  eux  (Voir  Dict.  de  la  Bible,  art.  Canon  des 
Écritures,  t.   II,  col.    i42,  et  Dict.  de  Théologie,  t.  II,  col.  1673). 

^.   Joseph.,  Cont.  Apion.,  lib.  1,  cap.  viii. 

5.  Demonst.  evang.,  lib.  VIII  [P.  Gr.,  t.  XXII,  col  b-j-j].  Eusèbe, 
d'après  le  contexte,  dit  seulement  qu'il  n'y  a  pas,  depuis  Zorobabel, 
de  livre  divin  qui  permette  de  continuer  le  récit  de  la  tribu  de  Juda 
jusqu'au  temps  du  Sauveur.  Cela  n'empêcherait  point  l'existence 
d'hagiographes  inspirés  ne  coutenimt  pas  d'histoire. 

XII  —  i5 


226  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

quon  n^a  plus  va  de  prophète  en  Israël'^.  Le  Séder  Olam,  ou 
la  Chronique  des  Juifs  dit  que  la  prophétie  a  cessé  depuis 
l'an  52  des  Mèdes  et  des  Perses.  Et  Aben-Ezra,  sur  Malachie, 
dit  que'',  dans  la  mort  de  ce  prophète,  la  prophétie  a  quitté 
le  peuple  d'Israël.  Cela  a  passé  jusqu'à  saint  Augustin,  qui 
dit  (1.  XVllI,  c.  xLv,  n.  i,  De  civitale  Dei)  qu'il  n'y  a 
point  eu  de  prophète  depuis  Malachie  jusqu'à  Vavènement  de 
Notre- Seigneur^.  Et  conférant  ces  témoignages  avec  celui 
de  Josèphe  et  d'Eusèbe,  on  voit  bien  que  ces  auteurs  enten- 
dent toute  inspiration  divine,  dont  aussi  l'esprit  prophétique 
est  la  plus  évidente  preuve. 

LXVIII.  On  a  remarque  que  ce  nombre  de  vingt-deux 
livres  canoniques  du  Vieux  Testament,  que  nous  avons  tous 
dans  la  langue  originale  des  Hébreux,  se  rapportait  au 
nombre  des  lettres  de  la  langue  hébraïque.  L'allusion  est  de 
peu  de  considération  ;  mais  elle  prouve  pourtant  que  les  chré- 
tiens qui  s'en  sont  servis  étaient  entièrement  dans  le  senti- 
ment des  prolestants  sur  le  canon,  comme  Origène,  saint 
Cyrille  de  Jérusalem^  et  saint  Grégoire  de  Nazianze,  dont 
il  y  a  des  vers*",  où  le  sens  d'un  des  distiques  est  : 

Fœderis  anliqui  duo  sunt  librique  viginti, 
Hebraeae  quot  liabent  nomina  literulae. 

6.  I  Macli.,  IX,  27. 

7.  Le  Séder  'Olam  (Ordre  du  Monde)  est  une  chronique  composée 
par  Rabbi  José  de  Séphoris,  disciple  d'Akiba,  dans  la  première  moitié 
du  second  siècle.  Il  a  été  publié  avec  traduclion  et  commentaire  par 
Joh.  Meyer,  Amsterdam,  1699,  in-4.  — Aben-Esra,  célèbre  rabbin,  né 
en  1092  à  Tolède,  a  donné  des  commentaires  sur  la  Bible,  qui  ont  été 
imprimés  dans  la  Bible  de  BuxtorF,  Bàle,  1618-1619,  in-Pol.  Le  com- 
mentaire de  Malachie  a  été  édité  avec  traduction  par  Sam.  Bohie, 
Rostock,  1687,  in-^,  et  par  And.  Borgwall,  Upsal,  1707,  in-8. 

8.  De  civil.  Dei,  11b.  XVIII,  cap.  xlv,  n.  i  [P.  L.,  t.  XLI,  col. 
606].  Voir  la  lettre  du  17  août  1701,  n°  xli. 

9.  Origen.,  in  Psal.  I  [P.  G.,  t.  XII,  col.  108/»]  ;  Cyril.  Hier., 
Calèches.  IV,  33-36  [P.  G.,  t.  XXXIII,  col.  496  seq.]. 

10.  'Ap/ataç  fiàv  è'Orjxa  8ûw  xaf  el/oai  Bî6Xouç, 

Toi;  Tojv  'ESpat'wv  ypafifjiaa'.v  àvTiOeTou;. 
(Greg.  Naz.,  Poemal.  dogmal.  [P.  G.,  t.  XXXVII,  col,  li'j!,]/. 
Saint  Grégoire    cite  cependant    la   Sagesse  et   l'Ecclésiastique  au 


mai  1700I  .     DE    BOSSUET.  227 

LXIX.  Ces  vingt-deux  livres  se  comptent  ainsi  chez  les 
Juifs,  suivant  ce  que  rapporte  déjà  saint  Jérôme  dans  son 
Prologus  rjalealus^^  :  cinq  de  Moïse,  huit  prophétiques,  qui 
sont  Josué,  Juges  avec  Ruth,  Samuel,  Rois,  Isaïe,  Jérémie, 
Ezéchiel  et  les  douze  petits  prophètes  ;  et  neuf  hagiographes, 
qui  sont  Psaumes,  Paraboles,  Ecclésiaste,  et  Cantique  de 
Salomon,  Job,  Daniel,  Esdras  et  Néhéniie  pris  ensemble, 
enfin  Esther  et  les  Chroniques.  Et  l'on  croit  que  les  mots 
de  Notre-Seigneur  chez  saint  Luc  se  rapportent  à  cette  divi- 
sion ;  car  il  y  a  :  //  faut  que  tout  ce  qui  est  écrit  dans  la  loi  de 
Moïse,  dans  les  prophètes  et  dans  les  psaumes,  s^accomplisse '^. 

LXX.  Il  est  vrai  que  d'autres  ont  compté  vingt-quatre 
livres;  mais  ce  n'était  qu'en  séparant  en  deux  ce  que  les 
autres  avaient  pris  ensemble.  Ceux  qui  ont  fait  ce  dénombre- 
ment l'ont  encore  voulu  justifier  par  des  allusions,  soit  aux 
six  ailes  des  quatre  animaux  d'Ézéchiel,  comme  ïertuUien  *^  ; 
soit  aux  vingt-quatre  anciens  de  l'Apocalypse,  comme  le  rap- 
porte saint  Jérôme  dans  le  même  Prologue,  disant  :  l\onnulli 
Ruth  et  Cinoth  (les  Lamentations  de  Jérémie  détachées  de  sa 
prophétie)  inter  hagiographa  putant  esse  computandos,  ac  [per] 
hoc  esse  priscœ  legis  libros  viginti  quatuor,  quos  suh  numéro 
viginti  quatuor  Seniorum  Apocalypsis  Joannis  inducit  adorantes 
Agnum  '''.  Quelques  Juifs  devaient  compter  de  même, 
puisque  saint  Jérôme  dit,  dans  son  Prologue  sur  Daniel  :  In 
Ires  partes  a  Judœis  omnis  Scriptura  dividitur,  in  Legem,  in 
Prophelas  et  in  Hagiographa  ;  hoc  est,  in  quinque,  et  in  octo,  et 
in  undecim  libros  ^''^.  Ainsi  il  paraît  que  l'allusion  aux  six  ailes 
des  quatre  animaux  venait  des  Juifs,   qui  avaient  coutume 

naême  titre  que  les  autres  écrits  inspirés,  Oral.  II,  5o  ;  IV,  12  ; 
VII,  I  ;  XXVin,  2  ;  XXXI,  29  [P.  G.,  t.  XXXY,  col.  459,  54t,  757, 
cl  t.  XXXVI,  col.  33,  36,  93,  i65]. 

11.  Hieron.,  Prolog,  galeat.,  i.  e.  Prœfat.  in  libros  Samuel  et 
Malachim  [P.  L.,  t.  XXVIII,  col.  55i  seq.]. 

12.  Luc,  XXIV,  44- 

i3.   Tertull.,  Carmen  adv.  Marcion..  lib.  IV.  Voir  p.  aay 
14.  [P.  L.,  t.  XXVIII,  col.  55/il. 
i5.  [P.  L.,  (.  XXVIII,  col.  1294]. 


'2^8  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

de  chercher  leurs  plus  grands  mystères  cabalistiques  dans 
les  animaux  d'Ézéchiel,  comme  l'on  voit  dans  Maïmo- 
nide  '^ 

LXXl.  Venons  maintenant  de  l'Église  du  Vieux  Testament 
à  celle  du  Nouveau,  quoiqu'on  voie  déjà  que  les  chrétiens 
ont  suivi  le  canon  des  Hébreux  ;  mais  il  sera  bon  de  le  mon- 
trer plus  distinctement.  Le  plus  ancien  dénombrement  des 
Livres  divins  qu'on  ait,  est  celui  de  Méliton,  évèque  de 
Sardes,  qui  a  vécu  du  temps  de  Marc-Aurèle,  qu'Eusèbe 
nous  a  conservé  dans  son  Histoire  ecclésiastique  ^' .  Cet  évèque, 
en  écrivant  à  Onésimus,  dit  qu'il  lui  envoie  les  livres  de  la 
sainte  Écriture,  et  il  ne  nomme  que  ceux  qui  sont  reçus 
par  les  prolestants,  savoir,  ces  mêmes  vingt-deux,  le  livre 
d'Esther  paraissant  avoir  été  omis  par  mégarde  et  par  la  négli- 
gence des  copistes**'. 

LXXII.  Le  même  Eusèbe  nous  a  conservé  au  même 
endroit'^  un  passage  du  grand  Origène,  qui  est  de  la  préface 
qu'il  avait  mise  devant  son  Commentaire  sur  les  Psaumes,  où 
il  fait  le  même  dénombrement  :  le  Livre  des  douze  petits 
prophètes  ne  pouvant  avoir  été  omis  que  par  une  faute  con- 
traire à  l'intention  de  l'auteur,  puisqu'il  dit  qu'il  y  a  vingt- 
deux  livres,  savoir,  autant  que  les  Hébreux  ont  de  lettres. 

LXXIII.  On  ne  peut  point  douter  que  l'Église  latine  de  ces 
premiers  siècles  n'ait  été  du  même  sentiment.   Car  Terlul- 

i6.  Célèbre  rabbin,  né  à  Cordoue  en  1189.  Il  passa  en  Egypte,  où 
il  devint  médecin  du  sultan  Saladin,  et  mourut  en  1208.  Dans  un 
ouvrage  composé  en  arabe,  et  traduit  avec  son  consentement  en 
hébreu  sous  le  titre  Moreh  Neboukhim,  il  enseigne  comment  il  faut 
entendre  les  locutions  de  la  Sainte  Ecriture  qui  s'éloignent  de  l'u-sage 
ordinaire  et  ne  doivent  pas  s'expliquer  dans  le  sens  littéral.  Il  a  été 
fait  de  ce  livre  une  traduction  en  latin  par  Buxtorf,  Bâle,  1629, 
in-fol.,  et  une  en  l'raneais  par  S.  Munk,  intitulée  Le  Guide  des  égarés, 
3  vol.  Paris,  i856-i866. 

17.  Hist.  écoles.,  lib.  IV,  cap.  xxvi  [P.  G.,  t.  XX,  col.  SgS  seq.]. 

18.  Cf.  A.  Loisy,  Histoire  du  canon  de  l'Ancien  Testament,  Paris, 
1890,  in-8,  p.  78.  Il  y  a  lieu  de  remarquer  que  Méliton  a  voulu 
marquera  son  ami,  l'évèque  Onésime,  quels  livres  étaient  rj^usen 
Palestine,  afin  qu'il  pût  réfuter  les  Juifs  au  milieu  desquels  il  vivait. 

19.  Hist.  eccles..  lib.  "VI,  cap.  xxv  [P.  Gr.,  I.  XX,  col.  579  seq.]. 


mai  1700]  DE  BOSSU  ET.  229 

lien,  qui  était  d'Afrique  et  vivait  à  Rome,  en  parle  ainsi  dans 
ses  Vers  contre  Marcion.-^  : 

Ast  quater  alie  sex,  veteris  praeconia  verbi, 
Testificantis  ea  quae  postea  facta  docemur  : 
Ilis  alis  volitani  cœlestia  verba  per  orbem. 


Alarum  numerus  anliqua  volumina  signât,  etc. 

LXXIV.  On  ne  trouve  pas  que,  dans  ces  siècles  d'or  de 
l'Église  qui  ont  précédé  le  grand  Constantin,  on  ait  compté 
autrement.  Plusieurs  mettent  le  synode  de  Laodicée  avant 
celui  de  Nicée  ;  et  quoiqu'il  paraisse  postérieur,  néanmoins  il 
en  a  été  assez  proche,  pour  que  son  jugement  soit  cru  celui 
de  cette  primitive  Église.  Or  vous  avez  remarqué  vous-même. 
Monseigneur,  §  18,  que  ce  synode  de  Laodicée,  dont  l'auto- 
rité a  été  reçue  généralement  dans  le  code  des  canons  de 
l'Église  universelle,  et  ne  doit  pas  être  prise  pour  un  senti- 
ment particulier  des  Églises  de  Phrygie,  ne  compte  qu'avec 
les  protestants,  c'est-à-dire  les  vingt-deux  livres  canoniques 
du  Vieux  Testament 2'. 

LXXV.  De  cela  il  est  aisé  de  juger  que  les  Pères  du  concile 
de  INicée  ne  pouvaient  avoir  été  d'un  autre  sentiment  que  les 
prolestants  sur  le  nombre  des  livres  canoniques,  quoiqu'on  y 
ait  cité,  comme  les  protestants  font  souvent  aussi,  le  livre  de 
Judith,  de  même  que  le  livre  du  Pasteur ^^.  Les  évêques 
assemblés  à  Laodicée  ne  se  seraient  jamais  écartés  du  senti- 
ment de  ce  grand  concile  ;  et,  s'ils  avaient  osé  le  faire,  jamais 
leur  canon  n'aurait   été  reçu   dans  le  code  des  canons  de 

20.  Carmen  adv.  Marcion.,  lib.  IV  [P.  L.,  t.  II,  col.  io83]. 
Depuis  l'éditeur  N.  Rlgault,  personne  ne  croit  plus  que  ces  vers 
soient  de  TerluUien. 

21.  iMansi,  t.  II,  col.  578  et  57/)-  Le  Concile  de  Laodicée  s'est 
tenu  entre  343  et  38i,  entre  le  concile  de  Sardique  et  le  II*  concile 
général.  Il  est  douteux  que  le  60*  canon,  qui  contient  la  liste  des 
Livres  Saints,  soit  authentique.  Cf.  Hefele,  Les  Conciles,  trad. 
Leclerc,  t.  I,  p.  1027. 

22.  11  n'est  pas  sûr  que  le  concile  de  Nicée  ait  dressé  un  canon  des 
Écritures;  d'ailleurs,  on  n'en  trouve  pas  trace  dans  la  collection  des 
Conciles. 


23o  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

l'Église  universelle.  Mais  cela  se  confirme  encore  davantage 
par  les  témoignages  de  saint  Athanase,  le  meilleur  témoin 
sans  doute  qu'on  puisse  nommer  à  l'égard  [de]  ce 
temps-là. 

LXXVl.  Il  y  a  dans  ses  œuvres  une  Synopse'-'^  ou  abrégé 
de  la  sainte  Ecriture,  qui  ne  nomme  aussi  que  vingt-deux 
livres  canoniques  du  Vieux  Testament  ;  mais  l'auteur  de  cet 
ouvrage  n'étant  pas  trop  assuré,  il  nous  peut  suffire  [d'y 
ajouter]  le  fragment  d'une  lettre  circulaire  aux  Églises,  qui 
est  sans  doute  de  saint  Athanase,  où  il  a  le  même  catalogue 
que  celui  de  la  Synapse,  qu'il  obsigne  (s'il  m'est  permis  de 
me  servir  de  ce  terme)  par  ces  mots  :  Nemo  liis  addat,  nec  liis 
auferal  quidquam^'' .  Et  que  cette  opinion  était  également  des 
orthodoxes  ou  homoousiens-^  et  de  ceux  qu'on  ne  croyait  pas 
être  de  ce  nombre,  cela  paraît  par  Eusèbe,  dans  l'endroit  cité 
ci-dessus  de  son  Histoire  ecclésiastique,  où  il  rapporte  et 
approuve  les  autorités  des  plus  anciens. 

LXXVII.  Ceux  qui  sont  venus  bientôt  après  ont  dit  uni- 
formément et  unanimement  la  même  chose.  L'ouvrage  caté- 
chétique  de  saint  Cyrille  de  Jérusalem  -"^  a  toujours  passé 
pour  très  considérable  :  or  il  spécifie  justement  les  mêmes 
livres  que  nous,  et  ajoute  qu'on  doit  lire  les  divines  Écritures, 
savoir,  les  vingt-deux  livres  du  Vieux  Testament,  que  les 
soixante-douze"^'  interprètes  ont  traduits. 

LXXVIII.  On  a  déjà  cité  un  distique  tiré  du  poème  que 
saint  Grégoire  de  Nazianze  a  fait  exprès  sur  le  dénombrement 
des  véritables  livres  de  l'Écriture  divinement  inspirée  :  Ilepl 
Twv  yvTjffiwv  BtêXt'oiv  t?];   6£Oitv£ucjtou  Fpacpïjç.    Ce  dénombre- 

23.  [P.  G-,  t.  XXVIII,  col.  281  seq.].  Cf.  la  lettre  du  17  août 
1701,  no«  viii-x. 

24    Ep.  fest..  XXX  [P.  G.,  t.  XXVI,  coi.  1175-1178]. 

35.  Oa  appelait  ainsi  les  orthodoxes,  parce  qu'ils  croyaient  le  Fils 
consuljstantiel  (ôfjLOOÛ^'.oç)  au  Père. 

26.  [P.  G.,  t.  XXXIII,  col.  496  seq.].  En  même  temps,  dans  ses 
catéchèses,  il  cite  la  Sagesse  et  l'Ecclésiastique  comme  les  autres 
Livres  Saints.  Cal.  IX,  2,  col.  6/I0  ;  XI,  col.  716;  V,   17,  col.   liai- 

27.  Foucher  :  soixante.  i 


mai  1700J  DE  BOSSUET.  23l 

ment  ne  rapporte  que  les  livres  que  les  protestants  recon- 
naissent, et  dit  expressément  qu'il  sont  au  nombre  de  vingt- 
deux^*. 

LXXIX.  Saint  Amphiloche,  évêque  d'Iconie^^,  était  du 
même  temps  et  de  pareille  autorité.  Il  a  aussi  fait  des  vers, 
mais  ïambiques,  sur  le  même  sujet,  adressés  à  un  Séleucus  ^''. 
Outre  qu'il  nomme  les  mêmes  livres,  il  parle  encore  fort  dis- 
tinctement de  la  différence  des  livres  qu'on  faisait  passer  sous 
le  nom  de  la  sainte  Écriture.  Il  dit  qu'il  y  en  a  d'adultérins, 
qu'on  doit  éviter  et  qu'il  compare  à  de  la  fausse  monnaie; 
qu'il  y  en  a  de  moyens,  èau-edouç  et,  comme  il  dit,  appro- 
chant de  la  parole  de  la  vérité,  ye-'tovjç,  voisins  ;  mais  qu'il 
y  en  a  aussi  de  divinement  inspirés,  dont  il  dit  vouloir  nom- 
mer chacun,  pour  les  discerner  des  autres  : 

Ego  theopDeustos  singulos  dicam  tibi. 
Et  là-dessus  il  ne  nomme  du  Vieux  Testament  que  ceux  qui 
sont  reçus  par  les  Hébreux  ;   ce  -qu'il   dit  être  le  plus  assuré 
canon  des  livres  inspirés  ^^ 

LXXX.  Saint  Épiphane,  évêque  de  Salamine  dans  l'île  de 
Chypre,  a  fait  un  livre  Des  poids  et  des  mesures^^,  où  il  y  a 
encore  un  dénombrement  tout  semblable  des  livres  divins  du 
^'ieux  Testament,  qu'il  dit  être  vingt-deux  en  nombre  ;  et 
pousse  la  comparaison  avec  les  lettres  de  l'alphabet  si  loin, 
qu'il  dit  que,  comme  il  y  a  des  lettres  doubles  de  l'alphabet, 
il  y  a  aussi  des  livres  de  la  sainte  Écriture  du  Vieux  Testa- 
ment qui  sont  partagés  en  d'autres  livres.  On  trouve  la 
même  conformité  avec  le  canon  des  Hébreux  dans  ses  Héré- 
sies v  et  Lxxvi  ^^. 

38.   GP.  la  lettre  du  17  août  1701,  n°*  xi-xui. 

29.  Sur  Ampliilocliius,  voir  P.  G.,  t.  XXXIX,  col.  9-1 3o. 

30.  L'attribution  de  l'épître  à  Sf^leucus  est  douteuse  :  ce  poème 
se  trouve  à  la  suite  de  ceux  de  saint  Grégoire  de  Nazlanze,  P.  G., 
t.  XXXVII,  col.  1677  seq. 

3i.   P.  G.,  t.  XXXVII,  col.  1598-1590. 

Sa.  De  ponderibus  et  rnensuris,  cap.  xxii  et  xxiii  [P.  G.,  t.  XLIII, 
col.  277  et  278].  Cf.  lettre  du  17  août  1701,  n"^  xv-xvi. 

33.  Adv.  hœres.,  lib  I,  Haeres.  VIII,  cap.  vi  ;  et  lib.  III,  Haeres 
LXXVI,  cap.  V  [P.  G.,  t.  XLI,  col.  2i3  ;  et  t.  XLII,  col.  56o]. 


232  CORRESPONDANCE  [mal  1700 

LXXXI.  Saint  Chrysostome  n'était  guère  de  ses  amis:  cepen- 
dant il  était  du  même  sentiment  ;  et  il  dit,  dans  sa  quatrième 
Homélie  sur  la  Genèse,  que  tous  les  livres  divins  (Traçai  at 
6etat  B(êÀot)  du  Vieux  Testament  ont  été  écrits  originairement 
en  langue  hébraïque,  et  tout  le  monde,  ajoute-t-il,  le  confesse 
avec  nous  ''*  ;  marque  que  c'était  le  sentiment  unanime  et  incon- 
testable de  l'Église  de  ce  temps-là. 

LXXXII.  Et  afm  qu'on  ne  s'imagine  point  que  c'était  seu- 
lement le  sentiment  des  Églises  d'Orient,  voici  tm  témoignage 
de  saint  Hilaire,  qui,  dans  la  préface  de  ses  Explications  des 
Psaumes  ^'^,  où  il  paraît  avoir  suivi  Origène,  comme  ailleurs, 
dit  que  le  Vieux  Testament  consiste  en  vingt  et  deux 
livres. 

LXXXIII.  Jusqu'ici,  c'est-à-dire  jusqu'au  commencement 
du  cinquième  siècle,  pas  un  auteur  d'autorité  ne  s'est  avisé 
de  faire  un  autre  dénombrement.  Car,  bien  que  saint 
Cyprien^^  et  le  concile  de  Nicée^^,  et  quelques  autres  aient 
cité  quelques-uns  des  livres  ecclésiastiques  parmi  les  Livres 
divins,  l'on  sait  que  ces  manières  de  parler  confusément,  en 
passant,  et  in  sensu  laxiore,  sont  assez  en  usage,  et  ne  sau- 
raient être  opposées  à  tant  de  passages  formels  et  précis,  qui 
distinguent  les  choses. 

LXXXIV.  Je  ne  pense  pas  aussi  que  personne  voudra 
appuyer  sur  le  passage  d'un  recueil  des  coutumes  et  doctrines 
de  l'ancienne  Église,  fait  par  un  auteur  inconnu,  sous  le  nom 
des  Canons  des  Aj/ôtres,  qui  met  les  trois  livres  des  Macha- 
bées  parmi  les  livres  du  Vieux  Testament,  et  les  deux  Efdtres 
de  Clément  écrites  aux  Corinthiens,  parmi  ceux  du  Nouveau. 
Car,  outre  qu'il  peut  parler  largement,  on  voit  qu'il  flotte 
entredeux,  comme   un   homme  mal  instruit,  excluant  du 


34.  In  cap.  I  Gènes,  homil  .  IV,  4  [P.  {'..,  t.  LII[,  col.  42]. 

35.  Prol.  in  Psaln.   i5  [P.  L.,  t.  IX,  col.  24i]. 

36.  Saint  Cyprien  cite,  à  plusieurs  reprises,  tous  les  livres  deuté- 
rocanoniques,  sauf  celui  de  Judith. 

37.  Saint  Jérôme,  Prœf.  in  Judith  [P.  L.,  t.  XXIX,  col.  3^^,  dit 
que  ce  concile  «  compta  Judith  au  nombre  des  Ecritures  sacrées  ». 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  233 

canon   Sapientiam  eruditissimi  Siracidis,  qu'il  dit  être  extra 
hos,  mais  dont  il  recommande  la  lecture  à  la  jeunesse ^^. 

LXXXV.  Voici  maintenant  le  premier  auteur  connu  et 
d'autorité  qui,  traitant  expressément  cette  matière,  semble 
s'éloigner  de  la  doctrine  constante  que  l'Église  avait  eue  jus- 
qu'ici sur  le  canon  du  Vieux  Testaïuent.  C'est  le  pape  Inno- 
cent I,  qui,  répondant  à  la  consultation  d'Exnpère,  évoque  de 
Toulouse,  l'an  /io5,  païaît  avoir  été  du  sentiment  catholique 
dans  le  fond^*  ;  mais  son  expression  équivoque  et  peu  exacte 
a  contribué  à  la  confusion  de  quelques  autres  après  lui,  et 
enfin  à  l'erreur  des  Latins  modernes  ;  tant  il  est  important 
d'éviter  le  relâchement,  même  dans  les  manières  de  parler. 

LXXXVI.  Ce  pape  est  le  premier  auteur  qu'on  sache  qui 
ait  nommé  canoniques  les  livres  que  l'Eglise  romaine 
d'aujourd'hui  tient  pour  divinement  inspirés,  et  que  les  pro- 
testants, comme  les  anciens,  ne  tiennent  que  pour  ecclésias- 
tiques. Mais,  en  considérant  ses  paroles,  on  voit  clairement 
son  but,  qui  est  de  faire  un  canon  des  livres  que  l'Eglise 
reconnaît  pour  autlientiques,  et  qu'elle  fait  lire  publique- 
ment comme  faisant  partie  de  la  Bible.  Ainsi  ce  canon  devait 
comprendre  tant  les  livres  théopneustes  ou  divinement  inspi- 
rés, que  les  livres  ecclésiastiques,  pour  les  distinguer  tous 
ensemble  des  livres  apocryphes,  plus  spécialement  nommés 
ainsi,  c'est-à-dire  de  ceux  qui  doivent  être  cachés  et  défendus 
comme  suspects.  Ce  but  paraît  par  les  paroles  expresses  où  il 
dit  :  Si  qua  sunt  alia,  non  solum  repudianda,  verum  etiam 
noveris  esse  damnanda. 

LXXXVIl.  Non  seulement  l'appellation  de  canoniques, 
mais  encore  de  saintes  et  divines  Ecritures  était  alors 
employée  abusivement  :  et  c'était  l'usage  de  ces  temps-là,  de 
donner  dans  un  excès  étrange  sur  les  titres  et  sur  les  épi- 
thètes.  Un  évéque  était  traité  de  Voire  Sainteté  par  ceux  qui 
l'accusaient  et  parlaient  de  le  déposer.  Un  empereur  chrétien 

38.  Mansi,  t.  I,  col.  ^7  et  A8,  et  P.  G.,  t.  GXXXVII,   col.    211. 

39.  P  L.,  l.  XX,  col.  5oi  et  5o2.  Voir  la  lettre  du  17  août  1701, 
n*"^  XXXIII  et  xxxiv. 


234  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

disait  :  Nostrum  nuinen,  et  ne  laissait  presque  rien  à  Dieu, 
pas  même  l'éternité.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  des  termes 
du  concile  III  de  Carthage,  que  d'autres  croient  avoir  élé  le 
cinquième,  ni  les  prendre  à  la  rigueur,  lorsque  ce  concile  dit  : 
Plaçait,  ul  prseter  Scripluras  canonicas  nihil  in  ecclesia  legatur 
sub  noinlne  divinarum  Scripturarum''^. 

LXXXVIII.  Cela  fait  voir  qu'on  avait  accoutumé  déjà 
d'appeler  abusivement  du  nom  d'Écritures  divines  tous  les 
livres  qui  se  lisaient  dans  l'église,  parmi  lesquels  étaient  le  livre 
du  Pasteur,  et  je  ne  sais  quelle  doctrine  des  apôtres  ^^  Z'Ixy'^ 
xaXoufxévir)  xwv  'AttostoXwv,  dont  parle  saint  Alhanase  dans 
l'EpUre  citée  ci-dessus  :  item,  les  Èpîtres  de  saint  Clément  aux 
Corinthiens,  qu'on  lisait  dans  plusieurs  Églises,  et  particuliè- 
rement dans  celle  de  Corinthe,  surtout  la  première,  suivant 
Eusèbe  ÇHist.  Ec,  III,  12)  et  suivant  Denis,  évêque  de 
Corinthe,  chez  Eusèbe  (IV,  12)^^.  C'est  pourquoi  elle*'  se 
trouvait  aussi  jointe  aux  livres  sacrés  dans  l'ancien  exem- 
plaire de  l'Église  d'Alexandrie  que  le  patriarche  Cyrille  Luca- 
ris  envoya  au  roi  de  la  Grande-Bretagne,  Charles  P"",  sur 
lequel  elle  a  été  ressuscitée  et  publiée. 

LXXXIX.  Tout  cela  fait  voir  qu'on  se  servait  quelquefois 
de  ces  termes  d'une  manière  peu  exacte  ;  et  même  Origène 
compte  en  quelque  endroit  le  livre  du  Pasteur  parmi  les 
Livres  divins  :   ce  qu'il  n'entendait  pas  sans  doute  dans  le 

l^o.  Canon.  XLVII,  Mansi,  t.  IH,  col.  891.  Cf.  lettre  du  17  août 
1701,  n°  XXXII. 

/ji.  Le  Pasteur  d'Hermas  (P.  G.,  t.  II].  La  Doctrine  des  apôtres 
est  un  opuscule  de  la  fin  du  premier  siècle,  dont  le  texte  mentionna 
par  les  Pères  de  l'Eglise,  mais  perdu  depuis  longtemps,  a  èlé  retrouvé 
et  publié  par  Ph.  Bryennios  en  i883,  et  est  devenu  l'objet  de  nom- 
breux travaux  (Voir  les  Pères  apostoliques,  I,  Doctrine  des  apôtres, 
texte  et  traduction  par  H.  Hemmer,  Paris,  1907). 

42.  Hist.  eccles.,  lib.  III,  cap.  xii,  al.  xvi  ;  cF.  cap.  xxxii,  al. 
xxxviir,  col  293  ;  lib,  IV,  cap.  xxii,  al.  xxiii  [P.  G.,  t.  XX,  col. 
a/lg,  387-890]. 

43.  Elle,  la   i'«  aux  Corinthiens  est  dans  le    Codex  Âlexandrinus, 
dont  la  première  édition  hu  donnt^e  à  Oxford,  en  i633,  in-ii,  avec  une    / 
traduction  latine  et  des  notes  de  Patricius  Junius.  Cf.  Mansi,  t.  I,  col 
i65  à   170. 


mai  1700]  DE    BOSSUET.  235 

sens  excellent  et  rigoureux.  C'est  sur  xvi,  i/i»  aux  Romains, 
où  il  dit:  Je  crois  que  cet  Hennas  est  Vauteur  du  livre  qaon 
appelle  le  Pasteur,  qui  est  fort  utile  et  me  semble  diuinement 
inspiré  *^. 

XG.  On  peut  encore  moins  nous  opposer  la  liste  des  livres 
de  l'Écriture,  qu'on  dit  que  le  pape  Gélase^^  a  faite  dans  un 
synode  romain,  au  commencement  du  cinquième  siècle,  où  il 
en  fait  aussi  le  dénombrement  d'une  manière  large,  qui  com- 
prend les  livres  ecclésiastiques  aussi  bien  que  les  livres  cano- 
niques par  excellence,  et  on  voit  clairement  que  ces  deux 
papes  et  ces  synodes  de  Carthage  et  de  Rome  voulaient  nom- 
mer tout  ce  qu'on  lisait  publiquement  dans  toute  l'Église,  et 
tout  ce  qui  passait  pour  être  de  la  Bible,  et  qui  n'était  pas 
suspect  ou  apocryphe,  pris  dans  le  mauvais  sens. 

XCl.  Cependant  il  est  remarquable  que  le  pape  Gélase  et 
son  synode  n'ont  mis  dans  leur  liste  que  le  premier  des 
Machabées,  qu'on  sait  avoir  été  toujours  plus  estimé  que 
l'aulre,  saint  Jérôme  ayant  remarqué  que  le  style  môme 
trahit  le  second  des  Machabées  et  le  livre  de  la  Sagesse,  et 
fait  connaître  qu'ils  sont  originairement  grecs. 

XCII.  Je  ne  vois  pas  qu'il  soit  possible  qu'une  personne 
équitable  et  non  prévenue  puisse  douter  du  sens  que  je  donne 
au  canon  des  deux  papes  et  du  concile  de  Carthage  ;  car  autre- 
ment il  faudrait  dire  qu'ils  se  sont  séparés  ouvertement  de 
la  doctrine  constante  de  l'Église  universelle,  du  concile  de 
Laodicée  et  de  tous  ces  grands  et  saints  docteurs  de  l'Orient 
et  de  l'Occident  que  je  viens  de  citer  ;  en  quoi  il  n'y  a  point 
d'apparence.  Les  erreurs  ordinairement  se  glissent  insensible- 
ment dans  les  esprits,  et  elles  n'entrent  guère  ouvertement 
par  la  grande  porte.  Ce  divorce  aurait  été  fait  très  mal  à 
propos,  et  aurait  fait  du  bruit  et  fait  naître  des  contestations. 

44.  In  Episl.  ad  Rom.,  lib.  X,  n.  3i  [P.  Gr.,  t.  XIV,  col.  1282J. 
Cf.  lettre  du  17  août  1701,  n"  xix. 

45.  Le  pape  Gélase  a  renouvelé  en  /igô  (Mansi,  t.  VIII,  col.  i45 
et  i46)  un  décret  attribué  tantôt  à  saint  Damase,  tantôt  à  saint 
Horinisdas  (Voir  A.  Tliiel,  De  decretali  Gelasii  de  recipiendis  et  non 
rccipiendis  libris,  Braunsberg,  i866,  in-Zj). 


230  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

XCIII.  Mais  rien  ne  prouve  mieux  le  sens  de  la  lettre  du 
pape  Innocent  I"  et  de  l'Église  romaine  de  ce  temps  que  la 
doctrine  expresse,  précise  et  constante  de  saint  Jérôme,  qui 
fleurissait  à  Rome  en  ce  temps-là  même,  et  qui  cependant  a 
toujours  soutenu  que  les  livres  proprement  divins  et  cano- 
niques du  Vieux  Testament  ne  sont  que  ceux  du  canon  des 
Hébreux.  Est-il  possible  de  s'imaginer  que  ce  grand  homme 
aurait  osé  s'opposer  à  la  doctrine  de  l'Église  de  son  temps,  et 
que  personne  ne  l'en  aurait  repris,  pas  même  Ruiin,  qui 
était  aussi  du  même  sentiment  que  lui,  et  tant  d'autres 
adversaires  qu'il  avait  ;  et  qu'il  n'eût  jamais  fait  l'apologie 
de  son  procédé,  comme  il  fait  pourtant  en  tant  d'autres  ren- 
contres de  moindre  importance  ?  Il  est  sûr  que  l'ancienne 
Église  latine  n'a  jamais  eu  de  Père  plus  savant  que  lui,  ni 
de  meilleur  interprète  critique  ou  littéral  de  la  sainte  Écri- 
ture, surtout  du  Vieux  Testament,  dont  il  connaissait  la 
langue  originale  :  ce  qui  a  fait  dire  à  Alphonsus  Tostatus  ^* 
qu'en  cas  de  conflit,  il  faut  plutôt  croire  à  saint  Jérôme  qu'à 
saint  Augustin,  surtout  quand  il  s'agit  du  Vieux  Testament 
et  de  l'Histoire,  en  quoi  il  a  surpassé  tous  les  docteurs  de 
l'Église. 

XCIV.  C'est  pourquoi,  bien  que  j'aie  déjà  parlé  plus  d'une 
fois  des  passages  de  saint  Jérôme,  entièrement  conformes  au 
sentiment  des  protestants,  il  sera  bon  d'en  parler  encore  ici. 
J'ai  déjà  cité  son  Prologas  galeatas,  qui  est  la  préface  des 
livres  des  Rois,  mais  qu'on  met,  suivant  l'intention  de  l'au- 
teur, au  devant  des  livres  véritablement  canoniques  du  Vieux 
Testament,  comme  une  espèce  de  sentinelle  pour  défendre 
l'entrée  aux  autres.  Voici  les  paroles  de  l'auteur  :  Hic  Pro- 
logas Scriplurarum  quasi  galeatum  principiam  omnibus  libris, 
quos  de  hebraeo  vertimus  in  latinutn,  convenire  polesl^"^ .  Il 
semble  que  ce  grand  homme  prévoyait  que  l'ignorance  des 
temps  et  le  torrent  populaire  forcerait  la  digue  du  véritable 

46.  Tome  X.  Cornmentaria  in  primnm  parlein  Mntthiei,  c.  i, 
|j.  82, 

A7.  P.  L.,  I.  XXVIII,  col.  555.  ^ 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  287 

canon,  et  qu'il  travailla  à  s'y  opposer.  Mais  la  sentinelle 
qu'il  y  mit  avec  son  casque  n'a  pas  été  capable  d'éloigner  la 
hardiesse  de  ceux  qui  ont  travaillé  à  rompre  cette  digue,  qui 
séparait  le  divin  de  l'humain. 

XCV.  Or,  comme  j'ai  dit  ci-dessus  (n.  LXIX,  LXX),  il 
comptait  tantôt  vingt-deux,  tantôt  vingt-quatre  livres  du 
Vieux  Testament  ;  mais  en  effet  toujours  les  mêmes.  Et  ce 
qu'il  écrit  dans  une  lettre  à  Paulin*",  qu'on  avait  coutume 
de  mettre  au  devant  des  Bibles  avec  le  Prologus  galealus, 
marque  toujours  le  même  sentiment.  Il  s'explique  encore 
particulièrement  dans  ses  préfaces  sur  Tobie,  sur  Judith,  et 
ailleurs  :  Quod  talium  auctoriias  ad  roboranda  ea  quœ  in  con- 
te nlionem  veniunl  minus  idonea  judicalur  (Prœf.  in  Judith)'*^. 
Et  {Prœf.  in  libros  Salom.)  parlant  du  livre  de  Jésus,  fils  de 
Sirach,  et  du  livre  nommé  faussement  la  Sagesse  de  Salo- 
mon,  il  dit  :  Sicut  Judith  et  Tobise  et  Machabscorum  libros 
legit  quidem  Ecclesia,  sed  eos  in  canonicas  Scripturas  non 
recipit  ;  sic  et  hsec  duo  volumina  legil  ad  eedificationem  plebis, 
non  ad  auctoritatem  ecclesiasticorum  dogmatum  conjirmandam^^ . 

XCVI.  Rien  ne  saurait  être  plus  précis;  et  il  est  remar- 
quable qu'il  ne  parle  pas  ici  de  son  sentiment  particulier,  ni 
de  celui  de  quelques  savants,  mais  de  celui  de  l'Église  : 
Ecclesia,  dit-il,  non  recipit.  Pouvait-il  ignorer  le  sentiment  de 
l'Église  de  son  temps?  Ou  pouvait-il  mentir  si  ouvertement 
et  si  impudemment,  comme  il  aurait  fait  sans  doute  si  elle 
avait  été  d'un  autre  sentiment  que  lui?  Il  s'explique  encore 
plus  fortement  dans  la  Préface  sur  Esdras  et  Néhémie  :  Quœ 
non  habentur  apud  Hebrseos,  nec  de  viginti  quatuor  senibus 
sunt  (on  a  expliqué  cela,  n.  LXX),  procul  abjiciantur^^  ; 
c'est-à-dire  loin  du  canon  des  livres  véritablement  divins  et 
infallibles. 

XCVII.  Je  crois  qu'après  cela  on   peut  être  persuadé  du 


48.  P.  L.,  t.  XXII.  col.  545-548. 

49.  P.  L.,  I.  XXIX,  col.  38  (La  citation  n'esl  pas  textuelle). 

50.  P.  L.,  t.  XXVIIl,  col.  1243  et  i243. 

5i,   P.  L.,  t.  XXVIIl,  col.  i4o3  (Migne  :  procul  abjicienda). 


238  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

sentiment  de  saint  Jérôme  et  de  l'Eglise  de  son  temps  ;  mais 
on  le  sera  encore  davantage,  quand  on  considérera  que  Rufin, 
son  grand  adversaire,  homme  savant  et  qui  cherchait  occasion 
de  le  contredire,  n'aurait  point  manqué  de  se  servir  de  celle- 
ci,  s'il  avait  cru  que  saint  Jérôme  s'éloignait  du  sentiment  de 
l'Église.  Mais,  bien  loin  de  cela,  il  témoigne  d'être  lui-même 
du  même  sentiment,  lorsqu'il  parle  ainsi  dans  son  Exposition 
du  Symbole,  après  avoir  fait  le  dénombrement  des  livres 
divins  ou  canoniques,  tout  comme  saint  Jérôme  :  //  faut 
savoir,  dit-il,  qu'il  y  a  des  livres  que  nos  anciens  ont  appelés, 
non  pas  canoniques,  mais  ecclésiastiques,  comme  la  Sagesse  de 
Salomon,  et  cette  autre  Sagesse  du  fils  de  Sirach,  qu'il  semble 
que  les  Latins  ont  appelée  pour  cela  même  du  nom  général 
<f' Ecclésiastique  ;  en  quoi  on  n''a  pas  voulu  marquer  l'auteur, 
mais  la  qualité  du  livre.  Tobie  encore,  Judith  et  les  Machabées 
sont  du  même  ordre  ou  rang  ;  et  dans  le  Nouveau  Testament,  le 
livre  pastoral  d'Hermas  appelé  les  Deux  voies  et  le  Jugement 
de  Pierre  :  livres  qu''on  a  voulu  faire  lire  dans  l'église,  mais 
qu'on  n'a  pas  voulu  laisser  employer  pour  confirmer  l'autorité 
de  la  foi.  Les  autres  Écritures  ont  été  appelées  apocryphes,  dont 
on  n'a  pas  voulu  permettre  la  lecture  publique  dans  les  églises^^. 
XCVllI.  Ce  passage  est  fort  précis  et  instructif;  et  il  faut 
le  conlérer  avec  celui  d'Âmphilochius  cité  ci-dessus ^^,  afin 
de  mieux  distinguer  les  trois  espèces  d'Ecritures  ;  savoir  :  les 
divines  ou  les  canoniques  de  la  première  espèce,  les  moyennes 
ou  ecclésiastiques,  qui  sont  canoniques,  selon  le  style  de 
quelques-uns,  de  la  seconde  espèce,  ou  bien  apocryphes  selon 
le  sens  le  plus  doux  ;  et  enfin  les  apocryphes  dans  le  mauvais 
sens,  c'est-à-dire,  comme  dit  saint  Alhanase  ou  l'auteur  de 
la  Synopse,  qui  sont  plus  dignes  d'être  cachées,  àTroxpucpYJç, 
que  d'être  lues,  et  desquelles  saint  Jérôme  dit,  Ep.  vu  ad 
Laetam  :  Caveat  [omnia^  apocrypha  ;  et  sur  Isaïe,  liv,  4  '• 
Apocryphorum  deliramenta  conficiant'^^ . 

52.  P.  L.,t.  XXI,  col.  374.  > 

53.  N.  LXXIX,  p.  281. 

54.  P.  L..  I.  XXII,  col.  877  (Epist.  CVII).  Dims  le  oommenlaire 


mai  1700)  DE  BOSSUET. 

Voici  la  représensation  de  ces  degrés  on  espèces 
Canoniques. 


289 


Proprement,  ou  du 
premier  rang. 

Divins,  ou  infail- 
libles. 


Improprement,  ou 
d'un  rang  inférieur. 

Ecclésiastiques,  ou 
moyens. 

Apocryphes. 

Improprement,  ou 
dans  le  sens  plus 
doux. 


Défendus,  quant  à 
la  lecture  publique. 

Plus  proprement, 
ou  dans  le  mauvais 
sens. 


XCIX.  Mais  on  achèvera  d'être  persuadé  que  la  doctrine  de 
l'Église  de  ce  temps  était  celle  des  protestants  d'aujourd'hui, 
quand  on  verra  que  saint  Augustin,  qui  parle  aussi  comme 
le  pape  Innocent  P"^  et  le  synode  111  de  Carthage,  où  l'on 
croit  qu'il  a  été,  s'explique  pourtant  fort  précisément,  on 
d'autres  endroits,  tout  comme  saint  Jérôme  et  tous  les 
autres.  En  voici  quelques  passages  (liv.  II,  cont.  Episl.  Gau- 
dent.,  c.  23)  :  Cette  Écriture,  dit-il,  qu^on  appelle  des  Macha- 
bées,  n'est  pas  chez  les  Juifs  comme  la  Loi,  les  Prophètes  et  les 
Psaumes,  à  qui  Notre- Seigneur  a  rendu  témoignage  comme  à 
ses  témoins.  Cependant  l'Église  l'a  reçue  avec  utilité,  pourvu 
qu'on  la  lise  sobrement  ;  ce  qu'on  a  fait  principalement  à  cause 
de  ces  Machabées,  qui  ont  souffert  en  vrais  martyrs  pour  la 
loi  de  Dieu^',  etc. 


mon  ont  été  reçus  dans  l'autorité  canonique  ;  savoir  :  les  Pro- 
verbes, TEcclésiaste,  et  le  Cantique  des  cantiques.  Mais  les 
deux  autres,  qu'on  appelle  la  Sagesse  et  /'Ecclésiastique,  et  qui 
à  cause  de  quelque  ressemblance  du  style,  ont  été  attribués  à 
Salomon  (quoique  les  savants  ne  doutent  point  qu'ils  ne  soient 
point  de  lui),  ont  pourtant  été  reçus  anciennement  dans  l'autorité 
par  l'Église  occidentale  principalement Mais  ce  qui  n'est  pas 


li, 


lutre   texte  :    nec   Judaica  deliramenta 


sur   Isaïe,  liv. 
sectari . 

55.   Cont.  Gaudenl.,  lib.  I,  cap.  xxxi,  n.  38  [P.  L.,  t.  XLill,  col. 
739].  Voir  la  lettre  du  17  août  1701,  n"^  xxxvii-xxxviii. 


24o  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

dans  le  canon  des  Hébreux  iCa  pas  autant  de  force  contre  les 
contredisants  que  ce  qui  y  est^^.  On  voit  par  là  qu'il  y  a,  selon 
lui,  des  degrés  dans  l'autorité;  qu'il  y  a  une  autorité  cano- 
nique dans  le  sens  plus  noble,  qui  n'appartient  qu'aux  véri- 
tables livres  de  Salomon,  compris  dans  le  canon  des  Hébreux  ; 
mais  qu'il  y  a  aussi  une  autorité  inférieure,  que  l'Église 
occidentale  surtout  avait  accordée  aux  livres  qui  ne  sont  pas 
dans  le  canon  hébraïque,  et  qui  consiste  dans  la  lecture 
publique  pour  l'édiGcation  du  peuple,  mais  non  pas  dans 
l'infaillibilité,  qui  est  nécessaire  pour  prouver  les  dogmes  de 
la  foi  contre  les  contredisants. 

CI.  Et  encore  (liv.  18  de  la  cité  de  Dieu,  c.  36)  :  La  suppu- 
tation du  temps,  depuis  la  restitution  du  Temple,  ne  se  trouve  pas 
dans  les  saintes  Écritures  quon  appelle  canoniques  ;  mais  dans 
quelques  autres  que,  non  les  Juifs,  mais  f  Église  tient  pour  cano- 
niques, à  cause  des  admirables  souffrances  des  martyrs  '^'',  etc. 
On  voit  combien  saint  Augustin  est  flottant  dans  ses  expres- 
sions ;  mais  c'est  toujours  le  même  sens.  Il  dit  que  les 
Machabées  ne  se  trouvent  pas  dans  les  saintes  Écritures  qu'on 
appelle  canoniques  ;  et  puis  il  dit  que  l'Église  les  tient  pour 
canoniques.  C'est  donc  dans  un  autre  sens  inférieur,  que  la 
raison  qu'il  ajoute  fait  connaître  :  caries  admirables  exemples 
de  la  souffrance  des  martyrs,  propres  à  fortifier  les  chrétiens 
durant  les  persécutions,  faisaient  juger  que  la  lecture  de  ces 
livres  serait  très  utile.  C'est  pour  cela  que  l'Église  les  a  reçus 
dans  l'autorité  et  dans  une  manière  de  canon,  c'est-à-dire 
comme  ecclésiastiques  ou  utiles,  mais  non  pas  comme  divins 
ou  infallibles  :  car  cela  ne  dépend  pas  de  l'Église,  mais  de 
la  révélation  de  Dieu,  faite  par  la  bouche  de  ses  prophètes  ou 
apôtres. 

Cil.  Enfin  saint  Augustin,  dans  le  livre  de  la  Doctrine 
chrétienne  (1.  II,  c.  8),  raisonne  sur  les  livres  canoniques  dans 
lin  sens  fort  ample  et  général,  entendant  tout  ce  qui  était 

56.  De  Civit.  Dei.  lib.  XVII,  cap.  xx  [P.  L.,  t.  XLI,  col.  55^]. 
Cf.  Bossuet,  lettre  du  17  août  1701,  n°»  XL-xn.  ' 

r)7.   P.  L.,  t.  XLI.  col.  596. 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  2^1 

autorisé  dans  l'Église.  C'est  pourquoi  il  dit  que,  pour  en 
juger,  il  faut  en  faire  estime  selon  le  nombre  et  l'autorité  des 
Églises  ;  puis  il  vient  au  dénombrement  :  Totus  autem  canon 
Scripiuraram,  in  quo  islam  considerationem  versandam  dicimus, 
his  libris  continetar  ^*,  etc.  ;  et  il  nomme  les  mêmes  que  le 
pape  Innocent  P"  :  ce  qui  fait  visiblement  connaître  qu'en 
parlant  du  canon,  il  n'entendait  pas  seulement  les  livres 
divins  incontestables,  mais  encore  ceux  qu'on  regardait  diver- 
sement, et  qui  avaient  leur  autorité  de  l'Église  seulement  ou 
des  Églises,  et  nullement  d'une  révélation  divine. 

cm.  Après  cela,  le  passage  de  saint  Augustin,  où,  dans  la 
chaleur  de  l'apologie  de  sa  citation,  il  semble  aller  plus  loin, 
ne  saurait  faire  de  la  peine.  Vous  aviez  remarqué.  Monsei- 
gneur, §  9,  qu'il  avait  cité  contre  les  pélagiens  ce  passage  de 
la  Sagesse  (iv,  11)  :  Raptus  est  ne  malitia  mutaret  intellecium 
ejus.  Quelques  savants  gaulois  avaient  trouvé  mauvais  qu'il 
eût  employé  ce  livre,  lorsqu'il  s'agissait  de  prouver  des  dogmes 
de  foi  :  Tanquam  non  canonicum  definiehant  omittendum. 
Saint  Augustin  se  défend  dans  son  livre  de  la  Prédestination 
des  saints  (ch.  xiv).  Il  ne  dit  pas  que  la  Sagesse  est  égale  en 
autorité  aux  autres,  ce  qu'il  aurait  fallu  dire,  s'il  avait  été 
dans  les  sentiments  tridentins  ;  mais  il  répond  que,  quand 
I  elle  ne  dirait  rien  de  semblable,  la  chose  est  assez  claire  en 
i  elle-même  ;  qu'elle  doit  cependant  être  préférée  à  tous  les 
!  auteurs  particuliers,  omnibus  tradaforibus  debere  anteponi, 
parce  que  tous  ces  auteurs,  même  les  plus  proches  des  temps 
des  apôtres,  avaient  eu  cette  déférence  pour  ce  livre  :  Qui  eum 
tesiem  adhibentes,  nihil  se  adhibere  nisi  divinum  testimonium 
crediderunt.  Et  un  peu  auparavant  :  Meruisse  in  Ecclesia 
Christi  tam  longa  annositate  recitari,  et  ab  omnibus  christianis 
cum  veneratione  divinœ  auctoritatis  audiri'^^. 

CIV.  Ces  paroles  de  saint  Augustin  paraîtraient  étranges, 

58.  Lib.  II,  cap.  VIII,  n.  i3  [P.  L.,  t.  XXXIV,  col.  Ai]- 

59.  De  Prœdest.    sanct.,   cap.  xiv,   n..28   et  27.  —  La  citation 
n'est  pas  textuelle  [P.  L.,  t.  XLIV,  col.  980].  Cf.  lettre  du  17  août 

1701,  a"^  XXSIX-XLYIII. 

XII  —  16 


2/(2  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

d'autant  qu'elles  semblent  contraires  à  la  doctrine  reçue  dans 
l'Église,  si  l'on  n'était  déjà  instruit  de  son  langage  par  tous 
les  passages  précédents.  Donc,  puisque  aussi  il  n'est  pas 
croyable  que  ce  grand  homme  ait  voulu  s'opposer  à  lui- 
même  et  à  tant  d'autres,  il  faut  conclure  que  cette  autorité 
divine  dont  il  parle  ne  peut  être  autre  chose  que  le  témoi- 
gnage que  l'Église  a  rendu  au  livre  de  la  Sagesse,  qu'il  n'y  a 
rien  là  que  de  conforme  aux  Écritures  immédiatement  divines 
ou  inspirées,  puisqu'il  avait  reconnu  lui-même,  dans  son  livre 
de  la  Cité  de  Dieu^°,  que  ce  livre  n'a  reçu  son  autorité  que 
par  l'Église,  surtout  en  Occident  ;  mais  qu'il  n'a  pas  assez  de 
force  contre  les  contredisants,  parce  qu'il  n'est  pas  dans  le 
canon  originaire  du  Vieux  Testament.  Et  le  même  saint 
Augustin,  citant  un  livre  de  pareille  nature**,  qui  est  celui 
du  fils  de  Sirach,  n'y  insiste  point,  et  se  contente  de  dire  que, 
si  on  contredit  à  ce  livre  parce  qu'il  n'est  pas  dans  le  canon 
des  Hébreux,  il  faudra  au  moins  croire  au  Deutéronome  et  à 
l'Évangile,  qu'il  cite  après. 

GV,  Ce  qu'on  a  dit  du  sens  de  saint  Augustin  doit  être 
encore  entendu  de  ceux  qui  ont  copié  ses  expressions  par 
après,  comme  Isidore  ^^,  Rabanus  Maurus  et  autres,  lors- 
qu'ils parlaient  d'une  manière  plus  confuse.  Mais,  quand  ils 
parlaient  distinctement  et  traitaient  la  question  de  l'égalité 
ou  inégalité  des  livres  de  la  Bible,  ils  continuaient  à  parler 
comme  l'Église  avait  toujours  parlé  ;  en  quoi  l'Église  grecque 
n'a  jamais  biaisé.  Et  l'autorité  de  saint  Jérôme  a  toujours 
servi  de  préservatif  dans  l'Église  d'Occident,  malgré  la  bar- 
barie qui  s'en  était  emparée.  On  a  toujours  été  accoutumé  de 
mettre  son  Prologus  galeatiis  et  sa  Lettre  à  Paulin  à  la  tête  de 
la  sainte  Écriture,  et  ses  autres  Préfaces  devant  les  livres  de 
la  Bible  qu'elles  regardent  ;  où  il  s'explique  aussi  nettement 
qu'on  a  vu,  sans  que  personne  ait  jamais  osé,  je  ne  dis  pas 
condamner,  mais  critiquer  même  cette  doctrine  jusqu'au  con- 

60.  Lib.  XVII,  cap.  XX,  ubi  supra. 

61.  De  cura  pro  morlais,  cap.  xv  [P.  L.,  t.  XL,  col.  606]  ' 

62.  Saint  Isidore  de  Séville. 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  2^3 

cile  de  Trente,  qui  Ta  frappée  d'anathème  par  une  entreprise 
des  plus  étonnantes^'*. 

GVI.  Il  sera  à  propos  de  particulariser  tant  soit  peu  cette 
conservation  de  la  saine  doctrine  ;  car,  pour  rapporter  tout 
ce  qui  se  pourrait  dire,  il  faudrait  un  ample  volume.  Cassio- 
dore,  dans  ses  Institutions^^,  a  donné  les  deux  catalogues, 
tant  le  plus  étroit  de  saint  Jérôme  et  de  l'Église  universelle, 
qui  n'est  que  des  livres  immédiatement  divins,  que  la  liste 
plus  large  de  saint  Augustin  et  des  Églises  de  Rome  et 
d'Afrique,  qui  comprend  aussi  les  livres  ecclésiastiques. 

CVII.  Junilius,  évêque  d'Afrique,  fait  parler  un  maître 
avec  son  disciple.  Ce  maître  s'explique  fort  nettement,  et  sert 
très  bien  à  faire  voir  qu'on  donnait  abusivement  le  titre  de 
livres  divins  à  ceux  qui,  à  parler  proprement,  ne  le  devaient 
point  avoir.  Discipulus  :  Qaomodo  divinorum  Lihroram  consi- 
deratur  aactoritas  ?  —  Magister  :  Quia  quidam  perfeclœ  aueto- 
ritatis  sunt,  quidam  médise,  quidam  nulliûs^^.  Après  cela,  on 
ne  s'étonnera  pas  si  quelques-uns,  surtout  les  Africains,  ont 
donné  le  nom  de  divines  Écritures  aux  livres  qui,  dans  la 
vérité,  n'étaient  qu'ecclésiastiques. 

GVIII.  Grégoire  le  Grand,  quoique  pape  du  siège  de  Rome 
et  successeur  d'Innocent  l"  et  de  Gélase,  n'a  pas  laissé  de 
parler  comme  saint  Jérôme  ;  et  il  a  montré  par  là  que  les 
sentiments  de  ses  prédécesseurs  devaient  être  expliqués  de 
même;  car  il  dit  positivement  (liv.  19,  ch.  i3  de  ses  Morales) 
que  les  livres  des  Machabées  ne  sont  point  canoniques, 
licet  non  canonicos  **,  mais  qu'ils  servent  à  l'édification  de 
l'Église. 

CIX.  Il  sera  bon  de  revoir  un  peu  les  Grecs  avant  que  de 

63.   Concil.  Trid..  sess.  IV. 

6/4.  De  institutione  divinorum  Littcraram.  cap.  xii-xiv  [P.  L., 
t.  LXX,  col.  1123-1126J. 

65.  Junilius  Afrlcanus,  De  partibus  divinœ  legis,  lib.  I,  cap.  vu 
[P.  L.,  t.  LXVIII,  col.  3o].  CF.  Kihn,  Theodor  von  Mopsuestia  und 
Junilius  AJricanus  als  Exegeten,  Fribourg-en-Brisgau,  1880,  in-8. 

66.  Moral.,  lib.  XIX,  cap,  xiii,  al.  xxi,  n.  3/,  [P.  L.,  t.  LXXVI, 
col.  119]. 


244  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

venir  aux  Latins  postérieurs.  Léontius,  auteur  du  sixième 
siècle,  parle  comme  les  plus  anciens.  11  dit  qu'il  y  a  vingt- 
deux  livres  du  Vieux  Testament,  et  que  l'Église  n'a  reçu 
dans  le  canon  que  ceux  qui  sont  reçus  chez  les  Hébreux*''. 

ex.  Mais,  sans  s'amuser  à  beaucoup  d'autres,  on  peut  se 
contenter  de  l'autorité  de  Jean  de  Damas,  premier  auteur 
d'un  système  de  théologie,  qui  a  écrit  dans  le  huitième  siècle, 
et  que  les  Grecs  plus  modernes,  et  même  les  scolastiques  latins 
ont  suivi.  Cet  auteur,  dans  son  livre  IV  de  la  Foi  orthodoxe, 
ch.  XVIII,  imitant,  comme  il  semble,  le  passage  allégué  ci- 
dessus  du  livre  d'Épiphane  des  Poids  et  des  mesures,  ne 
nomme  que  vingt-deux  livres  canoniques  du  Vieux  Testa- 
ment ;  et  il  ajoute  que  les  livres  des  deux  Sagesses,  de  celle 
qu'on  attribue  à  Salomon  et  de  celle  du  fils  de  Sirach, 
quoique  beaux  et  bons,  ne  sont  pas  du  nombre  des  cano- 
niques, et  n'ont  pas  été  gardés  dans  l'arche,  où  il  croit  que 
les  livres  canoniques  ont  été  enfermés^*. 

CXI.  Pour  retourner  aux  Latins,  Strabus^^,  auteur  de  la 
Glose  ordinaire,  qui  a  écrit  dans  le  neuvième  siècle,  venant  à 
la  préface  de  saint  Jérôme  mise  devant  le  livre  de  Tobie,  où 
il  y  a  ces  paroles  :  Librum  Tobise  Hebrœi  de  catalogo  divina- 
ram  Scripturarum  sécantes,  iis  qase  hagiographa  memorant, 
manciparunt ,  remarque  ceci  :  Potius  et  vertus  dixisset  apocry- 
pha,  vel  large  accepit  hagiographa,  quasi  sanctorum  scripta,  et 
non  de  numéro  illorum  novem,  etc.  ■"*. 

CXll.  Radulphus  Flaviacensis,  bénédictin  du  dixième 
siècle,  dit  au  commencement  de  son  livre  quatorzième  sur  le 
Lévitique  :  Quoiqu^on  /«se  Tobie,  Judith  e<  les  Machabées /)our 
l'instruction,  ils  n'ont  pas  pourtant  une  parfaite  autorité  ''. 

67.  Leont.  Byzant.,  de  Seclis.  act.  II,  i-iv  [P.  Gr.,  t.  LXXXVI, 

col.    I200-I20/i]. 

68.  S.  Joan.  Damascen.,  de  Fide  orthodoxa,  lib.  IV,  cap.  xvii 
[P.  G.,  t.   XCIV,  col.  1180]. 

69.  Walafrid  Strabon,  moine  de  Fulda. 

70.  Glossa  ordinaria.  Prolegom.  [P.  L.,  t.  CXIII,  col.  32  et  a3]. 
La  citation  n'est  pas  textuelle.  ' 

71.  Rodolphe  de  Flavigny,  in  Levitic,  XIV,  i  (dans  la  Biblioth. 
max.  Patrum,  Lyon,  1667,  in-fol.,  t.  VII,  p.  177). 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  2^b 

CXIII.  Rupert,  abbé  de  Tuits  (lib.  3,  c.  3i  sur  la  Genèse), 
parlant  de  la  Sagesse  :  Ce  livre,  dit-il,  n'est  pas  dans  le  canon, 
et  ce  qui  en  est  pris  n'est  pas  tiré  de  VÉcriture  canonique''^. 

CXIV.  Pierre  le  Vénérable,  abbé  de  Cluny,  écrivant  une 
lettre  contre  certains,  nommés  Pétrobrusiens''^,  qu'on  disait 
ne  recevoir  de  l'Écriture  que  les  seuls  Évangiles,  leur  prouve, 
en  supposant  l'autorité  des  Évangiles,  qu'il  faut  donc  recevoir 
encore  les  autres  livres  canoniques. 

Sa  preuve  ne  s'étend  qu'à  ceux  que  les  protestants  recon- 
naissent aussi.  Et  quant  aux  ecclésiastiques,  il  en  parle  ainsi  : 
Après  les  livres  authentiques  de  la  sainte  Écriture,  restent  encore 
six,  qui  ne  sont  pas  à  oublier,  la  Sagesse,  Jésus  fils  de  Sirach, 
Tobie,  Judith  et  les  deux  Machabées,  qui  n'arrivent  pas  à  la 
sublime  autorité  des  précédents,  mais  qui,  à  cause  de  leur  doctrine 
louable  et  nécessaire,  ont  mérité  d'être  reçus  par  l'Église.  Je  n'ai 
pas  besoin  de  vous  les  recommander  ;  car,  si  vous  avez  quelq'je 
considération  pour  l'Église,  vous  recevrez  quelque  chose  sur  son 
autorité''^.  Ce  qui  fait  voir  que  cet  auteur  ne  considère  ces 
livres  que  comme  seulement  ecclésiastiques. 

CXV.  Hugues  de  Saint- Victor,  auteur  du  commencement 
du  douzième  siècle,  dans  son  livre  des  Écritures  et  Écrivains 
sacrés  (ch.  vi),  fait  le  dénombrement  des  vingt-deux  livres  du 
Vieux  Testament  ;  et  puis  il  ajoute  :  Il  y  a  encore  d'autres 
livres,  comme  la  Sagesse  de  Salomon,  le  livre  de  Jésus  fils  de 
Sirach,  Judith,  Tobie  et  les  Machabées,  qu'on  lit,  mais  qu'on  ne 
met  pas  dans  le  canon  ;  et  ayant  parlé  des  écrits  des  Pères, 
comme  de  saint  Jérôme,  saint  Augustin,  etc. ,  il  dit  que  ces  livres 
des  Pères  ne  sont  pas  du  texte  de  l'Ecriture  sainte,  de  même 
qu'il  y  a  des  livres  du  Vieux  Testament  qu'on  lit,  mais  qu'on  ne 
met  pas  dans  le  canon,  comme  la  Sagesse  et  quelques  autres  '*. 

7a.  Rupert  de  Deutz,  in  Gènes.,  lib.  III,  cap.  xxxi  [P.  L., 
t.  CLXLII,  col.  3i8]. 

73.  Disciples  de  Pierre  de  Bruys,  hérétique  du  xii*  siècle  et  l'un 
des  précurseurs  des  protestants. 

74.  Conl.  Petrobr.  [P.  L.,  t.  CLXXXIX,  col.  751]. 

75.  De  Scripluris  et  Scriptoribus  sacris,  cap.  vi  [P.  L.,  t.  GLXXV, 
col.  i5  el  16]. 


2^6  CORRESPOND.VNCE  [mai  1700 

CXVI.  Pierre  Comestor,  auteur  de  V Histoire  scolasliqae 
(contemporain  de  Pierre  Lombard,  fondateur  de  la  théologie 
scolastique),  va  jusqu'à  corriger  en  critique  le  texte  du  pas- 
sage de  saint  Jérôme,  dans  sa  Préface  de  Judith,  où  il  y  a 
que  Judith  est  entre  les  hagiographes  chez  les  Hébreux,  et 
que  son  autorité  n'est  pas  suffisante  pour  décider  des  contro- 
verses. Pierre  Comestor  veut  qu'au  lien  d'hagiographa,  on  lise 
apocrypha,  croyant  que  les  copistes,  prenant  les  apocryphes 
en  mauvais  sens,  ont  corrompu  le  texte  de  saint  Jérôme  : 
Apocrypha  horrentes,  eo  rejecto,  hagiographa  scripsere''^.  Il 
semble  que  le  passage  de  Strabus  sur  Tobie  a  donné  occasion 
à  cette  doctrine. 

CXVII.  Dans  le  treizième  siècle  fleurissait  un  autre  Hugo, 
dominicain  ",  premier  auteur  des  Concordances  sur  la  sainte 
Ecriture,  c'est-à-dire  des  allégations  marginales  des  passages 
parallèles,  fait  cardinal  par  Innocent  IV.  On  a  de  lui  des 
vers,  où,  après  le  dénombrement  des  livres  canoniques  sui- 
vant l'antiquité  et  les  prolestants,  on  trouve  ceci  : 

Lex  vêtus  his  libris  perfecte  tota  tenetur  ; 
Restant  apocrypha  :  Jésus,  Sapientia,  Pastor, 
Et  Machabœorum  libri,  Judith  atque  Tobias. 
Hi,  quia  sunt  dubii,  sub  Ganone  non  numerantur  ; 
Sed  quia  vera  canunt,  Ecclesia  suspicit  illos. 

CXVni.  Nicolas  de  Lyre,  fameux  commentateur  de  la 
sainte  Écriture,  du  quatorzième  siècle,  commençant  d'écrire 
sur  les  livres  non  canoniques,  débute  ainsi  dans  la  Préface  de 
Tobie  :  Jusqu'ici  fai  écrit,  avec  l'aide  de  Dieu,  sur  les  livres 
canoniques  ;  maintenant  je  veux  écrire  sur  ceux  qui  ne  sont  pas 
dans  le  canon.  Et  puis  :  bien  que  la  vérité  écrite  dans  les  livres 
canoniques  précède  ce  qui  est  dans  les  autres,  à  Végard  du 
temps  dans  la  plupart  et  à  l'égard  de  la  dignité  en  tous,  néan- 
moins la  vérité  écrite  dans  les  livres  non  canoniques  est  utile 

76.  Histor.  scholastic.  [P.  L.,  t.  CXGVIII,  col.  ilt-jb,  i43i  ;  cf. 
col.  1260]. 

77.  Huçues  de  Saint-Cher,  Post.  in  Jos.,  prol.,  dans  ses  0[  wa 
omnia,  Lyon,  1669,  '"-fo')  t-  I;  P-   178. 


maî  1700J  DE   BOSSUET.  2^7 

pour  nous  diriger  dans  le  même  chemin  des  bonnes  œavres,  qai 
mène  au  royaume  des  cieax''^. 

GXIX.  Dans  le  même  siècle,  leglossateur  du  Décret,  qu'on 
croit  être  Jean  Semeca^^,  dit  le  Teutonique,  parle  ainsi  :  La 
Sagesse  de  Salomon,  et  le  livre  de  Jésus  fils  de  Sirach,  Judith, 
Tobie  et  le  livre  des  Machabées  sont  apocrj'phes.  On  les  lit; 
mais  peut-être  n'est-ce  pas  généralement^". 

CXX.  Dans  le  quinzième  siècle,  Antonin,  archevêque  de 
Florence,  que  Rome  a  mis  au  nombre  des  saints,  dans  sa 
Somme  de  théologie^^  (p.  III,  tit.  18,  c.  6,  §  2),  après  avoir 
dit  que  la  Sagesse,  l'Ecclésiastique,  Judith,  Tobie  et  les 
Machabées  sont  apocryphes  chez  les  Hébreux,  et  que  saint 
Jérôme  ne  les  juge  point  propres  à  décider  les  controverses, 
ajoute  que  saint  Thomas,  in  secunda  secandœ,  et  Nicolas  de 
Lyre,  sur  Tobie,  en  disent  autant  ;  savoir,  qu'on  n'en  peut  pas 
tirer  des  arguments  efficaces  en  ce  qui  est  de  la  foi,  comme  des 
autres  livres  de  la  sainte  Écriture.  Et  peut-être,  ajoute  Anto- 
nin, qu'ils  ont  la  même  autorité  que  les  paroles  des  saints 
approuvées  par  l'Eglise. 

CXXI.  Alphonse  Tostat,  grand  commentateur  du  siècle 
qui  a  précédé  celui  de  la  Réformation,  dit  dans  son  Defenso- 
rium  (p.  II,  ch.  aS),  que  la  distinction  des  livres  du  Vieux  Tes- 
tament en  trois  classes,  faite  par  saint  Jérôme  dans  son  Prologus 
galeatus,  est  celle  de  l'Église  universelle  ;  qu'on  l'a  eue  des 
Hébreux  avant  Jésus-Christ,  et  qu'elle  a  été  continuée  dans 
l'Église^^.  Il  parle  en  quelques  endroits  comme  saint  Augus- 

78.  Prxfat.  in  Tob.,  dans  Ja  Glossa  ordinaria,  Anvers,  i634, 
in-fol.,  t.  Il,  col.  i499- 

79.  JeanZemeke,  appela  Liix  decretorum,  mort  vers  13^3.  Voir  l'ar- 
ticle de  Schulte  dans  la  Zeitschrifl  fur  Kirchenrecht  de  Dove,  t.  XVI 
p.  107-182  ;  Panzirola,  De  claris  Icgum  Interpretibus,  Venise,  1687,  '""'i) 
lib.  III,  cap.  VI  ;  Quétif^Échard,  Script.  Prœdicat..  1. 1,  p.  ^89;  P.  Tai- 
sand,  Vies  des  plus  célèbres  jurisconsultes,  Paris,  1787,  in-i^,  p.  5i2. 

80.  Dist.  XVI,  can.  8,  dans  le  Corpus  juris  canonici  glossis  diverso- 
rum  illustratum,  Lyon,  1671,  in-fol.,  t.  I,  p.  60. 

81.  Cf.  édit.  de  Vérone,  17A0,  t.  III,  p.  io43. 

83.  Defensorium,  part,  II,  cap.  xxiii,  dans  les  Œuvres  de  Tostat, 
Venise,  i5q6,  in-fol.,  t.  XII,  f»  25  v°. 


248  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

tin,  disant,  dans  son  Commentaire  sur  le  Prologas  galeatue, 
que  l'Église  reçoit  ces  livres,  exclus  par  les  Hébreux,  pour 
authentiques  et  compris  au  nombre  des  saintes  Écritures. 
Mais  il  s'explique  lui-même  sur  saint  Matthieu  (quest.  2)  : 
Il  y  a,  dit-il,  d'autres  livres  que  VEglise  ne  met  pas  dans  le 
canon,  et  ne  leur  ajoute  pas  autant  de  foi  qu'aux  autres  :  Non 
recipientes  non  judicat  inobedientes  aut  infidèles  *^  ;  elle  ignore 
sHls  sont  inspirés  ;  et  puis  il  nomme  expressément  à  ce  pro- 
pos la  Sagesse,  l'Ecclésiastique,  les  Machabées,  Judith  et 
Tobie,  disant  :  Quod  probatio  ex  illis  sumpta  sit  aliqualiter 
efficax.  Et  (quest.  3)  parlant  des  apocryphes,  dont  il  n'est 
pas  certain  qu'ils  ont  été  écrits  par  des  auteurs  inspirés,  il 
dit  qu'il  suffit  qu'il  n'y  a  rien  qui  soit  manifestement  faux  ou 
suspect  ;  qu'ainsi  l'Église  ne  les  met  pas  dans  son  canon  et  ne 
force  personne  à  les  croire  ;  cependant  elle  les  lit,  etc.  ;  et  puis 
il  dit  expressément  au  même  endroit,  qu'il  n'est  pas  assuré 
que  les  cinq  livres  susdits  soient  inspirés  :  De  auctoribus 
horum  non  constat  Ecclesiœ  an  Spiritu  sancto  dictante  scripse- 
rint  ;  non  tamen  reperit  in  illis  aliquid  falsum  aut  valde  saspe- 
ctum  de  falsitate^''. 

CXXII.  Enfin,  dans  le  seizième  siècle,  immédiatement  avant 
la  Réformation,  dans  la  préface  de  la  Bible  du  cardinal 
Ximenès  *^,  dédiée  à  Léon  X,  il  est  dit  que  les  livres  du  Vieux 
Testament,  qu'on  n'a  qu'en  grec,  sont  hors  du  canon,  et  sont 
plutôt  reçus  pour  l'édification  du  peuple  que  pour  établir  des 
dogmes. 

GXXIII.  Et  le  cardinal  Cajétan  **,  écrivant  après  la  Réfor- 
mation commencée,  mais  avant  le  concile  de  Trente,  dit,  à  la 

83.  Comm.  in  I  Reg.  in  Prolog,  gai.,  quaest.  xxvii  et  xxvm,  dans 
les  Opéra  omnia,  Venise,  1728,  in-fol.,  t.  XI,  p.  19. 

84-  In  Evangel.  Matt.,  praefat.,  quaest.  11  et  m,  dans  les  Opéra. 
t.  IX,  f""  2  r"  et  \°  (La  dernière  citation  n'est  pas  littérale). 

85.  Biblia  sacra,  hebraice,  chaldaice,  grxce  et  latine,  nunc  primum. 
impressa  de  mandalo  et  sumptibus  Fr.  Simenii  de  Cisneros.  AlcalaJ 
i5i4-i5i7,  6  vol.  in-fol.,  t.  II,  Prologus  ad  lectorem.  1 

86.  Thomas  de  Vio,  connu  sous  le  nom  de  cardinal  Ca/tan,  ne 
doit  pas  être  confondu  avec  Cajétan,  qui  fut  légat  en  rrance  auj 
temps  de  la  Ligue  (Cf.  t.  II,  p.  2). 


1 


mai  1700]  DE  BOSSUET.  2/19 

fin  de  son  Commentaire  sur  l'Ecclésiaste  de  Salomon,  publié  à 
Rome  en  i534  :  Cesl  ainsi  que  finit  /'Ecclésiaste  avec  les  livres 
de  Salomon  et  de  la  Sagesse.  Mais  quant  aux  autres  livres,  à 
qui  on  donne  ce  nom,  qui  vocantur  Libri  sapientiales,  puisque 
saint  Jérôme  les  met  hors  du  canon  qui  a  Vautoritê  de  la  foi, 
nous  les  omettrons,  et  nous  nous  hâterons  d'aller  aux  oracles  des 
prophètes. 

CXXIV.  Après  ce  détail  de  l'autorité  de  tant  de  grands 
hommes  de  tous  les  siècles,  qui  ont  parlé  formellement 
comme  l'andenne  Eglise  et  comme  les  protestants*'',  on  ne 
saurait  douter,  ce  semble,  que  l'Église  a  toujours  fait  une 
grande  différence  entre  des  livres  canoniques  ou  immédiate- 
ment divins,  et  entre  d'autres  compris  dans  la  Bible,  mais 
qui  ne  sont  qu'ecclésiastiques  :  de  sorte  que  la  condamnation 
de  ce  dogme,  que  le  concile  de  Trente  a  publiée,  est  une  des 
plus  visibles  et  des  plus  étranges  nouveautés  qu'on  ait  jamais 
introduites  dans  l'Église  **. 

87.  Voir  Gaussen,  Le  Canon  des  Saintes  Ecritures  au  double  point 
de  vue  de  la  science  et  de  la  foi,  Lausanne,  1860,  2  vol.  in-8  ;  Ed. 
Reuss,  Histoire  du  Canon  des  Écritures  saintes  dans  l'Eglise  chrétienne, 
Strasbourg-,  i863,  in-8;  Sam.  Davidson,  The  Canon  of  the  Bible,  its 
formation,  history  and  fluctuations,  Londres,  1877,  in-8;  Kœnig,  Essai 
sur  la  formation  du  canon  de  l'Ancien  Testament,  Paris,  1894,  in-8. 

88.  Voici  ce  qu'après  les  études  plus  approfondies,  poursuivies  au 
XIX®  siècle  et  de  nos  jours,  sur  le  canon  des  Ecritures,  les  exégètes 
catholiques  répondent  â  ces  assertions  de  Leibniz.  Par  l'usage  que 
les  apôtres  ont  fait  de  la  Bible  des  Septante,  le  canon  des  Juifs 
d'Alexandrie  a  passé  avec  elle  dans  l'Eglise  chrétienne  et  y  a  joui 
d'une  paisible  possession  jusqu'à  la  fin  du  iii^  siècle.  Les  Pères  apos- 
toliques citent  les  deutérocaniques  comme  les  autres  livres  sans  faire 
entre  les  uns  et  les  autres  la  moindre  différence,  comme  le  reconnaît 
un  exégète  protestant,  Ed.  Reuss  (^op.  cit..  p.  99).  Les  exemplaires 
des  Septante  et  des  versions  dont  iU  se  servent  n'en  marquent  du 
reste  aucune. 

C'est  au  iv«  siècle  et  au  commencement  du  v*,  que  s'élèvent,  et 
tout  d'abord  en  Orient,  des  hésitations  et  des  doutes  sur  les  livres 
deutérocanoniques.  La  distinction  alors  introduite  entre  les  livres 
sacrés  provient,  soit  du  choix  qui  anciennement  était  fait  de  lectures 
plus  appropriées  aux  dispositions  des  néophytes,  soit  des  exigences  de 
la  polémique  avec  les  Juifs  (cf.  Athanase,  Lettre  festivale,  29  [P.  G., 


25o  CORRESPONDANCE  [mai  1700 

Il  est  temps,   Monseigneur,   que  je  revienne  à  vous,  et 

t.  XXVI,  col.  II 76]  et  Orig-ène,  In  Num.  hom.  xxvii,  i,  et  Epist.  ad 
Afric,  3  et  i3,  P.  G.,  t.  XII,  col.  780,  et  t.  XI,  col.  53,  80).  On  ne 
pouvait  se  servir  contre  les  Juifs  que  des  livres  reçus  par  eux  comme 
inspirés.  Or,  à  cette  époque,  sous  l'influence  rabbinique,  ils  écartaient 
les  Septante,  à  cause  des  avantagées  qu'en  tiraient  les  chrétiens,  et  ils 
ne  reconnaissaient  d'autorité  qu'au  texte  hébraïque.  De  là  est  venue 
dans  l'Eglise  chrétienne  la  distinction  entre  les  livres  qui  pouvaient 
servir  à  établir  la  foi  et  ceux  qui  étaient  réservés  à  l'édification  des 
Fidèles. 

En  Occident,  à  la  même  époque,  les  doutes  n'apparaissent  que 
chez  les  auteurs  qni  ont  eu  des  relations  avec  l'Orient.  Chez  les  autres 
et  dans  un  grand  nombre  d'Eglises,  la  tradition  ecclésiastique  ne  subit 
aucune  interruption  :  on  reconnaît  tous  les  livres  sacrés  que  les  an- 
ciens Pères  et  les  apôtres  avaient  reçus.  Ceux-là  même  qui,  en  théorie, 
font  une  distinction  entre  les  livres  de  la  Bible,  n'en  tiennent  pas 
compte  dans  les  discussions  entre  chrétiens,  soit  qu'ils  ne  croient  pas 
leurs  difficultés  théoriques  suffisantes  pour  leur  faire  abandonner 
l'usage  traditionnel,  soit  qu'ils  estiment  que,  ne  s'adressant  pas  à  des 
Juifs,  mais  à  des  fidèles,  il  n'y  a  pas  lieu  d'en  faire  état.  Celui  qui 
contribua  le  plus  à  propager  en  Occident  la  distinction  entre  les  deux 
sortes  de  Livres  saints  fut  saint  Jérôme.  Il  y  fut  amené  par  ses  rapports 
avec  les  Juifs  et  par  son  attachement  à  la  Bible  hébraïque,  qu'il 
avait  traduite  en  latin.  Son  autorité  entraîna  un  grand  nombre  de 
Pères  et  d'écrivains  ecclésiastiques. 

Du  V*  au  XI*  siècle,  tandis  que  les  savants  se  font  l'écho  des  anciens 
doutes,  la  pratique  ecclésiastique  conserve  les  livres  contestés,  tandis 
qu'en  Orient,  ces  livres  reprennent  faveur,  si  bien  que  les  Grecs  eux- 
mêmes  les  reçoivent  dans  leur  canon. 

Du  XII*  au  xvi<^  siècle,  les  Orientaux  finissent  généralement  par  les 
adopter.  En  Occident,  au  contraire,  sous  l'Influence  de  saint  Jérôme, 
on  continue  à  émettre  des  doutes  sur  leur  canonlclté  et  on  les  place  eu 
un  rang  inférieur.  Mais  le  nombre  des  opposants  diminue;  plusieurs 
même,  comme  Tostat,  ont  des  opinions  flottantes.  Chose  digne  de 
remarque,  tous  les  manuscrits  de  la  Bible  exécutés  au  moyen  âge 
continuent  à  mélanger  sans  distinction  les  deutérocanonlques  aux 
autres  livres.  Malgré  les  doutes  émis  par  quelques  docteurs,  l'Eglise 
continue  alors  à  les  lire,  à  les  citer  aussi  bien  que  les  livres  du  canon 
palestinien,  et  avec  les  mêmes  formules.  Le  concile  de  Trente  n'a 
fait  que  sanctionner  la  pratique  commune  (Cf.  Dictionnaire  de  la  Bible 
de  Vigouroux,  t.  H,  col.  i/i3-i63,  et  Dict.  de  Théologie  de  Vacant, 
t.  II,  Canon  chrétien  de  l'Ancien  Testament,  col.  i574-i582  ;  Sanders, 
Études  sur  saint  Jérôme,  Bru.xelles,  igoS,  in-8,  p.  196-2A7). 


mai  1700]  DE   BOSSUET.  25l 

même  que  je  finisse  ;  car  votre  seconde  lettre  n'a  rien  qui 
nous  doive  arrêter,  excepté  ce  que  j'ai  touché  au  commence- 
ment de  ma  première  réponse.  Au  reste,  j'y  trouve  presque 
tout  assez  conforme  au  sens  des  protestants  ;  car  je  n'insiste 
point  sur  quelques  choses  incidentes  ;  et  il  suiïlt  de  remarquer 
que  ce  que  vous  dites  si  bien  de  l'autorité  et  de  la  doctrine 
constante  de  l'Église  catholique,  est  entièrement  favorable 
aux  protestants  et  absolument  contraire  à  des  novateurs  aussi 
grands  que  ceux  qui  étaient  de  la  faction  si  désapprouvée  en 
France,  qui  nous  a  produit  les  anathèmes  inexcusables  de 
Trente. 

Je  ne  doute  point  que  la  postérité  au  moins  n'ouvre  les 
yeux  là-dessus,  et  j'ai  meilleure  opinion  de  l'Église  catho- 
lique et  de  l'assistance  du  Saint-Esprit,  que  de  pouvoir  croire 
qu'un  concile  de  si  mauvais  aloi  soit  jamais  reçu  pour  œcu- 
ménique par  l'Église  universelle.  Ce  serait  faire  une  trop 
grande  brèche  à  l'autorité  de  l'Église  et  du  christianisme 
même,  et  ceux  qui  aiment  sincèrement  son  véritable  intérêt 
s'y  doivent  opposer.  C'est  ce  que  la  France  a  fait  autrefois 
avec  un  zèle  digne  de  louange,  dont  elle  ne  devrait  pas  se 
relâcher,  maintenant  qu'elle  a  été  enrichie  de  tant  de  nou- 
velles lumières,  parmi  lesquelles  on  vous  voit  tant  bril- 
ler. 

En  tout  cas,  je  suis  persuadé  que  vous  et  tout  ce  qu'il  y  a 
de  personnes  éclairées  dans  votre  parti,  qui  ne  sauraient 
encore  surmonter  les  préventions  où  ils  sont  engagés,  ren- 
dront assez  de  justice  aux  protestants  pour  reconnaître  qu'il 
ne  leur  est  pas  moins  impossible  d'effacer  l'impression  de 
tant  de  raisons  invincibles  qu'ils  croient  avoir  contre  un  con- 
cile dont  la  matière  et  la  forme  paraissent  également  insoute- 
nables. Il  n'y  a  que  la  force,  ou  bien  une  indifférence  peu 
éloignée  d'une  irréligion  déclarée,  qui  ne  se  fait  que  trop 
remarquer  dans  le  monde,  qui  puisse  le  faire  triompher. 
J'espère  que  Dieu  préservera  son  Église  d'un  si  grand  mal  ; 
et  je  le  prie  de  vous  conserver  longtemps,  et  de  vous  donner 
les  pensées  qu'il  faut  avoir  pour  contribuer  à  sa  gloire  autant 
que  les  talents  extraordinaires  qu'il  vous  a  confiés  vous  don- 


252  CORRESPONDANCE  [juin  1700 

nent  moyen  do  le  faire.  Et  je  suis  avec  zèle,   Monseigneur, 
votre  très  humble  el  très  obéissant  serviteur. 

Leibniz. 


20o3.  —  A  Leibniz. 

A  Versailles,   i"  juin  1700. 

Monsieur, 
Votre  lettre  du  3o  avril  m'a  tiré  de  peine  sur  les 
deux  miennes,  en  m 'apprenant  non  seulement  que 
vous  les  avez  reçues,  mais  encore  que  vous  avez  pris 
la  peine  d'y  répondre,  et  que  je  puis  espérer  bientôt 
cette  réponse.  Il  ne  servirait  de  rien  de  la  préve- 
nir ;  et  encore  que,  dès  à  présent,  je  pusse  peut- 
être  vous  expliquer  l'équivoque  du  mot  de  cano- 
nique, qui,  à  la  fin,  se  tournera  contre  vous,  il  vaut 
mieux  attendre  que  vous  ayez  traité  à  fond  ce  que 
vous  n'avez  dit  encore  qu'en  passant.  Mais  je  ne  puis 
tarder  à  vous  expliquer  l'endroit  de  ma  lettre  sur 
lequel  Monseigneur  le  duc  veut  être  éclairci.  J'ai 
donc  dit  que  l'on  tenterait  vainement  des  pacifica- 
tions sur  les  controverses  en  présupposant  qu'il  fal- 
lût changer  quelque  chose  dans  aucun  des  juge- 
ments portés  par  l'Eglise.  Car,  comme  nos 
successeurs  croiront  ^  avoir  le  même  droit  de  chan- 
ger ce  que  nous  ferions,  que  nous  aurions  eu  de 
changer  ce  que  nos  ancêtres  auraient  fait,  il  arrive- 
rait nécessairement  qu'en  pensant  fermer  une  plaie, 
nous  en  rouvririons  une  plus  grande.  Ainsi  la  reli- 

Lettre  2003.  —  L.  s.;  de  la  main  d'un  copiste,  avec  correclions auto- 
graphes. Hanovre,  Papiers  de  Leibniz,  f*>386.  Imprimée  d'abord  dans 
les  Œuvres  posthumes,  t.  I,  p.  5o8.  Minute,  collection  H.  de  Rothsc'  id. 

I.   Edit.  :  croiraient. 


juin  1700]  DE   BOSSUET.  253 

gion  n'aurait  rien  de  ferme  ;  et  tous  ceux  qui  en 
aiment  la  stabilité  doivent  poser  avec  nous  pour 
fondement  que  les  décisions  de  l'Église,  une  fois 
données,  sont  infaillibles  et  inaltérables,  Voilà,  Mon- 
sieur, ce  que  j'ai  dit,  et  ce  qui  est  très  véritable.  Et 
au  reste,  à  Dieu  ne  plaise  que  je  sois  capable  de 
compter  la  guerre  parmi  les  moyens  de  finir  le 
scliisme  ;  à  Dieu  ne  plaise,  encore  un  coup,  qu'une 
telle  pensée  ait  pu  m'entrer  dans  l'esprit,  et  je  ne 
sais  à  quel  propos  vous  m'en  parlez. 

Quant  à  l'endroit  011  vous  dites  que  je  n'ai  pas 
répondu,  ou  que  j'ai  différé  de  répondre,  j'avoue 
que  je  ne  l'entends  pas.  Je  soupçonne  seulement 
que  vous  regardez  à  un  acte^  du  concile  de  Bâle, 
que  vous  m'avez  autrefois  envoyé.  Mais  assurément 
j'y  ai  répondu  si  démonstrativement,  dans  mon  écrit 
à  M.  l'abbé  de  Loccum^  que  je  n'ai  rien  à  y  ajou- 
ter. Je  vous  supplie  donc.  Monsieur,  encore  un 
coup,  comme  je  crois  l'avoir  déjà  fait,  de  repasser 
sur  cette  réponse,  si  vous  l'avez,  et  de  marquer  les 
endroits  oii  vous  croyez  que  je  n'aie  pas  répondu,  afin 
que  je  tâche  de  vous  satisfaire,  ne  désirant  rien  tant 
au  monde  que  de  contenter  ceux  qui  cherchent  le 
royaume  de  Dieu. 

Permettez-moi  de  vous  prier  encore  une  fois,  en 
finissant  cette  lettre,  d'examiner  sérieusement  devant 
Dieu  si  vous  avez  quelque  bon  moyen  d'empêcher 
l'état  de  l'Eglise*  de  devenir  éternellement  variable, 

2.  Edit.  :  vous  voulez  parler  d'un  acte.  —  Cf.  t.  V,  p.   128. 

3.  De  scriplo  cui  titulus  :  Cogitationes  privatae...  Episcopi  Meldensis 
senlentia,  lv,  dans  l'édition  Lâchât,  t.  XVII,  p.  ^QO-zigS. 

4.  Édit.  :  d'empêcher  l'Eglise. 


254  CORRESPONDANCE  [juin  1700 

en  présupposant  qu'elle  peut  errer  et  changer  ses 
décrets  sur  la  foi.  Trouvez  bon  que  je  vous  envoie 
une  instruction  pastorale  que  je  viens  de  publier  sur 
ce  sujet-là^  :  si  vous  la  jugez  digne  d'être  présentée 
à  votre  grand  et  habile  prince,  je  me  donnerai  1  hon- 
neur de  lui  en  faire  le  présent  dans  les  formes,  avec 
tout  le  respect  qui  lui  est  dû.  J'espère  que  la  lec- 
ture ne  lui  en  sera  pas  désagréable,  ni  à  vous  aussi, 
puisque  cet  écrit  comprend  la  plus  pure  tradition 
du  christianisme  sur  les  promesses  de  l'Eglise.  Con- 
tinuez-moi l'honneur  de  votre  amitié,  comme  je 
suis  de  mon  côté,  avec  toute  sorte  d'estime.  Mon- 
sieur, votre  très  humble  serviteur, 

J.  BÉiNiGNE,  é.  de  M  eaux. 
On  lit  à  la  fin  de  la  quatrième  page^  : 

Je  ne  puis.  Monsieur,  trouver  une  meilleure  occasion  de 
me  remettre  dans  l'honneur  de  votre  souvenir,  et  de  vous 
assurer  que  je  vous  honore  toujours  comme  je  dois,  et  suis 
plus  que  personne  du  monde  votre  très  humble  et  très  obéis- 
sant serviteur. 

La  Loubère. 


200/i.  —  L'Abbé  de  Larnyère  a  Bossuet. 

Monseigneur, 
Lorsque  j'ai  eu  l'honneur  de  voir  Votre  Grandeur  à  Meaux, 
pour  la  supplier  très  humblement  de  vouloir  bien  prendre  la 
peine  de  s'informer  dans  son  diocèse  de  mon  affaire,  comme 

5.  Instruction  pastorale  sur  les  promesses  de  l'Église,   Paris,   1700, 
in-ia.  Achevée  d'imprimer  le  3o  avril. 

6.  Ces  lignes,  de  la  main  de  Simon  de  La  Loubère  (cf.  t.  V,  p.  8'  f, 
sont  inédites. 

Lettre  2004.  —  L.  a.  s.   Bibliothèque  de   Sir  Thomas  Phillips,  à 


juin  1700]  DE   BOSSUET.  255 

elle  m'avait  fait  l'honneur  de  me  le  promettre  à  Paris,  vous 
avez  trouvé  à  propos,  ne  voulant  pas  envoyer  vos  officiers  sur 
les  lieux,  me  donner  M.  le  curé  de  Vareddcs  '  pour  juge  et  me 
promettre  de  me  faire  justice.  Je  l'ai  toujours  attendue  de 
vous  depuis  ce  temps-là,  Monseigneur,  sans  aucune  nouvelle. 
Trouvez  bon,  étant  honnête  homme  et  ne  pouvant  vivre  avec 
telle  infamie,  causée  par  la  lettre  de  M.  Pidoux-,  qui  a  été 
publiée  par  M.  le  curé  de  Ghoisy  ^  et  sa  belle-mère  à  tous  les 
prêtres  et  particuliers  du  pays,  que  je  supplie  très  humble- 
ment Votre  Grandeur  d'approfondir  l'affaire  et  me  traiter 
aux  termes  de  l'Eglise.  Je  me  rendrai  même  au  lieu  que  vous 
me  marquerez,  pendant  que  vous  ferez  procéder  contre  moi. 
Cette  affaire,  en  vérité,  Monseigneur,  fait  saigner  le  cœur  de 
tous  les  honnêtes  gens  du  pays  et  de  tout  le  peuple  de  Choisy. 
J'espère  de  Votre  Grandeur,  qui  se  porte  d'elle-même  à  faire 
plaisir  à  tout  le  monde  et  à  protéger  les  gens  de  bien,  que 
vous  me  ferez  justice. 

Je  suis  avec  tout  le  respect,  l'obéissance  et  la  confiance  pos- 
sible. Monseigneur,  votre  humble,  très  acquis  et  très  affec- 
tionné serviteur, 

L'Abbé  de  Larnyère. 

Ce  premier  juin  1700. 


20o5.   —  Sœur  G.   des  Anges  a  Bossuet. 

Monseigneur, 
Je  n'ai  encore  osé  me  jeter  aux  pieds  de  Votre  Grandeur 

Cheltenham.  Inédite.  —  Claude  de  Laumoy  de  Larnyère  était  curé 
de  La  Trétoire.  Nous  ignorons  l'affaire  à  laquelle  il  est  fait  allusion 
dans  sa  lettre  :  on  y  doit  rattacher  vraisemblablement  l'absence 
prolongée  que  révèlent  les  registres  de  la  paroisse  de  La  Trétoire. 
Sans  doute,  l'abbé  de  Larnyère  sortit  de  cette  affaire  à  son  honneur, 
car,  au  commencement  de  1708,  il  fut  mis  à  la  tête  de  l'importante 
paroisse  de  Jouy-sur-Morin,  où  il  mourut  le  10  septembre  1710. 

1.  L'abbé  de  Saint-André. 

2.  Sur  Valentin  Pidoux,  voir  t.  IV,  p.  288. 

3.  Ghoisy-en-Brie,  canton  de  La  Ferté-Gaucher. 

Lettre  2005.  —  L.   a.  s.  Bibliothèque  de  Sir  Thomas  Phillips,   à 


256  CORRESPONDANCE  [juin  1700 

pour  lui  demander  mille  pardons  des  sujets  de  chagrins 
qu'elle  peut  avoir  eus  de  notre  part  sur  la  sortie  de  M.  de  La 
Tour*.  Je  vous  assure,  Monseigneur,  que  les  choses  n'ont 
point  été  comme  il  a  pu  vous  les  faire  entendre.  Il  m'a  écrit, 
même  depuis  son  départ,  une  lettre  qui  me  sert  de  répara- 
tion. J'espère  que  votre  bonté  paternelle  oubliera  tout  et 
qu'elle  voudra  bien  souffrir  que  je  prenne  la  liberté  de  lui 
dire  qu'il  se  présente  deux  ecclésiastiques  pour  être  confes- 
seur chez  nous.  Je  mande  à  M.  Ledieu  ce  que  nous  en  avons 
pu  connaître.  Le  premier  qui  s'est  offert  doit  se  présenter  à 
Votre  Grandeur  ou  à  M.  Phelipeaux.  Je  ne  doute  point  qu'on 
ne  l'examine  exactement;  nous  avons  bien  besoin  d'un  hon- 
nête homme  qui  fasse  rentrer  notre  communauté  dans  son 
premier  esprit  de  douceur  et  de  simplicité  à  laquelle  elle  est 
toujours  très  portée.  Si  nous  sommes  assez  heureuses  de  bien 
rencontrer,  je  vous  assure,  Monseigneur,  que  vous  n'enten- 
drez point  parler  de  nous,  et  que  nous  ferons  tout  ce  que 
nous  pourrons  pour  le  conserver. 

Votre  Grandeur  trouvera  bon  que  je  lui  dise  que  nous 
sommes  toujours  inquiétées  par  MM.  Gridé'^.  Ils  ont  voulu 
faire  une  assemblée  d'habitants  contre  nous,  mais  tous  les 
Messieurs  et  les  Dames  se  sont  si  bien  mis  en  état  de  nous 
défendre  qu'ils  n'en  ont  remporté  que  la  confusion. 

Nous  travaillons  à  l'enregistrement  de  nos  lettres  d'établis- 
sement^. Nous  avons  consulté  nos  pièces  à  Paris,  selon  l'avis 

Gheltenham.  Inédite.  —  Les  renseignements  nous  manquent  sur 
Sœur  G.  des  Anges,  prieure  de  Rozoy.  Les  dominicaines  de  Toul 
avaient  fondé,  en  16^8,  à  Rozoy-en-Brie,  un  établissement  connu  sous 
le  titre  de  la  Mère  de  Dieu,  destiné  à  l'iuslrucliou  gratuite  des  jeunes 
filles,  riches  ou  pauvres,  de  la  ville  (T.  Duplessis,  Hist.  de  l'Eglise 
de  Meaux,  t.  I,  p.  ^53  ;  t.  II,  p.  375-377"). 

1.  M.  de  La  Tour,  pri^cédemment  aumônier  des  Dominicaines. 

2.  Sans  doute  Mathieu  Gridé,  élu  en  l'i'-lection,  et  ses  fils,  dont  l'un. 
Mathieu  Bertin,  était  maire  de  Rozoy,  et  l'autre,  Pierre,  docteur  de 
la  Faculté  de  Paris,  fut  pourvu,  en  1700,  de  la  cure  de  Grouy-sur- 
Ourcq  (Registres  paroissiaux  de  Rozoy  et  de  Grouy  ;  Archives  Nation., 
X'B888^,  i9d('-c.  1697).  i 

3.  De  janvier  i65o,  revalidées  en  février  1673  par  des  lettres  de 
surannalion. 


juin  1700]  DE   BOSSUET.  267 

que  nous  avait  donné  M.  Léger*  à  Meaux,  par  l'ordre  de 
Votre  Grandeur.  Elles  ont  été  trouvées  très  bonnes,  et  notre 
arrêt  ^  subsistant  encore,  en  sorte  que  nous  n'avons  qu'à  l'exé- 
cuter. Quand  Votre  Grandeur  sera  de  retour  de  Saint-Ger- 
main^, nous  lui  présenterons  nos  pièces  pour  avoir  son 
approbation  et  lui  demander  sa  protection  et  sa  faveur. 
Cependant  notre  communauté  vous  ofTre  ses  très  humbles 
soumissions  et  est,  comme  moi,  avec  un  très  profond  respect. 
Monseigneur,  votre  très  humble  et  très  obéissante  fille  et 
servante. 

S"'  C.  DES  Anges,  Prieure  très  indigne. 
A  Rozoy,  ce  3  juin  1700. 


2006.    —  DoM  Jean  Mabillon  a  Bossuet. 

Ce  5  juin  1700. 

J'ai  reçu  l'Instruction  pastorale  '  de  Votre  Grandeur,  que 
M.  Ledieu  m'a  fait  l'honneur  de  me  donner  de  votre  part.  Je 
l'ai  lue  avec  le  même  plaisir  que  je  lis  tout  ce  qui  vient  de 
votre  main.  Je  ne  doute  pas  que  Dieu  n'y  donne  sa  bénédic- 
tion, et  qu'elle  ne  soit  très  utile,  non  seulement  pour  nos 
frères  errants,  mais  même  pour  les  catholiques.   11  y  a  des 

4.  Jean  Léguer,  notaire  à  Meaux,  procureur  fiscal  et  bailli  de 
l'évêché,  «  homme  d'esprit,  droit,  ferme  et  accommodant»,  dit  Ledieu 
(t.  II,  p.  25),  rendit  à  Bossuet  de  grands  services  pour  le  soin  de  ses 
affaires  temporelles.  Il  mourut  le  17  novembre  1700,  laissant  trois 
fils,  dont  l'un  lui  succéda  dans  son  office  de  notaire  et  les  deux  autres 
furent  chanoines  de  Meaux.  Il  avait  aussi  trois  filles  mariées  à  Paris. 

5.  Avant  l'enregistrement  des  lettres  susdites,  un  arrêt  du  i^'  février 
1674  avait  ordonné  une  enquête  de  commodo  et  incommodo.  Depuis 
lors,  les  choses  traînaient  en  longueur.  Bossuet,  après  avoir  donné 
son  consentement  le  8  septembre  1700,  prononça  le  34  janvier  1708 
entre  les  Sœurs  et  le  curé,  et  celui-ci  donna  mainlevée  de  son  opposi- 
tion (Arch.  Nat.,  XIB8888,   12  déc.  1703). 

6.  Bossuet  y  était  retenu  par  l'assemblée  du  Clergé. 
Lettre  2006.  —  i.  Sur  les  promesses  de  l'Eglise. 

XII  -   17 


258  CORRESPONDANCE  [juin  1700 

passages  admirables  pour  la  perpétuité  de  l'Église.  Un  doc- 
leur  de  Sorbonne  me  dit  ces  jours  passés  qu'il  l'a  trouvée  si 
belle,  cette  Instruction,  qu'il  l'avait  lue  deux  fois.  Dieu  veuille 
vous  conserver  pour  le  bien  de  l'Église,  et  pour  la  consolation 
de  ceux  qui  vous  honorent,  comme  nous  faisons,  Dom  Thierry  ^ 
et  moi.  Il  joint  ses  très  humbles  remercîments  aux  miens, 
pour  le  même  présent  qu'on  lui  a  fait  de  votre  part. 

On  nous  mande  de  Rome  que  les  livres  faits  contre  l'édi- 
tion de  saint  Augustin  ^  ont  été  censurés  au  Saint  Office  le 
12  du  mois  passé,  le  cardinal  Carpegna  y  présidant  à  la  place 
de  M.  le  cardinal  de  Bouillon*.  Je  ne  doute  pas  que  Votre 
Grandeur  ne  sache  le  reste  par  Mgr  l'archevêque  de  Reims. 

Je  suis  avec  un  profond  respect,  etc. 


2007.    —  A   DoM  Jean  Mabillon. 

A  Saint-Germain,  7  juin   1700. 

Vous  m'avez  fait  plaisir,  mon  cher  et  révérend 
Père,  de  me  faire  part  de  vos  sentiments  obligeants 
sur  mon  Instruction  pastorale  \  Vous  savez  le  cas 
que  je  fais  de  votre  approbation. 

J'ai  aussi  été  très  aise  du  soin  que  vous  avez  pris 
de    m'instruire    de    la    condamnation    des    quatre 


2.  Thierry  Ruinart,    de  qui  il  a  été  parlé  au  tome  III,  p.  267. 

3.  En  particulier,  la  lettre  de  l'abbé  allemand.  Voir  le  texte  de  la 
censure  dans  D.  Tassin,  Histoire  litlérpire  de  la  Congrégation  de  Saini- 
Maur,  1770,  in-^,  p.  3o6  à  3o8.  Cf.  D.  Thuillier,  Histoire  delanon- 
velle  édition  de  saint  Augustin,  en   France,   1736,  in-4. 

4-  Le  cardinal  de  Bouillon,  doyen  du  Saint  Office,  favorable  aux 
jésuites,  était  alors  absent  de  Rome.  t 

Lettre  2001.  —  L.  a.  s.,  avec  suscription  de  la  main  de  ^edieu. 
Inédite  ;  communiquée  par  M.  Noël  Charavay. 

I.   Sur  les  promesses  faites  à  l'Eylise. 


juin  1700]  DE   BOSSUET.  269 

libelles   contre   votre   édition  de  saint  Augustin*: 
elle  est  de  conséquence  dans  la  conjoncture. 

J'ai  lu  avec  plaisir  le  petit  traité  de  la  sainte 
Larme  ^  ;  la  tradition  est  bien  prouvée,  ce  me  semble, 

2.  La  nouvelle  qu'en  avait  donnée  Mabillon  était  prématurée  et 
légèrement  inexacte.  C'est  seulement  le  3  juin  que  la  condamnation 
avait  été  prononcée,  et  depuis  lors,  il  s'était  écoulé  trop  peu  de  temps 
pour  qu'on  pût  en  être  informé  officiellement  à  Paris.  D'un  autre 
côté,  le  décret  du  Saint  Office  mentionnait  trois,  et  non  quatre 
libelles  des  adversaires  des  bénédictins  (Voir  plus  loin,  p.  3ao). 

3.  C'est  l'opuscule  de  Mabillon  intitulé  :  Lettre  d'un  bénédictin  à 
Monseigneur  l'Évéque  de  Blois  touchant  le  discernement  des  anciennes 
reliques,  au  sujet  d'une  dissertation  de  M.  Thiers,  et  Mémoire  pour  se.~ 
vir  d'éclaircissement  à  l'histoire  de  la  sainte  Larme  de  Vendôme,  Paris 
1700,  in-i3.  Cet  écrit  a  été  reproduit  dans  les  Œuvres  posthumes 
de  Mabillon,  t.  II,  p.  36i-394.  C'était  une  réponse  à  la  Dissertation 
sur  la  sainte  Larme  de  Vendôme,  par  J.-B.  Thiers,  Paris,  1699,  in-13. 
—  L'abbaye  bénédictine  de  la  Trinité,  à  Vendôme,  était  un  pèlerinage 
très  fréquenté,  à  cause  d'un  reliquaire  qu'elle  tenait  de  son  fondateur 
Geoffroy  Martel  (iOo6-lo6i),  fils  de  Foulques  Nerra,  comte  d'Anjou. 
Ce  seigneur,  disait-on,  1  avait  reçu  lui-même  de  Michel  le  Paphlago- 
nien,  empereur  de  Constantinople,  à  la  demande  de  qui  il  avait 
guerroyé  contre  les  Sarrasins.  Celait  un  petit  fuseau  de  cristal,  à 
l'intérieur  duquel  était  un  objet  mobile  en  forme  de  larme,  «  qu'on 
regardait  comme  une  de  celles  que  Jésus-Christ  versa  sur  le  tombeau 
de  Lazare.  Le  reliquaire  était  enchâssé  dans  un  cercle  d'or  auquel 
tenait  une  chaîne  terminée  par  un  anneau  que  mettait  à  son  doigt  le 
religieux  qui  le  montrait  »  (Ph.  J.  G.  de  Plassac,  Vendôme  et  le 
Vendômois,  Vendôme,  1823,  ln-4,  p.  Sa).  L'abbé  Thiers  ayant  attaqué 
l'authenticité  de  la  relique  et  accusé  de  mauvaise  foi  les  religieux 
qui  l'exposaient  à  la  vénération  publique,  Mabillon  prit  la  défense  de 
ses  confrères.  Toutefois  il  ne  chercha  pas  à  prouver  la  vérité  de  la 
sainte  Larme  :  il  se  borna  à  critiquer  les  règles  données  par  Thiers 
pour  le  discernement  des  reliques,  et  à  dire  que  le  culte  a  ne  serait 
pas  moins  légitime,  quand  .'objet  immédiat  ne  serait  qu'une  repré- 
sentation, et  non  pas  la  chose  même  «.  Ce  fut  l'occasion  d'une 
Réponse  de  J.-B.  Thiers  à  la  lettre  du  P.  Mabillon  touchant  la  préten- 
due sainte  Larme  de  Vendôme,  Cologne  (Paris),  1700,  in-ia.  Plusieurs 
pensèrent  que  si,  en  cette  circonstance,  Thiers  manqua  de  ménage- 
ments, Mabillon  se  laissa  guider  par  l'esprit  de  corps  plutôt  que  par 
ses  propres  lumières.  Mais  il  est  étonnant  qu'on  se  soit  imaginé  que 
Mabillon  ait  prétendu  soutenir  la  vérité  de  la  sainte  Larme,  tandis 


26o  CORRESPONDANCE  [juin  1700 

jusqu'à  la  fondation  du  monastère  *  et  jusqu'au 
temps  des  derniers  Grecs.  Je  les  soupçonne  souvent 
d'en  avoir  voulu  donner  à  la  simplicité  des  Latins ^ 
et  je  voudrais  que  vous  prissiez  la  peine  de  penser 
à  ce  qui  pourrait  ou  fortifier  ou  détruire  ce  soupçon. 
Quoi  qu'il  en  soit,  les  miracles*^  sont  une  espèce  de 

qu'il  déclare  positivement  que  ce  n'est  pas  même  son  dessein  de  l'exa- 
miner. Quoi  qu'il  en  soit,  lYvêque  de  Blois,  pris  pour  arbitre,  n'interdit 
pas  le  pèlerinage,  et  la  sainte  Lariue  ne  disparut  qu'à  la  Révolution 
(Le  P.  Honoré  de  Sainte-Marie,  carme  déchaussé,  Observations  sur  les 
larmes  de  Jésus-Christ,  et  en  particulier  sur  celle  de  Vendôme,  au 
tome  III,  p.  339-355,  de  ses  Réflexions  sur  les  règles  de  la  critique, 
Lyon,  1720,  in-4  :  pour  cet  écrivain,  la  sainte  Larme  de  Vendôme 
vient  du  crucifix  de  l'église  Saint-Pierre-le-Puellier,  d'Orléans; 
D.  Tassin,  Histoire  littéraire  de  la  Congrégation  de  Saint-Maur,  Bruxel- 
les, 1770,  in-4,  p.  258).  Alex.  Plnevoire,  curé  de  Moisy,  a  écrit  une 
réponse  à  la  lettre  de  M.  Thiers,  qu'il  adressa  aux  maire  et  échevins 
de  la  ville,  en  1702  :  cet  ouvrage  manuscrit  était  conservé  dans  la 
bibliothèque  de  l'abbaye  de  la  Trinité. 

4.  Le  monastère  fut  fondé  en  1082.  Cf.  J.  de  Launoy,  Inquisilio 
in  charlam  fundationis  et  privilégia  Vindocinensis  monasterii,  s.  1.  n.  d. 
in-8.  Sur  la  tradition,  voir  :  Discours  comme  la  sainte  Larme  fui  apportée 
en  l'abbaye  de  Vendôme  par  le  noble  comte  Geoffroy  Martel,  avec  les 
miracles,  oraisons  et  messe  de  la  dite  sainte  Larme.  Paris,  i562,  in-8: 
ce  petit  poème  a  été  reproduit  dans  le  recueil  d'A.  de  Montaigion, 
Paris,  i855,  t.  I  ;  Histoire  véritable  de  la  sainte  larme  que  N.-S. 
pleura  sur  le  Lazare  ;  comme  et  par  qui  elle  fut  apportée  au  monastère 
de  la  sainte  Trinité  de  Vendôme  ;  Ensemble  plusieurs  beaux  et  insignes 
miracles  arrivés  depuis  63o  ans  qu'elle  a  été  miraculeusement  conservée 
en  ce  saint  lieu,  par  un  religieux  bénédictin,  Vendôme,  1669,  in-12  ; 
le  marquis  de  Rochambeau,  Voyage  à  la  sainte  Larme  de  Vendôme,  dans 
le  Bulletin  de  la  Société  historique  du  Vendômois.  1878  ;  l'abbé  Préville, 
Note  historique  et  critique  sur  la  sainte  Larme  de  l'abbaye  de  Vendôme. 
dans  la  Semaine  religieuse  de  Blois,  mai-juillet  1876  ;  D.  Germain 
Millet,  Histoire  de  la  sainte  Larme  de  Vendôme,  avec  une  préface  et 
des  notes  par  l'abbé  Ch.  Métais,  Avignon,   1891,  in-8. 

5.  En  leur  donnant  de  fausses  reliques.  / 

6.  Les  miracles  accomplis  en  faveur  des  pèlerins.  On  recourait  à 
la  sainte  Larme  surtout  pour  les  maladies  des  yeux.  Thiers  niait  la 
réalité  de  ces  miracles;  les  bénédictins  firent  constater  plusieurs 
çuérisons  par  le   bailli   de  Vendôme,   en  1700,    1701    et   1702   (\  oir 


juin  1700]  DE   BOSSUET.  261 

preuve,  et  M.  Thiers^  a  tort  de  faire  un  crime  de 
cette  tradition. 

Je  n'ai  pas  vu  encore  ce  qu'on  a  répondu  au 
savant,  pieux  et  judicieux  Eusèbe*. 

l'article  de  M.  Isnard  dans  le  Bullelin  de  la  Société  historique  du  Ven- 
dômois,  1880). 

7.  Jean  Baptiste  Thiers,  né  à  Chartres  le  n  novembre  i636, 
d'une  pauvre  famille,  enseigna  de  bonne  heure  les  humanités  au 
collège  du  Plessis  ;  il  prit  ensuite  ses  grades  en  théologie  et  obtint, 
en  1666,  la  cure  de  Champrond-en-Ga»tine,  au  diocèse  de  Chartres, 
qu'il  quitta,  en  1692,  pour  celle  de  Viliraye  (Sarthe).  Il  fut  un 
prêtre  pieux  et  zélé,  et  gagna  la  confiance  de  M.  de  Tressan,  évèque 
du  Mans,  qui  le  chargea  d'examiner  la  fameuse  Mlle  Rose.  On  trouve 
à  ce  sujet  une  lettre  de  lui  à  ce  prélat,  à  la  Bibliothèque  Natio- 
nale (fr.  20978).  Il  mourut  à  Vibraye  le  38  février  1708.  J.-B. 
Thiers  avait  des  connaissances  fort  étendues,  et  consacra  une  érudi- 
tion considérable  à  des  sujets  singuliers  ou  exposés  h  la  discussion. 
Parmi  ses  nombreux  ouvrages,  on  cite  surtout  :  Dissertation  sur  l'in- 
scription du  grand  portail  de  l'église  des  cordeliers  de  Reims,  par  le 
sieur  de  Saint-Sauveur,  Bruxelles,  1670,  in-12;  De  stola  in  archidia- 
conorum  visitationibus  gestanda  a  parochis,  Paris,  1674,  in-12  ;  la  Sauce 
Robert,  ou  Avis  salutaires  à  Mre  J.  Robert,  grand  archidiacre  de  Char- 
tres, 1676,  in-8  ;  Traité  de  l'exposition  du  saint  Sacrement  de  l'autel, 
Paris,  1678,  in-i3  ;  Dissertation  sur  les  porches  des  églises,  dans 
laquelle  on  fait  voir  les  usages  auxquels  ils  sont  destinés  ...et  qu'il  n'est 
permis  d'y  vendre  aucunes  marchandises,  non  pas  même  celles  qui  servent 
à  la  piété,  Orléans,  1679,  in-ia;  Traité  des  superstitions  selon  l'Écri- 
ture sainte,  Paris,  1679,  in-ia;  Traité  de  la  clôture  des  religieuses, 
Paris,  1681,  in- 13  ;  Traité  de  la  dépouille  des  curés,  dans  lequel  on 
fait  voir  que  les  archidiacres  n'ont  nul  droit  sur  les  meubles  du  curé 
décédé,  Paris,  i683,  in-i3;  Traité  des  jeux  et  des  divertissements  qui 
peuvent  être  permis  ou  défendus  aux  chrétiens.  Paris,  1686,  in- 13  ; 
Histoire  des  perruques,  Paris,  1690,  in-12;  Apologie  de  M.  l'abbé  de 
la  Trappe  contre  les  calomnies  du  P.  de  Sainte-Marthe,  Grenoble, 
169/t.  in-rs  (Mceron,  t.  IV  et  X  ;  D.  Liron,  Bibliothèque  chariraine, 
Paris,  1719,  in-/l). 

8.  Mabillon  lui-même,  qui  avait  publié,  sous  le  pseudonyme 
d'  «  Eusebius  Romanus  »,  une  lettre  de  Cultu  sanctorum  ignotorum, 
Paris,  1698,  in-4.  Cet  écrit  avait  excité  la  susceptibilité  des  Ro- 
mains, qui  y  voyaient  une  attaque  dirigée  contre  les  reliques 
extraites  des  Catacombes,  et  il  faillit  être  mis  à  l'Index.  L'auteur  en 
publia  une  seconde  édition  (1705),  où  sa  critique  était  moins  hardie. 


262  CORRESPONDANCE  [juin  1700 

Je  suis  à  vous,  mon  cher  Père,  de  tout  mon 
cœur.  Priez  Dieu  pour  notre  assemblée. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Suscription :  Au  Révérend  Père...,  Dom  Jean 
Mabillon,  religieux  de  l'abbaye  de  Saint-Germain- 
des-Prés,  à  Paris. 


2008.  —  A  Antoine  de  Noailles. 

A  Saint-Germain,  7  juin  [1700]. 

J'ai,  mon  cher  Seigneur,  communiqué  à  M.  l'ar- 
chevêque de  Reims  la  thèse  que  j'ai  reçue  ce  matin 
seulement  \  avec  une  enveloppe  du  ^.  Je  lui  ai  fait 
remarquer  que  votre  lettre  répétait  que  c'était  tout 
ce  que  vous  aviez  pu  emporter  ^  Il  souhaiterait  qu'on 
pût  ajouter,  après  Qui  affirmant  et  requirant  inpœni- 
têntibus  :  «  ut  Deum  diligere  incipiant  tanquam  omnis 
justitiaeauctorem  ».  Il  croit  que  ces  Pères  n'y  feront 
point  de  difficulté,  puisqu'ils  le  lui  accordent  à  lui- 
même  dans  une  thèse   qu'il  dit  vous  avoir  donnée 


Bossuet  fait  allusion  soit  à  une  Réponse  à  une  lettre  de  D.  Jean 
Mabillon  sur  les  saints  des  Catacombes,  Cologne,  1698,  in-ia,  soit  à 
une  critique  due  à  un  ecclésiastique  français,  qui  parut  à  Rome  en 
1700,  et  qui,  au  témoignage  de  Niceron,  y  fut  fort  méprisée.  On 
vit,  en  1701,  une  autre  critique,  dont  l'auteur  était  M.  Labénazie, 
chanoine  de  Sainl-Caprais,  d'Agen  :  Entretiens  sur  la  lettre  d'Eusebe 
Romain  sur  le  culte  des  saints  dans  les  Catacombes,  Agen,  s.  d., 
in-16  (Voir  Niceron,  t.  VIT,  p.  363  à  368). 

Lettre  2008.  —  Copie  Pinchart,  Bibliothèque  de  Reims, 
ms.  I  i/JS. 

I.  Une  thèse  des  Jésuites  sur  l'attrition,  incriminée  par  l'arche- 
▼éque  de  Reims. 

a.  Emporter,  obtenir  des  jésuites. 


juin  1700J  DE  BOSSUET.  203 

autrefois.  S'ils  étaient  d'humeur  à  le  faire,  il  fau- 
drait les  faire  consentir  à  dire  :  Et  requirunt  in 
pœnitenlibus  post  Jldei  ac  spei  actus,  ut  Deam  dili- 
gere  incipiant  tanquam,  etc.  Que  si  l'on  ne  peut  les 
mener  à  ce  point,  la  thèse  peut  passer  comme  elle 
est,  à  condition  qu'on  prendra  d'autres  occasions 
d'expliquer  la  vérité  toute  entière  ^  Dieu,  par  sa 
bonté,  les  fera  naître  ;  et  si  le  Roi  vous  a  écouté, 
elle*  sera  contente.  A  vous,  mon  cher  Seigneur, 
comme  vous  savez,  avec  un  respect  sincère. 

J.  Bénigne,  é.  de  M  eaux. 

3.  «  M.  Le  Tellier  avait  éffalement  été  obligé  de  flétrir  la  doctrine 
que  les  jésuites  enseignaient  dans  son  diocèse.  Il  rendit  en  1697  une 
ordonnance  contre  deux  thèses  que  ces  Pères  avaient  fait  soutenir 
dans  leur  collège  de  Reims  et  qui  étaient  toutes  remplies  des  erreurs 
les  plus  révoltantes.  Voyez  d'Argentré,  Collect.  judic,  t.  III,  p.  4oi  ; 
le  P.  Alexandre,  Theolog.  Docjm.  et  Mor.,  t.  I,  p.  878  »  (Note  de 
Deforis). 

4-  Elle,  la  vérité.  —  Parmi  les  propositions  censurées  par  l'assem- 
blée du  Clergé,  en  1700,  on  lit  les  suivantes  : 

85.  Probabile  est  sufficere  attritionem  naturalem,  modo  honestam 
ÇHxc  propositio  est  hœretica). 

86.  Attritio  ex  gehennae  metu  sufficit,  etiam  sine  ulla  Dei  dilec- 
tione,  sine  ullo  ad  Deum  offensum  respectu,  quia  talis  honesta  et 
supernaturalis  est  (Ha?c  propositio,  qua  a  dispositionibus  necessariis  ad 
absolulionem  excluditur  qailibet  ad  Deum  offensum  respectas,  temeraria 
est,  scandalosa,  perniciosa,  et  in  hœresim  inducit). 

87.  Goncilium  Tridentinum  adeo  expresse  definivit  attritionem 
quae  non  vivificet  animara,  quaeque  supponatur  sine  amore  Dei  esse, 
sufficere  ad  absolutionem,  ut  anathema  pronuntietur  adversus  negantes 
{Hxc  propositio  falsa  est,  temeraria,  concilio  Tridenlino  contraria,  et  in 
errorem  inducit).. 

Outre  les  propositions  censurées,  on  trouve  dans  le  procès-verbal 
de  l'Assemblée,  p.  56 1,  une  déclaration  de  Dilectione  Dei  in  pœni- 
tentix  sacramento  requisita. 

...Et  quidem  de  dilectione  Dei,  sicut  ad  sacramentum  baptismi  in 
adultis,  ita  ad  sacramentum  pœnitentiae,  quae  est  laboriosus  baptismus, 
requisita,  ne  necessariam  doctrinam  omittamus,  haec  duo  imprimis  ex 
sacrosancta  synodo    Tridentina   monenda    et  docenda   esse  duximus. 


264  CORRESPONDANCE  [juîn  1700 

2009.   —  A  Pierre  de  La  Broue. 

A  Versailles,  11  juin  1700. 

Je  parlai  hier*  à  fond  à  M.  le  duc  du  Maine  sur 
la  députation,  en  posant  pour  fondement  que  c'était 
moi  qui  avais  besoin  d'un  théologien  et  d'un  évêque 
comme  vous^,  Monseigneur,   et  non  pas  vous  qui 

Primum  ne  quis  putet  in  utroque  sacramento  requiri  ut  praeviam, 
contritionem  eam  quae  sit  caritate  perFecta  et  quae  cum  voto  sacra- 
menti,  antequam  actu  suscipiatur,  hominem  reconciliet  (Sess.  xiv, 
cap.  4)-  Alterura  ne  quis  putet  in  utroque  sacramento  securum  se 
esse  si,  praeter  fidei  et  spei  actus,  non  incipiat  diligere  Deum  tanquam 
omnis  justitiae  fontem  (Sess.  vi,  cap.  6). 

Neque  vero  salis  adimpleri  potest  utrique  sacramento  necessarium 
vitae  novae  inchoandae  ac  servandi  mandata  divina  propositum,  si 
pœniteas  primi  ac  maximi  mandati,  quo  Deus  toto  corde  diligilur, 
nuUam  curam  gerat  ;  nec  sit  saltem  aniœo  ita  praeparato  ut  ad  illud 
exequendum,  divina  opitulante  gratia,  sese  excitet  ac  provocet. 

Placet  etiam  caveri  a  Sacramenti  pœnitentiae  administris  ne  in  hoc 
pœnitentiae  sacramento  aliisque  sacramenlis  conferendis  sequantar 
opinionem  probabilem  de  valore  sacramenti.  relicrta  tutiore  (I  Prop. 
Innoc.XI)  j  neve  pœnitentes  ipsorum  fidei  animam  suam  committentes 
adraonere  cessent  ut  in  pœnitendo  inchoatae  saltem  dilectionis  Dei 
ineant  viam,  quae  sola  secura  sit,  graviter  peccaturi  in  hoc  salutis 
discrimine,  vel  eo  solo  quod  cerlis  incerta  prxponant  (Aug.,  lib.  I  cont. 
Donatist..  c.  3  et  5). 

On  sait  que  Bossuet  fit  sur  cette  question  un  ouvrage  qui  a  été  mis 
au  jour  par  son  neveu  :  Traité  de  l'amour  de  Dieu,  nécessaire  dans  le 
sacrement  de  Pénitence,  suivant  la  doctrine  du  concile  de  Trente, 
Paris,   1786,  in-ia. 

Lettre  2009.  —  Copie  authentique  au  Grand  séminaire  de  Meaux. 

1.  «  Ce  jeudi  10,  Fête-Dieu,...  M.  le  duc  du  Maine  est  venu 
voir  M.  de  Meaux  à  l'issue  des  vêpres  et  a  passé  plus  d'une  heure 
avec  lui...  M.  de  Meaux  a  écrit  à  M.  l'évêque  de  Mirepoix  qu'hier  il 
avait  fort  pressé  M.  le  duc  du  Maine  de  donner  à  ce  prélat  la  dépu- 
tation de  Languedoc  pour  apporter  au  Roi  le  cahier  de  la  province  » 
(Ledieu,  t.  II,  p.  5i). 

2.  Bossuet  dit  qu'il  avait  besoin  d'être  secondé  par  M.  de  La  Broue 
pour  l'assemblée  du  Clergé.  > 


juin  1700]  DE   BOSSUET.  265 

cherchiez  une  occasion  de  venir  en  ce  pays.  Je  ne 
pus  tirer  de  ce  prince  de  paroles  positives,  mais 
seulement  un  témoignage  de  ses  bonnes  disposi- 
tions. M.  l'évêque  d'Uzès'  s'est  mêlé  dans  cette 
affaire  :  il  appuie  sur  le  rang,  non  pas  d'obligation, 
mais  de  bienséance  ;  et  déclare  qu'il  veut  bien  céder 
à  M.  dAlais,  qui  n'a  jamais  eu  la  députation,  mais 
non  pas  à  vous,  qui  l'avez  eue.  Je  lui  parlerai,  et  je 
serai  très  fâché  si  l'affaire  manque. 

Quant  à  vos  projets  pour  les  réunis,  j'approuve 
beaucoup  votre  dessein  de  traiter  spécialement  le 
Sacrifice*.  C'est  ce  que  je  me  suis  aussi  proposé, 
après  avoir  expliqué  les  promesses  de  l'Église  par 
une  Instruction  pastorale  ^  qu'on  vous  envoiera  peut- 
être  par  cet  ordinaire.  Je  ne  vous  parlerai  point  de 
notre  assemblée  :  les  intentions  de  M.  de  Reims 
sont  très  bonnes  ;  vous  savez  les  miennes. 

Je  suis,  avec  le  respect  qui  vous  est  connu,  Mon- 
seigneur, votre  très  humble  et  très  obéissant  servi- 
teur. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

M.  l'abbé  de  Catellan  s'est  chargé  de  V Instruction, 
il  y  a  déjà  plus  de  quinze  jours. 

3.  Michel  Poncetde  La  Rivière  occupa  le  siège  d'Uzès  de  1678  à 
sa  mort,  arrivée  à  Paris  au  mois  de  novembre  1728. 
I\.   Le  sacrifice  de  la  messe.  Cf.  plus  haut,  p.  176. 
5.   L'Instruction  pastorale  sur  les  promesses  de  l'Eglise. 


266  CORRESPONDANCE  [juin  1700 


2010.   —  L'Abbé  de  Rangé  a  Bossuet. 


Ce  20 


juin  1700. 


Il  ne  m'est  pas  possible,  Monseigneur,  de  passer  toute  ma 
vie  sans  vous  faire  ressouvenir  de  moi  et  sans  recevoir  de  vos 
nouvelles  ;  car,  quoique  votre  personne  me  soit  très  présente 
devant  Dieu,  et  que  je  ne  passe  point  de  jour  sans  lui  deman- 
der qu'il  continue  de  la  favoriser  de  sa  protection  dans  les 
affaires  différentes  où  elle  se  trouve  engagée  pour  sa  gloire  et 
pour  son  service,  il  manque  encore  quelque  chose  que  je  ne 
saurais  m'empêcher  de  désirer,  qui  est  de  recevoir  quelque- 
fois des  marques  de  cette  bonté  dont  vous  m'honorez  depuis 
si  longtemps. 

J'ai  loué  Dieu  bien  des  fois,  Monseigneur,  de  ce  qu'il  a 
favorisé  votre  cœur,  votre  esprit  et  votre  plume  contre  ceux 
qui  s'étaient  si  visiblement  élevés  contre  lui*  ;  et  il  se  peut 
dire  que  l'Église  a  trouvé  dans  votre  personne  tout  ce  qu'elle 
pouvait  désirer  pour  la  défense  des  vérités  qui  étaient  si  for- 
tement attaquées.  C'est  un  devoir  duquel  la  Providence  vous 
avait  chargé,  et  dont  vous  vous  êtes  acquitté  avec  tout  le 
succès  et  la  bénédiction  que  l'on  pouvait  s'en  promettre.  La 
bénédiction  s'en  conservera  jusqu'à  la  fin  des  siècles;  et  votre 
nom  sera  en  vénération,  jusqu'à  ce  qu'il  plaise  à  Dieu  de 
couronner  votre  œuvre  et  d'y  mettre  la  dernière  main. 

Vous  voulez  bien.  Monseigneur,  que  je  me  jette  à  vos 
pieds  pour  vous  demander  et  pour  recevoir  votre  sainte  béné- 
diction, et  pour  vous  prior  de  vous  employer  auprès  de  Noire- 
Seigneur  afin  de  m'obtcnir  toute  la  soumission  et  la  résigna- 
tion dont  j'ai  besoin  pour  soutenir  les  maux  et  les  infirmités 
différentes  dont  il  lui  plaît  que  je  sois  attaqué  2,  d'une 
manière  digne  de  ma  profession.  Je  n'ai  point  de  parole  pour 

Lettre  2010.  —  i.   Les  protestants  et  les  quiétistes. 
2.  Voir  le  P.  Marie-Léon   Serrant,    L'Abbé  de  Rancé    et  Bossuet, 
Paris,  igoS,  p.  578. 


juîn  1700]  DE  BOSSUET.  267 

vous  exprimer^  Monseigneur,  avec  combien  d'attachement, 
de  reconnaissance  et  de  respect  je  suis,  etc. 

Fr.  Armand-Jean,  anc.  abbé  de  la  Trappe. 

Nous  avons  vu  ici  depuis  deux  jours,  Monseigneur,  un 
gentilhomme  de  Danemark'  qui  vous  a  bien  de  l'obligation. 
Non  seulement  vous  lui  avez  fait  connaître  la  vérité  de  la 
religion  qu'il  ignorait  ;  mais  vous  lui  avez  donné  des  prin- 
cipes et  des  sentiments  de  piété  qui  produiront  leur  fruit 
dans  leur  temps,  et  qui  le  tireront  d'une  vie  commune  pour 
lui  en  faire  embrasser  une  toute  chrétienne  ;  cela  m'a  paru 
par  ses  discours,  et  je  l'ai  trouvé  bien  digne  de  la  protection 
que  vous  lui  avez  promise. 


201 1.   —  A  Alphonse  de  Valbelle. 

A  Saint-Germain-en-Laye,  20  juin  1700. 

Vous  aurez  su,  Monseigneur,  par  M.  l'archevêque 
de  Paris  la  réponse  qu'il  a  reçue  sur  la  proposition 
d'intéresser  l'Assemblée  à  votre  affaire  contre  le  par- 
lement de  TournayV   Ainsi  je  n'aurai  rien  à  vous 

3.  Ce  visiteur  danois  n'était  pas  {jentilliomme  ;  c'était  Jacques- 
Bénigne  Winslow,  de  qui  il  a  été  parlé,  p.  100.  Winslow  a  raconté  les 
circonstances  de  son  voyage  à  la  Trappe,  entreprise  de  compagnie  avec 
M.  Mathon,  secrétaire  du  Roi,  et  un  ecclésiastique  de  Lyon,  nommé 
M.  Bigot.  «  En  ayant  parlé  à  M.  de  Meaux,  il  me  donna  une  lettre 
pour  M.  Bouthillier  de  Rancé,  abbé  de  la  Trappe,  en  partie  pour  me 
recommander  en  cas  de  besoin  au  Grand  duc  de  Toscane,  avec  qui 
l'abbé  avait  grande  liaison.  J'y  fus  pendant  quelques  jours,  et  eus 
une  conversation  particulière  avec  l'abbé  dans  l'infirmerie,  où  il  était 
dans  des  souffrances  extrêmes,  d'un  bras  qui  me  parut  presque  de  la 
grosseur  de  mon  corps,  et  nonobstant  cela  montrait  un  visage  serein  » 
(Cité  par  Ch.  Urbain,  Un  prosélyte  de  Bossuet,  J.  B.  Winslow,  dans 
la  Revue  du  clergé  français  du  i5  septembre  190a,  p.  128). 

Lettre  20il.  —  L.  a.  s.  Inédite.  Collection  E.  Levesque. 

I.  Le  parlement  de  Tournay  voulait  maintenir  en  fonctions  des 
officiaux  destitués  par  leurs  évêques. 


268  CORRESPONDANCE  [juin  1700 

dire  sur  ce  sujet-là,  pas  même  à  vous  marquer  les 
bonnes  intentions  de  ce  prélat,  qui  vous  sont  con- 
nues. Je  vous  puis  aussi  assurer  que  M.  1  arche- 
vêque de  Reims  est  dans  les  mêmes  dispositions. 
Nous  croyons  tous  trois,  Monseigneur,  que  cette 
tentative  ne  sera  pas  inutile  et  aura  rendu  le  Roi 
plus  attentif  à  nous  faire  justice  sur  des  entreprises 
si  criantes ^  Nous  ne  laisserons  pas,  et  moi  en  par- 
ticulier, de  chercher  tous  les  moyens  d'en  faire 
entendre  l'excès.  C'est  tout  ce  que  nous  pouvons 
promettre,  en  vous  conjurant  de  ma  part  de  faire  tou- 
jours, à  votre  ordinaire,  avec  grand  courage  ce  que 
demande  le  bien  de  l'Eglise.  Je  me  réjouis,  en  atten- 
dant, que  votre  affaire  particulière  ait  bien  réussi, 
et  en  toutes  choses  je  suis  avec  respect  et  sincérité 
dans  vos  intérêts.  Vous  me  ferez  beaucoup  de  plaisir 
de  continuer  à  me  donner  part  de  ce  qui  arrivera  en 
cette  grande  affaire  de  l'Eglise,  oiije  crois  qu'il  ne 
sera  pas  inutile  qu'elle  se  pousse  de  votre  part  pen- 
dant l'assemblée. 

Je  suis,  comme  vous  savez,  Monseigneur,  votre 
très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Au  bas  :  Mgr  de  Saint-Omer. 

3.  Le  17  août  1700,  faisant  droit  aux  réclamations  de  l'assemblée 
du  Clergé,  Louis  XIV  rendit  une  déclaration  favorable  à  la  juridiction 
épiscopale  (Dans  le  procès-verbal  de  l'assemblée  de  1700,  p.  585  et 
586;  ibid.,  p.  756,  arrêt  du  Conseil  cassant  celui  du  parlement  da 
Tournay  sur  l'évêque  d'Ypres), 


iuln  1700J  DE  BOSSUET.  269 

2012.  —  Lamoignon  de  Basville  a  Bossuet. 

Juin   1700. 

J'ai  bien  des  remercîments,  Monsieur,  à  vous  faire  de  la 
lettre  pastorale^  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'envoyer.  Je 
l'ai  lue  avec  la  même  admiration  dont  j'ai  été  rempli  en 
lisant  vos  autres  ouvrages.  Je  l'ai  trouvée  si  belle,  que  j'ai 
mandé  au  sieur  Anisson,  à  Lyon,  de  m'en  envoyer  cent 
exemplaires,  pour  les  distribuer  aux  nouveaux  convertis  de 
cette  province.  Il  est  plus  temps  que  jamais  de  leur  donner 
une  pareille  nourriture.  Ils  viennent  presque  tous  à  l'église; 
plusieurs  demandent  et  reçoivent  les  sacrements  sans  aucun 
mouvement  de  contrainte  ;  enfin  la  moisson  se  prépare,  et 
c'est  à  présent  que  les  bons  ouvriers  et  les  ouvrages  excellents 
comme  les  vôtres  nous  sont  très  nécessaires. 

Je  n'ai  rien  tant  souhaité  que  d'avoir  une  conférence  d'une 
heure  avec  vous,  sur  la  manière  de  conduire  ces  affaires 
importantes.  J'ai  toujours  cru  que,  si  on  s'entendait  bien,  il 
ne  pourrait  y  avoir  deux  avis.  Il  est  très  certain  que  les  voies 
douces  sont  les  meilleures  :  qui  peut  dire  le  contraire  en 
matière  de  religion  ?  Mais  la  question  est  que  ces  voies  soient 
en  même  temps  douces  et  efficaces,  et  qu'on  ne  laisse  pas 
retomber  les  nouveaux  convertis  dans  un  relâchement  où  les 
préjugés  de  leur  naissance  les  attirent  toujours,  ce  qu'ils  font 
avec  d'autant  plus  de  facilité,  que  les  pratiques  de  notre  reli- 
gion leur  paraissent  plus  difficiles  que  celles  de  la  prétendue 
réformée.  Il  faut  les  mettre  sur  le  pied  de  s'instruire  et 
d'écouter  la  parole  de  Dieu,  sans  quoi  ils  ne  seront  jamais 
bons  catholiques.  Il  y  a  dans  tout  cela  une  première  glace  à 
rompre,  qui  arrête  et  qui  empêche  tous  les  progrès^,  si  la 
puissance  temporelle  ne  vient  un  peu  au  secours  de  la  spiri- 

Lettre  2012:  —  i.   Sur  les  promesses  faites  à  l'Église. 

2.  Deforis  avait  d'abord  imprimé  :  les  progrès,  et  cette  leçon  a  été 
adoptée  par  ses  successeurs  ;  mais,  dans  son  errata,  il  a  corrigé  et  a 
mis:  ses  progrès,  ce  qui  donue  un  sens  moins  satisfaisant. 


270  CORRESPONDANCE  [juin  1700 

tuelle.  La  première  doit  se  contenir  dans  les  bornes  qui  lui 
sont  prescrites  ;  et  il  me  semble  qu'il  est  facile  de  pratiquer 
cette  conduite  d'une  manière  très  utile,  et  qui  peut  être  très 
sage  et  très  modérée.  On  met  souvent  le  fait,  en  parlant  sur 
ce  sujet,  autrement  qu'il  ne  devrait  être  :  on  ne  parle  que  de 
moyens  violents  ou  de  voies  douces,  comme  s'il  n'y  avait  pas 
un  milieu  entre-deux.  Toute  violence  est  blâmable  ;  mais  il  y 
a  une  certaine  fermeté  qui  doit  accompagner  l'instruction,  et 
qui  fait  que  l'on  en  profite.  C'est  ce  que  l'expérience  fait 
connaître,  et  c'est  en  quoi  le  concours  des  deux  puissances  est 
si  utile. 

J'aurais  bien  souhaité  pouvoir  réformer  mes  faibles  idées 
sur  les  vôtres,  et  apprendre  d'un  aussi  grand  maître  ce  que  je 
devais  faire  pour  remplir  ma  vocation,  en  pratiquant  cette 
règle  si  sage  en  toutes  choses  :  Ne  quid  nimis.  Mais  il  fallait, 
pour  jouir  de  ce  plaisir,  avoir  un  congé  de  trois  mois,  et  je 
n'ai  pu  l'obtenir  depuis  dix-huit  ans  ^  Je  vous  demande  au 

3.  Basville  avait  formé  le  projet  de  se  rendre  à  Paris;  mais  ce  pro- 
jet avait  été  vu  d'un  mauvais  œil  à  la  Cour,  et  le  P.  de  La  Rue  avait 
été  chargé  de  l'en  dissuader.  «  Pour  ce  qui  regarde  M.  de  Basville 
et  le  désir  qu'il  a  eu  de  faire  un  tour  à  Paris,  écrit  le  célèbre  jésuite, 
j'ai  tâché  d'entrer  dans  ses  pensées  depuis  quatre  jours  que  je 
suis  arrivé  à  Montpellier.  Elles  sont  telles  que  vous  le  pouvez 
souhaiter  pour  le  service  du  Roi  et  pour  votre  propre  satisfaction. 
Il  n'a  cru  rien  faire  qui  pût  déplaire  le  moins  du  monde,  lorsque, 
après  dix-huit  ans  de  séjour  dans  ces  provinces,  il  a  demandé  cette 
permission  dans  des  conjonctures  où  il  avait  lieu  de  présumer  que 
la  tranquillité  des  esprits  ne  serait  point  altérée  par  deux  ou  trois 
mois  d'absence.  Le  motif  de  sou  voyage  était  moins  de  mettre  ordre 
à  ses  affaires  domestiques,  qui  ont  cependant  un  très  grand  besoin  de 
ses  soins,  que  de  tâcher  de  contribuer  à  mettre  un  ordre  fixe  aux 
affaires  delà  religion,  par  les  conférences  qu'il  aurait  eues  avec  les 
personnes  qui  eu  ont  la  principale  direction.  Ce  serait  le  moyen  de 
terminer  efficacement  bien  des  difficultés,  que  l'on  ne  peut  traiter 
que  faiblement  par  les  lettres  et  les  mémoires.  Vous  y  ferez,  dans 
l'occasion,  l'attention  que  vous  jugerez  à  propos.  Du  reste,  son  inter/ 
tion  n'a  jamais  été  de  se  ralentir  dans  nulle  partie  de  son  devoir,  ni 
de  se  prévaloir,  lorsqu'il  serait  à  Paris,  de  ses  incommodités  pour 
n'être  plus  renvoyé  dans  la  province.  L'honneur  de  servir  lui  tiendra 
Heu  de  repos  et  de  santé,  tant  que  ses  services  pourront  être  agréables 


juin  1700]  DE  BOSSUET.  271 

moins  qu'une  si  longue  absence  ne  me  fasse  pas  perdre  l'hon- 
neur de  votre  souvenir,  et  de  me  croire  toujours  avec  beau- 
coup de  respect  et  un  attachement  très  sincère,  etc. 

De  Lamoignon  de  Basville. 


201 3.   —  A  Antoine  de  Noailles. 

fV^ersailles,  28  juin  1700.] 

C'est  avec  une  joie  inexplicable,  mon  très  cher 
Seigneur,  que  je  viens  avec  un  respect  sincère  saluer 
V.  É.  Votre  promotion  fera  la  joie  de  toute  l'Égiise, 
comme  elle  en  fera  un  soutien.  La  vérité,  Monsei- 
gneur, devient  de  plus  en  plus  forte  sous  un  si  puis- 
sant appui  ^  :  je  me  trouve  par  là  plus  courageux,  et 
plus  que  jamais  plein  d'espérance.  Dieu  veut  faire 
pour  son  Église  quelque  chose  de  grand,  puisqu'il 
vous  élève.  Je  suis  heureux  d'avoir  à  travailler  spé- 

(.\  Cliamillart,  dans  la  Correspondance  des  Contrôleurs  généraux, 
édil.  de  Boislisle,  t.  II,  p.  56). 

Lettre  2013.  —  L.  a.  s.  Collection  Henri  de  Rothschild.  Cette 
lettre  de  félicitation,  adressée  à  Noailles  promu  cardinal  le  21  juin 
1700,  fut  écrite  de  Versailles,  lorsque,  en  y  arrivant  le  lundi  soir 
28  juin,  Bossuet  apprit  la  nouvelle  de  cette  promotion  (Ledieu 
t.  II,  p.  61  et  65). 

I.  Un  jour  qu'il  était  mécontent  des  prélats  qui  dirigeaient  les 
discussions  dans  l'assemblée  du  Clergé,  et  qui,  suivant  lui,  voulaient 
«  faire  claquer  leur  fouet  »,  Quesnel  écrivit  :  «  Il  faut  les  attendre  et 
les  bien  battre  s'ils  font  les  sots  ;  mais  il  n'y  a  guère  d'apparence  que 
ces  messieurs-là  veuillent  remuer  le  bout  du  doigt  pour  rien  qui 
déplaise  au  Pape.  L'un  (Noailles)- a  la  pourpre,  l'autre  l'attend,  un 
troisième  la  désire.  C'est  maintenant  à  M.  de  Reims  et  à  M.  de  Meaux 
à  tirer  au  court  bâton  »  (Lettre  du  17  juillet  1700,  dans  la  Corres- 
pondance de  Quesnel,  t.  II,  p.  97).  Mais  ni  Bossuet,  ni  Le  Tellier  ne 
devaient  recevoir  la  pourpre. 


2^2  CORRESPONDANCE  [juiU.  1700 

cialement  sous  vos  ordres,  et  rien  n'égalera  jamais 
le  respect  et  l'attachement  que  j'ai  pour  V.  E. 
J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


201 4-   —  L'Abbé  d'Ambez  a  Bossuet. 

[Juillet  1700.] 

Monseigneur,  l'assemblée  du  Clergé  a  donc  formé  le  des- 
sein d'examiner  cette  proposition  :  Le  jansénisme  est  an  fan- 
tôme. Toutes  les  personnes  judicieuses  sont  étonnées  que  l'on 
veuille  renouveler  des  disputes  et  des  contestations  en  met- 
tant une  semblable  matière  en  question.  Les  gens  de  bien 
sont  effrayés  d'une  pareille  entreprise,  qui  n'est  propre  qu'à 
mettre  le  feu  dans  l'Église,  et    les  jésuites  commencent  à 

Lettre  2014.  —Inédite.  Bibliothèque  Nationale,  fr.  15796,  fos  355 
et  suiv.  Copie.  Mentionnée  dans  le  P.  Qaesnel  séditieux  et  hérétique, 
Bruxelles,  1705,  in-12.  Un  extrait  se  trouve  dans  le  ms.  fr.  177^8, 
avec  l'indication  suivante  :  «  Cette  lettre  a  été  reconnue  par  le  sieur 
Yuillart  comme  étant  de  l'abbé  Couet.  »  — D'Ambez  ou  Dambez  est 
le  pseudonyme  qui,  dans  les  documents  jansénistes,  désigne  l'abbé 
Couet,  personnage  qui  reparaîtra  plus  tard  sous  son  vrai  nom  (lettre  du 
g  juin  1703).  Sur  la  proposition  de  Bossuet  et  malgré  l'opposition  des 
prélats  partisans  des  jésuites,  l'assemblée  du  Clergé,  réunie  à  Saint- 
Germain  en  1700,  avait  décidé  de  ne  pas  se  borner  comme  d'ordinaire 
à  examiner  des  questions  financières,  mais  d'aborder  un  certain  nombre 
de  points  de  doctrine  et  de  morale  :  d'où  la  condamnation  de  quatre 
propositions  extraites  d'écrits  jansénistes,  de  deux  entachées  de  semi- 
pélagianisme  et  de  cent  vingt  et  une  autres  tirées  des  casuistes.  Dès 
qu'ils  apprirent  que  VAugastiniana  Ecclesix  romanse  doctrina  avait  été 
dénoncée  à  l'Assemblée,  les  jansénistes  furent  alarmés,  et,  dans  les 
premiers  jours  de  juillet,  ils  adressèrent  à  Bossuet  cette  longue  lettre 
anonyme,  dans  laquelle  il  y  a,  dit  Ledieu,  plusieurs  choses  person- 
nelles qui  n'ont  servi  qu'à  exciter  davantage  le  zèle  du  prélat  contre 
la  proposition  traitant  de  fantôme  le  jansénisme,  «  et  qui  l'ont  fait 
parler  avec  tant  de  force  dans  son  rapport  sur  cette  matière  pour 
faire  voir  combien  il  avait  raison  de  censurer  cette  proposition..^» 
(Ledieu,  Journal,  t.  II,  p.  56  à  61,  et  Clé  de  la  Censure,  fr.  i38o8). 
—  Sur  le  «  fantôme  du  jansénisme  »,  on  peut  voir  les  Provinciales 
XVII  et  XVIII. 


juin.  1700]  .      DE   BOSSUET.  278 

triompher  parce  qu'ils  espèrent  que  vous  allez  publier  une 
censure  favorable  à  leurs  intentions  et  à  leurs  passions.  On 
ne  vous  dissimulera  point,  Monseigneur,  que  l'on  vous 
regarde  dans  le  public  comme  l'unique  auteur  de  cette  réso- 
lution. Vous  vous  êtes  expliqué  sur  cette  matière  avec  tant 
de  chaleur,  et  Mgr  le  Président*,  qui  a  une  déférence 
aveugle  pour  vos  sentiments,  a  paru  si  occupé  du  fantôme  du 
jansénisme  que  l'on  ne  doute  point  que  ce  dessein  ne  soit 
venu  de  vous^. 

Vous  n'ignorez  pas,  Monseigneur,  les  jugements  que  le 
monde,  toujours  critique  et  malin,  a  formés  sur  votre 
conduite  dans  cette  occasion.  Il  a  cru  que  l'envie  de  flatter 
les  préventions  de  la  Cour  et  de  déclamer  contre  des  per- 
sonnes qu'il  est  à  la  mode  de  persécuter  depuis  si  longtemps, 
était  le  principal  ressort  qui  vous  avait  mis  en  mouvement  ^ 
Les  théologiens  qui  se  donnent  l'honneur  de  vous  écrire  ont 
trop  de  respect  pour  votre  personne,  pour  vous  imputer  des 
motifs  si  indignes  d'un  évêque  et  d'un  chrétien  ;  ils  aiment 
mieux  croire  que  vos  anciennes  préventions  contre  les  pré- 
tendus jansénistes,  et  les  instructions  de  M.    Cornet*,  les- 

1.  L'archevêque  de  Reims.  C'est  dans  la  s(^ance  du  26  juin,  que  ce 
prélat  dénonça  VAugustiniana  Ecclesiœ  romanœ  doctrina. 

2.  Sur  la  part  prépondérante  prise  par  Bossuet  dans  les  questions 
de  dogme  et  de  morale,  et  sur  son  opinion  toucliant  l'archevêque  de 
Reims,  voyez  Ledieu,  t.  II,  p.  76. 

3.  On  recommençait  dans  le  public  à  parler  du  cardinalat  de  Bos- 
suet (Cf.  Ledieu,  p.  66,  et  Quesnel,  Correspondance,  t.  II,  p.  97). 

4.  Nicolas  Cornet,  né  à  Amiens  le  12  octobre  1692,  était  fils 
d'Anne  Rabâche  et  de  Jacques  Cornet,  seigneur  d'Hunal  et  autres 
lieux,  et  premier  échevin  d'Amiens.  Docteur  de  la  maison  et  société 
de  Navarre,  dont  il  fut  grand  maître  (i635-i6/i3  et  i65i-i663),  il 
dirigea  les  études  de  Bossuet  dans  cet  établissement.  En  qualité  de 
syndic  de  la  Faculté  de  théologie,  il  poursuivit  la  censure  des  fa- 
meuses propositions  où  il  avait  résumé  la  doctrine  de  VAuçjUsUnus. 
Il  refusa  l'archevêché  de  Bourges  et  mourut  au  collège  de  Boncourt 
le  18  avril  i663.  Bossuet  prononça  son- oraison  funèbre  le  27  juin 
suivant.  On  a  dit  que  Nicolas  Cornet  était  entré  dans  la  Com- 
pagnie de  Jésus  et  en  était  bientôt  sorti  pour  raison  de  santé  ;  mais 
on  a   dû    le    confondre    avec   son  frère    cadet,    Michel    Cornet,    qui 

XII  -   18 


27/4  CORRESPONDANCE  [julll.  1700 

quelles  ne  sont  pas  encore  effacées  de  votre  esprit,  sont  véri- 
tablement ce  qui  vous  a  inspiré  tant  de  vivacité  pour  réaliser 
le  vain  fantôme  du  jansénisme.  Mais  le  zèle  que  ces  théolo- 
giens ont  pour  la  vérité,  pour  la  paix  de  l'Église  et  pour  votre 
propre  réputation  ne  leur  permet  pas  de  garder  le  silence 
dans  une  conjoncture  si  importante.  Ils  s'adressent  à  vous, 
Monseigneur,  pour  vous  demander  justice  et  pour  vous 
conjurer  de  prévenir  des  maux  dont  toute  l'Église  vous  ren- 
dra responsable,  et  ils  espèrent  de  votre  amour  pour  la  vérité 
que  vous  voudrez  bien  lire  avec  attention  les  réflexions  qu'ils 
vont  avoir  l'honneur  de  vous  proposer. 

Cette  proposition  :  Le  jansénisme  est  un  fantôme  est  suscep- 
tible de  trois  sens  différents.  Elle  peut  signifier,  en  premier 
lieu,  que  les  Cinq  propositions  attribuées  par  les  papes  à  Jan- 
sénius^  n'étaient  pas  de  véritables  erreurs.  2°  Elle  peut 
signifier  qu'il  n'y  a  jamais  eu  de  secte  composée  de  personnes 
qui  soutinssent  les  cinq  propositions  condamnées  par  l'Église. 
3»  On  peut  entendre  par  là  que  ceux  qui  croient  pouvoir  dis- 
tinguer le  fait  et  le  droit  ne  sont  pas  hérétiques. 

On  vous  supplie  de  remarquer.  Monseigneur,  qu'il  serait 
tout  à  fait  indigne  de  votre  assemblée  de  condamner  une 
proposition  susceptible  de  trois  sens  différents,  sans  définir 

mourut  au  noviciat  des  jésuites  en  1629,  à  l'âge  de  vingt-deux  ans 
(Voir  Ant.  Arnauld,  Considérations  sur  l'entreprise  faite  par  M,  Cornet; 
II.  Dumas,  Histoire  des  Cinq  propositions  ;  l'Oraison  funèbre  de  N. 
Cornet,  dans  l'édition  donnée  par  son  neveu,  Cli.-Fr.  Cornet,  sei- 
gneur de  Coupel,  Amsterdam,  1698,  in-8,  et  dans  les  Œuvres  ora- 
toires de  Bossuet,  édition  Le  barq  revue  par  Cli.  Urbain  et  E.  Le- 
vesque,  t.  IV;  Bibl.  Nationale,  ms.  fr.  22841  ;  Jacques  de  Bertinière, 
Planctus  regiœ  Navarrx  in  obitu  cl.  viri  DD.  Nicolai  Cornet;  les 
Mémoires  de  Rapin  et  de  God.  Hermant,  etc.). 

5.  Dans  son  ouvrage  intitulé  :  Augustinus  seu  doctrina  sancti  Augu- 
stini  de  hamanœ  nalurss  sanctilate,  œgritudine,  medicina,  adversus 
Pelagianos  et  Massilienses  (Louvain,  i64o,  in-fol.).  Nicolas  Cornet 
fit  censurer  cinq  propositions  erronées  touchant  la  grâce  et  le  libre 
arbitre,  qui  furent  le  sujet  de  la  longue  querelle  du  jansénisme,  les 
uns  affirmant  qu'elles  résumaient  la  doctrine  de  Jansénius  j(  et  les 
autres  n'en  voulant  pas  convenir.  Il  a  été  parlé  de  Cornélius  Jansénius 
dans  uotrc  tome  V,  p.  ^07  et  44u. 


juin.  1700J  DE  BOSSUET.  276 

dans  quel  sens  vous  la  condamnez.  Ce  serait  de  propos  déli- 
béré tendre  un  piège  aux  simples,  qui  pourraient  abuser  par 
ignorance  de  votre  condamnation,  et  ce  serait  en  même 
temps  fournir  à  toutes  les  personnes  malintentionnées  un 
prétexte  pour  se  servir  de  votre  censure  contre  la  vérité.  Rien 
ne  serait  donc  plus  pernicieux  à  l'Église  et  plus  contraire  au 
devoir  de  ceux  que  Dieu  a  chargés  de  nous  instruire,  que  de 
censurer  d'une  manière  vague  et  indéterminée  une  proposi- 
tion qui  peut  être  expliquée  en  tant  de  manières  différentes. 

Cela  supposé,  si  votre  dessein,  en  déclarant  que  le  jansé- 
nisme n'est  point  un  fantôme,  est  simplement  de  décider  que 
les  Cinq  propositions  ont  été  justement  condamnées,  expli- 
quez-vous nettement,  et  vous  ne  trouverez  point  de  contra- 
diction :  quiconque  dirait  le  contraire  mériterait  toutes  les 
censures  de  l'Église,  et  l'on  ose  vous  assurer  avec  confiance 
qu'il  n'y  a  point  de  théologien  attaché  à  la  doctrine  de  saint 
Augustin  qui  ne  reconnaisse  que  les  Cinq  propositions  sont 
cinq  dogmes  impies,  justement  frappés  d'anathème. 

Mais  ce  n'est  pas  assurément  ce  qu'a  voulu  dire  l'auteur 
de  la  préface  du  livre  dédié  au  Clergé^,  quand  il  a  marqué 
si  positivement  que  le  jansénisme  était  un  fantôme  ;  ce  n'est 
point  l'idée  que  cette  proposition  porte  naturellement  dans 
l'esprit,  et  il  est  fort  à  craindre.  Monseigneur,  que  ce  ne  soit 
pas  aussi  le  sens  que  vous  y  avez  attaché  en  proposant  de  la 
condamner. 

Or,  l'on  soutient  hautement  que,  si  vous  entendez  cette 
proposition  selon  la  seconde  ou  la  troisième  interprétation, 
vous  ne  sauriez  la  condamner  sans  déshonorer  votre  assem- 
blée et  sans  vous  déshonorer  vous-même.  C'est  ce  qu'il  est 
facile  de  vous  démontrer. 


6.  Le  livre  dénoncé  par  rarchevèque  de  Reims  ;  i!  était  intitulé  : 
Augijstiniana  Ecclesiœ  romaine  doctrina  a  Cardiiialis  SJ'ondiuti  Nodo 
extricata  per  varias  sancti  Augustini  dlscipulos,  Cologne,  1700,  in-13. 
Cf.  le  Journal  de  Ledieu,  t.  II,  p.  56  et  91  ;  la  Correspondance  de 
Qaesnel,  t.  II,  p.  94  et  gS.  L'auteur  principal  de  ce  recueil  serait 
Quesnel,  d'après  Hurter,  Nomenelator  literarius,  t.  IV,  col.  889. 


276  CORRESPONDANCE  [julU.  1700 

Pour  commencer  par  le  second  sens,  oseriez-vous  donci 
soutenir,  Monseigneur,  qu'il  y  ait  jamais  eu  ou  qu'il  y  a 
encore  une  secte  d'hérétiques  cachés  dans  le  sein  de  l'Église 
et  qui  soutiennent  les  cinq  erreurs  condamnées  par  les 
papes  ?  S'il  y  avait  une  semblable  secte,  pourquoi  êtes-vous 
demeuré  si  longtemps  dans  le  silence  ?  Où  est  votre  zèle  pour 
les  intérêts  de  l'Église  ?  Et  ne  deviez-vous  pas  poursuivre  ces 
hérétiques  avec  la  même  vivacité  que  vous  avez  marquée 
contre  les  quiétistes  et  les  calvinistes  ? 

Mais  que  pourrez-vous  répondre,  Monseigneur,  à  ceux  qui 
vous  reprocheront  que,  non  seulement  vous  êtes  demeuré  en 
communion  avec  ces  prétendus  sectaires,  mais  même  que 
vous  avez  honoré  en  plusieurs  occasions  de  toutes  sortes  de 
marques  de  votre  estime  ceux  qui  auraient  dû  être  regardés 
comme  les  chefs  de  la  secte  ? 

Vous  avez  bien  voulu,  Monseigneur,  approuver  avec  de 
grands  éloges  plusieurs  livres  de  M.  Arnauld  et  de  M.  Nicole  '. 
La  foi  de  ces  savants  hommes  vous  a  paru  si  pure  que  vous 
avez  bien  voulu  soumettre  à  leur  jugement  les  ouvrages  qui 
vous  ont  fait  le  plus  de  réputation.  L'on  sait  que  le  livre  de 
V Exposition  de  la  foi  n'a  paru  qu'après  avoir  été  vu,  examiné, 
corrigé  et  approuvé  par  le  célèbre  M.  Arnauld*.  Vous  vous 

7.  Des  ouvrages  publiés  contre  les  protestants,  comme  la  Perpé- 
tuité de  /a /oj  (1669-1674)  ;  Préjugés  légitimes  contre  les  calvinistes  ; 
Réponse  générale  au  nouveau  livre  du  sieur  Claude  ;  le  Renversement  de 
la  morale  de  Jésus-Christ  par  les  erreurs  des  calvinistes  touchant  la 
justification  (1671).  Cf.  t.  I,  p.  226,  et  p.  5o8  à  5io. 

8.  Antoine  Arnauld,  dit  le  grand  Arnauld,  né  à  Paris  le  6  février 
i6i3,  était  le  vingtième  enfant  de  l'avocat  Antoine  Arnauld  e(  de 
Catherine  Marion.  Docteur  en  iQl\i,  il  ne  fut,  malgré  son  talent, 
reçu  qu'en  i6ii3  de  la  maison  et  société  de  Sorbonne,  et  cela  p;ii 
suite  de  l'opposition  de  Richelieu.  Par  l'étendue  de  ses  connaissances 
comme  par  l'inflexibilité  de  son  caractère,  par  les  causes  qu'il  défen- 
dit et  les  polémiques  qu'il  soutint,  soit  contre  les  jésuites,  soit  contre 
les  protestants,  par  les  orages  qu'il  souleva,  par  les  écrits  qu'il  com- 
posa ou  qu'il  provoqua,  il  se  fit  une  place  à  part  dans  l'iiistoire  reli- 
gieuse de  son  siècle  et  donna  une  force  considérable  au  parti  jansé- 
niste. Censuré  par  la  Faculté  de  théologie  en  i656,  il  vécu  'caché 
jusqu'à  la   paix  de  Clément   IX,  en  16B8;  et  même,  en  167g,  ne  se 


juin.  1700]  .DE   BOSSUET.  277 

faisiez  quelquefois  un  plaisir  de  vous  dérober  à  vos  grandes 
occupations  pour  venir  conférer  avec  M.  Nicole  sur  les  plus 
beaux  ouvrages  que  vous  méditiez  pour  la  défense  de  l'Église; 
l'on  a  des  preuves  que,  depuis  sa  mort,  vous  avez  dit  que 
c'était  un  rempart  pour  la  religion,  soit  dans  la  doctrine, 
soit  dans  la  morale^.  Cependant,  si  le  jansénisme  n'est  point 
un  fantôme,  c'est  sur  ces  hommes,  dont  la  mémoire  est  en 
bénédiction  dans  l'Eglise,  que  la  note  d'hérésie  tombera 
infailliblement,  et  l'on  sera  en  droit  de  vous  faire  ce  reproche 
outrageant,  que  vous  avez  été,  Monseigneur,  un  approbateur 
et  un  fauteur  d'hérétiques. 

Mais  peut-être  que,  depuis  la  mort  de  ces  deux  grands  et 
saints  hommes,  vous  avez  eu  de  bonnes  raisons  pour 
reprendre  vos  anciens  préjugés  et  pour  vous  persuader  que 
le  jansénisme  n'est  pas  un  fantôme  ?  Je  le  veux  croire.  Je  me 
persuade  donc,  Monseigneur,  que  vous  avez  dans  l'esprit  des 
pensées  et  des  raisonnements  qui  vous  en  convainquent,  et 
il  ne  me  sera  pas  difficile  de  les  savoir,  puisqu'il  y  a  plus  de 
quinze  ans  qu'il  a  paru  un  livre  de  M.  Arnauld  avec  ce  titre  : 

croyant  plus  en  sûreté  en  France,  il  se  retira  à  l'étranger.  Il  mourut 
à  Bruxelles  le  8  août  169/i,  âgé  de  quatre-vingt-deux  ans.  Ses 
ouvrages  les  plus  fameux  sont  :  De  la  fréquente  communion,  Paris, 
1643,  in-4  ;  Lettre  d'un  docteur  de  Sorbonne  à  une  personne  de  condi- 
tion ei  Seconde  lettre  de  M.  Arnauld  à  un  duc  et  pair,  Paris,  i6d5, 
in-l\  ;  Grammaire  générale  (en  collaboration  avec  Lancelot),  Paris, 
1660,  in-i2  ;  La  Logique  ou  l'Art  de  penser  (en  collaboration  avec  iSi- 
cole),  Paris,  1662,  in-12;  Défense  de  la  traduction  du  Nouveau  Testa- 
ment imprimée  àMons,  s.  1.  n.  d.  (1667),  in-4,et  Cologne,  1668,  in-12  ; 
La  Morale  pratique  des  jésuites,  Cologne,  1669-1685,8  vol.  in-12; 
Lettres,  Nancy,  1727,  10  vol.  in  12.  L'ensemble  de  ses  écrits  forme 
43  vol.  in-4  (Paris  et  Lausanne,  1775-1788),  non  compris  le  grand 
ouvrage  de  la  Perpétuité  de  la  foi  de  l'Église  catholique  touchant 
l'Eucharistie  (Paris,  1667-1674,  3  vol.  in-/i),  auquel  Nicole  a  colla- 
boré. La  Vie  d'Arnauld,  due  à  Noël  de  Larrière,  a  été  imprimée, 
Paris-Lausanne,  1782-1783,  2  vol.  in-12  ou  i  vol  in-^.  —  Voir 
notre  t.  II,  p.  270. 

g.  «  Je  finis,  avait  écrit  Bossuet  à  Nicole,  ...en  priant  Dieu  qu'il 
vous  conserve  pour  soutenir  la  cause  de  son  Eglise,  dont  vos  ouvrages 
me  paraissent  un  arsenal  »  (Lettre  du  7  décembre  1691,  t.  IV, 
p.  374). 


278  CORRESPONDANCE  [juill.  1700 

Phantome  du  jansénisme^'*,  où  il  a  recueilli  avec  soin  tout  ce 
qui  s'est  dit  et  tout  ce  qui  pouvait  être  dit  de  plus  plausible 
pour  appuyer  cette  vaine  illusion. 

C'était  à  ce  livre,  Monseigneur,  qu'il  fallait  tâcher  de  don- 
ner quelque  atteinte  par  une  réponse  solide,  afin  de  persua- 
der que  le  jansénisme  est  une  secte  réelle,  au  lieu  de  s'atta- 
cher à  ce  qui  n'a  été  mis  qu'incidemment  dans  une  préface 
toute  composée  à  la  gloire  du  clergé  de  France  et  pour  la 
justification  des  évêques  dénonciateurs  du  sfondratisme. 

Vous  pouvez  vous  souvenir.  Monseigneur,  que  feu 
M.    d'Angers"   écrivit  en    i664  une  lettre  à   M.   de   Péré- 

10.  Phantasme  du  Jansénisme,  ou  justification  des  prétendus  jansé- 
nistes par  le  livre  mesme  d'un  Savoiard,  docteur  de  Sorbonne,  de  leur 
nouvel  accusateur,  intitulé  :  «  Les  Préjugez  légitimes  contre  le  Jansé- 
nisme^^,  Cologne,  1686,  in-8.  —  Nous  avons  noté,  t.  V,  p.  4l3-4i4, 
les  sentiments  de  Bossuet  sur  Arnauld. 

11.  Henri  Arnauld,  d';ibord  dit  Arnauld  de  Trie,  était  frère  du 
grand  Arnauld,  dont  il  suivit  généralement  les  directions,  quoiqu'il 
fût  son  aîné  de  quinze  ans.  Né  en  1697  et  d'abord  destiné  au  barreau, 
il  embrassa  l'état  ecclésiastique,  fit  à  Rome  un  premier  séjour  de 
cinq  années  et  reçut  l'abbaye  de  Saint-Nicolas  d'Angers,  dont  il 
porta  le  nom  jusqu'à  son  épiscopat.  Il  fut  ensuite  chanoine,  archi- 
diacre et  doyen  du  chapitre  de  Toul,  et  fut  même  élu  évêque  de  cette 
ville  en  1687,  mais  des  conflits  d'autorité  rendirent  vaine  cette  élection. 
Envoyé  à  Rome  en  qualité  d'ambassadeur  extraordinaire  en  i645,  il 
réussit  dans  sa  mission,  et  fut  ensuite  placé  (1649)  ^  '»  tète  du  dio- 
cèse d'Angers,  qu'il  gouverna,  avec  zèle  et  édification,  pendant  qua- 
rante-deux ans.  Il  mourut  le  8  juin  169a,  âgé  de  quatre-vingt-quinze 
ans.  Il  fut  mêlé  aux  querelles  du  jansénisme  et  fut  l'un  des  quatre 
prélats  qui  négocièrent  la  paix  de  l'Église  (1668).  Ses  papiers  sont 
conservés  à  la  Bibliothèque  de  l'Arsenal,  ms.  6o34  à  6^00,  passim. 
On  a  publié  les  Négociations  à  la  cour  de  Rome  et  en  différentes  cours 
d'Italie,  de  Messire  Henri  Arnauld.  abbé  de  Saint-Nicolas,  depuis 
évêque  d'Angers,  Paris,  1768,  5  vol.  in-12  (Parmi  les  différents 
ouvrages  relatifs  à  l'histoire  du  jansénisme,  voir  spécialement  les 
Mémoires  de  l'abbé  Antoine  Arnauld  d'Andilly,  Amsterdam,  1766, 
3  vol.  in-8,  de  G.  Hermant,  de  Rapin  et  de  Lancelot  ;  Besoigne, 
Vies  des  quatre  évêques  engagés  dans  la  cause  de  Port-Royal, 
Cologne,  1756,  2  vol.  in-8  ;  le  P.  de  Bonrecueil,  Éloge  de  M.  'fvêque 
d'Angers,  dans  les  Mémoires  du  P.  Desmolets,  t.  III,  3*  psrtie  ; 
Besoigne,  Vie  de  Henri  Arnauld,  édit.  Guettée,  Angers,  i863,  in-8; 


juill.  1700]  DE  BOSSUET.  279 

fixe  *-  qui  venait  d'être  nommé  à  l'archevêché  de  Paris,  pour  le 
porter  à  apaiser  les  troubles  qui  s'étaient  excites  sur  le  sujet 
des  Cinq  propositions  ;  il  lui  représenta  dans  cette  première 
lettre*^  que  c'étaitsans  aucun  fondement  qu'on  avait  prévenu 
le  Roi  qu'il  y  avait  une  nouvelle  secte  d'hérétiques  très  per- 
nicieuse à  l'Église  et  à  l'État. 

La  réponse  que  fit  M.  de  Péréfixe**  contient  vos  meilleures 
raisons,  Monseigneur,  et  il  y  a  apparence  qu'elle  ne  vous  est 
pas  inconnue,  puisque  le  bruit  courut  alors  que,  pour  rendre 
service  à  M.  de  Péréfixe  qui  était  très  occupé,  vous  aviez  bien 
voulu  prêter  votre  ministère  à  ce  prélat  pour  répondre  à 
M.  d'Angers.  Voici  donc.  Monseigneur,  votre  style  et  vos 
pensées. 

«  On  ne  peut  ôter  au  chef  de  l'Eglise  et  à  toas  les  évêqaes  le 
pouvoir  de  condamner  un  auteur.  Deux  papes  ont  déclaré  par 
des  constitutions  reçues  dans  toute  l'Église  qu'il  y  a  des  erreurs 
contenues  dans  les  Cinq  propositions  et  qu'elles  sont  effective- 


Ant.  Arnauld,  Œuvres;  François  Grandet,  ancien  maire  d'Angers, 
Mémoire  sur  la  vie  de  H.  Arnauld.  évêqiie  d'Angers,  ms.  1777,  à  la 
Bibliothèque  de  la  ville  d'Angers,  publié  dans  VAnjou  historique, 
1900-1901  ;  une  Vie  de  H.  Arnauld,  par  Guy  Arthaud,  publiée  éga- 
lement dans  l'Anjou  historique,  année  igo2  ;  un  éloge  funèbre, 
fr.  loSga  ;  P.  Varin,  la  Vérité  sur  les  Arnauld,  Paris,  1847,  ^  ^<''- 
in-8;  Sainte-Beuve,  Port-Royal;  Bordillon,  Henri  Arnauld,  défense 
de  sa  mémoire  et  de  son  tombeau  contre  l'abbé  Pletteau  et  autres  héri- 
tiers et  ayants  cause  du  P.  jésuite  Brisacier,  Angers,  1862,  in-8  ; 
Bougler,  Sur  la  polémique  qui  s'est  élevée  à  l'occasion  de  Henri  Arnauld, 
Angers,  i863,  in-8;  Célestin  Port,  Dict.  hist.,  géog.  et  biographique 
de  Maine-et-Loire,  Angers,  1878,  in-8,  t.  I,  p.  187-139,  et  nos 
t.  I,  p.  126,  et  III,  p.  68). 

12.  Hardouin  de  Beaumont  de  Péréfixe  (1605-1670),  précepteur 
de  Louis  XIV,  puis  évêque  de  Rodez  en  i648,  et  archevêque  de 
Paris  en  1662.  Il  se  signala  par  son  zèle  contre  le  jansénisme.  On  a 
de  lui  une  médiocre  Vie  de  Henri  IV,  Paris,  1661,  in-4.  Il  était  entré 
à  l'Académie  française  en  i654. 

i3.  Lettre  de  Monseigneur  l'évêque  d'Angers  à  Monseigneur  l'arche- 
vêque de  Paris  (12  avril  166A).  S.  1".  n.  d.,  in-4  (Bibliothèque  Natio- 
nale, Ld^  371). 

i4.   Elle  n'a  pas  dû  être  imprimée. 


28o  CORRESPONDANCE  [juiU.   1700 

ment  de  Jansénius.  Voilà  donc,  Monseigneur,  une  véritable  héri- 
sie,  quelque  chose  que  vous  me  représentiez  au  contraire.    » 

Et  voici  ce  que  M.  d'Angers  lui  (à  Péréfixe)  répondit  sur 
cela  dans  sa  2*  lettre,  qui  est  demeurée  sans  réplique  : 

«  Souffrez,  Monseigneur,  que  je  vous  dise  que  qui  ne 
lirait  que  votre  lettre  m'attribuerait  une  pensée  dont  je  suis 
très  éloigné.  Car  il  n'en  pourrait  juger  autre  chose,  sinon 
que  j'ai  nié  que  les  hérésies  des  Cinq  propositions  fussent  de 
véritables  hérésies,  et  que  j'ai  fait  passer  tout  cela  pour  une 
chimère.  Au  lieu  qu'ayant  toujours  reconnu  que  les  Cinq 
propositions  étaient  hérétiques  et  justement  condamnées,  j'ai 
soutenu  seulement,  comme  je  le  soutiens  encore,  que  c'est 
une  pure  supposition  de  s'imaginer  qu'il  y  ait  dans  le  royaume 
une  nouvelle  secte  d'hérétiques,  puisque,  ceux  qu'on  accuse  le 
plus  de  cette  nouvelle  hérésie  ayant  donné  des  déclarations  de 
leurs  sentiments  très  amples  et  très  claires,  qui  ne  laissent  aucun 
lieu  aux  personnes  intelligentes  et  équitables  de  les  soupçonner 
de  la  moindre  erreur  sur  les  Cinq  propositions,  on  ne  peut  plus 
les  inquiéter  que  sur  un  fait  non  révélé,  qui,  par  le  consentement 
de  tous  les  théologiens  catholiques,  ne  saurait  être  une  matière 
dliérésie.  Vous  savez.  Monseigneur,  que  je  n'ai  rien  dit  en 
cela  que  ce  que  M.  l'évêque  d'Alet  a  écrit  depuis  peu  au  Roi 
même.  Voici  les  paroles  de  ce  grand  prélat  :  «  La  Déclara- 
tion, Sire,  présuppose  qu'il  y  a  une  hérésie  jansénienne  dans 
votre  royaume,  qui  fait  de  grands  progrès,  qui  est  capable  de 
corrompre  la  foi  et  la  religion  de  vos  sujets,  et  de  causer  des 
troubles  dans  votre  Etat  ;  et  néanmoins  il  n'y  a  rien  de  si  vrai 
que  c'est  une  pure  supposition,  étant  certain  qu'il  n'y  a  aucune 
personne  qui  soit  dans  cette  prétendue  hérésie.  Et  si  Votre 
Majesté  a  peine  à  ajouter  foi  à  ce  que  je  lui  assure  positivement, 
je  la  supplie,  pour  s'en  persuader,  de  demander  aux  évêques  de 
son  royaume  s'ils  ont  trouvé  plusieurs  personnes  infectées  de 
cette  hérésie,  et  j'ose  lui  dire  par  avance  qu'aucun  évèque  ne  lui 
rapportera  qu'il  en  ait  rencontré.  »  Vous  pouvez  voir  la  même 
chose  dans  un  livre  intitulé   Candor   lilii^^,   imprimé   cette 

i5.   R.    P.   Jean  Gasalas,  O.   P.,   Candor  lilii,   seu  Ordo   Frairum 


juin.  1700]  DE    BOSSUET.  281 

année  même  à  Paris  avec  privilège  et  toutes  sortes  d'appro- 
bations et  qui  est  autorisé  par  tout  l'Ordre  de  saint  Domi- 
nique, étant  fait  pour  sa  juste  défense  contre  un  libelle  diffa- 
matoire du  P.  Théophile  Rainaud^^.  Car  ce  jésuite  leur 
reprochant  sans  cesse  le  prétendu  jansénisme,  voici  comme 
ils  en  parlent  en  la  p.  i35.  «  Je  ne  sais  ce  que  vous  voulez  dire 
par  les  jansénistes.  Car,  ou  vous  voulez  marquer  par  là  les 
défenseurs  des  cinq  propositions  condamnées,  qui  ne  sont  soute- 
nues par  personne  et  qui  sont  rejetées  de  tout  le  monde  comme 


Prœdicatorum  a  calamniis  et  contumeliis  Pétri  a  Valle-Clausa  vindica- 
tus,  Paris,  i664,  in-8,  écrit  mis  à  l'Index,  le  17  novembre  de  la 
même  année.  Cf.  J.-J.  Percin,  Monumenta  conventus  Tolosani.  Ordinis 
Prœdicatorum,  Toulouse,  1698,  in-fol.,  p.  i65  ;  Quétif  et  Échard, 
Scriptores  Ordinis  Prxdicatorum,  t.  II,  p.  6l4  et  6i5j  Arnauld, 
Œuvres,  t.  I,  p.  287. 

16.  De  immunitate  auctorum  Cyriacorum  a  censura,  Diatribœ  Pétri  a 
Valle  Clausa,  sacrx  theologise  doctoris,  s.  I.  n.  d.,  in-8.  Cet  écrit  fut  mis 
à  l'Index;  il  fut  aussi  condamné  au  feu  par  les  Parlements  d'Aix  et  de 
Toulouse  (cf.  Ilermant,  Mémoires,  t.  VI,  p.  Ii3).  Il  a  été  inséré  dans 
le  Candor  lilii  et  dans  le  recueil  Apopompseus,  1669,  in-fol.  —  Théo- 
phile Raynaud  était  né  le  i5  novembre  1687,  suivant  le  P.  Sommer- 
vogel,  le  7  décembre  i585,  d'après  le  P.  Hamy,  et  d'après  lui-même 
à  la  fin  de  i583,  à  Sospello,  dans  le  comté  de  Nice.  Entré  en  1602, 
dans  la  Compagnie  de  Jésus,  il  passa  la  plus  grande  partie  de  son  exis- 
tence à  Lyon,  où  il  enseigna  la  philosophie  et  la  théologie,  et  où  il 
mourut  le  3i  octobre  i663,  à  la  suite  d'une  attaque  d'apoplexie.  C'était 
l'un  des  hommes  les  plus  savants  de  son  temps;  mais  sa  science  n'allait 
pas  sans  quelque  bizarrerie,  et  son  caractère  difficile  lui  attira  des 
ennuis  même  dans  sa  Compagnie.  La  plupart  de  ses  nombreux  écrits, 
dont  beaucoup  furent  signés  de  différents  pseudonymes,  ont  été 
recueillis  à  Lyon,  i665,  19  vol.  in-fol.  ;  on  en  ajouta  d'autres  sous 
le  titre  d'Apopompasus.  Cracovie  (Lyon),  1669,  in-fol.  Il  soutint  l'in- 
faillibilité du  Pape,  attaqua  les  thomistes  comme  les  jansénistes,  et 
n'épargna  pas  même  Bollandus,  son  confrère.  Plusieurs  de  ses  écrits, 
et  entre  autres  presque  tous  ceux  qui  sont  contenus  dans  V Apopompseus , 
ont  été  mis  à  l'Index  (Article  de  Gallois  dans  le  Journal  des  savants 
du  1 4  mars  1667  ;  Dictionnaire  de  Bayle,  t.  IV;  Lettres  de  Gui  Patin, 
édit.  Réveillé-Parise,  Paris,  i846,  3  vol.  in-8  ;  Monconys,  Voyages, 
Lyon,  i665,  3  vol.  in-4,  tome  II;  Th.  Raynaud,  Syntagma  de  libris 
propriis  (^dans  VApopompssus^  ;  Ant.  Arnauld,  Œuvres,  t.  I,  p.  387; 
t.  XXII,  p.  175,  206  et  447  ;  Lettre  du  prince  de  Conti  au  P.  Des- 


282  CORRESPONDAISCE  [juiU.  1700 

hérétiques,  ou  vous  entendez  les  défenseurs  de  la  grâce  efficace 
par  elle-même,  que  les  papes  Innocent  X  et  Alexandre  VII  ont 
voulu  être  hors  d'atteinte,  comme  il  parait  par  le  bref  à  l'Uni- 
versité de  Louvain^'',  et  pour  ceux-là  qui  sont  dans  les  senti- 
ments de  l'Ecole  de  saint  Thomas,  nous  les  reconnaissons  pour 
très  orthodoxes  et  très  catholiques.  Si  vous  en  entendez  d'autres, 
ce  sont  des  hommes  imaginaires  que  vous  feignez.  »  Ainsi,  Mon- 
seigneur, vous  voyez  que,  sans  nier  ce  que  tout  le  monde 
avoue,  qu'il  y  a  de  l'erreur  dans  les  Cinq  propositions,  sans 
contester  au  Pape  et  aux  évêques  le  droit  que  tout  le  monde 
reconnaît  qu'ils  ont  de  condamner  les  auteurs,  et  sans 
remettre  en  doute,  ce  qui  est  indubitable,  qu'ils  ont  con- 
damné le  livre  de  Jansénius  comme  contenant  les  hérésies 
des  Cinq  propositions,  on  peut  assurer  que  la  créance,  dont 
on  a  prévenu  le  Roi,  qu'il  y  a  dans  son  royaume  une  nou- 
velle secte  d'hérétiques  très  pernicieuse  à  l'Église,  est  une 
pure  supposition,  comme  M.  l'évêque  d'Alet  n'a  point  craint 
de  l'assurer  au  Roi  même,  et  une  pure  fiction,  comme  l'a 
écrit  publiquement  l'Ordre  de  saint  Dominique.  Et  vous 
jugez  assez,  Monseigneur,  qu'il  ne  suffit  pas,  pour  trouver 
cette  nouvelle  secte  d'hérétiques,  d'alléguer  qu'il  y  a  plu- 
sieurs personnes  qui   doutent  si  les  Cinq   propositions  sont 

champs,  Cologne,  1689,  p.  69  ;  Baillet,  Auteurs  déguisés  ;  Mémoires 
de  G.  Hermant  ;  le  P.  de  Colonia,  Histoire  littéraire  de  la  ville  de 
Lyon,  Lyon,  1728,  3  vol.  in-Zj,  t.  II;  Pernetty,  les  Lyonnais  dignes 
de  mémoire,  Lyon,  1767,  3  vol.  in-8  ;  Collombet,  les  Historiens  du 
Lyonnais,  Lyon,  1889-1844,  3  vol.  in-8  ;  le  P.  Prat,  la  Compagnie 
de  Jésus  en  France  du  temps  du  P.  Coton,  Lyon,  1876,  iu-8,  t.  IV, 
p.  180  et  877  ;  le  P.  Sommervog^el,  Bibliographie,  t.  YI  ;  Hurter, 
Nomenclator,  l.  III,  col.  978-98/i  ;  le  P.  A.  Hamy,  Chronologie  de  la 
Compagnie  de  Jésus,  Province  de  Lyon,  Paris,  1900,  in-8  ;  Michault, 
Mélanges,  t.  I). 

17.  On  voit  par  le  Candor  lilii,  p.  i33,  qu'il  s'agit  du  bref 
d'Alexandre  VII,  du  7  août  1660,  aux  professeurs  de  l'Université  de 
Louvain.  On  le  trouve  dans  T.  Ripolj,  Ballarium  ordinis  FF.  Prœ- 
dicaterum,  Rome,  1785,  in-fol.,  t.  VI,  p.  196;  cf.  les  Mémoires  de 
G.  Hermant,  t.  IV,  p.  ^70  et  471  et  VHistoire  ecclésiastique  du  I 
XF//«  siècle  (d'Ellies  du  Pin),  t.  II,  p.  585  à  687.  Le  P.  Rapin 
n'a  pas  mentionné  ce   bref. 


juill.  1700]  .  DE  BOSSUET.  288 

dans  le  livre  de  Jansénius  et  si  les  hérésies  que  l'Église  y  a 
condamnées  ont  été  enseignées  par  ce  prélat.  Cela  pouvait 
suffire  dans  l'esprit  de  ceux  qu'on  avait  prévenus  de  l'opi- 
nion fausse  et  erronée  de  l'inséparabililé  du  fait  et  du  droit, 
dont  on  s'est  servi  néanmoins  durant  sept  ou  huit  ans  pour 
trouver  ces  hérétiques.  Mais  on  ne  peut  nier,  Monseigneur, 
que  vous  n'ayez  rendu  un  très  grand  service  à  l'Église  en 
détruisant  ce  fantôme,  comme  vous  avez  fait  par  votre 
ordonnance,  où  vous  avez  séparé  le  droit  d'avec  le  fait,  en 
déclarant  qu'il  n'y  a  que  le  droit  qui  puisse  être  matière  de 
foi  divine,  et  que  le  fait  ne  peut  être  matière  que  de  foi 
humaine,  ce  que  vous  confirmez  encore  d'une  manière  plus 
forte  dans  votre  lettre,  en  m'assurant  «  que  non  seule  ment  ce  n'a 
jamais  été  votre  sentiment  que  le  fait  pût  être  la  matière  d'an 
article  de  foi,  mais  que  vous  connaissez  assez  par  les  principes 
de  la  religion  chrétienne  que  ce  n'a  jamais  été  le  sentiment  de 
l'Église.  »  Or  de  cette  vérité  que  vous  avez  si  bien  établie,  il 
s'ensuit  nécessairement  que  tout  le  monde  demeurant  d'accord 
du  droit,  et  que  n'y  ayant  de  dispute  que  sur  le  fait,  le  bruit 
qu'on  a  répandu  partout  et  dont  on  a  même  prévenu  Sa 
Majesté,  que  la  France  est  pleine  de  nouveaux  hérétiques, 
n'a  aucun  fondement  solide.  Car  il  est  constant  qu'il  n'y  a 
d'hérétiques  que  ceux  qui  résistent  à  la  foi  divine,  comme  les 
jésuites  l'ont  posé  pour  principe  dans  l'exposition  de  leur 
thèse  :  Non  sunt  hœretici  nisi  qui  fidei  divinœ  adversantur.  Or 
ceux  qui  ne  contestent  que  sur  un  fait,  qui  selon  vous-même 
ne  peut  être  matière  de  foi  divine,  ne  résistent  point  à  la  foi 
divine.  On  ne  peut  donc  prendre  pour  sujet  de  là  de  les  faire 
passer  pour  hérétiques,  et  ce  serait  une  hérésie  de  le  faire 
comme  vous  savez,  Monseigneur,  que  M.  l'évéque  d'Alet  l'a 
représenté  à  Sa  Majesté.  Car,  après  l'avoir  assurée  qu'aucun 
évêque  ne  lui  rapportera  qu'il  ait  trouvé  dans  son  diocèse 
plusieurs  personnes  infectées  de  la  prétendue  hérésie  iansé- 
nienne,  il  ajoute  :  «  //  pourra  bien  avoir  trouvé  des  personnes 
qui  refusent  de  signer  le  formulaire  dressé  par  l'assemblée  du 
Clergé  et  d'assurer  à  la  face  de  toute  l'Église  par  an  acte  aussi 
authentique  qu'est  la  profession  de  sa  foi,  qu'ils  croient  sincère- 


284  CORRESPONDANCE  [juiU.  1700 

ment  un  point  de  fait,  à  savoir  que  cinq  propositions  hérétiques 
sont  dans  le  livre  d'an  évêque  qui  a  toujours  vécu  et  est  mort 
dans  la  communion  de  l'Église,  parce  quils  estiment  avoir  évi- 
dence du  contraire  oa  des  raisons  solides  pour  le  révoquer  en 
doute,  ou  bien  parce  que,  n'en  ayant  aucune  connaissance,  ils 
craignent  d'agir  contre  leur  conscience,  de  l'assurer  par  une 
espèce  de  serment  comme  une  chose  certaine.  Or,  Sire,  je  sup- 
plie V.  M.  de  ne  point  trouver  mauvaise  ma  liberté  en  l'assurant 
que  ce  serait  faire  une  hérésie  dans  l'Église  que  de  soutenir  que 
ces  personnes  sont  hérétiques,  lesquelles  d'ailleurs  condamnent 
ces  cinq  propositions  et  les  hérésies  qu'elles  contiennent  et  que 
les  papes  Innocent  X  et  Alexandre  VII  y  ont  condamnées.  » 

Il  n'y  a  rien  à  ajouter  à  cette  preuve  si  achevée.  M.  de 
PéréGxe  n'avait  garde  d'y  rien  opposer.  Il  aurait  fallu  pour 
cela  qu'il  se  fût  condamné  lui-même  et  qu'il  eût  renoncé  à 
la  gloire  qu'il  s'était  acquise  d'avoir  été  le  premier  des  par- 
tisans du  Formulaire  qui  en  eût  ruiné  les  principaux  fonde- 
ments en  détruisant  l'inséparabilité  du  fait  et  du  droit,  sur 
laquelle  les  jésuites  avaient  bâti  la  secte  hérétique  du  jan- 
sénisme. Il  n'est  donc  pas  étrange  que,  pendant  plus  de  trois 
ans  qu'ont  encore  duré  ces  disputes  jusques  à  la  paix  de 
l'Église,  il  n'ait  pu  rien  répliquer  à  la  seconde  lettre  de 
M.  d'Angers,  ni  sur  ce  point-là,  ni  sur  les  autres  qu'il  a  pu 
prévoir  qui  feraient  connaître  à  toute  la  postérité  l'injustice 
manifeste  de  sa  conduite. 

Mais  si  le  témoignage  de  ces  deux  grands  et  saints  prélats 
vous  était  suspect,  en  voici,  d'autres.  Monseigneur,  auxquels 
il  n'y  a  point  de  réplique. 

Les  évêques,  au  nombre  de  trente  et  un,  qui  reçurent  à 
Paris  la  constitution  du  Pape  Innocent  X,  savaient  sans 
doute  ce  qui  se  passait  en  France,  et  s'il  y  avait  des  gens  qui 
soutinssent  les  Cinq  propositions.  Or,  pour  preuve  qu'il  n'y 
avait  personne  qui  ne  reçût  la  constitution,  voici  ce  que  les 
évêques  écrivent  dans  une  lettre  circulaire  qu'ils  envoyèrent 
à  tous  les  autres  évêques  du  royaume*^  :  «  Nous  vous  conju- 

18.  Extrait   de   la   lettre  circulaire  écrite  à    tous   les   prélats   du 


juin.  1700]    .  DE  BOSSUET.  286 

rons  encore  d'empêcher  que  ceux  qui  annonceront  la  parole  de 
Dieu  dans  vos  paroisses,  sHls  parlent  de  la  condamnation  de  ces 
propositions  au  peuple,  aux  lieux  où  cela  pourrait  être  néces- 
saire, le  fassent  de  telle  sorte  que,  de  la  censure  des  mauvais 
dogmes,  ils  ne  passent  à  aucunes  invectives  contre  qui  que  ce 
soit,  puisque,  par  la  grâce  de  Dieu,  nous  voyons  qu'en  cette 
rencontre,  tous  disent  la  même  chose  et  glorifient  le  Père 
céleste  d^une  même  bouche  aussi  bien  que  d'un  même  cœur.  » 

Tous  les  noms  qui  marquent  quelque  division  entre  les 
fidèles  doivent  être  supprimés,  et  quoiqu'il  semble  que  ce  ne 
soit  pas  une  chose  de  grande  importance,  toutefois,  dans 
l'esprit  des  simples,  ces  dénominations  odieuses  de  parti 
font  un  grand  préjudice  et  à  la  doctrine  et  aux  bonnes 
mœurs. 

M.  Godeau*',  évêque  de  Vence,  savait  sans  doute  ce  qui 
se  passait  en  France,  et  il  est  hors  de  toute  apparence  qu'il 
eût  voulu,  en  écrivant  au  Pape  et  au  Roi,  avancer  des  faus- 
setés dont  il  eût  pu  être  convaincu  très  facilement.  Cepen- 
dant il  écrivit  en  ces  termes  au  pape  Alexandre  VII,  le 
9  août  1661  :  «  Certe  in  mea  diœcesi,  nullus  est  qui  de  Janse- 
nii  doctrina  aliquid  audierit,  nec  etiam  in  Gallia  (ut  Sanctilati 
Vestrœ  persuadetur)  ulli  sunt  novi  hasretici  qui  propositiones 
damnalas  défendant  et  schisma  in  Ecclesia  faciant.  Monstrum 
fingitur  quod  debellent,  et  si  partium  nullum  esset  studium,  pax 
profandissima  in  Gallia  regnaret^°.  » 

Le  même  évêque  écrivit  la  même  chose  au  Roi  le  i5  octobre 
de  la  même  année  :  «  On  fait  accroire  à  V.  M.  que  son 
royaume   est  plein   d'hérétiques  qu'on   nomme  jansénistes. 

royaume  par  les  cardinaux,  arcfaevèques,  et  évèques  qui  se  sont  trou- 
vés à  Paris  le  i5  juillet  i653.  Cette  lettre  est  insérée  dans  la  Rela- 
tion des  délibérations  du  clergé  de  France  sur  la  constitution  et  sur  le 
bref  de  N.  S.  P.  le  pape  Innocent  X,  p.  55,  et  785  du  Procès-verbal 
de  l'assemblée  de  i655  {Note  du  ms.). 

19.  Voir  t.  III,  p.  188. 

20.  m.  et  Rev.  Episcopi  Venciensis  epistola  ad  Alexandrum  VII. 
Pontiftcem  maximum,  de  formulœ  Jïdei  subscriptione,  s.  1.  n.  d.  in-4 
(I.d*  3ib),  p.  2. 


286  CORRESPONDANCE  [juiU.  1700 

Lorsque  Luther  et  Calvin  commencèrent  à  semer  leurs  erreurs 
dans  l'Europe,  on  ne  cria  pas  plus  contre  eux  et  contre  leurs 
sectateurs  qui  se  séparaient  visiblement  de  l'Église,  décriaient 
sa  doctrine,  se  moquaient  de  ses  sacrements  et  profanaient 
toutes  les  choses  saintes.  Si  l'on  veut  décréditer  quelqu'un 
aupcès  de  V.  M.,  ou  l'exclure  de  quelque  prétention,  on  lui 
dit  que  c'est  un  janséniste.  On  diffame  même  de  ce  nom 
ceux  qui  n'espèrent  rien  dans  le  monde  et  qui  servent  utile- 
ment l'Église  dans  leurs  fonctions,  soit  de  vive  voix,  soit  par 
écrit,  et,  en  les  rendant  suspects,  on  les  rend  inutiles.  Les 
vierges  qui  vivent  dans  leurs  monastères  comme  dans  des 
tombeaux,  ne  peuvent  pas  même  se  défendre  de  cette  calom- 
nie. Mais,  si  V.  M.  voulait  prendre  la  peine  de  s'informer  où 
sont  ces  hérétiques,  qu'est-ce  qu'ils  croient  et  où  ils  font 
leurs  assemblées,  elle  reconnaîtrait  bientôt  que  ce  sont  des 
MONSTRES  IMAGINAIRES,  ct  qu'il  n'y  a  nulle  nouvelle  hérésie 
dans  son  royaume,  nulle  séparation  de  l'Église...  Sire,  au 
nom  de  Dieu,  par  qui  vous  régnez  et  pour  qui  vous  voulez 
régner,  que  V.  M.  se  serve  de  ses  lumières  en  cette  grande 
occasion,  qu'elle  éloigne  un  peu  de  son  esprit  cette  chimère 
dont  on  lui  fait  tant  de  peur  ;  qu'elle  écoute  sa  modération 
naturelle,  qu'elle  garde  une  oreille  à  ceux  que  l'on  noircit 
continuellement  auprès  d'elle  comme  hérétiques,  et  qu'elle 
ne  lâche  pas  la  foudre  sans  considérer  sur  quelles  têtes  elle 
doit  tomber.  » 

Le  même  évêque  encore,  dans  une  autre  lettre  écrite  au 
Roi,  au  mois  d'août  1662,  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Per- 
sonne, Sire,  ne  soutient  ces  propositions  condamnées...  S'il  plaît 
à  V.  M.  se  donner  la  peine  de  considérer  cette  affaire,  elle 
reconnaîtra  qail  ne  s'agit  pas  tant  aujourd'hui  de  Verreur  que 
du  nom  de  celui  à  qui  on  l'attribue  et  que  l'on  veut  à  toute  force 
déshonorer  pour  se  venger  de  son  livre,  etc.  ^*.  » 

21.  Lettre  écrite  au  Roi  par  Mgr   l'évéque  de    Vence   louchant  la 
signature  du  Formulaire,    s.    1.   n.    d.,  in-4,  p.  i  et  3  ;   Réponse  de 
Mgr  l'évéque  de  Vence  à  la  lettre  du  Roi  pour  la  signature  du  Forma-  j' 
lalrc  pure  et  simple,  s.  1.   n.  d.,  in-4,  p.  2  et  3  (Ld*  SaS  et  335). 


juin.  1700]  DE    BOSSUET.  287 

Personne  ne  devait  mieux  connaître  les  prétendus  jansé- 
nistes que  M.  de  Comminges"^-,  depuis  évêque  de  Tournay. 
Pendant  une  année  entière,  il  fut  occupé,  par  ordre  du  Roi, 
à  les  entendre,  à  présider  à  leurs  conférences  avec  le  P.  Fer- 
rier  ^*  et  à  examiner  leurs  écrits  avec  tout  le  soin  possible. 


32.  Gilbert  de  Choiseul  du  Plessis-Prasiin  avait  pris  le  bonnet  de 
docteur,  après  avoir  obtenu  le  huitième  rang  à  la  licence  de  16^2  ; 
il  était  monté  en  1044  sur  le  siège  de  Gomminges,  d'où  il  passa 
en  1670  sur   celui  de  Tournay.  Il  mourut  à  Paris   le    3i    décembre 

1689,  à  soixante-seize  ans,  laissant  la  réputation  d'un  évêque  aussi 
charitable  que  zélé.  Ayant  entrepris  d'apaiser  la  querelle  du  jansé- 
nisme, il  déplut  aux  deux  partis  et  n'aboutit  qu'à  se  compromettre 
lui-même.  Il  joua  aussi  un  rôle  important  dans  l'assemblée  de  1682, 
où  il  se  signala  par  l'ardeur  de  ses  convictions  gallicanes  :  le  rapport 
qu'il  présenta  en  cette  occasion  a  été  imprimé  à  la  suite  de  la  Defen- 
sio  de  Bossuet,  Paris,  17/10,  3  vol.  in-4.  On  a  encore  de  lui  :  Éclair- 
cissement louchant  le  sacrement  de  Pénitence,  Lille,  1679,  in-12  ; 
Mémoires  touchant  la  religion,  Paris,  i68i-85,  3  vol.  in-12  ;  Epistola 
ad  Martinum  Steyaert  de  Potestale  ecclesiastiea,  Lille,  1688,  in-4  ; 
Lettre  pastorale  sur  le  culte  de  la  Vierge,  en  faveur  et  en  tête  des  Avis 
salutaires  de  la  Vierge  à  ses  déoots  indiscrets,  de  Baillet,  Tournay, 
171 1,  in-12  ;  etc.    (Consulter  le  Journal  des  savants,    du  27  février 

1690,  n"  9  ;  Ant.  Arnauld,  Œuvres,  t.  I,  p.  342-3^9  ;  les  Mémoires 
de  Rapin  et  de  Godefroi  Hermant  ;  Sainte-Beuve,  Port-Royal,  pas- 
sim  ;  H.  Dumas,  Histoire  des  Cinq  propositions,  Liège,  1699,  in-12  ; 
les  ouvrages  de  MM.  Ch.  Gérin  et  J.-Tb.  Loyson  sur  l'Assemblée 
de  1682). 

23.  Le  P.  Jean  Ferrier,  né  le  20  janvier  i6i/i  à  Valady,  dans  le 
Rouergue,  entra  le  22  avril  i632  dans  la  Compagnie  de  Jésus,  ensei- 
gna la  philosophie  et  la  théologie  à  Toulouse,  succéda  en  1670  au 
P.  Annat  comme  confesseur  du  Roi,  et  mourut  à  Paris  le  29  octobre 
1674.  11  prit  une  part  très  active  aux  discussions  soulevées  par  le 
jansénisme.  Ses  principaux  écrits  sont  :  Réponse  à  une  lettre  de 
M.  Arnauld,  Toulouse,  i656,  in-4  ;  les  Sentiments  des  plus  considé- 
rables casuistes  sur  la  probabilité  des  opinions  de  la  morale,  Toulouse, 
1659,  in-4  ;  Relation  fidèle  et  véritable  de  ce  qui  s'est  fait  depuis  un 
an  dans  l'affaire  des  Jansénistes,  Paris,  i664,  in  i  ;  la  Soumission  appa- 
rente des  Jansénistes  à  la  décision  de  l'Eglise  touchant  le  droit,  Tou- 
louse, 1666,  in-4.  On  trouvera  dans  la  Bibliothèque  du  P.  Sommer- 
YOgel  la  liste  des  réponses  opposées  à  ces  différents  ouvrages.  Cf. 
Ant.  Arnauld,  OEuvres,  t.  XXI  et  XXIÏ  ;  Conférences  entre  les  sieurs 
Lalane  et  Girard,  docteurs  en  théologie,  et  le  R.  P.   Ferrier,  jésuite. 


288  CORRESPONDANCE  [juill.  1700 

Cet  habile  prélat  fut  si  fortement  persuadé  de  la  pureté  de 
leurs  sentiments  qu'il  voulut  bien  se  rendre  leur  caution 
auprès  du  pape  Alexandre  VII,  en  envoyant  à  Sa  Sainteté  les 
cinq  articles,  et  voici  de  quelle  manière  il  parle  au  Roi  dans 
la  lettre  qu'il  lui  écrivit  le  22  janvier  i664  :  «  Les  choses 
ainsi  démêlées,  Sire,  et  que  je  m'offre  de  soutenir  à  la  face 
de  toute  la  chrétienté,  V.  M.  peut,  quand  il  lui  plaira,  donner 
la  paix  à  l'Église  de  France,  en  suivant  le  généreux  dessein 
que  sa  piété  lui  avait  fait  former  ;  car  il  n'y  a  point  de  théo- 
logien en  France  qui  ne  déclare  qu'il  condamne  les  erreurs 
que  le  Pape  a  condamnées  et  qui  ne  dise  anathème  aux  Cinq 
propositions^*.  » 

Il  résulte  de  tous  ces  témoignages.  Monseigneur,  que  les 
plus  grands  évéques  de  France  et  ceux  pour  la  mémoire  des- 
quels on  sait  que  vous  avez  le  plus  de  vénération,  ont  été 
convaincus  que  le  jansénisme  était  un  fantôme  que  l'on  ne 
pouvait  entretenir  sans  calomnier  les  ecclésiastiques  les  plus 
vertueux  et  les  plus  savants,  et  sans  noircir  la  réputation  des 
communautés  les  plus  distinguées  par  leur  piété.  Après  cela, 
voudriez-vous.  Monseigneur,  faire  faire  à  l'Assemblée  une 
décision    si   contraire  à  tout  ce  que  ces   saints  prélats  ont 

touchant  les  contestations  présentes,  en  présence  de  Mgr  l'évêque  de  Com- 
mincjcs,  s.  l.,  i663,  in-4  ;  Réfutation  de  la  fausse  relation  du  P.  Fer- 
rier,  i664,  in-4  ',  Histoire  ecclésiastique  du  XVII^  siècle,  t.  II,  p.  588 
à  634. 

2l\.  Lettre  de  Mgr  l'évêque  de  Comenge  au  Roi,  s.  1.  n.  d.,  in-4 
(Ld'^  303),  p.  8.  Un  correspondant  de  Quesnel,  l'avocat  Brunet,  lui 
fournissait  â  l'appui  de  cette  thèse  un  autre  argument  :  a  II  y  a  une 
pièce  excellente  sur  le  fantôme,  qu'il  ne  faudrait  pas  oublier;  c'est 
la  lettre  de  M.  l'archevêque  de  Paris  sur  l'affaire  de  Cambrai.  Elle 
a  paru  premièrement  en  français,  et  M.  l'archevêque  la  fit  traduire 
en  latin  pour  Rome  ;  or,  dans  les  endroits  où  il  s'est  servi  du  mot  de 
jansénisme  dans  l'édition  française,  il  y  a  dans  l'édition  latine,  qui 
est  postérieure, /a6uia  Jansenismi  ou  Janseniana  »  (Lettre  du  9  juillet 
1700,  Bibliothèque  Nationale,  fr.  15796,  f  364)-  L'avocat  Brunet 
alla  défendre  Quesnel  arrêté  à  Bruxelles  et  contribua  sans  doute  à 
l'évasion  de  ce  célèbre  janséniste,  dont  il  a  écrit  une  relation  impri- 
mée dans  la  correspondance  de  Quesnel,  édition  de  Mme  Le  Roy, 
t.  H,  p.   i(j7  ;  cf.  p.  i42. 


juill.   1700J  DE   liOSSUET.  289 

pensé  ?  Et  de  semblables  variations  feraient-elles  beaucoup 
d'honneur  au  clergé  de  France  ? 

Remarquez,  s'il  vous  plait,  Monseigneur,  que,  pour  prou- 
ver que  le  jansénisme  n'est  point  un  fantôme,  il  ne  suffit  pas 
de  citer  deux  ou  trois  personnes  sans  nom,  sans  liaison  entre 
eux,  sans  aucun  des  caractères  qui  forment  une  secte,  qui  se 
soient  exprimés  dans  des  livres  obscurs  d'une  manière  trop 
dure  ou  trop  vive  sur  les  contestations  présentes  ;  s'il  se  trouve 
une  ou  deux  personnes  coupables  de  cette  témérité,  on  ne 
prétend  point  faire  leur  apologie.  Mais,  pour  prouver  que  le 
jansénisme  n'est  point  un  fantôme,  il  faut  faire  voir  qu'il  y  a 
des  gens  dans  l'Église  qui  croient  et  qui  dogmatisent  que 
quelques  commandements  de  Dieu  soient  impossibles  aux 
justes  lors  même  qu'ils  veulent  et  qu'ils  s'efforcent  de  les 
accomplir  selon  leurs  forces  présentes,  et  que  la  grâce  qui 
rend  les  commandements  possibles  leur  man^que  ;  il  faut 
qu'il  y  ait  des  gens  qui  soutiennent  que,  dans  cet  état,  on  ne 
résiste  jamais  à  la  grâce  intérieure,  etc. 

Or,  je  ne  pense  pas  qu'on  soit  encore  parvenu  à  faire  voir 
qu'aucune  des  Cinq  propositions  fût  contenue  dans  aucun 
livre.  Il  est  vrai  qu'une  partie  factieuse  de  la  Faculté  de 
théologie  de  Paris  a  voulu  faire  croire  que  la  première  pro- 
position avait  été  renouvelée  dans  un  ouvragedeM.  Arnauld  2^. 


35.  Ici,  le  défenseur  des  jansénistes  fait  allusion  à  la  Seconde 
lettre  de  M.  Arnaald  à  un  duc  et  pair,  du  10  juillet  i655  (dans  les 
Œuvres  d'Arnauld,  t.  XIX),  dans  laquelle  le  P.  Annat  avait  relevé 
ces  mots  :  «  que  les  Pères  nous  montraient  en  la  personne  de  saint 
Pierre  un  juste  à  qui  la  grâce  nécessaire  pour  agir  avait  manqué.  » 
L'influence  de  Mcolas  Cornet  et  du  docteur  Le  Moine  fit  cen- 
surer cette  phrase  par  les  docteurs  de  Paris  le  3i  jnnvier  i656, 
comme  renouvelant  la  première  des  Cinq  propositions.  Cette  censure 
fut  l'occasion  d'incidents  tumultueux  au  sein  de  la  Faculté  et  amena 
l'exclusion  d'Arnauld  et  des  soixante  et  quelques  docteurs  qui  refu- 
sèrent de  souscrire  sa  condamnation.  Sur  ce  point  des  querelles  reli- 
gieuses du  xyii**  siècle,  voir  les  écrits  concernant  la  vie  d'Arnauld, 
Port-Royal  et  les  Ciuq  propositions,  tels  que  les  mémoires  d'Hermanl 
et  de  Rapin,  et  de  plus  :  M.  L.-E.  de  Sainte-Beuve,  Jacques  de  Sainte- 
Beuve,    Paris,    i86d,   in-8  ;    Port-Uoyal   de    Sainte-Beuve,    et    l'abbé 

\II  -    19 


290  CORRESPOiNUANCE  (juill.  1700 

Mais  vous  n'ignorez  pas,  Monseigneur,  avec  quelle  force  il 
repoussa  celte  imposture  et  justifia  la  pureté  de  sa  foi,  en 
sorte  que  toute  l'Église  a  été  persuadée  que  c'était  une  mani- 
feste oppression  :  vous  pouvez  vous  souvenir  de  toutes  les 
intrigues  que  l'on  employa  pour  faire  confirmer  par  le  Saint 
Siège  la  censure  de  Sorbonne,  mais  on  n'y  put  réussir.  La 
dissertation  théologique  de  ce  savant  docteur,  dans  laquelle 
il  expliquait  sa  proposition  fut  jugée  très  exacte  et  très 
orthodoxe  par  les  plus  habiles  théologiens  de  Rome  ^^  ;  à 
la  paix  de  l'Église,  on  ne  pressa  point  M.  Arnauld  de  ré- 
tracter sa  proposition,  il  a  toujours  continué  d'être  dans  la 
communion  des  évoques  et  du  Saint  Siège,  et  les  brefs  obli- 
geants qu'il  a  reçus  des  papes  '"  sont  entre  les  mains  de  tout 
le  monde. 

F«^rel,  la  Faculté  de  Théologie,  époque  moderne,  I.  III,  p.  170  et 
suiv. 

26.  Dissertatio  theologica  quadripariita  (avril  i656),  dans  les 
OEuvres  d'Aniauld,  t.  XX.  —  Rome  néanmoins  mit  à  l'Index,  le 
3  août  i656,  des  ouvrages  apologétiques  d'Arnauld  :  Ëpistola 
et  scriptum  ad  sacram  Facultatem  Parisiensem  in  Sorbona  congregatain 
die  j  decemb.  i655  ;  Scripti  pars  altéra  ad  sacram  Facultatem  Pari- 
siensem ;  Ëpistola  et  aller  Apologeticus  ad  sacram  Facultatem  Parisien- 
sem in  Sorbuna  congregatam  die  1 7  jan.  anni  i656;  Ëpistola  ad  Hen- 
ricum  Holdenum  ;  Vera  sancti  Thoinœ  de  gratia  sufficienti  et  ejjicaci 
doctrina  dilucide  explanata  ;  Propositiones  theologicœ  dua':  de  quibus 
hodie  maxime  disputatur  clarissime  demonstralœ.  Ces  écrits  étaient  tous 
antérieurs  à  la  censure  de  Paris,  et  Hermant  (t.  III,  p.  123)  doit 
être  corrigé  sur  ce  point.  Voir  VHistoire  des  Cinq  propositions  de 
Dumas,  p.  laS,  et  les  réflexions  de  Quesnel,  dans  la  Justification  de 
M.  Arnauld,  reproduites  dans  les  OEuvres  de  celui-ci,  t.  XX, 
p.  833. 

27.  Nous  ne  connaissons  aucun  «  bref  »  de  cette  sorte,  mais  on 
trouve  dans  les  Œuvres  d'Arnauld,  t.  I,  p.  773,  une  lettre  fort 
élogieuse,  du  2  janvier  1677,  écrite  à  ce  docteur  sur  l'ordre  d'Inno- 
cent \I  par  le  cardinal  Gibo,  en  réponse  h  des  félicitations  pour  l'élé- 
vation de  ce  pape,  et  à  l'envoi  du  dernier  volume,  de  la  Perpétuité  de  la 
foi;  on  y  lit  entre  autres  choses  :  «  Laeto  henignoque  vultu  excepit 
et  attente  legit  S.  S.  litteras  quibus  ipsi  magna  cum  gaud'i  et 
filial is  obsequii  tui  significatione,  pontifîcatum  maximum  gratuhitu.s 
fnisti  ;  in  iisque  congruentes  mœrori  suo  ob  labefactatam  hominum 
temporumque  injuria  Ecclesia;  disciplinam  pietatis  tuœ  sensus  libenter 


juiU.  1700]  DE   BOSSUET.  291 

ïl  pst  encore  plus  Incontestable  qu'il  ne  s'est  jamais  trouvé 
personne  qui  ait  été  convaincu  d'avoir  cru  ou  d'avoir  enseigné 
les  Cinq  propositions,  quelque  véhément  désir  ou  quelque 
intérêt  que  certains  évèques  aient  eu  de  trouver  des  jansé- 
nistes. Tout  s'est  terminé  à  des  soupçons  injustes  et  à  des 
déclamations  vagues  ;  il  n'a  pas  été  possible,  depuis  plus  de 
cinquante  ans  qu'on  parle  de  jansénisme,  de  convaincre  juri- 
diquement une  seule  personne  d'avoir  tenu  la  doctrine  des 
Cinq  propositions.  Tous  les  évèques  qui  vivent  aujourd'hui 
n'ont-ils  point  de  zèle  pour  le  salut  des  âmes  et  pour  la  doc- 
trine de  l'Église?  Vous  êtes  présentement,  Monseigneur,  dans 
une  assemblée  où  toutes  les  Eglises  de  France  se  trouvent 
réunies  par  leurs  députés.  Ayez  la  bonté  de  les  presser  de 
vous  dire  si,  comme  ils  ont  trouvé  des  sectateurs  de  Calvin 
et  des  quiétistes,  ils  ont  vu  aussi  des  personnes  qui  aient  sou- 
tenu les  Cinq  propositions,  et  l'on  est  assuré  que  les  plus 
prévenus  conviendront  qu'ils  ont,  à  la  vérité,  trouvé  des 
ecclésiastiques  accusés  d'enseigner  les  propositions  condam- 
nées, mais  qu'ils  n'en  ont  pu  convaincre  aucun. 

Vous  pouvez  savoir  que  Mgr  l'archevêque  de  Sens^*,  qui 

agnovit...  »  (Cf.  t.  II,  p.  9,  10  el  3o).  On  peut  voir  aussi  (t.  II,  p. 
63)  une  lettre  du  i3  décembre  1679  écrite  par  le  cardinal  Ottoboni 
(qui  Fut  plus  tard  Alexandre  \  III),  pour  remercier  Arnauld  de  l'envoi 
du  livre  de  la  Perpétuité  de  la  foi.  On  a  même  prétendu  que,  si 
Arnauld  ne  s'était  pas  prononcé  en  faveur  des  quatre  articles  de 
1682,  il  eût  reçu  la  p(mrpre  d'Innocent  XI.  Après  sa  mort,  il  fut 
loué  en  plein  consistoire  par  les  cardinaux  d'Aguirre  et  Gasanata 
(^Justification  de  M.  Arnauld  contre  la  censure  de  i65G,  Liège,  1702, 
3vol.  in-ia;  Vie  de  Messire  Antoine  Arnauld,  Lausanne,  1783  et 
1783,  2  vol.  in-8  ;  Sainte-Beuve,  Port-Royal,  t.  V,  p.  ^77  ;  E. 
Michaud,  Louis  XIV  et  Innocent  XI,  t.  IV,  p.  43o-45o).  Arnauld 
et  ses  amis  rapportent  qu'Alexandre  VII  accueillit  avec  bienveillance 
la  Lettre  à  une  personne  de  condition,  ainsi  que  la  Seconde  lettre  à  un 
iluc  et  pair  {Œuvres  d'Arnauld,  t.  XIX,  p.  xxxix-xli,  34o  et  563  ; 
t.  XX,  p.  79/i  et  833;  Mémoires  de  G.  Hermant,  1.  Il,  p.  673,  67^, 
et  719  à  722). 

•î8.  Hardouin  Fortin  de  La  Hoguette  était,  par  sa  mère,  Louise  de 
Péréfixe,  neveu  de  Péréfixe,  archevêque  de  Paris.  Son  père  était 
Philippe  Kortin  de  La  Hoguette,  seigneur  deChamouillac  et  capitaine 


292  CORRESPONDANCE  [juill.  1700 

n'est  pas  suspect  de  favoriser  les  prétendus  jans(''iiistes,  avoua 
au  Roi,  il  n'y  a  pas  longtemps,  que,  quelque  recherche  qu'il 
eût  pu  faire,  il  n'avait  pas  trouvé  un  seul  janséniste  dans  son 
diocèse.  Pesez,  s'il  vous  plaît,  Monseigneur,  toutes  les  circon- 
stances de  ce  témoignage.  Il  s'agit  de  ce  diocèse,  gouverné  si 
longtemps  par  M.  deGondrin  '^^ ,  où  les  jésuites  ont  été  interdits 

de  la  citadelle  de  Blaye,  dont  .M.  Tamizey  de  Larroqne  a  donné  les 
Lettres  inédites  (La  Rochelle,  1888,  in-8)  et  qui  avait  publié  uq 
furieux  livre  intitulé  :  Testament  ou  Conseils  fidèles  d'un  bon  pire  à 
ses  enfants,  Paris,  i6/|8,  in-12.  L'abbé  de  La  Iloguette,  né  en  i643, 
avait  pris  le  bonnet  en  1670,  après  avoir  obtenu  le  premier  rang  à 
la  licence  de  cette  année-là.  Il  avait  été  chanoine  de  Paris  en  i6(35, 
archidiacre  de  Josas  en  1668,  archidiacre  de  Parisis  en  1670,  et  en 
même  temps  agent  du  clergé,  avant  d'être  élevé  (1675)  sur  le  siège 
épiscopal  de  Saint-Brieuc,  d'où  il  passa  (1680)  à  celui  de  Poitiers.  Il 
Fut  nommé  à  l'archevêché  de  Sens  le  i3  novembre  i6H5;  mais  les  dif- 
ficultés pendantes  entre  Louis  XIV  et  la  cour  de  Rome  retardèrent 
ses  bulles  jusqu'en  1692.  Il  mourut  le  38  novembre  1716,  fort  re- 
gretté des  pauvres.  Il  avait  possédé  en  commende  (1671-1713)  l'ab- 
baye de  Sablonceaux,  diocèse  de  Saintes.  Son  humilité  lui  avait  fait 
refuser,  malgré  les  instances  de  Louis  XIV,  le  cordon  du  Saint-Esprit, 
en  1701  ;  toutefois  il  consentit  à  remplacer  Bossuet  au  conseil 
d'Etat  (Huel,  Comnientarius,  p.  171  ;  Ledieu,  t.  II,  p.  i83  ;  Saint- 
Simon,  t.  VIII  et  XII  ;  Legendre,  Mémoires,  p.   io3  et  suiv.). 

29.  Louis  Henri  de  Pardalllan  de  Gondrin,  fils  d'A.ntoine  Arnaud 
de  Pardaillaa,  marquis  de  Montespan  et  d'.\ntin,  et  de  Paule  de 
Sainl-Lary  de  Bellegarde,  né  en  1620,  au  château  de  Gondrin  (Gers). 
Après  avoir  étudié  chez  les  Jésuites  de  La  Flèche,  il  entra,  à  Paris, 
au  séminaire  Salnt-Sulpice,  d'où  les  fantaisies  de  sa  dévotion  le  firent 
congédier  par  M.  Olier.  Il  n'en  devint  pas  moins,  en  i644,  «t  grâce 
aux  jésuites,  coadjuteur  de  son  oncle  Octave  de  Bellegarde,  arche- 
vêque de  Sens,  à  qui  il  succéda  de  plein  droit  dès  le  26  juillet  i646. 
Il  est  resté  célèbre  par  ses  démêlés  avec  les  jésuites  et  les  capucins 
de  sa  ville  archiépiscopale,  comme  par  la  bienveillance  qu'il  témoigna 
aux  jansénistes.  Il  travailla  activement  à  la  «  paix  de  l'Eglise  »,  et  pres- 
crivit dans  son  diocèse  une  discipline  sévère  qui  contrastait  avec  les 
galanteries  de  sa  jeunesse  :  Mme  Gornuel  a  dit  de  lui  qu'il  «  faisait 
pleurer  ses  péchés  aux  autres  ».  Il  mourut  dans  son  abbaye  de 
Chaumes  (Seine-et-Marne)  le  19  septembre  1671^.  Il  avait  encouru 
la  disgrâce  de  Louis  XIV  pour  avoir  blâmé  ouvertement  la  condi'ite 
de  Mme  de  Montespan,  femme  de  son  neveu  (Voir,  outre  les  h.jio- 
riens  de  la  paix  de  l'Eglise,  Retz,  Grands  écrivains,  t.  11,  p.  38;  les 


juin.  1700J  DE  BOSSUET.  298 

pendant  vingt-cinq  ans  pour  leur  rébellion  scandaleuse  contre 
les  règles  établies  par  leur  archevêque  ;  de  ce  diocèse  enfin 
que  le  P.  Daniel  a  eu  l'insolence  d'appeler  le  Bureau  d'adresse 
des  jansénistes^^,  et  cependant  M.  de  La  Hoguetle,  neveu  de 
M.  de  Péréfixe,  ami  intime  du  P.  de  La  Chaise,  déclare  au 
Roi  même  qu'il  n'a  pas  trouvé  dans  le  diocèse  de  Sens  la 
moindre  trace  de  cette  hérésie  chimérique.  Voulez-vous  qu'on 
publie  que,  pendant  que  M.  l'archevêque  de  Sens  rend  ce 
témoignage  authentique  à  la  vérité,  vous  êtes  si  convaincu  qu'il 
y  a  des  jansénistes  dans  l'Église  que  ceux  qui  osent  le  nier 
sont  dignes,  selon  vous,  de  censure  et  méritent  d'être  traités  de 
téméraires  et  de  schismatiques  ?  Croyez-vous  que  le  contraste, 
mis  dans  tout  son  jour,  vous  fit  beaucoup  d'honneur? 

Il  est  vrai  que  les  jésuites  étant  répandus  partout,  comme 
ils  ont  intérêt  de  faire  valoir  le  vain  fantôme  du  jansénisn.e, 
ils  appliquent  ce  masque  sur  tous  ceux  qui  ne  leur  sont  pas 
dévoués  et  qui   n'adoptent  pas   leurs  erreurs.  Mais,   sur  ce 

Mémoires  de  Fontaine,  t.  II,  p.  877-387,  de  G.  Herin<tnt  et  de  Rapin, 
les  Lettres  du  cardinal  Le  Camus,  édit.  Ingold  ;  Sainte-Beuve,  Port- 
Royal,  t.  IV). 

3o.  Dans  la  réponse  aux  Lettres  provinciales  (^Note  du  nis.).  Nous 
avons  vainement  cherché  celte  expression  dans  l'ouvrage  indiqué.  — 
Le  P.  Gabriel  Daniel,  né  à  Rouen  le  8  février  16^9  et  entré  à  dix- 
huit  ans  chez  les  jésuites,  enseigna  successivement  la  rhétorique,  la 
philosophie  et  la  théologie,  et  fut  l'un  des  esprits  les  plus  distingués 
et  les  plus  actifs  de  sa  Compagnie.  Il  mourut  à  Paris,  le  28  juin  1728. 
Il  fit  la  critique  du  cartésianisme  dans  le  Voyage  du  monde  de  Des- 
cartes. Paris,  1690,  in- 12,  et  entreprit  de  réfuter  les  Provinciales  dans 
les  Entretiens  de  Cléandre  et  d'Eudoxe,  Cologne,  169^,  in-12.  Il  a  en 
outre  publié  les  ouvrages  suivants  :  Lettres  au  R.  P.  Alexandre  en 
faveur  de  la  nouvelle  réponse  aux  Lettres  provinciales,  s.  1.,  1696  et 
1697,  10  vol.  in-8  ;  Histoire  apologétique  de  la  conduite  des  Jésuites  de 
la  Chine,  adressée  à  MM.  des  Missions  étrangères,  s.  1.,  1700,  in-8; 
Traité  touchant  l'efficacité  de  la  grâce,  Paris,  1706  et  1706,  2  vol. 
in-12  ;  Histoire  de  France,  Paris,  17  i3,  3  vol.  in-fol.  ;  Histoire  de  la 
milice  française.  Paris,  1721,  2  vol.  in-/i  ;  etc.  (Voir  le  Mercure, 
août  1728  ;  Cl.-Fr.  Lambert,  Histoire  de  la  littérature  du  règne  de 
Louis  XIV,  Paris,  1751,  3  vol.  in-4  :  Ledieu,  t.  II,  p.  i64  ;  t.  III, 
p.  26,  27,  Sa,  3A  ;  Legendre,  Mémoires,  p.  220  à  222  ;  Sainte- 
Beuve,  Port-Royal). 


294  GORRESPONDA.NCE  [juiU.  1700 

pied-là,  Monseigneur,  j'ose  dire  que  vous  êtes  vous-même  un 
des  plus  déclarés  jansénistes,  et  quoi  que  vous  fassiez  aujour- 
d'hui pour  elTacer  ce  soupçon,  vous  n'empêcherez  pas  les  jé- 
suites de  vous  mettre  au  nombre  de  ces  prétendus  jansénistes. 
On  n'attaque  point  impunément.  Monseigneur,  la  doctrine 
de  la  probabilité,  du  péché  philosophique  et  de  l'attrition  sans 
amour  de  Dieu.  Quiconque  ose  s'élever,  comme  vous  laites, 
contre  la  morale  relâchée,  il  serait  bientôt  janséniste^*. 

Mais  apparemment  que  vous  vous  retrancherez,  Monsei- 
gneur, au  troisième  sens  de  la  proposition  pour  soutenir  que 
le  jansénisme  n'est  point  un  fantôme  ;  c'est  ce  qui  reste  à 
examiner. 

On  veut  bien  convenir  avec  vous,  Monseigneur,  qu'il  y  a 
des  gens  qui  ne  croient  pas  le  fait  de  Jansénlus  ^2.  Si  ces  per- 
sonnes s'élevaient  avec  Insolence  contre  la  décision,  vous 
auriez  raison  de  les  regarder  comme  des  esprits  inquiets  et 
turbulents.  Si  le  fait  de  Jansénius  était  certain  et  d'une  noto- 
riété évidente,  vous  auriez  encore  raison  de  regarder  ceux  qui 
en  douteraient  comme  des  aveugles  et  des  téméraires.  Mais 
sur  quel  fondement  trallcrez-vous  d'hérétiques  ceux  qui 
doutent  d'un  fait  qui  n'a  pas  paru  si  évident  à  plusieurs 
grands  théologiens  qu'il  vous  parait,  Monseigneur  ?  Ensei- 
gnerez-vous  que  l'Église  est  infaillible  dans  la  décision  des 
faits  non  révélés?  Ce  serait  vous  faire  injure  que  de  penser 
seulement  que  vous  fussiez  capable  de  renouveler  sur  ce  point 
l'hérésie  que  les  jésuites  osèrent  soutenir  dans  leurs  thèses. 
En  reviendrez-vous  au  paradoxe  de  rinséparabilité  du  fait  et 
du  droit  tant  de  fois  renversé,  et  abandonné  aujourd'hui  par 
tous  les  théologiens^^.  Si  vous  convenez  avec  M.  de  Pcréllxe 

3i.  Voir  Gh.  Urbain,  Du  jansénisme  de  Bossuet,  p.  9  à  la  (Extrait 
de  la  Revue  du  Clenjé  français,  du  i"''  août  1899). 

Sa.   C'est-à-dire  que  les  Cinq  propositions  soient  de  Janst'înius. 

33.  Bien  que  ne  croyant  pas,  comme  b^énelon  et  les  jésuites,  que 
l'Eg-lise  fût  infaillible  dans  les  questions  de  fait,  Bossuet  estimait  que 
ses  décisions  en  pareille  matière  exigeaient  non  seulement  une  obéis- 
sance extérieure  ou  silence  respectueux,  maïs  encore  une  ei.Jère 
soumission  de  jugement.  Voir  la  note  35,  à  la  page  suivante. 


juin.  1700J  DE  BOSSUET.  agS 

c|n'il  faudrait  être  malicieux  ou  ignoranl^^  pour  croire  que 
l'Église  exige  la  loi  divine  des  faits  non  révélés,  vous  rédui- 
rez-vous  à  la  foi  humaine  ?  Mais  ce  dernier  retranchement  a 
encore  été  forcé  par  des  écrits  qui  sont  demeurés  sans 
réplique  depuis  quarante  ans  ^•'. 

Repassez,  Monseigneur,  ce  qui  s'est  fait   dans  l'Eglise,  et 

34-  «  ...Desquelles  (constitutions)  aussi  bien  que  du  formulaire,  il 
est  certain  qu'on  ne  saurait  prendre  sujet,  à  moins  que  d'être  mali- 
cieux ou  ignorant,  de  dire  qu'elles  désirent  une  soumission  de  foi 
divine  pour  ce  qui  concerne  le  fait,  exigeant  seulement  pour  ce 
regard,  comme  il  a  été  si  souvent  dit,  une  foi  humaine  et  ecclésias- 
tique, qui  oblige  à  soumettre  avec  sincérité  son  jugement  à  celui  de 
ses  supt'rieurs  légitimes...  «  (^Ordonnance...  pour  la  signalure  du  formu- 
laire de  foi,  datée  du  16  Juin,  Paris,  i664,  in-4,  p-  4) 

35.  Apologie  des  Religieuses  de  Port-Royal  ;  Traité  de  la  foi 
humaine  de  M.  Nicole  (Note  du  iiis.').  Le  premier  de  ces  ouvra ge**,  publié, 
s.  1.,  iG65,  in-4,  a  pour  auteurs  Claude  de  Sainte-Marthe,  Antoine 
Arnauld  et  Nicole  ;  le  second  parut  en  i664,  in-4.  —  La  foi  est  une 
adhésion  ferme  donnée  à  une  idée  ou  à  un  fait  dont  on  a  connais- 
sance par  le  témoignage.  Elle  exclut  tout  doirte  et  toute  crainte  d'er- 
reur, et  par  là  elle  se  distingue  de  Vopinion.  La  foi  divine  repose  sur  une 
révélation  surnaturelle:  telle  est  celle  par  laquelle  on  croit  la  Trinité. 
La  foi  humaine  repose  sur  le  témoignage  des  hommes,  comme  quand 
on  croit  à  l'existence  de  Rome  sans  avoir  vu  cette  ville.  Lorsqu'une 
vérité  révélée  est  proposée  k  la  croyance  par  l'Eglise,  elle  est  dite 
de  foi  catholique,  et  la  nier  est  faire  acte  d'hérétique.  Les  théolofpens 
admettent  en  outre  une  foi  ecclésiastique,  fondée  sur  l'autorité  de 
l'Eglise  et  portant  sur  des  idées  ou  des  faits  non  révélés  de  Dieu,  de 
sorte  que  rejeter  ces  faits  ou  ces  idées,  c'est  se  rendre  coupable,  non 
d'hérésie,  mais  de  rébellion  et  de  témérité.  Sur  les  faits  dogmatiques, 
c'est-à-dire  liés  au  dogme,  tels  que  celui  de  l'existence  de  telle  ou 
telle  erreur  dans  tel  ou  tel  ouvrage,  les  jansénistes  soutenaient  que 
l'Eglise  ne  pouvait  exiger  un  assentiment  intérieur  excluant  toute 
crainte  d'erreur  et  méritant  le  nom  de  foi,  parce  qu'en  pareille  ma- 
tière elle  n'était  pas  infaillible  :  on  ne  lui  devait  donc  que  le  silence 
et  une  soumission  extérieure  comme  celle  que,  dans  la  société  civile, 
doit  à  l'arrêt  de  la  Cour  suprême  le  condamné  qui  se  croit  innocent. 
Tout  en  ne  croyant  pas  que  l'Église  fût  infaillible  sur  les  faits  dogma- 
tiques, Bossuet  estimait  que  ces  faits  sont  l'objet  d'une  foi  ecclésiasti- 
que, que  l'Eglise  prononce  sur  eux  avec  certitude,  et  en  conséquence 
a  le  droit  d'exiger  à  leur  égard  un  assentiment  intérieur.  A  cela  on 
objectait  qu'une  conviction  excluant  toute  crainte  d'erreur  ne  peut 
être  commandée  que  par  une  autorité  infaillible,  car  une  telle  convie- 


296  CORRESPONDANCE  [jaiU.  1700 

vous  conviendrez  que  la  distinction  du  fait  cl  du  droit  ne 
peut  être  révoquée  en  doute  par  un  théologien.  Mgr  l'arche- 
vêque de  Reims  l'a  nettement  établie  dans  une  lettre  écrite  à 
Rome,  il  y  a  quelques  années  ="5,  imprimée  par  l'ordre  de  ce 
prélat,  et  dont  il  s'est  fait  grand  honneur. 

La  lettre  des  dix-neuf  évêques  de  France  au  pape  Clé- 
ment IX  roule  entièrement  sur  cette  maxime,  que  l'Église 
n'exige  autre  chose  sur  les  faits  non  révélés  qu'un  acquiesce- 
ment de  silence  et  de  respect  ^^  Ce  principe  est  prouvé  par 
des  raisons  et  par  des  autorités  incontestables.  Les  dix-neuf 
prélats  déclarèrent  au  Pape  que  c'est  le  sentiment  des  plus 
savants  évêques  et  des  plus  habiles  théologiens  du  clergé  de 
France.  C'est  sur  cette  lettre,  qui  fut  approuvée  à  Rome,  que 
la  paix  de  l'Eglise  a  été  conclue.  On  ne  vous  citera  point, 
Monseigneur,  les  évêques  de  France  les  plus  illustres  par  leur 
tion  ne  se  contente  pas  d'une  simple  impossibilité  morale  d'erreur  (Voir 
Damvilliers  (Nicole),  les  Imaginaires,  IV,  et  Quesnel,  fr.  18899, 
f  /|iy).  Bossuet  répond  qu'il  n'est  pas  «  obligé  à  résoudre  cette  objec- 
tion »,  et,  sans  cherclier  «  quelle  est  la  nature  de  l'autorité  des  juge- 
ments ecclésiastiques  sur  les  Faits  non  révélés  »,  il  s'appuie  sur  la  pra- 
tique constante  des  papes  et  et  des  conciles  (Voir  notre  tome  I,  p.  122 
et  123,  et  le  traité  de  l'Autorité  des  jugements  ecclésiastiques,  édit. 
Lâchât,  t.  XXIV,  p.  388  et  suiv.).  Fénelon  admettait  l'infaillibilité  de 
l'Eglise  sur  les  faits  dogmatiques  el  fondait  sur  ce  privilège  la  foi 
ecclésiastique  (Voir  ses  écrits  contre  les  jansénistes,  dans  ses  Œuvres. 
t.  X  et  suiv.).  Au  xvn®  siècle,  les  théologiens  étaient  partagés  sur 
cette  question  (Cf.  une  lettre  de  Bissy,  du  i4  septembre  1706,  dans 
les  Œuores  de  Fénelon,  t.  XII,  p.  agi).  Aujourd'hui,  l'opinion  de 
Fénelon  est  communément  adoptée  par  les  théologiens  catholiques, 
et  quoiqu'elle  ne  soit  pas  de  foi,  elle  est  dite  théologiquement  certaine 
(Hurter,  Theologiœ  dogmaticw  compendium,  Inspruck,  1876  et  édit., 
suivantes,  t.  I,  n.   288). 

36.  C'est  la  lettre  de  M.  l'archevêque  de  Reims  à  M.  Vivant 
alors  à  Rome,  du  2  novembre  1696. 

37.  Cette  lettre,  du  i^"'  décembre  1667,  se  trouve  dans  la  Relation 
(par  Varet)  de  ce  gui  s'est  passé  dans  l'affaire  de  la  paix  de  l'Eglise, 
s.  1.,  170O,  2  vol.  in-i2,  t.  I,  p.  4o  et  388,  et  dans  la  Paix  de  C7é- 
men< /X,  par  Quesnel,  Chambéry,  1700,  in-12,  p.  182.  Elle  a  été 
imprimée  d'abord  sous  le  titre  de  Plurimorum  Galliœ  antistitum  ad  sum- 
mum Pontijiccm  Clementem  IX,  de  quatuor  episcopis  littéral,  s.  1.  n  ^d, 
(1667),  in-zj. 


juin.  1700]  DE  BOSSUET.  297 

doctrine  et  par  leur  piété  qui  ont  tous  distingué  le  fait  du 
droit,  soit  de  vive  voix,  soit  par  écrit,  soit  par  des  mande- 
ments publiés  dans  leurs  diocèses,  soit  par  des  discours  faits 
à  la  tète  de  leurs  synodes,  dont  nous  avons  encore  les  actes. 
Ce  sont  des  faits  trop  connus  pour  allonger  cette  lettre  en 
vous  les  rapportant.  On  ne  craint  donc  point  que  l'on  puisse 
jamais  donner  atteinte  à  la  distinction  du  fait  et  du  droit. 
Mais  votre  zèle.  Monseigneur,  devrait  s'élever  contre  des 
téméraires  qui  osent  condamner  un  principe  si  évident  et 
qui  a  été  si  fortement  soutenu  par  tant  de  grands  évêques. 

Dénoncez  à  l'assemblée  du  Clergé  la  réponse  que  les 
jésuites  ont  faite  à  la  lettre  de  MM.  des  Missions  étrangères  ^^, 
dans  laquelle  ils  ont  osé  déférer  M.  Charmot  comme  suspect 
d'hérésie  parce  qu'il  a  établi  que,  pour  n'être  point  jansé- 
niste, il  suffit  de  condamner  les  Cinq  propositions,  quoiqu'on 
doute  si  elles  sont  de  Jansénius  ou  non.  Il  serait  digne  de  i'As- 
semblée,  Monseigneur,  de  réprimer  une  témérité  si  injurieuse 
au  clergé  de  France;  et  cette  proposition  des  jésuites:  On  est 
hérétique  en  doutant  du  fait,  mériterait  plus  vos  censures  que 
ce  qui  regarde  le  fantôme  du  jansénisme.  Mais  c'est  trop 
vous  distraire  de  vos  grandes  occupations.  Monseigneur,  pour 
vous  dire  des  choses  que  vous  savez  mieux  que  ceux  qui  ont 
l'honneur  de  vous  les  représenter. 

On  espère.  Monseigneur,  que  vous  ne  désapprouverez  pas 
que  l'on  vous  avertisse  encore  d'une  chose  qui  paraît  incom- 
préhensible dans  votre  conduite  et  dans  vos  discours,  je  veux 
dire.  Monseigneur,  ce  langage  si  différent  que  vous  tenez  sur 

38.  Réponse  à  la  lettre  de  MM.  des  Missions  étrangères  au  Pape  sur 
les  cérémonies  chinoises,  in-ii,  p.  107.  Gel  écrit  avait  été  provoqué 
par  une  Lettre  de  MM.  des  Missions  étrangères  au  Pape,  en  date  du 
30  avril  i-joo,  sur  les  idolâtries  et  les  superstitions  chinoises,  avec  une 
addition  à  ladite  lettre  par  MM.  Louis  Tiberge  et  Jacques  Charles  de 
Brlsacier,  in-8.  Cette  lettre  est  reproduite  dans  le  tome  IV  de  l'His- 
toire ecclésiastique  du  .YK//"  siècle  (par  Ellies  du  Pin).  Outre  la  réponse 
citée  plus  haut,  elle  fui  suivie  d'autres  écrits  du  parti  adverse  :  Ré- 
flex  ons  générales  sur  la  lettre  qui  paraît  sous  le  nom  de  MM.  des  Mis- 
sions élrungères,  etc.,  1700,  in-8  ;  Histoire  apologétique  des  jésuites  de 
la  Chine  adressée  à  MM.  des  Missions  étrangères,  1700,  in-8. 


298  CORRESPONDANCE  [juill.  1700 

le  jansénisme,  selon  les  lieux  où  vous  vous  trouvez  et  selon 
les  personnes  à  qui  vous  parlez.  Vous  vous  moquez  quelque- 
fois des  esprits  prévenus  ou  passionnés  contre  le  prétendu 
jansénisme,  et  vous  faites  l'éloge  de  ceux  qui  en  sont  accu- 
sés^'* ;  dans  d'autres  occasions,  vous  vous  expliquez  sur  cette 
matière  comme  si  vous  étiez  vous-même  plein  de  préventions. 
Tantôt,  lorsqu'on  vous  presse  de  dire  ce  que  vous  pensez  de 
la  foi  de  M.  Arnauld  et  de  M.  Nicole,  vous  déclarez  qu'ils 
étaient  très  catholiques,  et  ailleurs  M.  Arnauld  est  cité  par 
vous-même  comme  une  preuve  que  le  jansénisme  n'est  point 
un  fantôme.  Dans  un  temps,  vous  avez  justifié  toutes  les  pro- 
positions que  l'on  reprenait  dans  le  livre  du  P.  Quesnel  sur 
le  Nouveau  Testament*";  vous  avez  même  eu  beaucoup  de 
part  aux  quatre  lettres  publiées  pour  la  défense  de  cet 
ouvrage**,  que  l'approbation  authentique  de  Mgr  l'arche- 
vêque de  Paris  met  suffisamment  à  couvert  de  toute  censure, 
et  cependant  l'on  connaît  des  personnes  auxquelles  vous  avez 
dit  depuis  que  les  Cinq  propositions  sont  dans  le  livre  du 
P.  Quesnel.  Vous  n'aurez  pas  apparemment  oublié,  Monsei- 

3ç).  Voir,  en  particutlei-,  pour  ce  qui  est  du  cardinal  de  Noailles, 
la  lettre  de  Bossuet  à  son  neveu,  du  9  février  1699  (Tome  XI, 
p.  129  et  i3o). 

4o.  Allusion  à  V Avertissement  composé  par  Bossuet  en  vue 
d'une  nouvelle  édition  du  livre  des  Réflexions  morales.  Voir  plus 
haut,  p.    5». 

/il.  Ces  lettres  étaient  de  l'abbé  deBeaufort:  Lettres  d'un  théolo- 
gien à  un  de  ses  amis  à  l'occasion  du  Problème  ecclésiastique.  Anvers, 
1700,  in-i2.  Elles  ont  été  reproduites  sous  le  litre  de  Défense  du 
mandement  de  Mgr  l'Eminentissime  cardinal  de  Noailles  portant  appro- 
bation des  Réflexions  morales  du  P.  Quesnel.  I^aris,  1706,  iu-12.  Bos- 
suet reconnaissait  qu'elles  contenaient  toute  la  substance  de  son 
Auertissement,  encore  que  l'auteur  en  eût  laissé  de  côté  ce  qui  était 
le  plus  décisif  (Ledieu,  t.  II,  p.  3o3,  3o4  et  383).  En  réalité,  ces 
quatre  lettres  ne  sont  pas  autre  chose  que  l'Avertissement  de  Bossuet 
avec  une  disposition  dlfTérente  ;  les  paroles  de  Bossuet  y  sont  repro- 
duites littéralement,  sauf  les  légers  changements  que  devait  entraî- 
ner la  forme  épistolaire,  sous  laquelle  on  avait  cru  devoir  les  présen- 
ter au  public.  (Ch.  Urbain,  Bossuet  apologiste  du  P.  Quesnel,  dans  I  > 
Revue  du  Clergé  français,  janvier  1901). 


juill.  1700]  DE  BOSSUET.  299 

gneur,  que  vous  avez  encore  avoué  depuis  peu  à  un  arche- 
vêque de  l'Assemblée  que  l'on  trouvait  dans  ce  livre  le  pur 
jansénisme.  Le  même  prélat  se  vante  qu'il  tient  de  vous  que 
les  notes  des  P.P.  bénédictins  sur  saint  Augustin  sont 
pleines  du  jansénisme.  Cependant  vous  devenez,  Monsei- 
gneur, le  prolecteur  de  l'édition  de  ces  savants  religieux,  et 
vous  avez  revu  leur  dernier  volume  pour  le  faire  recevoir  à 
l'Assemblée*"^.  Vous  pouvez  vous  souvenir,  Monseigneur, 
combien,  dans  l'affaire  du  quiélisme,  vous  avez  recherché 
tous  ceux  qu'on  traite  de  jansénistes.  M.  l'abbé  Bossuet,  qui 
agissait  par  vos  ordres,  les  trouvait  à  Rome  très  catholiques**. 
Comment  expliquer,  Monseigneur,  une  conduite  si  diffé- 
rente? Lorsque  vos  amis,  peines  sur  cet  article,  vous  en  ont 
parlé,  vous  leur  avez  avoué,  pour  vous  justifier,  qu'il  y  avait 
plus  de  vingt  ans  que  vous  travailliez  sans  succès  pour  persua- 
der au  Roi  que  vous  n'étiez  point  janséniste'**  :  c'est  ce  qu'on 
a  appris  d'un  de  vos  intimes  amis.  Dieu  veuille,  Monseigneur, 
que  ce  ne  soit  pas  encore  la  même  vue  qui  vous  ait  fait 
prendre,  aussi  bien  qu'à  Mgr  l'archevêque  de  Reims,  des  enga- 
gements avec  S.  M.  pour  réaliser  le  fantôme  du  jansénisme  *°  ! 

42.  Voir  A. -M. -P.  Ingfold,  Histoire  de  l'édition  bénédictine  de  saint 
Augustin,  Paris,   igoS,  in-8. 

43.  Nous  avons  à  plusieurs  reprises  signalé  ces  relations  de  l'abbé 
Bossuet  avec  les  jansénistes  de  Rome.  Voir  t.  IX,  p.  3~j8,  et  t.  X, 
p.  182.  On  voit  dans  la  correspondance  publiée  par  Mme  Le  Roy 
que  Quesnel  était  à  Paris  pendant  l'assemblée  de  1700  et  que  le 
célèbre  janséniste  dîna  à  l'arclievèché. 

44-  Ce  propos  fut  rapporté  à  du  Vaucel  par  l'abbé  de  Tourreil 
revenu  de  Paris  à  Rome  (Lettre  de  du  Vaucel  à  Quesnel,  du 
a3  octobre  1699,  citée  parD.  Bouix,  dans  son  article  de  la  Revue 
des  sciences  ecclésiastiques  du  20  août  i865,  sur  Bossuet  et  le  jansé- 
nisme, p.  136  et  127.  GP.  Mémoires  de  Legendre,  p.  264). 

45.  Vers  la  même  époque,  le  P.  Quesnel  écrivait  :  «  Il  faut  prier 
Dieu  pour  M.  de  Meaux,  qui  n'est  ni  pur  augustinien,  ni  pur  tho- 
miste, mais  qui  des  deux  a  pris  ce  qui  convient  à  ses  idées.  Il  est 
aussi  puissant  dans  sa  situation  présente  qu'il  y  est  dangereux.  Rien 
que  Dieu  ne  lui  peut  résister.  Il  continue  à  jeter  feu  et  flamme 
contre  le  jansénisme  »  (Lettre  du  24  juillet  1700,  édit.  de  iMme  Le 
Roy,  t.  II,  p.  98). 


3oo  CORRESPONDxVNCE  [juiU.  1700 

C'est  avec  vine  véritable  douleur  que  l'on  vous  parle  de 
faits  qui  peuvent  vous  faire  de  la  peine  ;  mais  c'est  pour 
votre  propre  intérêt  qu'on  vous  en  parle.  Ceux  qui  prennent 
la  liberté  de  vous  donner  ces  avis,  Monseigneur,  ne  vous 
accusent  point  de  trahir  absolument  votre  conscience.  On  sait 
les  efTets  que  d'anciennes  préventions  sont  capables  de  pro- 
duire, et  combien  l'envie  secrète  de  tenir  un  langage  qui 
plaise  à  la  Cour  peut  éblouir  les  personnes  les  plus  éclairées. 
Mais  le  public  jugerait  autrement  s'il  savait  tous  ces  faits. 
Aussi,  Monseigneur,  je  ne  désire  rien  tant  que  de  les  ense- 
velir dans  un  éternel  oubli.  L'on  vous  assure  que  cette  lettre 
ne  sera  envoyée  qu'à  Mgr  l'archevêque  de  Paris  et  à  Mgr  l'ar- 
chevêque de  Reims,  qui  sont  trop  de  vos  amis  pour  la 
publier  ^^.  Votre  réputation,  Monseigneur,  est  précieuse  à 
l'Église,  et  c'est  pour  cela  même  qu'on  vous  supplie  de  la 
ménager,  car  on  serait  inconsolable,  si  l'on  se  trouvait  dans 
la  nécessité  de  rien  dire  qui  pût  la  ternir.  Mais  on  vous  con- 
jure encore,  Monseigneur,  par  un  intérêt  plus  pressant  et  plus 
important  que  le  vôtre,  de  peser  devant  Dieu  la  démarche 
que  vous  allez  faire  en  vous  expliquant  sur  le  fantôme  du 
jansénisme.  Vous  aimez  VÉglise,  et  l'on  ne  croit  pas  que  vous 
puissiez  lui  faire  une  plus  grande  plaie  qu^en  confirmant  le 


46.  Quesnel  (Correspondance,  t.  II,  p.  1^2)  ayant  demandé  com- 
municiition  de  cette  lettre  afin  d'en  faire  usage  pour  une  nouvelle 
édition  qu'il  projetait  du  Phantasme  du  jansénisme,  il  lui  fut  répondu  : 
M  M.  l'abbé  Darobez  est  fort  mystérieux.  Je  n'ai  pu  le  voir  depuis 
votre  dernière  lettre,  et  je  doute  fort  qu'il  consente  à  l'impression  de 
sa  lettre.  La  raison  en  est  que  le  procès-verbal  de  l'Assemblée  n'ayant 
pas  encore  paru,  MM.  de  Reims  et  de  Meaux,  qui  seraient  fort  irrités 
de  l'édition  de  cette  lettre,  pourraient  retrancher  ou  ajouter  quelque 
chose  sur  cette  matière,  parce  qu'ils  sont  encore  les  maîtres  absolus 
du  procès-verbal.  Ainsi  il  semble  que  l'on  doive  différer  à  ne  rien 
publier  contre  cette  assemblée  jusqnes  à  ce  que  le  procès-verbal  en 
ait  été  imprimé  «  (Lettre  du  9  juillet  1701,  Bibliothèque  Nationale, 
fr.  15796,  f"  364).  Le  procès-verbal  de  l'Assemblée  ne  fut  imprimé 
qu'en  1708  ;  quant  au  Phantnsme  du  jansénisme,  il  n'y  en  eut  poin»/ 
de  nouvelle  édition  avant  celle  qui  fut  donnée  par  les  soins  de  Petiv 
pied,  s.  1.,  1714,  in-i2. 


juin.  1700]  .  DE  BOSSUET.  3oi 

Roi  dans  cette  pensée  qail  y  a  des  jansénistes  dans  son  royaume. 
Feu  M.  Vialart*^  évêque  de  Châlons,  prêt  à  paraître 
devant  Dieu,  crut  ne  pouvoir  rien  faire  qui  lui  fût  plus 
agréable  que  d'écrire  au  Roi  pour  le  désabuser  sur  le  jansé- 
nisme'*. Cet  illustre  évêque,  dont  Dieu  manifeste  tous  les 
jours  la  sainteté  par  des  miracles  éclatants*',  crut  devoir 
employer  les  derniers  moments  de  sa  vie  à  faire  un  dernier 
effort  pour  détruire  dans  l'esprit  du  Roi  le  fantôme  du  jan- 
sénisme que  les  jésuites  et  feu  M.  l'archevêque  de  Paris  ont 
entretenu  si  longtemps  pour  satisfaire  leurs  passions.  Celte 
lettre  subsiste  encore  '",  Monseigneur  ;  elle  fit  d'abord, 
comme  vous  savez,  des  impressions  très  fortes  sur  l'esprit  du 
Roi  ;  mais  l'on  s'appliqua  bientôt  à  les  détruire  par  des 
calomnies.  Ne  craignez-vous  point,  Monseigneur,  l'opposition 
que  l'on  pourrait  faire  entre  votre  conduite  et  celle  de  ce 
saint  évêque  mourant  ?  Croyez-vous  servir  l'Église,  croyez- 
vous  servir  le  Roi  en  l'empêchant  de  reconnaître  que,  depuis 
quarante  ans,  on  a  surpris  en  mille  manières  sa  religion  pour 
détruire  de  saintes  communautés  de  religieuses'^',  pour  s'op- 

Ay.  On  a  vu  (t.  II,  p.  24o  et  adii)  que  Bossuet  avait  projeté  de 
faire  auprès  de  lui  un  stage  pour  se  former  au  ministère  épiscopal.  Il 
avait  été  (au  témoignage  de  Ledieu,  t.  I,  p.  178)  demandé  pour 
coadjuteur  par  ce  prélat. 

48.  Dictée  le  26  mai  par  le  prélat  à  des  Hayes,  son  secrétaire,  cette 
lettre  fut  confiée  à  l'abbé  Golfer  avec  mission  de  l'envoyer,  aussitôt 
après  la  mort  de  son  auteur,  à  Louis  XIV.  Vialart  mourut  le  lo 
juin  1680. 

49.  Voir  le  Recueil  des  pièces  concernantes  tes  informations  juri- 
diques faites  par  ordre  de  Mgr  Gaston  de  Noailles  sur  les  miracles  opé- 
rés par  l'intercession  de  feu  Messire  Félix  Vialart,  Nancy,  1733, 
in-i3.  Cette  iuformalion  fut  faite  en  1699,  par  Louis  Habert,  doc- 
teur de  Sorbonne  et  vicaire  général  de  Gliâlons.  Voir  aussi  dans  les 
Œuvres  posthumes  de  Mabillon,  in-4,  t.  I,  p.  5i5. 

50.  On  on  peut  voir  le  texte  dans  la  Vie  de  Messire  Félix  Vialart 
de  Herse,  Cologne,  1738,  in-12,  p.  3o8  à  3i6. 

5i.  L'auteur  veut  parler  des  religieuses  de  Port-Royal  et  de  la 
congrégation  toulousaine  des  Filles  de  l'Enfance.  Celle-ci,  suspecte 
de  jansénisme,  avait  été  supprimée  par  arrêt  du  Conseil  du  12  mai 
1686,  et  Mme  de  Mondonville,  sa  fondatrice,  avait  été  exilée  à  Cou- 
tances,  où  elle  mourut  en  1708  ou  1704  (L'Innocence  opprimée  par  la 


3o2  CORRESPONDANCE  [juill.  1700 

poser  aux  plus  saints  évoques  de  son  royaume,  pour  bannir 
de  saints  prêtres  et  pour  exercer  contre  des  innocents  des 
traitements  rigoureux  qu'on  n'emploie  que  contre  des  héré- 
tiques déclarés?  La  censure  du  fantôme  rend  le  passé  juste 
et  légitime,  et  dispose  pour  l'avenir  à  renouveler  les  mêmes 
persécutions. 

Quelle  douleur  pour  vous.  Monseigneur,  si  vous  voyiez,  en 
conséquence  de  votre  décision  sur  le  fantôme  du  jansénisme,  les 
plus  gens  de  bien  exclus  des  places  et  des  dignités  ecclésiastiques , 
les  prêtres  les  plus  savants  devenus  suspects,  les  innocents  livrés 
à  la  fureur  des  jésuites,  des  précautions  pernicieuses  à  rÉglise 
renouvelées  pour  détruire  un  fantôme  et  pour  combattre  un 
monstre  imaginaire,  VÉglise  divisée  de  nouveau  par  des  disputes 
quil  faudrait  assoupir,  les  faibles  scandalisés,  les  hérétiques 
profitant  de  nos  divisions,  et  un  feu  qui  était  presque  éteint  ral- 
lumé de  toutes  parts  !  Plus  votre  grande  capacité,  Monsei- 
gneur, et  vos  travaux  pour  l'Église  vous  ont  acquis  d'auto- 
rité parmi  vos  confrères  et  de  confiance  auprès  du  Roi,  plus 
aussi  vous  serez  responsable,  au  jugement  de  Dieu,  des  maux 
que  vous  n'aurez  pas  empêchés. 

L'on  n'a  plus.  Monseigneur,  qu'à  vous  prier  de  suivre  dans 
cette  occasion  une  règle  pleine  d'équité  que  vous  avez  propo- 
sée vous-même,  il  n'y  a  pas  longtemps,  à  Mgr  l'archevêque 
de  Vienne''-.  Ce  prélat  paraissait  scandalisé  de  la  force  de  la 

calomnie  ou  l'Histoire  de  la  congrè.(jalion  des  Filles  de  l'Enfance  de 
N.-S.  J.-C  s.  1.,  1687,  in-8;  Suite  de  l'Innocence  opprimée,  ou  Rela- 
tion du  procès  du  sieur  Peissonnel.  etc.,  Toulouse,  1691,  in-i3  ;  Rela- 
tion de  l'établissement  de  l'Institut  des  Filles  de  l'Enfance  de  Jésus. 
Toulouse,  i68f),  in-i2  ;  les  Nouvelles  ecclésiastiques,  16  et  23  août 
1735,  et  8  avril  1738  ;  Histoire  de  la  congrégation  des  Filles  de  l'En- 
fance, Amsterdam,  1754,  2  vol.  in-12;  Salvan,  Histoire  de  l'Eglise 
de  Toulouse,  Toulouse,  1861,  li  vol.  in-8  ;  Jaudon,  Port-Royal  à  Tou- 
louse, Toulouse,  1900,  in-8  ;  Histoire  générale  du  Languedoc,  t.  XIII 
(par  Roscliach),  p.  573-586  ;  Léon  Dutil,  Lettres  inédites  de  Mme  de 
Mondonville,  Paris,  191 1,  in-8. 

Sa.  Armand  de  Montmorin,  fils  de  Gilbert  de  Moiitniorin,  seig^nr^^r 
de  Monlaret,  {fouverneur  de  Verdun-sur-Saône,  el  d'Anne  d'Oisillier. 
Il  avait  (l'abord  fait  profession  chez  les  feuillants    Nommt''  à  l'évêclié 


juin.  1700J  DE  BOSSUEÏ.  3o3 

lettre  de  MM .  des  Missions  étrangères ^^  ;  vous  lo  priâtes  do  ne 
pas  tourner  son  zèle  uniquement  en  faveur  d'une  des  parties 
sans  écouler  l'autre,  mais  d'examiner  si  la  charité  et  la  vérité 
n'étaient  point  blessées  du  côté  des  jésuites.  L'on  ne  vous 
demande,  Monseigneur,  que  l'application  de  cette  maxime 
aux  affaires  présentes.  Vous  croyez  devoir  chercher,  dans  des 
livres  obscurs''*  et  qui  ne  seront  connus  que  par  votre  cen- 
sure, des  propositions  téméraires  dont  on  n'avait  point 
entendu  parler.  Mais  pourquoi.  Monseigneur,  pendant  que 
vous  recherchez  avec  tant  d'exactitude  et  de  vivacité  ce  qui  a 
pu  échapper  à  quelque  prétendu  janséniste,  laissez-vous  sub- 
sister des  écrits  faits  par  les  jésuites  et  par  vos  amis,  qui 
mériteraient  bien  plus  justement  vos  censures?  L'histoire  des 
Cinq  propositions  adoptée    par  le   sieur  Dumas  ^^   se  débite 

de  Die  le  17  janvier  i')87,  il  avait  été  transféré  à  Vienne  le  10  avril 
1694.  tl  mourut  le  6  octobre  lyiS,  à  soixante-dix  ans  (Le  P.  J.-Cl. 
Basset,  S.  J.,  Oraison  funèbre  de  Mgr  de  Montmorin,  Lyon,  1714, 
in-4  ;  Saint-Simon,  t.  Vil,  p.  83  ;  Cl.  Gliarvet,  Histoire  de  la  sainte 
Église  de  Vienne,  Lyon,  1761,  m-li  ;  Fr.-Z.  Collombet,  Histoire  de  la 
sainte  Église  de  Vienne,  Lyon,  1847-1848,  4  vol.  in-8,  t.  III). 

53.  Celle  dont  il  a  été  parlé  plus  haut,  p.  297. 

54.  Panegyris  Janseniana  ;  Lettre  à  M.  l'éaêque  de  Meaux,  etc.  (Note 
du  ms.).  —  Les  quatre  premières  propositions  censurées  sont  tirées 
de  l'Augustiniana  Ecclesiœ  romanœ  doctrina,  des  Réflexions  sur  les 
constitutions  et  brefs  des  Papes  Innocent  X,  etc.,  Cologne,  1699,  2  vol. 
in-i2,  du  Panegyris  Janseniana. . .  per  Petrun  Aurelium  (par  Gilles  de 
Witte),  Grenoble  (Delft),  1698,  in-8,  de  la  Lettre  d'un  théologien  à 
M.  iéuêque  de  Meaux,  oii  l'on  réfute  la  fausse  apologie  du  véritable 
amour  de  Dieu...,  par  le  sieur  de  Loagbois  (Gerberon),  Cologne, 
1699,  in-12,  de  la  Solution  de  divers  problèmes  très  importants  pour 
la  paix  de  l'Église  (par  Quesnel),  Cologne,  1699,  in-12,  et  de  la 
Lettre  d'un  théologien  à  M.  l'évêque  de  Meaux,  auquel  on  démontre  que 
M.  de  Cambrai  n'a  pas  tenu  les  fausses  maximes...  (par  le  P.  Ger- 
beron), s.   1.,  1699,  ln-i2. 

55.  Hilaire  Dumas,  de  la  maison  de  Sorbonue,  avait  pris  le  bonnet 
en  1668,  après  avoir  obtenu  le  vingtième  rang  à  la  licence  de  cette 
même  année.  11  était  fils  de  Gabriel  du  Mas,  secrétaire  du  Roi,  et  de 
Clémence  Chandelier.  Il  fut  conseiller  au  Parlement  de  Paris,  et  se 
distingua  dans  les  assemblées  de  la  Faculté  de  théologie  par  son 
opposition  aux  doctrines  jansénistes,  et  en  particulier  à  la  théologie 
du  docteur  Habert.  Son  principal  ouvrage  est  cette  Histoire  des  Cinq 


3oA  CORRESPONDANCE  [juiU.  1700 

impunément.  Il  est  donc  permis  aux  jésuites,  Monseigneur, 
de  troubler  la  paix  de  l'Église  et  de  répandre  partout  des 
livres  pleins  d'erreurs  et  de  calomnies,  et,  parce  qu'ils  ont 
i'oreille  du  Prince,  ils  seront  assurés  d'une  entière  impunité 
du  côté  des  évèques.  Est-ce  l'équité?  Est-ce  un  entier  éloi- 
gnement  de  toute  partialité  ?  Est-ce  l'amour  de  la  paix  de 
l'Eglise  qui  inspire  une  semblable  conduite? 

Si  vous  êtes  véritablement  touché.  Monseigneur,  des  maux 
de  l'Église,  obtenez  par  votre  crédit  auprès  du  Roi  que  S.  M. 
fasse  exécuter  exactement  cette  loi  si  sage  et  si  digne  de  sa 
piété,  si  propre  à  maintenir  la  paix  de  l'Église  qui  fut  publiée 
en  1668,  mais  qui  a  été  sans  fruit  parce  qu'il  a  dépendu  des 
jésuites  de  la  violer  ;  qu'on  impose  silence  de  nouveau  aux 
deux  partis  sur  toutes  les  contestations  qui  regardent  le  jan- 
sénisme^*' ;  qu'on  punisse  rigoureusement  les  infractions  d'un 
ordre  si  nécessaire,  et  l'on  verra  dans  peu  qui  sont  ceux  qui 
aiment  la  paix  et  qui  sont  ceux  qui  cherchent  le  trouble.  Mais, 
pendant  que  les  jésuites  ont  une  entière  liberté  de  publier 
toutes  sortes  de  calomnies  contre  l'iimocence  et  contre  la  vérité, 
que  des  évêques  ne  se  déclarent  pas  hautement  contre  ceux 
qui  sont  opposés  et  dont  ils  devraient  être  les   protecteurs  ! 

Si  vous  connaissiez,  Monseigneur,  le  cœur  de  ceux  qui 
prennent  la  liberté  de  vous  parler  avec  tant  de  force,  vous 

propositions,  Liège,  1699,  in-12,  à  laquelle  répondit  Quesnel  dans  la 
Paix  de  Clément  IX,  Gliambéry,  1700,  in-i2.  lia  encore  publié:  Dé- 
fense de  l'Histoire  des  Cinq  propositions,  ou  deux  vérités  capitales  de 
cette  Histoire  défendues  contre  un  libelle  intitulé  :  la  Paix  de  Clément 
IX,  Lièfje,  1701,  in-12;  Lettres  d'un  docteur  de  Sorbonne  à  un  homme 
de  qualité  touchant  les  hérésies  du  XVH^  siècle.  Paris,  1 708-1 71 5,  4 
vol.  in-12.  Il  mourut  en  171/1  (et  non  en  17/12)  (Voir  la  Correspon- 
dance entre  Boileau  et  Brossette,  édit.  Laverdet,  p  5^tSet  5^9;  Guujet, 
Bibliothèque  des  auteurs  ecclésiastiques  du  XVIII^  siècle,  Paris,  1736, 
t.  III,  p.  i36  ;  Histoire  du  Cas  de  conscience,  Nancy,  1705,  iu-12,  t. 
VI,  p.  ^7  ;  Mémoires  de  Rapin,  t.  III,  p.  4o6  ;  Ledieu,  i.  II,  p.  4o, 
82,  358  et  36i  ;  Ilurter,  Nomenclalor.  t.  IV,  col.  1572;  Bibliothèque 
Nationale,  Pièces  originales).  / 

56.  Il  y  a  un  arrêt  du  Conseil  d'Élat  rendu  dans  ce  sens  le  5  mars 
1703  (Affaires  étrangères,  Rome,  (.  /IHfi,  f"  iio). 


juin.  1700J  DE  BOSSUET.  3o5 

seriez  convaincu  qu'ils  n'ont  point  d'autre  intérêt  que  ceux 
de  l'Église  et  de  la  vérité,  et  qu'ils  sont  remplis  d'un  profond 
respect  pour  votre  caractère  et  d'une  singulière  vénération 
pour  votre  personne  ^". 

57.  «  Cette  première  lettre  sur  le  «  fantôme  »,  adressée  à  M.  de 
Meaux  même,  fut  suivie  peu  après  d'une  seconde,  adressée  à  un  abbé  de 
l'assemblée...  Elle  roule  tout  entière  sur  le  dessein  de  censurer  la  pro- 
position extraite  de  la  préface  de  VAugustiniana  Ecclesiai  romans  doc- 
Irina.  où  est  renouvelée  la  doctrine  de  la  première  des  Cinq  proposi- 
tions. L'auteur  fait  tous  ses  efforts  pour  justifier  la  proposition 
dénoncée,  par  les  anciens  Pères  et  par  les  scolastiqnes...  Il  vient 
après  cela  à  des  raisons  personnelles  contre  M.  de  Meaux...  Cette 
lettre  est  aussi  gardée  en  orig^inal  avec  la  précédente  dans  le  porte- 
feuille noir  des  censures,  qui  est  à  Meaux  dans  l'armoire  du  cabinet  » 
(Ledieu,  t.  II,  p.  61).  \m  pari  prépondérante  de  Bossuet  dans  les 
délibérations  de  l'Assemblée  lui  valut  encore  d'élre  attaqué  dans  la 
Gazette  de  Dordreclit  (Ibid..  p.  86),  On  sait  que  l'Assemblée  censura 
quatre  propositions  jansénistes  et  cent  vingt-trois  autres  extraites  des 
casuistes  et  d'auteurs  suspects  de  semi-pélagiauisme.  La  disproportion 
numérique  entre  les  unes  et  les  autres  a  fait  dire  que  l'on  n'avait  touché 
aux  jansénistes  que  pour  pouvoir  condamner  les  casuistes.  Cette  con- 
jecture est  démentie  par  les  propos  fort  vifs  que  tenait  à  cette  époque 
Bossuet  dans  Tintimité  sur  le  compte  des  jansénistes,  et  qui  sont  rap- 
portés par  Ledieu.  Il  ne  tint  pas  à  M.  de  Meaux  que  les  jansénistes 
ne  fussent  plus  durement  traités.  M.  Arnauld,  disait-il  plus  tard, 
méritait  bien  d'être  condamné  dans  l'Assemblée  de  1700,  mais  on 
avait  voulu  épargner  la  mémoire  de  ce  grand  homme  et  ne  pas  donner 
à  .M.  l'abbé  tie  Pomponne,  son  neveu,  le  déplaisir  de  voir  son  oncle 
censuré  à  ses  yeux...  »  (Ledieu,  p.  889  ;  cf.  p.  70  et  i34)-  H  est 
vrai  que  l'nbbé  Bossuet,  resté  secrètement  en  correspondance  avec 
les  jansénistes  de  Home,  leur  expliquait  qu'on  ne  pouvait  condamner 
la  morale  des  jésuites  qu'en  frappant  quelque  peu  leurs  adversaires. 
«  On  ne  censure,  écrivait-il,  du  livre  dénoncé  que  la  proposition 
du  Fantôme,  qu'un  joint  avec  plusieurs  propositions  insolentes  tirées 
d'autres  libelles  contre  l'autorité  des  papes  et  de  l'Eglise  de  France  : 
l'on  ne  pouvait  faire  moins  dans  les  conjonctures,  savoir  pour  n'être 
point  suspect  et  pour  tomber  ensuite  avec  plus  de  force  sur  les 
jésuites  »  (Lettre  citée  par  le  chanoine  Davin,  Bossuet,  Port-Royal 
etla  Franc-maçonnerie.   Paris,  s.  d.  (i883),  p.  67  ;  cf.  p.  fi-j.) 


XII  —  2, 


3o6  CORRESPONDANCE  [juill.  1700 

201 5.    —   N.   Arnaud  a  Bossuet. 

[1700] 
Monseigneur, 

J'ai  appris  avec  une  joie  que  je  ne  saurais  exprimer,  que 
ceux  que  Dieu  a  établis  pour  conduire  et  éclairer  son  Eglise, 
pensent  tout  de  bon  aujourd'hui  à  faire  paraître  la  vérité.  La 
joie  que  j'ai  reçue  de  celte  nouvelle  n'a  pas  été  stérile  en  moi. 
Tout  ce  qu'il  plaît  au  Prince  des  pasteurs  de  me  donner  de 
zèle,  m'a  d'abord  inspiré  d'exposer,  s'il  vous  plaît,  Monsei-  i 
gneur,  par  votre  moyen  aux  Illustrissimes  et  Révérendissimes  j 
évoques  qui  composent  l'Assemblée*,  ce  qu'il  plaira  à  l'Esprit 
saint  de  me  faire  écrire. 

C'est  une  chose  honteuse  que  tout  soit  problématique 
aujourd'hui  dans  la  morale,  et  que  par  là  l'on  donne  sujet 
à  la  malice  des  hérétiques  et  des  athées  de  croire  que  tout  est 
incertain  chez  nous.  Combien  de  prêtres  sont  dans  l'impuis- 
sance de  connaître  et  de  discerner  la  vérité,  dans  l'état  où  m 
sont  les  choses  !  On  ne  convient  pas  même  du  premier  prin- 
cipe que  l'on  doit  suivre  dans  la  décision  des  cas  ;  on  ne  sait 
pas  si  l'on  est  obligé  de  suivre  le  plus  probable  et  le  plus 
sûr  ;  on  ne  sait  pas  si  l'on  peut  suivre  l'opinion  la  plus  pro- 
bable et  la  moins  sûre,  in  concursu  opinionis  probabilioris  et 
tufioris  ;  ou  si  l'on  doit  toujours  suivre  tutius,  id  est  quod 
magis  removet  a  peccato,  toutes  les  fois  qu'on  n'a  pas  une  évi- 
dence, je  ne  dis  pas  morale,  mais  dernière,  swnmam,  de  la 
vérité.  Que  de  péchés  commet-on  peut-être,  non  seulement 
parce  qu'il  y  a  des  livres  pleins  de  corruption  et  de  relâche- 
ment, dont  on  peut  se  servir  pour  instruire  les  jeunes  ecclé- 
siastiques ;  mais  encore  parce  qu'il  y  a  plusieurs  livres  où 
l'on  décide  en  maître,  sur  plusieurs  points,  de  la  grièveté  du 

Lettre  2015.  —  Cette  lettre  et  la  suivante,  publiées  par  Deforls, 
t.  X,  p.  64 1  et  suiv.,  ont  été  négligées  par  les  autres  édlteuis.  — 
Nous  ne  saurions  dire  qui  était  ce  M.  Arnaud  qui  les  adressit  à 
Bossuet.  Certaines  de  ses  expressions  font  supposer  qu'il  vivait  Ji  Tou- 
louse ou  dans  les  environs  de  cette  ville.  / 

f.   L'assemblée  du  Clergé  de  1700. 


J 


juin.  1700]  DE  BOSSUET.  807 

péché,  ou  mortel  ou  véniel  !  C'est  un  péché  mortel,  dira- 
t-on,  de  dîner  à  onze  heures  un  jour  de  jeûne,  de  prendre 
intérêt  ad  compensationem  damni,  avant  l'introduction  d'ins- 
tance, d'obliger  à  restituer  les  intérêts  qui  ont  été  reçus  dans 
le  prêt  de  commerce,  de  ne  pas  consentir  à  un  concile  géné- 
ral avant  l'acceptation  universelle,  etc.  Ce  sont  des  choses 
que  j'ai  peut-être  lues  dans  des  auteurs  qui  semblent  aimer 
la  vérité...  Ce  n'est  pas  que  je  décide  moi-même  sur  ces 
points  ;  j'attends  là-dessus  la  décision  de  mes  supérieurs 
assemblés.  Les  maux  sont  si  grands,  à  mon  sens,  qu'il  n'y  a 
peut-être  qu'un  livre  oecuménique  et  accepté  de  toute  l'Église, 
qui  puisse  y  remédier.  Cependant  je  suis  persuadé  qu'il  est 
du  devoir  des  évêques  de  donner  à  leurs  peuples  une  morale 
bonne,  qui  les  délivre  de  leurs  embarras,  dissipe  leurs 
doutes,  etc.  Il  est  même  de  leur  devoir  de  la  faire  approuver, 
s'il  est  en  leur  pouvoir,  par  toute  l'Église  et  surtout  par  le 
chef  de  l'Église.  C'est  à  Messeigneurs  à  voir  si  la  prudence 
permet  de  faire  ce  que  j'inspire;  quoi  qu'ils  fassent,  je  pré- 
sumerai qu'ils  auront  fait  ce  qu'ils  auront  pu,  et  s'ils  ne  font 
pas  là-dessus  tout  ce  qui  .sera  en  leur  pouvoir  pour  secourir 
ceux  qui  demandent  leurs  secours,  cet  écrit  même  deman- 
dera contre  eux  vengeance  et  les  rendra  coupables  des  âmes 
qui  se  seront  perdues  par  leur  négligence  ;  mais  Jésus-Christ 
empêchera  que  ce  malheur  n'arrive  à  nos  pasteurs.  Qu'on 
ne  réponde  pas  que  la  charité  couvre  une  infinité  de  péchés  ^ 
et  que  les  peuples  n'ont  qu'à  se  laisser  conduire,  etc.  Je  sais 
qu'il  est  écrit  :  Si  csecus  cœcum  ^,  etc.  Je  sais  qu'il  est  très 
difficile  qu'un  ecclésiastique,  quelque  génie  qu'il  ait,  ne  soit 
fort  perplexe  dans  ses  décisions,  voyant  les  divers  sentiments 
des  uns  et  des  autres.  Qui  nous  assurera  que  nos  perplexités 
ne  sont  pas,  dans  le  fond,  de  vrais  doutes,  que  Dieu  déteste 
et  qui  retombent  peut-être,  ce  qu'à  Dieu  ne  plaise,  sur  la 
tête  des  évêques  et  peut-être  sur  celle  du  Souverain  Pontife? 

a.  I  Petr.,  IV,  8. 

3.    Caecus  autem  si  caeco  Hucatum  praestet,  ambo  in  foveam  cadunt- 
(Matt.,  XV,  i4). 


3o8  CORRESPONDANCE  [juiU.  1700 

0  Dieu,  que  je  serais  heureux  de  donner  mon  sang  pour 
en  écrire  des  lettres  qui  apprissent  à  toute  la  terre  une  partie 
de  ce  que  je  sens  en  moi-même,  si  pourtant  par  là  je  devais 
être  utile  k  l'Eglise  et  rallumer  le  zèle  de  plusieurs  évêques, 
qui,  bien  loin  d'imiter  ceux  en  qui  l'on  voit  par  la  grâce  de 
Dieu  ce  qu'on  désire  dans  les  grands  évêques,  n'ont  rien 
moins  à  cœur  que  la  vérité  ! 

Oserai-je,  Messeigneurs,  dire  tout  ce  que  je  pense  sur  les 
dogmes  spéculatifs  de  la  foi  ?  On  n'a  qu'à  lire  divers  auteurs, 
qu'à  consulter  divers  docteurs  sur  les  matières  delà  religion; 
qu'en  peut  retirer  souvent  vm  jeune  homme,  que  de  l'incei- 
titude  et  de  l'embarras  ?  Il  croyait  savoir  les  dogmes  de  la  foi 
avant  d'étudier  et  de  consulter,  et  il  les  savait  en  effet  ;  et,  après 
avoir  lu  et  consulté,  il  doute  peut-être  de  bien  des  choses  dont 
il  ne  devrait  pas  douter.  Il  se  voit  obligé  môme  d'user  de  toute 
sa  philosophie  pour  s'assurer  de  l'existence  des  choses  présup- 
posées à  la  foi,  c'est-à-dire  que  l'on  peut  connaître  même  par 
la  raison.  C'est  aux  évêques  de  l'Église  de  Dieu  à  faire  que 
ceux  au  moins  qui  ont  l'esprit  docile  puissent  facilement 
s'instruire  des  dogmes  de  la  foi  et  du  vrai  sens  de  ces  dogmes. 

Il  m'est  quelquefois  venu  dans  l'esprit  d'exposer  à  l'Eglise 
ime  théologie  dogmatique,  où  j'eusse  pu  expliquer  ce  qui  est 
de  foi  divine  et  proprement  dite,  et  en  même  temps  les 
diverses  opinions  que  j'aurais  cru  être  contraires  à  cette  foi, 
et  si  quelquefois  il  se  fût  rencontré  quelques  ditïicultés  qui 
m'eussent  empêché  de  décider  positivement,  j'eusse  pu  me 
contenter  d'exposer  ma  science  à  l'Église.  J'aurais  pu  lui 
demander,  par  exemple,  si  non  seulement  les  canons  du  con- 
cile de  Trente,  mais  encore  la  doctrine  contenue  dans  les 
chapitres^,  sont  règles  de  foi  divine  et  catholique. 

4-  Sur  chaque  matière  tiécicléc  par  le  concile  de  Trente,  les 
canons  sont  précédés  de  chapitres  contenant  une  exposition  doctri- 
nale. On  admet  généralement  que  les  enseignements  de  loi  catho- 
lique sont  moins  nettement  circonscrits  dans  les  chapitres  que  dans 
les  canons.  A  côté  de  la  substance  de  la  définition,  les  chapitre«,con- 
liennent  des  considérants  et  des  arguments,  qui  ne  s'y  ratlachcdl  que 
d'une  Façon  accessoire,  et  qui,  sans  être  proposes    à    notre   croyance, 


juin.  1700]  DE   BOSSUET.  809 

J'aurais  pu,  dans  ce  livre,  me  comportor  en  suppliant  sur 
certaines  matières,  et  prier  les  évêques  de  toute  l'Église  de 
peser  s'il  ne  serait  pas  à  propos  de  déclarer  que  l'on  n'en- 
court jamais  ipso /ac^o  l'excommunication,  mais  seulement 
après  la  sentence  du  juge  et  sa  promulgation,  et  qu'ainsi  un 
excommunié  occulte  peut  assister  à  la  messe  et  ne  pas  éviter 
le  commerce  des  fidèles,  parce  qu'il  ne  serait  pas  effectivement 
excommunié,  etc.  S'il  ne  serait  pas  à  propos  de  réduire  les 
irrégularités^  à  un  très  petit  nombre,  défendant  à  tous 
casuistes  de  les  augmenter  par  leurs  conséquences  scrupu- 
leuses. S'il  ne  serait  point  à  propos  de  faire  un  petit  recueil 
des  canons,  qu'un  ecclésiastique  pût  lire  en  un  jour,  afin  que, 
sachant  par  ce  moyen  ce  qu'il  doit  savoir  des  canons,  il  s'oc- 
cupât à  la  lecture  des  Écritures  et  des  Pères,  et  qu'il  eût 
plus  de  temps  pour  vaquer  à  la  prièi-e.  J'aurais  pu  prier  les 
évêques  de  toute  l'Église,  dans  ce  livre,  de  faire  en  sorte 
auprès  du  Pape,  qu'on  ne  vît  plus  de  division  entre  les 
peuples  et  Rome  ;  ce  qui  réussirait,  si  le  Pape,  de  concert 
avec  les  évêques,  déclarait  bonnement  quels  sont  ses  droits 
et  quels  sont  ceux  des  évêques  ;  si  le  Pape  souffrait  qu'on 
décidât  s'il  est  infaillible  ou  non  ;  et  si,  ne  l'étant  pas,  comme 
peut-être  on  le  déciderait,  il  n'est  point  obligé  en  conscience 
de  consulter  les  évêques,  d'assembler  des  conciles  généraux, 
où  l'on  eût  une  liberté  entière  de  parler  et  d'agir,  et  d'exa- 
miner les  auteurs  et  écrits.  On  souhaiterait  fort  d'apprendre 
de  la  bouche  de  Nosseigneurs  les  Évêques  assemblés  ce  qu'on 
doit  penser  de  l'analyse  qu'a  faite  M.  Holden^;  de  la  pratique 
des  religieuses,  qui  reçoivent  avec  les  circonstances  que  tous 
savent,  des  opinions  du  P.  Malebranche  sur  la  puissance  de 
Dieu,  sur  la  grâce,    etc.,   sur  la  prédestination,   etc.    Si   la 

renferment  les  motifs  et  les  raisons  des  enseignements  (VHcant, 
Éludes  ihéologiques  sur  la  constitutinn  du  concile  du  Vatican,  in-8,  t.  I, 
p.  !ii-f\^  ;  Dict.  de  théologie,  t.  III,  çol.  667). 

5.  L'irrégularité  est  un  empêchement  posé  par  le  droit  canon  et 
rendant  inhabile  à  recevoir  les  ordres.  Ainsi  les  bâtards,  les  épilep- 
tiques,  ceux   qui  ont  versé  le  sang,  etc.,  sont  irréguliers. 

6.  Voir,  p.   1 14. 


3io  CORRESPONDANCE  [julll.  1700 

doctrinecartésienne  sur  les  modes,  sur  l'éloadue",  etc.  facilite 
l'entrée  des  hérétiques  dans  l'Église,  pourquoi  n'impose-t-on 
pas  silence  à  ceux  qui  la  condamnent  avec  trop  de  zèle? 

Je  finis,  Monseigneur,  en  vous  conjurant  de  croire  que 
j'ai  un  très  profond  respect  pour  tous  les  prélats  qui  compo- 
sent l'assemblée  ;  que  je  n'ai  d'autre  vue  que  d'apprendre  la 
vérité  de  ceux  que  Dieu  m'ordonne  d'écouter,  et  qu'enfin  je 
suis,  avec  un  très  profond  respect,  de  Votre  Grandeur, 
Monseigneur, 

Le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

Arnaud,  fils  de  l'I^glise  Catliol.  Apost.  et  Rom. 

Je  ne  veux  pas  omettre,  s'il  vous  plaît,  Monseigneur,  de 
vous  avertir  que  plusieurs  souhaiteraient,  s'il  était  possible, 
que  la  doctrine  de  saint  Thomas  fût  exactement  enseignée 
dans  Toulouse"  ;  ce  que  j'ai  ouï  dire  qui  ne  se  fait  pas  :  si 
cela  est  vrai,  je  ne  l'examine  pas. 

S'il  y  avait.  Monseigneur,  quelque  chose  à  corriger  dans 
la  présente,  et  qui  ne  dût  pas  être  lu,  je  vous  conjure,  s'il 
vous  plaît,  de  le  faire  effacer,  afin  que  le  reste  fasse  plus 
d'effet. 


7.  Les  coiuiuentateurs  arabes  d'Aiistote  et  les  péripaléticiens 
modernes  soutiennent  que  les  qualités  ou  accidents  (telles  sont  la  clia- 
leur  du  feu,  riiumidité  de  l'eau)  sont  des  entités  surajoutées  et  réelle- 
ment distinctes  des  substances  qui  en  sont  afTectées.  Les  cartésiens  le 
nient  et  croient  que  ces  qualités  ne  sont  pas  quelque  chose  de  sura- 
jouté à  la  substance,  mais  que  ce  sont  de  simples  manières  d'être 
(modï)  ou  dispositions  de  la  substance  elle-même,  résultant  de  la  con- 
fi{;uration,  de  la  place  et  du  mouvement  de  ses  parties  (Voir  Pur- 
chotius,  Institutiones  philosophicx,  Paris,  lôgS,  in-4  ;  Maignan,  Cur- 
sus philosnphicus,  Toulouse,  i(352,  4  vol.  in-8,  t.  I,  p.  ai3.  Cf.  Gou- 
din,  Philosophia,  Logica  major,  I  part.,  Disp.  II,  quaest.  vi,  Physic., 
III  part.,  quaRst.  III,  art.  ir.  —  La  pbilosopble  de  Descartes  a  été 
combattue  comme  contraire  à  la  Foi  catholique  de  l'Eucharistie  par  sa 
notion  de  l'étendue  essentielle  à  la  matière.  Voir  t.  I,  p.  32/4  et  suiv. 

8.  Voir  t.  XI,  p.  33 1,  et  l\.  P.  Mortier,  Histoire  des  Mailfes 
généraux  de  l'ordre  des  Frères  prêcheurs,  Paris,  igi^,  iu-8,  t.  '-'l, 
p.  247-  a48. 


DE   BOSSUET. 


2016.  —  Le  même  Arnaud  a  Bossuet. 

Monseigneur, 

Il  est  donc  du  devoir  d'un  chacun  de  faire  tout  ce  qu'il 
peut  pour  contribuer  à  la  gloire  du  Seigneur.  C'est  dans 
cette  vue,  Monseigneur,  qu'après  vous  avoir  présenté  mes 
très  humbles  respects,  je  vous  conjure  par  les  entrailles  du 
Prince  des  pasteurs,  de  faire  en  sorte  qu'il  paraisse  quelle 
est  la  foi  de  l'ÉLçlise  sur  certains  points  qui  suivent.  J'ai  des 
raisons  particulières,  et  peut-être  très  importantes,  pour  faire 
la  prière  que  je  fais  à  Votre  Grandeur. 

Premièrement,  l'Église  est  infaillible  en  tout  ce  qu'elle 
décide  comme  de  foi,  soit  que  ce  soient  des  conséquences 
éloignées  qu'elle  définisse,  soit  que  ce  soient  des  conséquences 
prochaines  ;  et  il  est  impossible  que  l'Église  se  trompe 
jamais,  même  invincibiliter  vel  ex  imprudeniia,  toutes  les  fois 
qu'elle  définit  qu'une  chose  est  vraie  ou  licite.  Secondement, 
tous  les  canons  du  concile  de  Trente  contiennent  une  défi- 
nition de  foi  divine,  et  tout  ce  qui  y  est,  directe  subjectam 
analhemati,  est  de  foi  divine,  saltein  quoad  rationem  liciti  ; 
autrement  11  faudrait  savoir  la  Tradition  pour  distinguer 
dans  ce  concile  ce  qui  est  de  foi  d'avec  ce  qui  ne  l'est  pas. 
Troisièmement,  le  Pape  est  le  chef  de  tous  les  fidèles,  même 
des  évèques,  de  droit  divin  immédiat  :  et  qu'est-ce  que  cette 
primauté  emporte  certainement  et  selon  la  foi  ?  Quatrième- 
ment, l'Église  a  le  pouvoir  de  faire  des  lois  :  elle  tient  ce 
pouvoir  de  Jésus-Christ,  et  on  est  obligé  en  conscience  de  lui 
obéir.  Cinquièmement,  Dieu  est  présent  partout,  non  seule- 
ment par  sa  puissance  et  par  sa  connaissance,  mais  encore 
par  sa  substance.  Sixièmement,  en  Dieu,  les  trois  personnes 
distinguuntur  entitative  et  plus  quam  modus  a  modo.  Tout  ce 
qui  est  absolu  en  Dieu  est  commun  aux  trois  personnes,  et 
chaque  personne  a  une  entité  relative  qui  lui  est  propre,  la 

Lettre  2016.  —  Cette  lettre  a  dû  suivre  de  près  la  précédente. 


3i2  CORRESPONDANCE  [juiU.  1700 

distingue  et  la  constitue.  Septièmement,  l'âme  et  le  corps 
de  Jésus-Christ  ont  toujours  été  unis  hypostatiquement  au 
Fils  de  Dieu,  même  durant  les  trois  jours  qui  suivirent  la 
mort  de  Jésus-Clirist.  Huitièmement,  l'âme  de  Jésus-Christ 
descendit  aux  enfers  non  solam  secandum  effedus,  sed  etiam 
secundum  subslantiam  ;  par  ces  enfers,  l'on  doit  entendre  des 
lieux  souterrains*,  où  étaient  les  âmes  des  saints,  qui  en 
furent  emmenées  par  Jésus-Christ  dans  le  ciel.  Neuvième- 
ment, l'Église  romaine,  composée  de  telle  et  telle  Église,  est 
la  vraie  Église  de  Jésus-Christ  ;  hors  d'elle,  il  n'y  a  point  de 
salut  :  l'unité  de  l'Église  exclut  la  pluralité  des  commu- 
nions, etc.  Dixièmement,  nous  ressusciterons  tous  sans 
exception,  bons  et  méchants,  dans  les  mêmes  corps,  les 
mêmes,  dis-je,  même  quant  à  la  matière  matériellement 
prise,  etc.  Onzièmement,  l'attrition  naturelle  avec  le  Sacre- 
ment ne  justifie  pas.  Douzièmement,  quoiqu'il  ne  soit  peut- 
être  pas  de  foi,  ce  que  j'ignore,  que  matrimonium  non  possit 
dissolvi  propter  adullerium,   etc.  ^  ;  il  est  néanmoins  de  foi, 

1.  L'Ancien  Testament  donne  le  nom  de  Scheol.  «  demeure  sou- 
terraine »,  au  lieu  où  se  rendaient  toutes  les  âmes  après  la  mort.  Les 
Septante  ont  traduit  ce  mot  par  i??);,  et  la  Vulgate,  par  infernas, 
inferi,  lieu  inférieur,  d'où  nous  avons  fait  notre  mot  «   enfer   », 

2.  Launoy,  Le  Courayer  et,  parmi  nos  contemporains,  Esmein 
(Le  mariage  en  droit  canonique,  Paris,  i8gi,  t.  II,  p.  agô-SoS)  ont 
prétendu  que  le  canon  VII  du  concile  était  purement  disciplinaire. 
Les  théologiens  admettent  qu'il  est  en  même  temps  doctrinal.  Ne 
voulant  pas  condamner  directement  les  Grecs,  le  concile  s'est  borné 
à  dire  que  l'Eglise  romaine  ne  se  trompe  pas  en  enseignant  l'indisso- 
lubilité du  mariage.  Les  Grecs,  en  effet,  soutiennent  que  le  lien 
conjugal  est  rompu  par  l'adultère  de  l'un  des  conjoints,  et  ils  s'auto- 
risent d'un  verset  de  saint  Matthieu  :  Omnis  qui  dimiserit  uxorem 
suam  excepta  fornicationis  causa,  facit  eam  mœcliari,  et  qui  diniissam 
duxerit  adultérât  (v,  82;  cf  xix,  9),  comme  si  l'exception  portait  sur 
les  deux  parties  de  la  phrase.  Cette  interprétation  est  en  désaccord 
avec  les  versets  parallèles  de  saint  Marc,  x,  11,  et  de  saint  Luc, 
XVI,  18,  qui  ne  conliennent  aucune  exception  (cf.  I  Cor  ,  vu.  10). 
Ecrivant  principalement  pour  les  Juifs,  chez  qui  la  simple  sép  ialion 
de  corps  n'existait  pas,  mais  à  qui  leurs  docteurs  en  grand  nombre 
permettaient  de  se  remarier  après  avoir  renvoyé  leur  femme  sous  un 
prétexte  plus  ou  moins  grave,  saint  Matthieu  défend  de  renvoyer  sa 


juin.  1700J  DE  BOSSUET.  3i3 

Can.  VII,  Sess.  XXIV,  Ecelesiam  non  errare,  etc.,  du  moins 
en  ce  sens,  que  la  pratique  de  l'Église  est  licite  ;  s'il  y  a  là- 
dessus  quelque  autre  chose  qui  soit  de  foi,  je  suis  prêt  à  écou- 
ter l'Eglise  ^.  Treizièmement,  l'àme  de  l'homme  est  présente 
à  l'homme  et  à  son  corps,  non  seulement  en  ce  sens,  qu'elle 
pense  par  rapport  au  corps  qu'elle  anime,  mais  encore  subs- 
tantiellement, ita  ul  sit  in  corpore  et  intra  corpus,  ah  ipso  Joca- 
liter  indstans.  Les  âmes  ne  sont  donc  pas  seulement  en  Dieu, 
sans  être  substantiellement  et  localement  dans  les  corps,  etc. 
Ainsi,  en  communiant,  nous  recevons  vere  et  sabstantiatiter 

femme,  parce  que  ce  serait  l'exposer  à  commettre  un  adultère  en 
épousant  un  autre  homme,  de  même  que  celui  qui  épouserait  une 
femme  répudiée  se  rendrait  coupable  d'adultère:  il  ne  fait  d'exception 
que  pour  le  cas  d'inconduite  de  la  femme;  mais,  même  dans  ce  cas, 
il  ne  s'ag-it  que  d'une  séparation  de  corps,  sans  qu'on  ait  la  pcmission 
de  contracter  un  nouveau  mariage.  Ce  point  de  doctrine  a  été  nette- 
ment exposé  par  saint  Augustin  :  k  II  est  donc  permis  de  renvoyer 
l'épouse  pour  cause  de  fornication,  mais  le  lien  précédent  subsiste  de 
telle  sorte  que  c'est  se  rendre  coupable  d'adultère  que  d'épouser  celle 
qui  a  été  renvoyée  même  pour  cause  de  fornication  »  (De  conjuge 
adalter.,  II,  iv,'p.  L.,  t.  XL,  col.  473).  Voir  Mgr  d'HuIst,  Confé- 
rences de  Notre-Dame,  carême  de  1894,  p-  S^i-S-S;  Filliou,  Saint 
Mattltieu,  Paris,  1878,  in-8,  p.  071,  à'jX;  Dictionnaire  de  la  Bible, 
art.  Divorce,  col.  i452. 

3.  Comme  le  concile  s'abstint  de  déclarer  hérétique  la  doctrine 
de  la  dissolubilité  du  mariage  en  cas  d'adultère,  et  anathématisa 
seulement  ceux  qui  disaient  que  l'Eglise  se  trompe  en  enseignani 
l'indissolubilité  absolue  du  mariage,  même  en  cas  d'adultère,  11 
n'est  donc  pas  de  foi  catholique  que  le  mariage  est  indissoluble  en 
ce  cas  d'adultère,  car,  cette  affirmation  étant  incidente,  elle  n'est 
pas  proprement  définie  par  le  concile.  Mais  il  est  de  foi  que  rÉgllse 
ne  se  trompe  pas  en  l'enseignant.  Sur  les  longues  discussions  qui 
précédèrent  la  rédaction  de  ce  canon  et  sur  sa  portée,  on  peut  voir 
l'Adultère  et  le  lien  du  mariage  dans  le  Dictionnaire  de  Théologie  de 
Vacant,  t.  I,  col.  igS-ôoi.  On  trouvera  la  pensée  de  Bossuet  sur 
cette  question  dans  son  Mémoire  de  ce  qui  est  à  corriger  dans  la  Biblio- 
theque  des  auteurs  ecclésiastiques  de  M.  Dupin  (édit.  Lâchât,  t.  X\, 
p.  57),  et  dans  le  Deeretum  de_  morali  disciplina,  qui  devait  être  publié 
dans  l'assemblée  générale  du  Clergé  en  1682,  p.  u,  viii  (t.  XXII. 
p.  707.  Cf.  Bausset,  livre  XII,  p.  justlf.).  La  question  est  bien  étudiée 
dans  Mgr  d'Hulst,  lac.  cit.  —  Sur  la  foi  catholique  et  la  fol  divine, 
voir  plus  haut,  p.  agS. 


3i/j  CORRESPONDANCE  [juill.  1700 

dans  notre  estomac  l'âme  de  Jésus-Christ,  et  non  seulement 
en  ce  sens  que  Jésus-Christ  pense  par  rapport  à  ceux  qui 
communient.  Quatorzièmement,  Jésus-Christ  est  le  même, 
et  selon  l'âme  et  selon  le  corps,  dans  le  ciel  et  dans  l'Eucha- 
ristie, et  dans  chaque  partie  de  l'hostie,  saliem  post  divisio- 
nem  ;  le  même,  dis-je,  stricte  et  eniitalive  et  idenlice  ;  et  non 
soluin  quantum  ad  configurationem,  et  in  eo  sensu  secundum 
quem  materia  panis  facta  fuissel  materia  corporis  Christi,  non 
per  veram  transsubstantiationem,  sed  per  diversam  organisatio- 
nem  ;  quse  materia  panis  sic  organisata  esset  corpus  Christi, 
ijuatenas  anima  Christi  cogitaret  in  ordine  ad  taie  corpus^. 
Ce  sont  des  vérités  Monseigneur,  que  je  crois  très  ferme- 
ment ;  je  désire  savoir  si  elles  sont  toutes  tellement  de  foi 
divine  et  catholique  que  le  contraire  soit  hérétique,  et  qu'on 
puisse  censurer  ceux  qui  diraient  le  contraire  en  quelque 
chose  :  ce  n'est  pas  que  je  ne  croie  par  avance,  au  moins  sur 
quelques  chefs,  le  contraire  hérétique. 

J'ai  une  raison  pressante  de  souhaiter  que  nos  pasteurs 
décident  si  l'on  peut,  ex  charitate,  ne  pas  restituer  à  un 
riche  ce  qu'on  lui  doit,  pour  le  remettre  entre  les  mains  des 
pauvres  ^. 

On  voudrait  bien  savoir  s'il  est  de  foi  divine  et  catholique, 
que  l'action  de  la  volonté  est  de  sa  part  quelque  chose  de 
positif  et  de  réel,  et  plus  qu'un  pur  repos,  mera  quies  in 
objeclo,  et  non  ulterior  îendentia;  s'il  est  de  foi  divine  et  très 
catholique  que,  ad  merendum  vel  demerendam  requiratur 
libertas  indifferentix ,  qua  possumus  agere  et  non  agere,  agere 
bonum  et  malum  ^  ;  s'il  est  de  foi  divine  et  très  catholique  que 

4.  Cette  opinion  est  celle  que  Descartes  a  avancée  dans  ses  deux 
lettres  à  Pierre  Mesland,  S.  J.  (1596-1678),  et  que  Bossuet  a  réfu- 
tée dans  un  opuscule  publié  dans  la  Revue  Bossuet.  juillet  1900, 
p.    i^i    et  suiv.    CF.    Dict.    de   Théologie,    t.    V,   article  :  accidents 

EUCHARISTIQUES,  col.    1^27    et  Suiv. 

5.  La  restitution  doit  être  faite  à  celui-là  même  dont  les  droits'ont 
été  lésés  ou,  après  sa  mort,  à  ses  héritiers  ou  ayauts  droit.  C'est 
seulement  à  leur  défaut,  qu'elle  peut  être  faite  en  faveur  des  pauvres. 
Telle  e>t  la   doctrine  commune. 

().  Cette  doctrine  est  de  foi  divine  et  catliolique,  comme  il  suit  de 


juill.  1700]  DE   BOSSUET.  3i5 

les  livres  deutérocanoniques  sont  en  tout  d'une  autorité  égale 
aux  livres  protocanoniques,  et  si  c'est  une  erreur  contre  cette 
foi  de  croire  que  les  deutérocanoniques  sont  canoniques  en 
ce  sens  qu'il  n'y  a  rien  qui  n'y  soit  de  foi,  et  quant  aux 
mœurs,  et  quant  aux  autres  dogmes,  et  quant  aux  faits  sub- 
stantiels, quoique  peut-être  plusieurs  choses  n'y  soient 
qu'humainement  certaines  ;  en  ce  sens  Vlmitaiion  de  Jésus- 
Chr'isl  serait  demain  canonique,  si  l'Église  déclarait  qu'il  n'y 
a  rien  dans  ce  livre  qui  soit  contre  la  foi  ''.  On  demande 
encore  si  l'on  peut  absoudre  une  personne  qui  serait  dans 
l'erreur  dont  je  viens  de  parler  ;  s'il  est  de  foi  divine  et  très 
catholique  que  l'on  soit  obligé  de  confesser  au  prêtre  sigilla- 
tim  omnia  et  singula  peccaia  morlalia,  tum  exteriora,  tam  inie- 
riora^,  et  s'il  ne  suffit  pas  de  s'accuser  en  général,  de  manière 
que  le  confesseur  connaisse  l'état  du  pénitent  suffisamment 
pour  le  sauver.  J'ai  vu  peut-être  plusieurs  prêtres  qui  étaient 
de  cet  avis;  et  au  cas  qu'il  y  en  ait  encore,  je  veux  contri- 
buer à  les  désabuser. 

la  condamnation  de  la  troisième  des  cinq  propositions  de  Janséniiis 
(Denzinger,  Enchiridion,  p.  3^1,  et  Cl.  Marc,  Inslitutiones  morales 
Alphonsianœ,  Rome,  i885,  in-8,  t.  I,  p.  178). 

7.  Quelques  auteurs  après  le  concile  de  Trente,  comme  B.  Lamy, 
Apparalus  biblicus.  1.  II,  c.  v,  Paris,  1728,  p.  238-24i,  et  Jahn, 
Einleilung  in  die  gesammlen  Biirher  der  Allen  Bandes.  2«  édit.,  t.  I, 
p.  2^0,  ont  prétendu  qu'une  diffi^rence  d'autorité  subsistait  tou'iours 
entre  les  protoeanoniques  et  les  deutérocanoniques.  CF.  AlF.  Loisy, 
tiist.  du  Canon  de  l'Ancien  Testament,  Paris,  1890,  in-8,  p.  2i2-24i- 
Mais  la  définition  de  Trente  élimine  la  distinction  proposée  par 
quelques  Pères  du  concile  dans  les  congrégations  ou  assemblées  pré- 
paratoires, entre  les  livres  authentiques  et  canoniques,  dont  la  foi 
dépend,  et  les  livres  simplement  canoniques,  bons  pour  l'enseignement 
et  utiles  à  lire  dans  les  Églises.  Cf.  Dict.  apologétique  (d'Alès),  t.  I, 
col.  439  ;  Dict.  de  Théolog.  catholique  (Vacant),  t.  II,  col.  iSgS  et 
suiv.  Déclarer  qu'un  livre  comme  l'Imitation  de  Jésus  Christ  n'a 
rien  contre  la  foi  n'est  pas  le  rendre  canonique.  La  canonicité  n'est 
que  la  décision  faite  par  lEgli'ieque  tel  livre  a  été  inspiré  de  Dieu. 
L'inspiration  divine  doit  toujours  précéder  la  déclaration  de  l'Eglise 
ou  canonicité. 

8.  C'est  la  décision  du  concile  de  Trente,  Sess.  XIV,  can.  vu. 
Cf.  Cl.  Marc,  op.  cit.,  t.  II,  p.  216. 


3l6  CORRESPONDANCE  fjuill.  1700 

Plaise  à  Dieu  de  nous  faire  connaître  si  certaines  opinions 
sont  bien  saines  ;  ce  que  j'ignore  :  dès  demain  peut-être, 
j'embrasserais,  dans  le  dessein  de  concevoir  un  Dieu  très  bon, 
l'opinion  qui  dit  que  Dieu  fait  tout  de  la  manière  la  plus 
parfaite,  qu'il  sauve  tous  ceux  qu'il  peut  sauver,  eu  égard  à 
sa  sagesse,  etc.  ;  que  si  quelqu'un  se  perd,  ce  n'est  pas  que 
Dieu  n'ait  un  dessein  très  sincère  de  le  sauver,  même  après 
le  péché  originel,  etc. 

Il  me  semble  que  certaines  opinions  des  Cartésiens  sont 
raisonnables  et  avantageuses  même  à  l'Église.  L'opinion  des 
modes  et  des  apparences  pures,  selon  Maignan  ^ ,  ne  me  paraît 
pas  contraire  à  l'antiquité,  et  semble  favoriser  l'entrée  des 
hérétiques  dans  l'Église,  comme  aussi  l'opinion  de  l'étendue'". 
Il  est  vrai  que  je  voudrais  savoir  sur  celle-ci,  si  c'est  contre 
la  foi  de  croire  qu'à  la  vérité,  l'essence  du  corps  de  Jésus- 
Christ  est  dans  l'Eucharistie,  mais  que  pourtant  le  corps  de 
Jésus-Christ  n'a  pas  dans  l'Eucharistie  toute  l'étendue  qu'il 

9.  Emmanuel  Maig^nan,  religieux  minime,  né  à  Toulouse  le 
17  juillet  1601,  et  mort  le  29  octobre  1676  dans  la  même  ville.  Il 
avait  enseigné  pendant  quatorze  ans  les  mathématiques  à  Rome,  au 
couvent  de  la  Trinité-du-Mont,  puis  il  était  retourné  dans  sa  ville 
natale.  Il  ne  consentit  pas  à  quitter  Toulouse,  malgré  les  offres  que 
Louis  XIV,  frappé  de  ses  mérites  dans  les  sciences,  lui  avait  Faites 
pour  l'attirer  dans  la  capitale.  Son  principal  ouvrage  est  un  traité 
de  la  catoptrique  intitulé  Perspecliva  horaria,  Rome,  i648,  in-fol. 
Outre  un  cours  de  philosophie  en  latin,  qui  a  été  édité  à  Toulouse, 
i652,  t\  vol.  in-8,  et  à  Lyon,  1678,  in-fol.,  il  composa  aussi  une 
Sacra  philosophia,  Lyon,  1662-1672,  2  vol.  in-fol.  Sa  vie  a  été  écrite 
par  un  de  ses  disciples,  le  P.  Saguens,  De  vila,  moribus  et  scriplis 
Emmamielis  Magnani,  Toulouse,  1697,  in-^-  Cette  pièce  a  été  repro- 
duite en  tète  de  la  Philosophia  Mairjnani  scholaslica  par  le  même 
P.  Saguens,  Toulouse,  1708,  in-4  (Voir  Niceron,  t.  XXXI).  Le 
P.  Maignan  expliquait  la  permanence  des  accidents  ou  qualités  sen- 
sibles du  pain  et  du  vin  après  la  consécration,  dans  l'Eucharistie,  en 
disant  qu'après  la  disparition  du  pain  et  du  vin,  Dieu  fait  sur  nos 
sens  les  mêmes  impressions  qu'ils  y  faisaient  avant  la  transsubstan- 
tiation. Sur  ce  point  on  peut  voir  en  particulier  la  Sacra  Philosophie  ji 
t.  II,  Âppend.  v. 

lo.  De  l'étendue  considérée  comme  l'essence  des  corps,  ainsi  que 
l'entendait  Deseartes. 


juin.  1700]  DE   BOSSUET.  817 

a  dans  le  ciel,  et  qu'il  n'y  a  même  aucune  pénétration  des 
parties  dans  l'Eucharistie*',  parce  que  l'étendue  de  sept  à 
huit  pans*-  est  accidentelle  au  corps  humain,  et  que,  pour 
son  essence,  il  ne  laut  de  matière  qu'autant  qu'il  est  néces- 
saire pour  l'organisation. 

Je  n'aime  point  le  secret,  Monseigneur  :  si  quelqu'un 
erie,  j'aime  qu'il  soit  leprls  ;  s'il  dit  vrai,  j'aime  que  les 
pasteurs  l'approuvent  ;  afin  que  les  scrupuleux  connaissant 
la  vérité,  ils  s'avancent  à  grands  pas  vers  Dieu,  et  qu'ils  ne 
censurent  pas  Copernic,  Descartes,  etc. 

Je  conjure  le  Dieu  du  ciel  et  de  la  terre  de  vous  remplir 
de  zèle  et  de  lumière,  vous  et  tous  nos  autres  pasteurs.  Mon- 
seigneur, afin  qu'ensuite,  à  notre  tour,  nous  en  soyons  nous- 
mêmes  remplis,  pour  connaître  et  pour  aimer  ce  qu'il  plaira 
à  l'Esprit  saint  de  nous  apprendre  par  vos  soins.  Je  finis  en 

II.  Saint  Thomas  (III^,  q.  lxxvi,  art.  3,  k)  enseif^ne  que  le  corps 
du  Christ  est  dans  l'Eucharistie  d'une  présence  différente  de  celle  dont 
il  jouit  au  ciel.  Au  ciel,  il  a  son  mode  naturel,  avec  sa  grandeur  et 
ses  qualités  visibles  ;  dans  le  sacrement  de  l'Eucharistie,  il  est  présent 
per  modum  substantiœ,  à  la  façon  des  substances,  c'est-à-dire  affranchi 
des  lois  de  la  localisation  des  corps,  ce  qui  permet  de  dire,  comme 
Suarez  (In  111^"  partem,  dist.  xlvi,  sect.  4)  qu'il  est  présent  «  d'une 
manière  qui  n'est  pas  corporelle  »,  ou  avec  Bellarmin  (De  Eucharislia. 
I.  II,  c.  11)  qu'il  «  y  est  à  la  manière  des  esprits  »  (Cf.  L.  Labaucbe, 
Lettres  à  un  étudiant  sur  la  sainte  Eucharistie,  Paris,  1912,  in-i'»., 
p.  86  et  suiv.).  On  sait  que,  pour  les  scolastiques,  la  substance  ou 
forme  substantielle  est  à  la  fois  présente  tout  entière  dans  chacune  des 
parties  du  corps  et  dans  le  corps  tout  entier  :  tota  in  toto  et  tota  in 
qualibet  parte.  C'est  ce  qu'ils  appellent  Vubi  definitivuni,  qui  est  le 
propre  des  formes  substantielles  et  des  esprits,  tandis  que  les  corps, 
dans  leur  état  naturel,  ont  un  ubi  circumscriptivum,  c'est-à-dire  que 
chacune  de  leurs  parties  est  présente  à  une  partie  déterminée  de 
l'espace,  et  non  à  une  autre  dans  le  même  temps.  Soit  un  lingot  d'or: 
il  occupe  un  espace  déterminé,  et  à  chacune  de  ses  parties  corres- 
pond une  partie  de  cet  espace;  mais  ce  qui  fait  qu'il  est  de  l'or  et 
non  un  corps  d'une  autre  nature,  c'est-à-dire  sa  forme  substantielle, 
est  tout  entier  à  la  fois  dans  chacune  de  ses  parties,  et  c'est  pour  cela 
que  chacune  de  ses  parties  est  de  l'or  comme  les  autres  parties  et  comme 
le  lingot  tout  entier. 

12.  Pan,  forme  abrégée,  pour  empan,  mesure  de  longueur  de  :i4 
centimètres,  usitée  dans  le  Midi. 


3i8  CORRESPONDANCE  [ji.ill.  1700 

me  disant,  s'il  vous  plaît,  de  Votre  Grandeur,  avec  un  très 
profond  respect, 

Monseigneur, 

Le  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 


2017,   —  A    Lamoignon  de  Basville. 

A  Saint-Germain,  11  juillet  1700. 

Je  suis  très  aise,  Monsieur,  que  mon  Instruction 
pastorale  sur  la  perpétuelle  stabilité  et  sur  les  pro- 
messes de  l'Eglise  vous  ait  satisfait,  et  que  vous  la 
jugiez  utile  à  vos  réunis*.  Quant  à  la  manière  d'agir 
avec  eux,  je  crois  en  effet  que  j'en  conviendrai  aisé- 
ment avec  vous  ;  car  je  conviens  sans  peine  du  droit 
des  souverains  à  forcer  leurs  sujets  errants  au  vrai 
culte,  sous  certaines  peines.  Cela  étant,  toutes  les 
fois  que  nous  pourrons  croire  que,  corrigés  par  ces 
peines,  qui  les  auront  rendus  attentifs  à  la  vérité,  ils 
iront  de  bonne  foi  à  la  messe,  je  ne  trouve  aucune 
difficulté,  je  ne  dis  pas  à  les  y  recevoir,  mais  je  dis 
à  les  y  contraindre  d'une  certaine  façon.  Toute  ma 
difficulté  est  d'y  recevoir  ceux  qui  font  profession 
publique  de  n'y  pas  croire,  et  qui,  sur  ce  fondement, 
refusent  opiniâtrement  de  communier,  sans  même 
témoigner  pour  cela  la  non-répugnance,  par  où  il 
faut  commencer.  Tant  qu'ils  sont  en  cet  état,  je  les 
crois  incapables  de  profiter  de  la  messe  :  cela  même 
les  rend   dignes   de  châtiment  avec  la  modération 

Lettre  2011.  —  i.  Bossuet  répond  à  la  lettre  de  Basville  du  moi    ' 
de  juin  1700,  qu'on  a  vue  plus  haut,  p.  269. 


juin.  1700]  DE    BOSSUET.  819 

convenable,  par  pitié  pour  leur  maladie.  Mais,  au 
reste,  de  les  y  admettre,  bien  loin  de  les  y  con- 
traindre de  quelque  manière  que  ce  soit,  c'est  leur 
donner  une  faible  idée  de  la  sainteté  du  mystère,  et 
leur  inspirer  de  l'indifférence  pour  les  bonnes  dispo- 
sitions qu'il  faudrait  avoir,  et  même  pour  y  aller  ou 
n'y  aller  pas  :  c'est  la  disposition  que  je  trouve  ici 
dans  ceux  qui  vont  à  la  messe  si  facilement,  plus 
prêts  encore  à  n'y  pas  aller.  Je  serai  très  aise  d'ap- 
prendre à  votre  loisir  ce  que  vous  pensez  sur  cela,  et 
de  profiter  de  vos  expériences. 
Je  suis,  Monsieur,  etc. 


2018.   —  A  DoM  Jean  Mabillon. 

A  Saint-Germain,  1 1  juillet  1700. 

Je  suis  très  aise,  mon  Révérend  Père,  que  vous 
soyez  content  des  résolutions  de  l'Assemblée  *  à  s'op- 
poser aux  nouveautés  de  toutes  les  sortes  qui  s'élè- 
vent contre  la  science  de  Dieu.  L'approbation  des 
personnes  aussi  saintes,  aussi  habiles  et  aussi  bine 
intentionnées  pour  la  vérité  que  vous  l'êtes,  nous 
doit  donner  du  courage.  Pourriez-vous  croire  qu'il 
se  trouve  des  opposants,  et  qu'il  y  en  a  qui  répon- 
dent que  les  opinions  relâchées  ne  sont  plus  soute- 
nues, et  qu'ainsi  il  faut  les  laisser  là  comme  mortes, 
sans  combattre  ce  qui  n'est  plus  qu'un  fantôme^  ? 


Lettre  2018.  —  i.  L'assemblée  du  Clergé 
■1.   Cf.  Ledieu,  t.  II,  p.  80,  etc. 


320  CORRESPONDANCE  |juili.  1700 

Pour  votre  préface \  je  l'ai  admirée,  el  votre 
modération  après  la  victoire',  qui  nous  oblige,  indé- 
pendamment et  au-dessus  de  tout  sentiment  humain , 
à  contenter  les  bonnes  âmes  et  à  fermer  la  bouche 
aux  contredisants.  Priez  Dieu  pour  nous,  afin  qu'il 
nous  donne  un  aussi  heureux  succès  que  nous  avons 
le  cœur  pur  de  tout  sentiment  humain.  Aimez  celui 
qui  est  tout  à  vous. 


2019.    l^^DME   PniOT   A    ROSSUET. 

En  Sorbonne,  le  il  juillet  1700. 

Monseigneur,  il  me  semble  qu'il  y  a  bien  du  temps  que  je 
n'ai  eu  de  vos  nouvelles.  Pardonnez-moi  si  je  débute  si  lami- 
lièrement  :  la  bonté  dont  vous  voulez  bien  me  faire  l'hon- 
neur d'en  user  avec  moi,  m'a  accoutumé  à  vous  parler  avec 
cette  liberté.  Depuis  le  jour  que  vous  me  marquâtes  que  vous 
me  donneriez  vos  ordres  (je  crois  qu'il  y  a  plus  de  trois 
semaines),  je  n'en  ai  reçu  aucun  de  vous.  Vous  m'aviez 
ordonné  de  regarder  l'autorité  des  évoques  dans  Gerson,  sur 
le  sujet  des  décisions  dans  la  censure  qu'ils  ont  droit  de  faire, 
dont  je  vous  avais  entretenu  autrefois  :  je  m'engageai  à 
revoir  ce  qu'il  en  avait  dit  dans  son  traité  De  examinaiione 
doctrinarum.  Je  le  fis  aussi,  et  j'étais  tout  prêt  à  vous  en 
rendre  compte  sur  le  premier  ordre  ;  apparemment  vous 
aurez  vous-même  voulu  examiner  la  chose.  Si  cela  n'était  pas, 

3.    La  préface  de  l'édition  bénédictine  de  .saint  Augustin. 

/i.  Le  Saint  Office,  le  a  juin  1700,  condamnait  trois  libelles  des 
adversaires  des  Bénédictins  :  Lettre  de  l'abbé  de  ***  aux  R.  R.  Béné- 
dictins, etc.  ;  Lettre  d'un  Bénédictin  non  réformé,  etc.  ;  Lettre  d'un 
itbbé  commcndataire.  Le  décret  en  fut  publié  le  7  juin.  Voir 
\.-M.-P.  Ingold,  Histoire  de  l'édition  bénédictine,  I^aris,  igoS,  in-8, 
p.  ia4.  ^ 

Lettre  2019.  —  L.  a.  s.  Collection  Dumas,  à  Bordeaux. 


juin.  1700]  DE   BOSSUET.  821 

j'y  suppléerai  aisément  quand  il  vous  plaira  :  en  attendant, 
vous  pourrez  aisément  voir  ce  que  dit  cet  auteur,  particuliè- 
rement dans  deux  endroits  où  il  traite  cette  matière  ex  pro- 
fessa. Le  premier  est  dans  la  première  partie  de  ses  ouvrages, 
dans  son  traité  De  examinalione  doctrinaram^.  Partie  pre- 
mière. Considération  m,  où  il  marque  le  pouvoir  des  évoques 
de  Caire  dans  leurs  diocèses  un  article  de  foi,  en  usant  avec 
les  précautions  convenables.  L'autre  est  dans  la  quatrième 
partie  de  ses  Œuvres,  page  228,  où  en  un  feuillet  il  établit 
sa  doctrine  de  Propositionibus  ah  episcopo  hseredcandis^,  et 
marque  en  quelle  occasion  un  évèque  doit  user  du  pouvoir 
qu'il  a  de  déclarer  une  proposition  hérétique. 

Si  grand  qu'on  dit  que  soit  le  secret  que  les  prélats  se  sont 
promis  sur  la  liste  des  propositions  à  condamner,  tout  le 
monde  ne  laisse  pas  d'en  parler  ici.  On  dit  qu'il  y  a  un 
cahier  imprimé,  de  160  p.,  et  qu'il  fut  donné  à  toute  l'Assem- 
blée lundi  dernier.  Je  croyais  que  vous  m'eussiez  dit  que 
vous  me  donneriez  des  ordres  sur  cela  ;  cependant  je  n'en  ai 
rien  su,  et  juscju'à  présent,  je  n'ai  point  vu  l'iinprimé,  et  ne 
sais  de  quoi  il  s'agit.  Vous  savez,  Monseigneur,  que  je  ne  me 
mêle  de  rien,  si  on  ne  m'y  lait  entrer,  et  avec  un  autre  même 
je  n'en  parlerais  pas  :  ce  n'est  que  l'attachement  que  j'ai  à 
votre  personne,  et  que  j'aurai  toujours  inviolablement,  qui 
me  lit  vous  olFrir  tout  ce  qui  serait  à  ma  portée.  Je  ne  doute 
pas  que  vous  ne  soyez  l'âme  de  tout  ce  qui  se  fait,  et  que  tout 
ne  se  décide  uniquement  par  vos  conseils.  Vous  savez  qu'en 
quelque  temps  que  ce  soit,  et  pour  quelque  aflaire  qui  puisse 
être  de  mon  ressort,  personne  n'est  si  absolument  en  votre 
main  que  moi.  Pardon  de  toutes  mes  libertés;  je  n'en  suis 
pas  avec  un  respect  moins  profond.  Monseigneur,  votre  très 
humble  et  très  obéissant  serviteur. 

PmoT. 

I.  J.   Gersonii  Opéra  oinnia,  édit.  Ellies  du  Pin,    Anvers,  in-Fol. 
1706,  t.  1,  p.  9. 

a    Ibid..  t.  II,  p.  287. 


XII 


322  CORRESPONDANCE  [jui 


2020.   —  A  Robert  Nelson. 

A  Saiut-Gerniaiu-en-Laye,  "îk  juillet  1700. 

J'ai  reçu,  Monsieur,  depuis  quinze  jours,  une 
lettre  dont  vous  m'honorez,  de  Blackheath',  auprès 
de  Londres,  le  i8  juillet  de  l'année  passée,  en 
m'envoyant  un  livre  du  Docteur  Bullus^,  intitulé  : 

Lettre  2020.  —  Cette  lettre  Fut  imprimée  pour  la  première  fois 
en  tète  d'un  écrit  de  Bull,  The  Corruptions  of  the  Church  of  Rome. 
qui  d'abord  fit  partie  d'un  recueil  intitulé  Several  letters  which  passed 
between  Dr  G.  Hickes  and  a  popisli  Priest.  Londres,  1706,  in-8.  L'écrit 
de  Bull  fut  ensuite  publié  séparément  (Londres,  1707,  in-a^),  mais  la 
lettre  de  Bossuet  n'y  figure  que  traduite  en  anglais.  L'original  a  été 
reproduit  par  R.  Nelson  (^The  Life  of  Dr  George  Bull,  Londres,  t7i3, 
in-8,  p.  385)  et  par  le  Rév.  J.  Mudry,  dans  sa  version  de  Bull, 
Londres,  i8l\8,  in-12.  Un  extrait  de  notre  lettre  a  trouvé  place  dans 
le  Dictionnaire  de  Ghauffepié,  t.  H,  p.  ôog,  mais  traduit  sur  la  ver- 
sion anglaise  de  Bull.  —  Sur  Robert  Nelson,  on  peut  voir  notre 
tome  V,  p.  875. 

I.  Blackheath  (comté  de  Kent,  au  sud  de  Creenwicli),  hameau 
environné  de  châteaux  et  de  villas,  lieu  de  promenade  des  habitants 
de  Londres,  d'où  l'on  jouit  d'une  belle  vue  sur  la  capitale. 

3.  Georges  Bull  (i634-i7to),  théologien  de  l'Église  anglicane, 
fut  pourvu  de  différents  bénéfices,  puis  nommé  à  révèciié  de  Saint- 
David  en  1705.  Ses  principaux  écrits  ont  été  recueillis  :  Opéra 
omnia,  cura  Jo.  Ern.  Grabe,  Londres,  1708,  in-Pol.  On  y  voit  entre 
autres  la  Defensio  Jldei  Nicsenx  de  œ tenta  divinilate  Filii  Dei,  Oxford, 
i685,  in-?^.  Après  la  mort  du  Dr  Bull,  on  publia  :  Some  important 
points  of  primitive  christianity  maintained  and  dcfended  in  several  ser- 
mons and  other  discours,  Londres,  I7i3,  4  vol.  in-8,  avec  la  Vie  di> 
l'auteur  par  Robert  Nelson.  La  Defensio  fidei  Nicœnœ  fut  très  favora- 
blement accueillie  par  les  catholiques  (cf.  t.  III,  p.  455).  Cependant 
Richard  Simon  (Lettres,  t.  I,  p.  21)  remarque  que  l'auteur  attaque 
violemment  le  P.  Petau,  et  qu'il  se  préoccupe  moins  de  justifier  la  fo 
des  Pères  de  Nicée  que  de  combattre  la  doctrine  de  la  transsubstan- 
tiation. De  son  côté,  Huet,  tout  en  louant  l'intention  de  Bull,  blàrae 
sa  méthode  et  l'accuse  de  parti  pris.  «  Visus  enim  est  nimium  oouXsJeiv 
xrj  u;:oOca£i,  et  non  tara  quid  censuerint  Patres  illi  quam  quid  censere 

X 

1 


il 


juin.  1700]  .    DE  BOSSUET.  320 

Judiciam  Ecclesise  catholicae\  etc.  Je  vous  dirai 
d'abord,  Monsieur,  que  je  ressentis  beaucoup  de  joie 
à  la  vue  de  votre  écriture  et  de  votre  nom,  et  que  je 
fus  ravi  de  cette  marque  de  votre  souvenir.  Quant 
à  l'ouvrage  du  Docteur  Bullus,  j'ai  voulu  le  lire 
entier,  avant  que  de  vous  en  accuser  la  réception, 
afin  de  vous  en  dire  mon  sentiment.  Il  est  admirable, 
et  la  matière  qu'il  traite  ne  pouvait  être  expliquée 
plus  savamment  et  plus  à  fond.  C'est  ce  que  je  vous 
supplie  de  vouloir  bien  lui  faire  savoir,  et  en  même 
temps  les  sincères  congratulations  de  tout  le  Clergé 
de  France  assemblé  en  cette  ville,  pour  le  service 
qu'il  rend  à  l'Eglise  catholique  en  défendant  si  bien 
le  jugement  qu'elle  a  porté  sur  la  nécessité  de  croire 
la  divinité  du  Fils  de  Dieu.  Qu'il  me  soit  permis 
de  lui  dire  qu'il  me  reste  un  seul  sujet  d'étonne- 
ment  :  c'est  qu'un  si  grand  homme,  qui  parle  si 
bien  de  l'Eglise,  du  salut  que  l'on  ne  trouve  qu'en 
son  unité,  et  de  l'assistance  infaillible  du  Saint- 
Esprit  dans  le  concile  de  Nicée,  ce  qui  induit  la 
même  grâce  pour  tous  les  autres  assemblés  dans  la 
même  Eglise,  puisse  demeurer  un  seul  moment  sans 
la  reconnaître  ;  ou  bien.  Monsieur,  qu'il  daigne  me 
dire,  comme  à  un  zélé  défenseur  de  la  doctrine  qu'il 
enseigne,  ce  que  c'est  donc  qu'il  entend  parce  mot 
Eglise  catholique.  Est-ce  l'Eglise  romaine  et  celles 
qui  lui  adhèrent.*^  Est-ce  l'Eglise  anglicane?  Est-ce 

ilebuerint  quaesivisse  ..  »  (Au  cardinal  d'Aguirre,  Bibl.  Nationale, 
lai.,  II  433,  t'o  5/47).  Voir  Niceron,  t.  l,  et  la  National  Biography. 

3.  Judicium  Ecclesix  cathoUcœ  triuin  primorum  secalorum  de  neccs- 
sltate  credendi  quod  Dominas  Noster  Jésus  Christus  sit  veias  Deus  asser- 
tnm  contra  M.  Simonem  Episcopium  aliosque,  Oxford,  1696,  in-8. 


324  CORRESPONDANCE  [juill.  1700 

un  amas  confus  de  sociétés  séparées  les  unes  des 
autres  ?  Et  comment  peuvent-elles  être  ce  royaume 
de  Jésus-Christ,  non  divisé  en  lui-même  et  qui 
aussi  ne  doit  jamais  périr  ?  Que  je  seiai  consolé 
d'avoir  sur  ce  sujet  un  mot  de  réponse  qui 
m'explique  le  sentiment  d'un  si  grave  auteur  \' 

Je  suis  très  aise,  Monsieur,  d'apprendre  dans 
votre  lettre  d'heureuses  nouvelles  de  la  santé  de 
Mme  votre  femme  \  que  je  recommande  de  bon 
cœur  à  Dieu  avec  vous  et  votre  famille. 

Ceux  qui  vous  ont  raconté  les  rares  talents  de 
M.  l'archevêque  de  Paris,  aujourd'hui  le  cardinal  de 
i\oail!es,  vous  ont  dit  la  vérité  :  il  y  a  longtemps 
que  la  chaire  de  saint  Denis  n'a  été  si  dignement 
remplie. 

Si  M.  Collier  ^  dont  vous  me  parlez,  a  fait  quelque 


4.  La  réponse  à  ces  questions  fut  remise  k  Nelson  au  moment  où 
lui  parvenait  la  nouvelle  de  la  mort  de  Bossuet.  G  est  IVcrit  men- 
tionné plus  haut  :  The  Corruptions  of  the  Church  of  Rome  in  relation 
to  ecclesiaslical  Government,  the  rule  of  faith  and  form  of  dioine 
Worship.  in  answer  tho  the  Dishop  of  Meaax's  queries  (Cf.  la  Revue 
Bossuet  du  25  juillet  igoS,  p.  i38  et  suiv.). 

5.  Mme  Nelson  s'était  convertie  en  i683,  et  avait  abjuré  entre  les 
mains  de  Bossuet;  son  frère,  Georges  Berkeley  demanda  un  sauf- 
conduit  par  l'entremise  de  ce  prélat  (Cf.  l.  V,  p.  876). 

(j.  Jérémie  Collier  (1630-1726),  théologien  anglican,  qui  soutint  les 
droits  de  Jacques  II  détrôné,  et  fut,  pour  ce  fait,  en  b'Ile  aux  poui- 
suites  des  Orangistes.  Sur  plusieurs  points,  il  se  rapprochait  de  l'Eglise 
romaine,  et  peut  être  considéré  comme  un  précurseur  du  Dr  Pusey.  Il 
est  auteur  de  divers  ouvrages,  pirmi  lesquels  on  remarque  rEcc/esiosi/- 
calhistory  of  Great  Brilain.  Londres,  [708- 171^,  a  vol.  in-fol.  On  a  vu 
(t.  VI,  p.  295)  qu'il  avait  traduit  en  anglais  les  Maxim- s  et  réflexions 
sur  la  Comédie,  et  combattu  l'immoralité  du  théâtre  anglais  (Voir  Ma- 
caulay,  Comic  dramatists  of  the  Resloration,  dans  les  Crilical  an  ^his- 
torical  essays,  l^ondres,  i85o,  in-8,  p.  57^  et  suiv.,  ouvrage  traduit  par 
M.  Guillaume  Guizot,  Essais  littéraires,  Paris,   i865,   in-8,    p.    19a   à 


I 


sept.  1700]  DE   BOSSU  ET.  826 

écrit  lalin  sur  la  nouvelle  spiritualité,  vous  m'obli- 
gerez de  me  l'envoyer.  Mais  sur  tout  n'oubliez 
jamais  que  je  suis  avec  beaucoup  de  sincérité,  Mon- 
sieur, votre  très  humble  et  très  obéissant  ser- 
viteur. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Sascription  :  A  Monsieur  Nelson,  à  Blackheath. 


•2021.  —  Leibniz  a  Bossuet. 

A  Brunswick,  3  septembre  1700. 

Monseigneur, 
Votre  lettre  du  i"  juin  ne  m'a  été  rendue  qu'à  mon  refour 
de  Berlin,  où  j'ai  été  plus  de  trois  mois,  parce  que  Mgr 
l'Électeur  de  Brandebourg  m'y  a  fait  appeler,  pour  contribuer 
à  la  fondation  d'une  nouvelle  société  pour  les  sciences*,  dont 
S.  A.  É.  veut  que  j'aie  soin.  J'avais  laissé  ordre  qu'on  ne 
m'envoyât  pas  les  paquets  un  peu  gros  ;  et  comme  il  y  avait 
un  livre  dans  le  vôtre,  on  l'a  fait  attendre  plus  que  je  n'eusse 
voulu.  C'est  de  la  communication  de  ce  livre  encore  que  je 
vous  remercie  bien  fort  ;  et  je  trouve  que,  par  les  choses  et 
par  le  bon  tour  qu'il  leur  donne,  il  est  merveilleusement 
propre  pour  le  but  où  il  est  desliné,  c'est-à-dire  pour  ache- 
ver ceux  qui  chancellent.  Mais  il  ne  l'est  pas  tant  pour  ceux 

ao4  ;  G.  F.  Secretan,  Memoirs  of  the  life  and  limes  of  the  pioas  Robert 
Nelson.  Londres,  1860,  in-8,  p.  69  et  1 1  7  ;  la  Mntional  Biography,  etc.). 
Il  ne  paraît  pas  qu'il  ait  écrit  sur  le  qniélisme. 

Lettre  2021.  —  Minute  autojjr.iplie,  Hanovre,  Papiers  de  Leibniz, 
<*  388.  Imprimée  d'abord  dans  les  OEaures  posthumes  de  Bossuet, 
t.  I,  p.  5io.  Dans  la  collection  Henri  de  Rotbschild,  se  trouve  une 
copie  de  cette  lettre,  par  Ledieu. 

I.  Il  s'agit  de  l'Académie  de  Berlin,  Fondée  par  l'électeur  Frédé- 
ric, qui,  le  10  janvier  suivant,  devait  se  faire  couronner  en  qualité  de 
premier  roi  de  Prusse.  Leibniz  fut  le  président  de  cette  sociéii' 
savante. 


326  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

qui  sont  dans  une  autre  assielle  d'esprit"^,  et  qui  opposent  à 
vos  préjugés  de  belle  prestance  d'autres  préjugés  qui  ne  le 
sont  pas  moins,  ou  la  discussion  même,  qui  prévaut  à  tous 
les  préjugés^.  Cependant  il  semble,  Monseigneur,  que  l'habi- 
tude que  vous  avez  de  vaincre  vous  fait  prendre  toujours  des 
expressions  qui  y  conviennent*.  Vous  me  prédisez  que  l'équi- 
voque de  canonique  se  tournera  enfin  contre  moi.  Vous  me 
demandez  à  quel  propos  je  vous  parle  de  la  force,  comme 
d'un  moyen  de  finir  le  schisme.  Vous  supposez  toujours  qu'on 
reconnaît  que  l'Eglise  a  décrété^  ;  et,  après  cela,  vous  inférez 
qu'on  ne  doit  point  toucher  à  de  telles  décisions. 

Mais,  quant  aux  livres  canoniques,  il  faudra  se  remettre  à 
la  discussion  où  nous  sommes  ;  et  quant  à  l'usage  de  la  force 
et  des  armes,  ce  n'est  pas  la  première  fois  que  je  vous  ai  dit, 
Monseigneur,  que,  si  vous  voulez  que  toutes  les  opinions 
qu'on  autorise  chez  vous  soient  reçues  partout  comme  des 
jugements  de  l'Église,  dictés  par  le  Saint-Esprit,  il  faudra 
joindre  la  force  à  la  raison. 

En  disputant,  je  ne  sais  si  on  ne  pourrait  pas  distinguer 
entre  ce  qui  se  dit  ad  populum,  et  entre  ce  dont  pourraient 
convenir  des  personnes  qui  font  profession  d'exactitude.  Il 
faut  ad  populum  phaleras^.  J'y  accorderais  les  ornements,  et 
je  pardonnerais  même  les  suppositions  et  pétitions  de  prin- 
cipe :  c'est  assez  qu'on  persuade.  Mais,  quand  il  s'agit  d'ap- 
profondir les  choses  et  de  parvenir  à  la  vérité,  ne  vaudrall-il 
pas  mieux  de  convenir  d'une  autre  méthode,  qui  approche 
un  peu  de  celle  des  géomètres,  et  de  ne  prendre  pour  accordé 
que  ce  que  l'adversaire  accorde  effeclivement,  ou  qu'on  peut 
dire  d'avoir  déjà  prouvé^  par  un  raisonnement  exact?  C'est 
de  cette  méthode  que  je  souhaiterais  de  me  pouvoir  servir. 

3.  Edit.  :  pour  iichever  ceux  qui  sont  dans  une  autre  assiette 
d'esprit. 

3.  Edit.  :  qui  vaut  mieux  que  tous  les  prt^jugés. 

4.  Convenables  à  un  vainqueur. 

5.  Édit.  :  décidé. 

6.  Pers.,  SaL,  III,  37.  » 

7.  Edit.  :  ou  ce  qu'on  peut  dire  déjà  prouvé. 


sf'pt.  1700]  DE  BOSSUET.  827 

Elle  retranche  d'abord  tout  ce  qui  est  choquant  ;  elle  dissipe 
les  nuages  du  beau  tour,  et  fait  cesser  les  supériorités  que 
l'éloquence  et  l'autorité  donnent  aux  grands  hommes,  pour 
ne  faire  triompher  que  la  vérité. 

Suivant  ce  style,  on  dirait  qu'un  tel  concile  a  décidé  ceci 
ou  cela  ;  mais  on  ne  dira  pas  que  c'est  le  jugement  de 
l'Église,  avant  que  d'avoir  montré  qu'on  a  observé,  en  don- 
nant ce  jugement,  les  conditions  d'un  concile  légitime  et 
œcuménique,  ou  que  l'Église  universelle  s'est  expliquée  par 
d'autres  marques  ;  ou  bien,  au  lieu  de  dire  l'Église,  on  dirait 
l'Église  romaine. 

Pour  ce  qui  est  de  la  réponse  que  vous  nous  avez  donnée 
autrefois.  Monseigneur,  voici  de  quoi  je  me  souviens.  Vous 
aviez  pris  la  question  comme  si  nous  voulions  que  vous  deviez 
renoncer  vous-mêmes  aux  conciles  que  vous  l'econnaissez,  et 
c'est  sur  ce  pied-là  que  vous  répondîtes  à  M.  l'abbé  de  Loc- 
cum*.  Mais  je  vous  remontrai  fort  distinctement  qu'il  ne 
s'agissait  pas  de  cela,  et  que  les  conciles,  suivant  vos  propres 
maximes,  n'obligent  point  là  où  des  grandes  raisons  empê- 
chent qu'on  les  reçoive  ou  reconnaisse  ;  et  c'est  ce  que  je  vous 
prouvai  par  un  exemple  très  considérable.  Avant  que  d'y 
répondre,  vous  demandâtes.  Monseigneur,  que  je  vous 
envoyasse  l'acte  public  qui  justifiait  la  vérité  de  cet  exemple. 
Je  le  fis,  et  après  cela  le  droit  du  jeu  était  que  vous  répon- 
dissiez conformément  à  l'état  de  la  question  qu'on  venait  de 
former.  Mais  vous  ne  le  fîtes  jamais  ;  et  maintenant  (par 
oubli  sans  doute),  vous  me  renvoyez  à  la  première  réponse, 
dont  il  ne  s'agissait  plus. 

Vous  avez  raison  de  me  sommer  d'examiner  sérieusement 
devant  Dieu  s'il  y  a  quelque  bon  moyen  d'empêcher  l'état  de 
rÊglise  de  devenir  éternellement  variable  ;  mais  je  l'entends  en 
supposant  qu'on  peut,  non  pas  changer  ses  décrets  sur  la  foi, 
et  les  reconnaître  pour  des  erreurs,  comme  vous  le  prenez, 
mais  suspendre  ou  tenir  pour  suspendue  la  force  de  ses  déci- 

8.  Voir  t.  V,  p.  38,  p.  344,  et  t.  VI,  p.  3o  et  suiv.,  et 
p.  334. 


328  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

sions,  en  certains  cas^  ;  en  sorte  que  la  suspension  ait  lieu, 
non  pas  entre  ceux  qui  les  croient  émanées  de  l'Église,  mais 
à  l'égard  d'autres,  afin  qu'on  ne  prononce  point  anathème 
contre  ceux  à  qui,  sur  des  raisons  très  apparentes,  cela  ne 
paraît  point  croyable,  surtout  lorsque  plusieurs  grandes 
nations  sont  dans  ce  cas,  et  qu'il  est  dilTicile  de  parvenir 
autrement  à  l'union  sans  des  bouleversements  qui  entraînent 
non  seulement  une  terrible  elTusion  de  sang,  mais  encore  la 
perle  d'une  infinité  d'âmes. 

Hé  bien  !  Monseigneur,  employez-y  plutôt  vou'^-mème  vos 
méditations  et  ce  grand  esprit  dont  Dieu  vous  a  doué  :  rien 
ne  le  mérite  mieux.  A  mon  avis,  ce  bon  moyen  d'empêcher 
les  variations  est  tout  trouvé  chez  vous,  pourvu  qu'on  le 
veuille  employer  mieux  qu'on  n'a  fait,  comme  personne  ne 
le  peut  faire  mieux  que  vous-même.  Il  faut  être  circonspect'", 
et  on  ne  saurait  l'être  trop,  pour  ne  point  faire  passer  pour 
le  jugement  de  l'Eglise  que  ce  qui  en  a  les  caractères  indu- 
bitables ;  de  peur  qu'en  recevant  trop  légèrement  certaines 
décisions,  on  expose  et  affaiblisse  par  là  l'autorité  de  l'Église 
universelle,  plus  sans  doute  incomparablement  que  si  on 
les  rejetait  tout  à  fait  comme  non  prononcées  ;  ce  qui  ferait 
tout  demeurer  sauf  et  dans  son  entier  :  d'où  il  est  manifeste 
qu'il  vaut  mieux  être  trop  réser\é  là-dessus  que  trop  peu. 
Tôt  ou  tard  la  vérité  se  fera  jour,  et  il  faut  craindre  que  lors- 
qu'on croira  d'avoir  tout  gagné,  quand  c'est  par  des  mauvais 
moyens,  on  aura  tout  gâté,  et  fait  au  christianisme  même  un 
tort  dilTicile  à  réparer.  Car  il  ne  faut  pas  se  dissimuler  ce  que 
tout  le  monde,  en  France  et  ailleurs,  pense  et  dit  sans  se 
contraindre,  dans  les  livres  et  dans  le  public.  Ceux  qui  sont 
véritablement  chrétiens  et  catholiques  en  doivent  être  tou- 
chés, et  doivent  encore  souhaiter  qu'on  ménage  extrêmement 
le  nom  et  l'autorité  de  l'Église,  en  ne  lui  attribuant  que  des 
dérisions  bien  avérées,  afin  que  ce  beau  moyen  qu'elle  nous 

f).    Le-i  mots  :    et  à  certains    égards,    ajoutas  toi    par    les  «éditions, 
manquent  à  la  minnte. 
10.    Kdit    :  C'est  qu'il  Faut  être  circonspect. 


sept.  1700]  DE   BOSSUET.  829 

fournit  d'apprendre  la  vérité  garde  sans  falsification  toute  sa 
pureté  et  loiile  sa  force,  comme  le  cachot  du  Prince  et  comme 
la  monnaie  dans  un  État  bien  policé  ;  et  ils  doivent  compter 
pour  un  grand  bonheur  et  pour  un  coup  de  la  Providence 
que  la  nation  gallicane  ne  s'est  pas  encore  précipitée  par 
aucun  acte  authentique,  et  qu'il  y  a  tant  de  peuples  qui  s'op- 
posent à  certaines  décisions  de  mauvais  aloi. 

Jugez  vous-même.  Monseigneur,  je  vous  en  conjure,  les- 
quels sont  meilleurs  catholiques,  ou  ceux  qui  ont  soin  de  la 
réputation  solide  de  l'Église'*  et  de  la  conservation  du  chris- 
tianisme, ou  ceux  qui  en  abandonnent  l'honneur,  pour 
maintenir,  au  péril  de  l'Église  même  et  de  tant  de  millions 
d'âmes,  les  thèses  qu'on  a  épousées  dans  le  parti.  Il  semble 
encore  temps  de  sauver  cet  honneur,  et  personne  y  peut  plus 
que  vous.  Aussi  ne  crois-je  pas  qu'il  y  ait  personne  qui  v 
soit  plus  engagé  par  des  liens  de  conscience,  puisqu'un  jour 
on  vous  reprochera  peut-être  qu'il  n'a  tenu  qu'à  vous  qu'un 
des  plus  grands  biens  ait  été  obtenu.  Car  vous  pouvez  beau- 
coup auprès  du  Roi  dans  ces  matières,  et  l'on  sait  ce  que  h' 
Roi  peut  dans  le  monde.  Je  ne  sais  si  ce  n'est  encore  l'intérêl 
de  Rome  même  :  toujours  est-ce  celui  de  la  vérité. 

Pour(|uoi  porter  tout  aux  extrémités,  et  pourquoi  récuser 
les  voies  qui  paraissent  seules  conciliables  avec  les  propres  et 
grands  principes  de  la  catholicité,  et  dont  il  y  a  même 
exemple'-  ?  Est-ce  qu'on  espère  que  son  parti  l'emportera  de 
haute  lutte?  Mais  Dieu  sait  quelle  blessure  cela  fera  au  chris- 
tianisme. Est-ce  qu'on  craint  de  se  faire  des  affaires?  Mais, 
cuire  que  la  conscience  passe  toutes  choses,  il  me  semble  que 
vous  savez*'  dos  voies  sûres  et  solides  pour  faire  entrer  les 
puissances  dans  les  intérêts  de  la  vérité.  Enfin,  je  crains  do 
dire  trop  quand  je  considère  vos  lumières,  et  pas  assez  quand 
je  considère  l'importance  de  la  matière.  Il  faut  donc  en  aban- 
donner le  soin  et  l'effet  à  la  Providence,  et  ce  qu'elle  fera  sera 


I.   Édit.  :  la  réputation  solide  et  pureté  de  l'Église, 
des  exemples, 
il  semble  que  vous  avez. 


12.  Édit. 
i3.  Édit. 


33o  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

le  meilleur,  quand  ce  serait  de  faire  durer  et  augmenter  nos 
maux  encore  pour  longtemps.  Cependant  11  faut  que  nous 
n'ayons  rien  à  nous  reprocher.  Je  fais  tout  ce  que  je  puis,  et 
quand  je  ne  réussis  pas,  je  ne  laisse  pas  d'être  très  content. 
Dieu  fera  sa  sainte  volonté,  et  moi,  j'aurai  fait  mon  devoir. 
Je  prie  la  divine  bonté  de  vous  conserver  encore  longtemps, 
et  de  vous  donner  les  occasions,  aussi  bien  que  la  pensée  de 
contribuer  à  sa  gloire,  autant  qu'il  vous  en  a  donné  les 
moyens.  Et  je  suis,  Monseigneur,  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur. 

Leibniz. 

P.  S.  Mon  zèle  et  ma  bonne  intention  ayant  fait  que  je 
lue  suis  émancipé  un  peu  dans  cette  lettre,  j'ai  cru  que  je  ne 
ménageais  pas  assez  ce  que  je  vous  dois,  si  je  la  faisais  passer 
sous  d'autres  yeux  en  la  laissant  ouverte.  J'ajoute  encore  seu- 
lement que  toutes  nos  ouvertures  viennent'*  de  votre  parti 
même.  Nous  n'en  sommes  pas  les  inventeurs.  Je  le  dis,  afin 
(ju'on  ne  croie  point  qu'un  point  d'honneur  ou  de  gloire 
m'intéresse  à  les  pousser.  C'est  la  raison,  c'est  le  devoir. 


2022.  —  A  DoM  Jean   Mabillon. 

A  Saint-Germain,  3  septembre  1700. 

Je  VOUS  rends  grâces,  mon  Révérend  Père,  et  je 
vous  prie  en  même  temps  de  faire  mes  remercî- 
menls  au  Révérendissime  Père  général  du  beau  pré- 
sent* que  vous  m'annoncez.  J'en  ai  déjà  vu  la  pré- 
face'', qui  est  admirable,  et  j'ai  grande  impatience 
de  voir  le  reste. 

i4     Edit.  :  nos  ouvertures  ou  propositions  viennent. 
Lettre  2022.  —  L.  a.  s.  Collection  Gràtz,  h  Philadelphie. 

1.  Les  œuvres  de  saint  Augustin,  de  l'édition  des  Bénédictins.  ^ 

2.  En  manuscrit  (Voir  plus  haut,  p.  v'?2o). 


sept.  1700]  DE   BOSSUET.  '331 

Vos  prières  pour  l'heureux  succès  de  notre 
assemblée  ont  eu  leur  effet,  puisque  la  grande 
affaire  de  la  doctrine  finira  demain  heureusement, 
s'il  plaît  à  Dieu,  et  avec  un  consentement  una- 
nime ^  Vous  savez  qu'en  telles  matières,  la  dernière 
journée  n'est  pas  la  moins  importante  ;  ainsi  je  vous 
demande  la  continuation  de  vos  prières,  et  suis  avec 
cordialité  et  vénération  très  parfaitement  à  vous. 
J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Suscription    :    Le    Révérend    Père     Mabillon,    à 
Saint-Germain-des-Prés,  à  Paris. 


202.H.  —  A  l'Abbé  de  Rangé. 

A  Saint-Germain,  16  septembre  1700. 

Monsieur  de  Séez*,  votre  cher  évêque,  se  charge, 
Monsieur,  de  vous  envoyer  avec  cette  lettre  un 
exemplaire  de  la  Relation  sur  l'affaire  de  Cambrai, 
et  un  de  la  censure  de  notre  Assemblée^.  Je  ne  doute 

3.   Cf.  Ledieu,  t.  Il,  p.  i33.  Voir  p.  iJ8o. 

Lettre  2023.  —  Copie  anthentique,  Blbliotlièque  Nationale, 
Fr.    i5i8o. 

(.    Louis  d'.Vquiii,  passé  de  Fréjus  à  Séez,  comme  on  l'a  dit,  p.  85. 

2.  La  relation  présentée  par  Bossuet  à  l'assemblée  de  1700,  et  la 
censure  portée  par  cette  assemblée  contre  les  casuistes  :  Relation  des 
actes  et  délibérations  concernant  la  constitution  fin  forme  de  bref  de 
\.  S.  P.  le  Pape  Innocent  XII,  du  douzième  mars  iGgg,  portant  con- 
damnation et  prohibition  du  livre  intitulé  Explication  des  maximes  des 
saints  sur  la  vie  intérieure  par  Messire  Fr.  de  Salignac  Fénelon...,  avec 
la  délibération  prise  sur  ce  sujet  le  33  juillet  i yoo,  dans  l'Assemblée 
(jénérale  du  Clergé  de  France  à  Saint-Germain-enLaye,  Paris,  1700, 
in-4.  —  Censura  et  declaratio  conventas  generalis  cleri  gallicani  congre 
gati   in  palatio   regio    San-Germano,    anno    lyoo,    in   materia  Jldei  et 


332  CORRESPONDA.NGE  [sept   1700 

pas  que  vous  ne  rendiez  grâce  à  Dieu  de  nous  avoir 
inspiré  ces  deux  choses,  qui  seront,  s'il  plaît  à  Dieu, 
utiles  à  l'Eglise.  Il  me  resterait  une  chose  à  faire, 
qui  serait  la  consolation  de  vous  aller  voir'  ;  mais  je 
crains  d'être  privé  celte  année  de  celte  joie  par  le 
besoin  que  j'ai  d'aller  chez  moi,  après  quatre  mois 
d'absence,  sans  presque  avoir  eu  le  temps  de  pour- 
voir aux  affaires  de  mon  diocèse.  Aimez-moi  tou- 
jours. Monsieur,  et  soyez  persuadé  de  mon  invio- 
lable attachement  à  votre  personne  et  à  la  sainte 
maison. 


2024.   —  Circulaire  aduessée    au  Clergé. 

Monsieur, 
Nous  vous  envoyons  un  règlement'  que  nous  avons 
cru  devoir  faire  pour  empêcher  les  évêques  d'être 
surpris  dans  les  permissions  qu'ils  donnent  de  prê- 
cher et  de  confesser  dans  leurs  diocèses,  aux  reli- 
gieux qui  leur  sont  présentés  par  leurs  supérieurs. 

morum.  ejnsdem  generalis  conuent.iis  jussu  publicalo  et  typis  édita,  Paris, 
1700,  in-/l. 

3.  Bossuet  ne  devait  plus  faire  le  voyage  de  la  Trappe  :  Rancr 
mourut  le  27  octobre  de  la  même  année. 

Lettre  2024.  —  L'.\ssemblée  du  Clerg-^,  ayant  adoptt^  au  sujet 
des  rt^guliers  un  règlement  proposé  par  l'archevêque  de  Reims, 
appnvé  par  l5ossuet,  charjjea  l'évèque  de  Meaiix  de  rédiger  In  lettre 
circulaire  par  laquelle  on  porterait  cette  ordonnance  à  la  connais- 
sance de  l'Église  de  France  {Procez  verbal  de  l'assemblée  (jéiiérnle  du 
Clergé  de  France  tenue  à  Saint-Gerinain-en-Laye.  au  Chdteau-ncuf.  en 
l'année  mil  sept  cent,  Paris,  1708,  in-Pol.,  p.  623,  séance  du  17  sep- 
tembre). 

I.    Le  texte  de  ce   règlement   est    imprimé    dans   le    procès-verbal. 

p.  /18q. 


sept.  1700]  DE    BOSSUET.  333 

L'Evangile  nous  appn  nd  que  les  trésors  célestes, 
tels  que  sont  la  prédication  de  la  parole  de  Dieu  et 
l'administration  du  sacrement  de  pénitence,  doivent 
être  mis  entre  des  mains  sûres,  et  distribués  à  cha- 
cun selon  sa  propre  vertu,  secundum  propriam  vir- 
tutem^  :  de  peur  que,  si  la  dispensation  de  ces  grâces, 
qui  font  toute  la  richesse  de  l'Eglise,  était  conimise 
indilTéremment  et  sans  connaissance  à  toute  sorte  de 
sujets,  elle  n'échut,  trop  facilement  et  contre  notre 
intention,  au  serviteur  inutile  qui  ne  saurait  pas  les 
faire  valoir.  C'est  pour  éviter  cet  inconvénient,  que 
plusieurs  prélats^  avaient  réglé  depuis  quelques 
années  que  les  religieux  qu'on  envoyeiait  pour  tra- 
vailler   dans    leurs    diocèses,   n'y  paraîtraient  pas 

a.  Matt.,  XXV,  i5.  Bossuet  ne  fait  que  répéter  ici  ce  qu'il  avait 
dit  dans  1'A.ssemblée,  le  ar  août.  «...  M^jr  l'évpqiie  de  Meaux,  chef 
de  la  commission,  a  dit  que  le  {gouvernement  ecclésiastique  se  réjjlait 
ou  par  le  droit  étroit  et  par  les  canons,  ou  par  la  condescendance  et 
par  l'équité  ;  qu'à  regarder  le  droit  et  les  canons,  il  n'y  a  rien  de 
mieux  établi  que  la  disposition  de  l'ordonnance  de  Mgr  l'archevêque 
de  Reims,  que  les  lettres  testimoniales  se  trouvaient  dès  l'origine  du 
christianisme  et  même  dans  les  Epîlres  de  saint  Paul  ;  que  c'est  pour 
cela  qu'il  demandait  aux  Gorintliieiis  :  Avons-nous  besoin  de  lettres  de 
recommandation  auprès  de  vous  ?  que,  lorsqu'il  s'agit  de  porter  à  Jéru- 
salem les  aumônes  des  Églises,  le  même  saint  1  au!  avait  expressé- 
ment marqué  qu'on  en  chargerait  ceux  qui  seraient  approuvés  par 
leurs  lettres,  quos  probareritis  per  epistolas  ;  que,  s'il  fallait  avoir  un 
bon  témoignage  pour  porter  des  trésors  temporels,  combien  plus  en 
avaient  besoin  ceux  qui  étaient  les  dispensateurs  des  grâces  spiri- 
tuelleî;  que  la  coutume  des  lettres  testimoniales  venait  même  par  la 
tradition  de  l'ancien  peuple  ;  que  le  même  saint  Paul  étant  arrivé  à 
Rome,  les  Juifs  lui  dirent  qu'ils  n'avaient  reçu  de  Judée  aucune 
lettre  ni  aucun  témoignage  contre  lui  ;  qu'il  n'était  pas  nécessaire  de 
marquer  dans  toute  la  suite  des  siècles  la  continuation  d'un  usage  si 
nécessaire  ;  que  les  religieux  ne  doivent  pas  être  exempts  de  cette 
obligation...  »  {Procez-veibal,  p.  diSS). 

3.  Les  archevêques  de  Reims  et  de  Rouen  j  les  évêques  de  Noyon, 
d'Arras  et  d'Amiens. 


334  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

sans  le  témoignage,  non  seulement  de  leurs  supé- 
rieurs par  rapport  à  la  régularité,  mais  encore,  et  à 
plus  forte  raison,  sans  celui  des  évêques  du  lieu  où  ils 
auraient  servi,  par  rapport  aux  fonctions  ecclésias- 
tiques. Quoique  ce  règlement  soit  très  sage, 
quelques  Ordres  religieux  ne  s'y  sont  pas  soumis, 
pour  des  raisons  que  nous  n'avons  pas  approuvées. 
La  nature  du  gouvernement  épiscopal,  qui,  pour  être 
tout  paternel,  doit  être  rempli  de  charité  et  de  dou- 
ceur, nous  a  engagés  à  chercher  des  tempéraments 
qui  pussent  en  même  temps  satisfaire  au  devoir  de 
nos  consciences  et  contenter  la  déhcatesse^  des  régu- 
liers, que  nous  chérissons  comme  nos  enfants.  C'est 
ce  qui  nous  a  portés  à  faire  un  nouveau  règlement, 
qui,  en  remédiant  à  un  mal  constant  et  trop  com- 
mun, ne  leur  donnera  pas  le  moindre  prétexte  de 
dire  qu'on  veuille  entamer  leurs  privilèges.  Nous 
vous  l'envoyons  avec  la  délibération  que  nous  avons 
prise  sur  ce  sujet  le  vingt-unième  du  mois  d'août 
dernier.  Vous  y  verrez  les  raisons  pour  lesquelles 
nous  avons  cru  devoir  réserver  aux  assemblées  plus 
nombreuses  que  celle-ci  ^  la  revue  des  anciens  règle- 
ments faits  pour  les  réguliers  dans  les  assemblées  de 
1625,  de  i635  et  de  i645.  Nous  avons  seulement 
jugé  à  propos  de  vous  prier  de  tenir  la  main  à  leur 
exécution  et  de  redoubler  vos  soins  pour  obliger  vos 

/i.  Délicatesse,  susceptibilité.  Fénelon  a  dit  :  «  Cette  délicatesse 
qui  vous  rend  si  facile  à  être  blessé  »  (Dialogues  des  morts,  XVII). 
Cf.  t.  II,  p.  378,  «  les  tendres  oreilles  des  Romains  ». 

5.  L'assemblée  de  1700  était  une  «  petite  assemblée  »,  et  n'av;..l 
l'té  convoquée  que  pour  la  reddition  quinquennale  des  comptes. 
Trente-six  membres  seulement  y  avaient  pris  part. 


sept.  1700]  DE  BOSSUET.  335 

diocésains  à  fréquenter  la  messe  et  l'office  paroissial  ; 
c'est  une  pratique  où  toute  l'Eglise,  et  nos  prédé- 
cesseurs en  particulier,  ont  fait  le  plus  consister  la 
piété  et  l'exercice  de  la  communion  ecclésiastique. 

Nous  sommes,  Monsieur,  vos  très  humbles  et  très 
affectionnés  serviteurs  et  confrères  les  archevêques, 
évêques  et  autres  ecclésiastiques  députés  en  l'Assem- 
blée générale  du  Clergé. 

Charles  M.,  arch.  duc  de  Reims,  président. 

Par  Nosseigneurs  de  l'Assemblée, 
L'abbé  Desmarets  ^  Sec™. 

A  Saint-Gennain-en-Laye,  le  17  septembre  1700. 


2025. ClRCULAIUE     ADRESSEE    AU    ClERGÉ. 

Cardinales ,  Archiepiscopi,  Episcopi  aliique  Ecclesia- 
stici  viri  permissione  regia  in  Regio  Palatio  San- 
Germano  congregati,  Cardinalibus,  Archiepiscopis . 
Episcopis,  et  universo  Clero  per  Gallias  consistenti. 
Salutem  in  Chris to. 

Fuit    is    pridem    décor     chrislianœ     disciplinae, 

6.  Vincent  François  Desmaretz,  fils  de  Jean  Desmaretz  et  de  ^Nlarie 
Golbert,  était  frère  de  Nicolas  Desmaretz,  directeur  des  finances, 
puis  contrôleur  général,  et  de  Jacques  Desmaretz,  évèque  de  Riez.  Il 
avait  servi  d'abord  dans  la  marine  et  avait  été  capitaine  de  vaisseau 
en  1677  sous  le  nom  de  M.  de  Vouzy.  Il  eut  en  1680  une  compagnie 
aux  gardes  françaises,  puis,  en  1687,  entra  dans  l'élut  ecclésiasti- 
que. 11  fut  agent  du  Clergé  en  1698,  et  il  était  grand  vicaire  de 
Kouen  pour  le  vicariat  de  Pontoise,  lorsqu'il  fut  nommé  évèque  de 
Saint-Malo  le  i5  avril  1702.  .Il  mourut  le  25  septembre  1789,  h 
quatre-vingt-un  ans.  Il  s'était  soumis  à  la  bulle  Unigenitus,  après  en 
avoir  appelé  (Voir  la  table  des  Nouvelles  ecclésiastiques  ;  Ogée, 
Dictionnaire  historique  de  la  Bretagne,  Nantes,  1778-1780,  a  vol.  ln-4)- 

Lettre  2025.  —  Publiée  dans  le  Procez-verbal  de  l'Assemblée  gêné- 


336  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

qiiem  bealus  Aposlolus  commendaret  his  verbis  : 
De  cœtero,  Fratres,  qusecamqae  sunt  vera,  quœ- 
rumque  pudica,  qiisec  unique  jus  ta,  quœcurnque  sancta, 
qusecumque  amabilia,  quœcurnque  bouse  faniœ,  si 
qua  virtus,  si  qua  laus  disciplinas,  hœc  cogilate\ 
Hsec  enim  illa  est  pulchritudo  juslilise  ;  hoc  veri 
studium  ;  is  splendor  sanctitatis  ;  haec  amabilitas 
morum  ;  haec  chrisliani  nominis  fama,  quae  ad 
Ghristum  omnia  facile  pertraheret  :  neque  ahud 
fuit  quo  scandalum  Crucis,  quo  praedicalionis  stul- 
titia  magis  nobihtari  posset.  Quare,  cum  ad  exlrema 
ventum  est  tempora,  in  quibus  décor  pristinus, 
imminuta  fide,  refrigescente  charilate,  labente  disci- 
pUna,  morum  corruptehs,  ac  denique,  ut  fit,  falla- 
cium  opinionum  illuvie  deteri  videbatur,  id  egcrunt 
omnes  pii  alque  ipsa  prœsertim  Ecclesia  Gallicana, 
ut  moralis  theologiœ  dignitatem  vindicarent.  Huic 
igitur  operi  ut  jam  vel  maxime  salutares  admovealis 
manus,  et  nostra  judicia  vestra  consensione  firmelis, 
communis  officii  ratio  et  charitatis  vinculum  et  Col- 
legii  noslri  unilas  et  auctoritas  suo  quodam  jure 
postulant. 

Et^  quidem  doctissimae   ac  celeberrima»  ïheolo- 


rale  du  Clergé  de  France  tenue  à  Saint-Germain-en-Laye ,  au  Château 
neuf,  en  Vannée  mil  sept  cent,  Paris,  1708,  in-fol.,  p.  617.  —  Bossuet 
avait  pris  une  part  préponcif'rante  clans  les  di'libf^ratioiis  qui  abouti- 
rent à  la  censure  de  cent  vingt-cinq  propositions.  L'.Vssemblt^e  lui 
(■onfia,  le  4  septembre,  le  soin  de  rédiger  la  circulaire  par  laquelle 
cette  censure  serait  notifiée  à  l'Église  de  France.  L'évèque  de  Meaux 
en  donna  lecture  le  16  septembre,  dans  la  séance  de  l'après-midi  ; 
elle  y  fut  approuvée  et  signée. 

r.   Philip.,  IV,  8. 

a.    Bossuet  va   rappeler  brièvement   les   mesures    pris(!s   contre   les 


sept.  1700]  DE   BOSSUET.  887 

gicœ  Facultates.  maxime  vero  Parisiensis  cum  Lova- 

casuistes.  Mis  en  éveil  par  les  Provinciales,  les  curés  de  Rouen 
demanderont  à  leur  arclievèque  de  condamner  ces  moralistes,  puis 
sollicitèrent  les  curés  de  Paris  de  s'associer  à  leurs  démarches. 
L'affaire  fut  déférée  à  l'Assemblée  du  Clergé  de  i655,  et  celle-ci, 
obligée  de  se  séparer  sans  avoir  eu  le  temps  de  prononcer  une  cen- 
sure, ordonna  du  moins,  sur  lu  rapport  de  Godeau,  évèque  de  Vence, 
d'envo.  er  dans  les  provinces  une  nouvelle  édition  des  Instructions  aux 
confesseurs,  de  saint  Charles  Borromée.  Mais,  bientôt  après,  parut  une 
Apologie  pour  les  casuistes  contre  les  calomnies  des  jansénistes  (Paris, 
1637,  in-4),  écrit  anonyme  du  P.  Georges  Pirot,  jésuite,  qui  souleva 
de  vives  protestations.  Les  curés  de  Rouen  adressèrent  à  leur  arche- 
vêque, contre  cet  ouvrage,  deux  lettres  vigoureuses  rédigées  par 
Gh.  du  Four,  curé  de  Saint-Maclou  et  abbé  d'Aulnay  (i(i58);  on 
répandit  sous  le  nom  des  curés  de  Paris  une  dizaine  d'écrits,  dont 
plusieurs  sont  dus  à  Pascal  ;  V Apologie,  condamnée  par  la  Faculté  de 
Paris  le  16  juillet  i658  et  par  un  grand  nombre  d'évèques  de  France 
à  la  sollicitation  de  leurs  curés,  fut  enfin  censurée  par  Alexandre  VII, 
le  ai  août  lôjg.  La  campagne  contre  la  morale  relâchée  recommença 
à  propos  d'une  réimpression  d'un  ouvrage  du  jésuite  espagnol  Mathieu 
de  Moya,  paru  sous  le  pseudonyme  d'\madaeus  Guimenius  (Opuseu/um 
singularia  uniuersœ  fere  theoloçjise  moralis  complectens,  Lyon,  i664, 
in-4).  Cet  ouvrage,  censuré  le  3  février  i665  parla  Faculté  de  Paris, 
fut  mis  à  l'Index  le  18  avril  1666,  bien  que,  dans  l'intervalle, 
Alexandre  VII  eût  condamné  la  censure  de  la  Sorbonne,  dont  le  gal- 
licanisme l'avait  mécontenté.  Les  casuistes  trouvèrent  un  autre  apo- 
logiste dans  la  personne  du  P.  Honoré  Fabri,  jésuite,  dont  un 
ouvrage  intitulé  Apologeticus  doclrime  moralis  Societatis  Jesu  (Lyon, 
1670,  in  fol.)  fut  mis  à  l'Index,  en  1672  et  1673  (Voir  :  Septième  écrit 
des  curés  de  Paris,  ou  Journal  de  tout  ce  qui  s'est  passé,  tnnt  à  Paris  que 
dans  les  provinces,  sur  le  sujet  de  la  morale  et  de  l'Apologie  des  casuistes, 
Paris,  1609,  in-i4  ;  le  P.  Annat,  Recueil  de  plusieurs  faussetés  et  impos- 
tures contenues  dans  l'imprimé  qui  a  pour  titre  :  Septième  écrit  des  curés, 
etc.,  Paris,  iGSg,  in-4  ;  les  Œuvres  de  Pascal,  édit.  L.  Brunsclivicg, 
P.  Bout  roux  et  F.  Gazier,  dans  la  collection  des  Grands  écrivains, 
t.  VII  et  VILI  ;  l'abbé  Jacques  Boileau,  Recueil  de  diverses  pièces  concer- 
nant les  censures  de  la  Faculté  de  théologie  de  Paris  sur  la  hiérarchie  et 
la  morale.  Munster,  1666,  in-i2;  Ellies  du  Pin,  Histoire  ecclésiastique 
du  XVW  siècle,  t.  II  et  III  ;  .Mémoires  de  d'Avrigny,  aux  années  iGSg 
et  i665;  Mémoires  de  Rapin,  t.  III,  p.  i/j  et  i5  ;  de  G.  Hermant, 
t.  III  et  IV  ;  le  P.  Sommervogel,  Bibliographie,  aux  mots  Fabki,  Mota 
et  Pikot;  Ledieu,  Clé  de  la  censure.  Bibliothèque  Nationale,  fr. 
i38o8). 

XII  -  33 


338  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

niensi  '  conjuncta,  etiam  interrogantibus  episcopis, 
pro  olficio  suo  gliscentem  novandi  libidinem  lepres- 
serunt.  Gompresbyteri  qunque  nostri  parochialium 
Ecclesiarum  redores,  caeterique  doctores  in  amplis- 
simis  civilatibus  constituti,  ad  nostra  usqiie  tempora 
non  cessarunt  exaltare  vocem  suam  in  pluteis  Sion, 
atque  episcopos  in  alliore  spécula  collocatos  assidiiis 
efilagitalionibus  incilarunt  :  qui  quidem  eorum 
vocibus  et  ipsa  rei  necessilate  commoti,  pro  loci 
sui  auctoritate,  valentiore  manu  gladium  spiritas'' 
assumpsei'unt  quod  est  verbum  Dei,  ad  dirumpenda 
cervicalia  et  pulvillos  inani  arte  consutos  sub  omni 
cubito  manus^,  ne  infelices  animaî  in  morte  obdor- 
miscerent,  ac  par  falsse  pacis  somnium  ad  aeterna 
supplicia  raperenlur.  Neque  tantum  fratres  nostri, 
apostoli  Ecclesiarum,  gloria  Chrisli,  in  suis  quique 
diœcesibus  ascenderunt  ex  adverso,  sed  et  plenitudo 
exercilus  Israël,  ipsi  nempe  Conventus  Gleri  Galli- 
cani,  in  Ghristi  nomine  rite  adunali,  de  fide  et 
moribus  ediderunt  pr*clara  conslituta,  gravesque 
censuras,  quarum  baud  exiguam  partem  comme- 
morandam  repelendamque  censuimus. 

Nec  tacere  possumus,  Religiosissimi  Patres, 
memorabilem  sententiam  qua  maximus  ac  doclissi- 
mus  Gœlus,  anno  i655  et  sequenlibus  Parisiis  con- 
gregalus,  gravissimo judicio  suo  damnavit perversani 

3.  Lii  Faculté  de  Louvain  avait  censuré  en  i653  et  en  1657  un 
certain  nombre  de  propositions  de  morale  lelûcliée  ;  elle  condamna 
aussi  le  livre  de  Guimenius  avant  celle  de  Paris. 

4.  Kphes.,  VI,  17. 

5.  Ezecli.,  xiii,  18.  Ce  verset  est  la  source  de  l'expressio  i  sou- 
vent répétée  :  «  Mettre  des  coussins  sous  les  coudes  des  pécheurs.  >> 


sept.  Ï700]  DE   BOSSUET.  889 

ac  falsi  nominis  scientiam,  xjua  instructi  homines 
non  jam  accommodarent  mores  suos  ad  evangelicw 
doctrinœ  normam,  sed  et  ipsam  poilus  regulam  ac 
sancta  mandata  ad  cupiditates  suas  infœcterent  et 
detorquerent,  novaque  et  inani  philosophia  christia- 
nam  disciplinam  in  academicas  qusestiones  ac  dulnas 
jluc  tuante  s  que  sententias  ventèrent^.  Hspc  illi  :  qua 
sententia  versalilem  illam  ac  noxiani  opinionum 
flexibilitatem,  hoc  estipsummali  caput,  conterebant. 
lllud  vero  judicium  sancti  Caroli  Borromaei  commo- 
nitionibus  ad  ministros  pœnitenlicC  dafis  prœfixum 
ad  collegas  suos  sanctos  Ecclesiarum  Gallicanarum 
episcopos  transmiserunt,  ac  deplorata  sœculi  caeci- 
tale,  id  quoque  indoluerunt,  quod  in  ipso  Comitio- 
rum  exitu,  oppressi  negoliis,  congrua  medicina 
grassantes  morbos  propellere  non  potuerinl.  Quibus 
sane  verbis  ea  remédia  non  omisisse  prorsus,  sed  in 
opportuniora  tempora  dislulisse,  eamque  provin- 
ciam  secuturis  Convenlibus  demandasse  visi  sunl. 
Hanc  paternam  veliit  haereditatem  Cleri  Gallicani 
Cœtus  anno  1682  Parisiis  congregatus  exceperat, 
sed,  conventuinteiTupto,  nesalutaris  consiliimemo- 
ria  intercideret,  sapientissimi  Patres  pravarum  pro- 
positionum  indiculum,  anleaquam  discederent,  edi 
ac  per  Ecclesias  milti  voluerunl,  ut  futuris  Conven- 


6.  Lettre  de  l'assemblée  de  i655,  en  tète  de  l'édition  des  Instruc- 
tions de  saint  Charles  Borromée  aux  confesseurs  de  sa  ville  et  de  son 
diocèse...  imprimées  par  le  commandement  de  l'Assemblée  générale  du 
Clergé,  Paris,  i656,  in-i6.  Le  soin  de  préparer  cette  édition  avait  éti- 
confié  à  l'abbé  Gabriel  de  Ciron,  chancelier  de  l'Eglise  et  de  l'Uni- 
versité de  Toulouse,  le  même  qui  fonda,  avec  Mme  de  Mondonville, 
la  congrégation  des  Filles  de  l'Enfance  de  Jésus. 


34o  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

libus  velut  digito  indicarent  quidtum  Gallicana  para- 
ret  Ecclesia,  aut  quid  a  posteris  exspectari  par  esset. 

Ex  his  profecto  liquet  Episcopis  Gallicanis  ad  Dei 
gloriam  semper  intentis  non  aniinum  unquam,  sed 
opportunitatem  defuisse  ;  quam  nacti  occulta  quadam 
divini  numinis  providentia,  opus  in  manus  resum- 
psimus,  hoc  vel  maxime  tempore  quo  fratres  noslros 
a  fide  calholica  devios,  maximo  Rege  praeeunte, 
revocare  nitimur  ad  Ecclesiam,  cum  nihil  sit  quo 
magis  optimi  ac  religiosissimi  Principis  studia  adju- 
vare  possimus,  quam  si  demus  operam  ut  cliristianae 
de  moribus  régulée,  castitas  et  honestas,  magis 
magisque  in  dies,  nec  tantum  decretis  atque  sen- 
tentiis,  verum  etiam  factis  et  executione  enitescat  : 
quippe  qua  vel  maxime  ad  Ghristum  omnia  trahi 
atque  etiam  infidèles  ab  extremo  orbe  ad  fidem  con- 
verti solere  diximus. 

Nec  defuturam  speramus  Ecclesiae  laboranti  eam 
quae  semper  adfuit  regiam  auctoritatem.  Extant 
nostris  temporibus ',  Rege  ipso  praesente,  regii  Con- 
silii  suprema  judicia  de  coercendis  erroribus  qui  ad 
Ecclesiae  ac  Reipublicae  exilium  publiée  docerentur, 
castigatis  quoque  ac  repressis  eorum  auctoribus. 
Neque  quidquam  est  boni  utilisque  consilii  quod 
Ludovici  Magni  temporibus  non  exspectari  possit. 
aut  est  quidquam  hujus  regni  gloriae  ac  splendori 
congruentius  quam  ut  religionis  ac  disciplinas  puri- 
tas  sanctitasque  floreat. 

Hujus  ergo  rei  gratia,  nos  in  Spiritu  sancto  et  in 
Chrisli  nomine  adunati,  ejusque  ope  freti,  non  tam 

7.  En  i64/|.  > 


sept.  1700I  DE  BOSSUET.  34 1 

novum  opus  aggredimurquam  sancta  décréta,  quoad 
fieri  potuit,  colligimus,  ordinamus,  adhibitis  notis. 
cerlisque  principiis  indicalis,  quibus  instrucli  coo- 
peratores  nostri,  sacramentorum  administri,  errores 
subinde  in  Ecclesia  renascentes  non  modo  perspi- 
cere,  verum  etiam  facile  confulare  possint.  Hoc 
opus  non  tam  nostrum  quam  vestrum,  vestris 
quippe  auspiciis,  vestro  spiritu  gestum,  sanclissimi 
ac  religiosissimi  Consacerdotes,  vestrse  pietati, 
vestrae  fidei  commendamus,  hoc  in  tutela  praesi- 
dioque  vestro  ponimus  :  hoc  fidèle  depositum  cum 
caeteris  egregiis  monu mentis  vestrorum  Cœtuum 
componendum  et  in  communes  Ecclesiarum  usus 
adhibendum  relinquimus,  ut  in  Christo  Jesu,  quo 
uno  confidimus,  Ecclesise  Gallicanae,  immo  etiam 
Catholicae  gloria  inclal•escat^  Valete  in  Domino. 

Datum  in  Palatio  Regio  San-Germano  XV  Kal. 
Ociobris  M.  DCC. 


8.  La  condamnation  portée  par  l'assemblée  fut  critiquée,  nous  dit 
Ledieu  (f.  II,  p.  16^),  dans  une  Lettre  d'un  abbé  à  son  ami  sur  la  cen- 
sure des  propositions  de  l'Assemblée  du  Clergé,  attribui'e  au  P.  Daniel. 
Cette  censure  visait  des  propositions  sans  en  nommer  les  auteurs, 
(j'élait  une  lacune  que  voulut  combler  l'abbé  Ledieu,  et  à  cet  edet  11 
composa  la  Clef  de  la  censure,  qui  est  restée  manuscrite  et  dont  la 
BibliothèqneNationale(fr.  i38o8)  possède  une  bonne  copie.  Ledieu  la 
lut  à  Bossuet.  Le  prélat,  écrit  Ledieu  lui-même,  «  m'a  tranché  le  mot: 
qu'il  jujjeait  cet  ouvrage  utile  à  l'Eglise,  qu'il  désirait  fort  de  le  voir 
imprimé...,  mais  qu'il  fallait  bien  prendre  garde  à  qui  on  confiait  un 
tel  dessein  ;  qu'au  surplus,  s'il  venait  à  être  découvert,  il  fallait 
m'attendre  qu'il  serait  obligé  de  me  désavouer.  »  Et  la  raison,  c'est 
que,  «  quand  il  avait  obtenu  du  Roi  la  permission  de  faire  la  censure 
des  casuistes  dans  la  dernière  assemblée,  c'avait  été  à  la  condition 
expresse  qu'on  ne  nommerait  aucun  auteur  condamné,  pour  ne  rien 
aigrir,  et  qu'il  était  obligé  de  tenir  cette  parole  donnée  si  solennelle- 
ment... »  (Ledieu,  t.  II,  p.  ^24  et  l^25). 


342  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

L.-A.  GARD.    DE  NoAiLLEs,   Archiep.   Parisiensis, 
Prœses. 

Cauolus  m.,  Arch.  Dux  Remensis. 

Anna.  Arch,   Auxitanus. 

Armandus,  Arch.  Viennensis. 

Léo,  p.  p.,  Arch.  Bituricensis. 

Armandus,   Arch.  Burdigalensis. 
;  J.  Benignus,  Episcopus  Meldensis. 

Henricus,  Episcopus  et  Cornes  Cabilonensis. 
'l  Joannes  Baptista,  Episcopus  Rhedonensis. 

Garolus,  Episcopus  Massihensis. 

Henricus,  Episcopus  Montisalbani. 
-|-  Henricus,  Episc.  Gadurcensis. 
-|-  Garolus,  Episcopus  Glandavensis. 
-|-  JosEPHus  Ignatius,   Episcopus  Aptensis. 
-j-  LuDovicus,  Episcopus  Sagiensis. 
^  Franciscus,  Episcopus  Trecensis. 

RoGERius  de  Bussy-Rabutin. 

Joannes  Bap.  de  Gailus. 

Joannes  F.  P.   de  Gaumarlin.    Abbas   B.  M.  de 
Buzayo. 

Franciscus  Prosper  Ghoart  de  Buzanval. 

LuDovicus  Armandus  de  Gourgue. 

Gamillus  Le  Tellier  de  Louvois. 

Franciscus  Thomassin  de  S.  PauL 

Gl.  de  Biet  de  Maubranches. 

Joannes  de  Gatellan. 

J.  F.  Petit  de  Ravanne.  f 

HoNORATus  de  Beaujeu. 

G.  Le  Mazuyer. 

Jacobus  Benignus  Bossuet,  Abbas  Saviniaci. 


sept.  .700!  DE   BOSSUET.  3^3 

Flodoardus    Moret  de    Bourchenu,    Praepositus 

Ecclesiae  Sancti  Andreae  Gralianopolis. 
Carolus  Mauritius  Colbert  de  Villacerf,   nuper 

Agens,  nunc  Promolor. 
H.  Carolus  Arnauld  de  Pomponne,  Abbas  Sancti 

Medardi. 
C.    Mauritius  du  Bouzet  de  Roquépine,   Abbas 

Sancti  Nicolai  Andegavensis. 
Gabriel  de  Cosnac,  Agens  in  rébus  Cleri. 
Carolus  Andrault  de  Langeron  Maulevrier,  Agens 

in  rébus  Cleri, 
ViNCENTius  Franciscus  Desuiaretz,  nuper   Agens 

in  rébus  Cleri,  nunc  a  Secretis. 


2026.  —  Lamoignon  de  Basville  a  Bossuet. 

Vous  avez  été  si  occupé,  Monsieur,  depuis  quelque  temps, 
et  à  des  affaires  si  importantes  %  que  je  n'ai  o^é  vous  in- 
terrompre, quoique  je  dusse,  pour  satisfaire  à  la  dernière 
lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire^,  vous 
mander  mes  pensées  sur  les  réflexions  que  vous  avez  bien 
voulu  faire  touchant  la  question  de  savoir  si  l'on  peut  con- 
traindre par  des  voies  modérées  les  nouveaux  convertis  d'aller 
à  la  messe.  J'ai  employé  ce  temps  à  conférer  sur  cette  impor- 
tante matière  avec  MM.  les  évoques  de  Rieux,  de  Mirepoix  et 


Lettre  2026.  —  Grand  séminaire  de  Meaux.  De  la  main  d'un   se- 
crétaire ;  la  signature  seule  est  autographe.    • 

1.  L'affaire   des  Maximes  des  saints  et  l'assemblée  du  Clergé,  de 
1700. 

2.  Celle  du  II  juillet,  p.  3 18. 


344  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

de  Nîmes.  Je  leur  ai  même  communiqué  votre  lettre  ;  et, 
après  y  avoir  bien  réfléchi,  ils  ont  écrit  eux-mêmes  les 
réflexions  que  je  vous  envoie  *,  qui  valent  bien  mieux  que 
tout  ce  que  je  pourrais  penser  :  j'y  ajouterai  seulement  ce 
que  l'expérience  m'a  appris  depuis  dix-huit  ans  que  je  tra- 
vaille aux  afl'aires  de  la  religion. 

Je  vois,  Monsieur,  que  votre  principale  difliculté  est  que 
l'on  donne  une  faible  idée  de  la  sainteté  du  mystère*  aux 
nouveaux  convertis,  qui  y  vont  avec  indifl'érence  et  même 
avec  répugnance. 

Il  est  certain  que,  s'il  n'y  en  avait  qu'un  petit  nombre,  on 
devrait  ne  les  y  admettre  qu'après  une  épreuve  ;  et  ce  devrait 
être  comme  le  dernier  sceau  de  leur  foi.  Il  faudrait  leur  faire 
désirer  un  aussi  grand  bien,  et  qu'ils  ne  pussent  le  recevoir 
qu'après  en  avoir  connu  parfaitement  l'excellence.  Mais,  lors- 
qu'il y  a  dans  une  seule  province  plus  de  deux  cent  mille 
nouveaux  convertis,  il  semble  que  le  grand  nombre  doit  faire 
changer  de  conduite.  Vous  savez  mieux  que  moi  combien 
cette  raison  du  grand  nombre  a  été  forte  dans  tous  les  temps; 
que  saint  Paul  et  saint  Augustin,  et  même  le  Sauveur  du 
monde,  y  ont  eu  beaucoup  d'égard  :  c'est  ce  que  M.  de  Mire- 
poix  a  très  bien  démontré  dans  un  petit  traité  qu'il  a  fait  sur 
cette  matière''. 

Il  semble,  en  effet,  que  c'a  été  de  tout  temps  l'esprit  de 
l'Église*.  Nous  avons  plus  de  soixante-dix  lois  laites  par  neuf 
empereurs  orthodoxes  depuis  Constantin,  pratiquées  par  les 
rois  goths  contre  les  ariens,  par  Charleinagne  contre  les 
Saxons,  par  saint  Louis  contre  les  albigeois,  qui  contiennent 
des  peines  rigoureuses  contre  les  hérétiques  réunis,  pour  les 
porter  à  suivre  les  exercices  de  notre  religion.  Elles  ont  été 
faites  souvent  à  la  prière  des  évêques,  et  quelquefois  des  con- 
ciles ;  elles  ont  été   louées  et  approuvées   par  les   Pères  de 

3.    On  les  trouvera  en  apprendice,  p.  4i8  h  435. 

4-   Voir  la  lettre  du   11  juillet,  p.  Sig.  ' 

5.  Sans  doute  le  mémoire  annoncé  dans  une  lettre  du  6  août  1698 
à  M.  de  Noailles  (cf.  J.  Lemoine,  op,  cit.,  p.  176). 

6.  Cf.  t.  IX,  p.  317. 


sept.  1700]  DE   BOSSUET.  345 

l'Église.  Craignait-on  en  ce  temps-là  de  profaner  le  mystère, 
ou  de  n'eu  pas  donner  une  assez  grande  idée?  Les  arien.s 
réunis  par  la  crainte  des  lois,  et  entrant  à  l'Église  parce 
qu'ils  y  étaient  coutraints,  avaient-ils  dans  les  commence- 
ments une  foi  bien  vive  de  la  divinité  de  Jésus-Christ  ?  Cepen- 
dant non  seulement  ils  y  étaient  soufferts,  mais  on  les  obli- 
geait d'y  aller,  parce  qu'ils  étaient  en  grand  nombre,  que 
plusieurs  d'entre  eux  se  déterminaient  à  croire  par  l'instruc- 
tion. Ils  entraient  à  l'Église  encore  hérétiques  dans  le  cœur  : 
le  temps,  le  soin  des  pasteurs,  la  vue  de  nos  mystères,  la  grâce 
qui  y  est  attachée  les  détrompait  peu  à  peu.  La  foi  venait 
insensiblement  :  faible  dans  les  premiers  temps,  elle  se  for- 
tifiait dans  la  suite  ;  et  la  bonne  nourriture  prenant  pour 
ainsi  dire  la  place  de  la  mauvaise,  les  conversions  devenaient 
parfaites  et  sincères. 

C'est,  Monsieur,  ce  qui  arrive  encore  aujourd'hui  dans  ce 
que  nous  appelons  nouveaux  convertis.  Si  on  ne  leur 
demande  rien,  ils  demeurent  abandonnés  à  eux-mêmes,  dans 
une  espèce  de  langueur,  sans  culte,  sans  religion  ;  et  l'ou- 
vrage du  Roi  ne  consisterait  à  leur  égard  qu'en  ce  qu'il  leur 
aurait  ôté  celle  qu'ils  professaient. 

Quand  on  les  presse  d'une  manière  modérée,  bien  moins 
sévère  que  celle  qui  est  portée  par  les  lois  des  empereurs,  et 
qui  se  termine  après  tout  au  précepte  de  saint  Paul  :  Inslo, 
increpa,  obsecra'' ,  nous  voyons  qu'ils  se  réveillent  de  ce  som- 
meil léthargique;  que,  venant  à  l'église,  ils  se  détrompeni 
des  fausses  idées  qu'ils  ont  prises  dès  leur  naissance.  Ils  com- 
prennent ce  que  c'est  que  la  messe,  en  la  voyant  dire  ;  en 
lisant  eux-mêmes  ce  qui  s'y  dit,  ils  sont  surpris  de  n'y  trou- 
ver que  des  prières  admirables,  dont  ils  sont  très  édifiés  ;  et 
j'en  ai  vu  plusieurs  bien  convertis,  qui  m'ont  avoué  qu'ils 
n'auraient  jamais  été  détrompés,  s'ils  n'avaient  pas  pris  sur 
eux  d'y  aller  dans  les  commencements,  même  avec  répu- 
gnance. 

7.  Le  texte  tiiblique  complet  porte  :  insta  opportune,  importune  : 
argue,  obsecra,  increpa  (II  Timotli.,  iv,  2). 


346  CORRESPONDANCE  [sept.  1700 

Il  y  aurait  d'ailleurs  une  espèce  d'impossibilité  de  les 
instruire,  s'ils  ne  se  rassemblaient.  Comment  un  seul  curé 
pourrait-il  en  détail  instruire  deux  ou  trois  mille  nouveaux 
convertis  qui  sont  dans  sa  paroisse?  Si  on  les  rassemble  hors 
le  temps  de  la  messe,  rien  ne  (ait  un  plus  mécliant  eiïet  :  ils 
se  fortifient,  par  cet  éloignement,  dans  les  fausses  idées  qu'ils 
ont  du  mystère  ;  et  ils  se  croient  en  droit  de  demeurer  tou- 
jours dans  leurs  erreurs,  quand  ils  n'ont  pas  fait  ce  premier 
pas  pour  en  sortir. 

11  me  semble  que  tout  doit  céder  à  l'expérience.  On  voit 
que,  sans  force,  sans  violence,  et  par  la  seule  application 
qu'on  se  donne  à  presser,  à  exhorter,  à  faire  voir  la  nécessité 
qu'il  y  a  de  suivre  les  engagements  qui  ont  été  pris  par 
l'abjuration,  en  exilant  seulement  dix  ou  douze  personnes 
dans  tout  le  Languedoc,  qui  y  donnaient  un  très  mauvais 
exemple  et  qui  faisaient  gloire  de  le  donner,  presque  toutes 
les  églises  sont  maintenant  remplies.  N'est-il  pas  plus  avan- 
tageux d'y  voir  le  troupeau  rassemblé,  que  d'avoir  à  courir 
après  toutes  les  brebis  égarées  ?  Il  est  certain  qu'un  grand 
nombre  revient  de  bonne  foi,  cl  que  l'on  voit  un  fruit  très 
('•vident  de  la  parole  de  Dieu. 

Plusieurs,  à  la  vérité,  vont  encore  à  l'église  sans  foi;  mais 
plusieurs  y  acquièrent  de  la  foi  tous  les  jours  :  ceux  qui  l'ont 
faible  sentent  qu'elle  se  fortifie,  et  marchent  insensiblement 
au  point  de  perfection  ;  elle  vient  aux  uns  plus  tôt,  et  aux 
autres  plus  tard;  mais  enfin  nous  en  voyons  les  progrès. 
On  compte  toujours,  dans  les  lieux  où  l'on  travaille  avec 
application,  quelque  conquête  nouvelle  et  assurée  ;  et  nous 
n'entendons  dire  autre  chose  à  des  gens  bien  revenus,  si  ce 
n'est  qu'ils  bénissent  la  main  qui  les  a  l'ail  entrer  à  l'église 
avec  quelque  espèce  de  contrainte,  parce  que,  sans  cela,  ils 
n'auraient  jamais  pris  la  résolution  d'y  venir.  Plusieurs 
attendent  le  moment  qu'on  leur  parle  avec  fermelé,  et  ils  se 
déterminent  dès  qu'on  leur  a  parlé  ;  ils  le  disent  ainsi  eux-  ^ 
mêmes. 

Je  dois  ajouter,  Monsieur,  qu'il  y  a  un  nombre  très  grand 


sept.i70o]  DE   BOSSUET.  3^7 

de  nouveaux  convertis,  qui  sont  fatigués  de  vivre  sans  reli- 
gion. Le  peu  de  résistance  qu'on  trouve  en  eux  d'aller  à 
l'église  et  à  la  messe  vient  de  ce  principe  ;  mais  ils  sont  encore 
arrêtés  par  une  fausse  honte,  par  le  mauvais  exemple  de 
quelque  esprit  malin.  Quand  on  rompt  ces  liens,  ils  en  sont 
ravis  ;  et  rien  ne  leur  fait  plus  de  plaisir  que  de  voir  impri- 
mer un  mouvement  général  qui  les  entraîne,  et  qui  les  porte 
où  ils  iraient  d'eux-mêmes,  s'ils  n'étaient  retenus  par  les  pré- 
jugés, qui  ont  fait  de  tout  temps  tant  de  peine  aux  héré- 
tiques. 

Si  je  ne  m'arrêtais  en  cet  endroit,  je  répéterais  ou  plutôt 
j'affaiblirais  ce  que  ces  savants  prélats,  dont  je  vous  envoie 
les  écrits,  vous  représentent.  Je  me  contenterai  de  vous  dire 
que,  s'il  y  a  quelque  inconvénient  de  ne  pas  donner  une 
grande  idée  du  mystère  à  ceux  qui  n'en  sont  pas  persuadés, 
cela  est  bien  récompensé  pur  le  nombre  de  conversions  sin- 
cères qui  se  font  tous  les  jours,  et  qui  ont  commencé  par  un 
mouvement  de  contrainte.  Le  respect  et  la  vénération  pour 
le  mystère  ne  manquera  pas  de  venir,  lorsqu'ils  seront  assez 
heureux  pour  goûter  l'instruction,  et  qu'ils  commenceront  à 
vouloir  connaître  de  bonne  foi  notre  religion  telle  qu'elle  est  : 
cependant  l'habitude  se  forme,  et  l'habitude  aide  beaucoup 
les  hommes  pour  suivre  les  exercices  de  la  religion. 

Mais,  comme  je  n'ai  rien  plus  à  cœur  que  de  ne  point  excé- 
der les  bornes  du  véritable  zèle,  que  je  dois  avoir  pour  rem- 
plir mes  fonctions,  et  que  je  ne  puis  mieux  trouver  cette 
juste  mesure  que  dans  vos  lumières,  je  serai  ravi  d'en  pou- 
voir profiter,  et  qu'elles  règlent  ma  conduite.  Mais  permet- 
tez-moi de  vous  supplier  encore  une  fois  déconsidérer  un  peu 
l'état  de  cette  province,  la  situation  présente  des  affaires  de  la 
religion,  que  je  viens  de  vous  expliquer.  Jugez,  par  toutes 
ces  circonstances  plutôt  que  par  des  principes  séparés  du  fait 
dont  il  s'agit,  si  l'on  doit  avoir  de  la  peine  à  se  résoudre  de 
faire  venir  les  nouveaux  convertis  à  la  messe,  quand  on  sait 
par  une  expérience  certaine  qu'il  n'y  a  qu'à  parler  pour  être 
obéi  ;  et  si  le  scrupule  d'y   déterminer  quelques   personnes 


348  GORRESPOiNDANCE  [sept  1700 

sans  foi,  doit  l'emporter  sur  le  fruit  certain  de  voir  naître 
cette  même  foi  dans  les  cœurs  de  plusieurs*. 

Au  surplus,  nous  ne  voyons  personne  qui  nous  dise  :  Je 
vais  à  la  messe,  je  n'y  crois  point.  C'est  un  langage  qui  nous 
est  inconnu  ;  et,  si  j'entendais  parler  ainsi,  j'empêcherais 
celui  qui  tiendrait  ce  discours  d'aller  à  l'église.  Il  faut  donc 
pénétrer  dans  leurs  cœurs,  et  interpréter  à  mal  les  exercices 
extérieurs  qu'ils  pratiquent?  N'est-ce  pas  pousser  la  chose 
trop  loin?  L'Église,  étant  une  aussi  bonne  mère,  doit-elle 
faire  cette  espèce  d'inquisition  ?  Ils  ne  se  présentent  pas, 
dit-on,  à  la  communion  ;  il  est  essentiel  de  faire  ses  pâques 
tous  les  ans.  Mais  plusieurs  les  font  ;  les  autres  s'y  prépa- 
rent :  il  y  en  a  eu  cette  année  beaucoup  plus  qui  s'y  sont 
présentés,  que  les  années  précédentes.  Quand  ils  y  viendront 
tous,  l'ouvrage  sera  dans  sa  perfection.  Il  faut  travailler  pour 
l'y  mettre,  et  croire  qu'il  n'y  sera  qu'avec  du  temps  et  beau- 
coup de  peine;  mais  l'objet  du  travail  mérite  bien  qu'on  en 
prenne,  et  qu'on  ne  se  rebute  pas  aisément.  Il  me  semble 
qu'il  n'est  rien  si  important  par  rapport  à  la  religion  que  de 
finir,  s'il  est  possible,  celte  grande  entreprise  ;  et  je  puis  dire 
encore,  par  rapport  à  l'État  et  à  la  politique. 

Il  n'est  question  dans  tout  ceci  que  de  savoir  si  l'on  peut 
obliger  les  nouveaux  convertis  d'aller  à  la  messe  :  car,  pour 
la  participation  des  sacrements,  il  ne  peut  y  avoir  deux  avis, 
et  l'on  ne  peut  pas  douter  que  ce  ne  soit  très  mal  fait  de  les 
y  admettre,  quand  ils  n'ont  pas  les  dispositions  nécessaires  ; 
ce  qui  dépend  uniquement  de  la  connaissance  que  les  supé- 
rieurs ecclésiastiques  en  doivent  prendre,  en  examinant  en 
détail  la  foi  de  ceux  qui  sont  commis  à  leurs  soins. 

Je  suis  avec  respect.  Monsieur,  votre  très  humble  et  très 
obéissant  serviteur. 

De  Lamoignon  de  Basville. 

A  Montpellier,  le  21  septembre  1700. 

8.  Plusieurs,  un  grand  nombre  (Académie  ;  Hii-belet).  «  Je  doute 
qu'il  doive  continuer  d'écrire,  s'il  préleredn  moins  sa  propre  satisFac- 
tion  à  l'utilité  de  plusieurs  »  (La  Bruyère,  préface  des  Caractères). 


oct.  1700]  DE   BOSSUET.  3^9 

2027.  A  M"'  CORNUAU. 

A  Paris,  a  octobre  1700. 

Il  ne  tint  pas  à  moi,  ma  Fille,  que  vous  ne  fussiez 
avertie  queje  pourrais  aller  hier  vous  voir.  Aujour- 
d'hui, je  suis  occupé  tout  le  jour  ;  demain,  je  ne  puis 
assurer  aucun  moment  :  je  terai  ce  que  je  pourrai 
l'après-dînée  pour  vous  aller  voir,  mais  je  ne  puis 
vous  l'assurer.  Je  dois  aller  bientôt  à  Pomponne", 
et  assurément  j'irai  à  Torcy*.  En  attendant,  vous 
n'avez  rien  à  craindre  pour  votre  salut  dans  1  affaire 
que  vous  savez,  et  votre  conscience  est  déchargée 
entièrement.  Vivez  en  repos,  ma  Fille,  puisque  per- 
sonne ne  vous  peut  dire  que  vous  soyez  tenue  à 
davantage  que  ce  que  vous  avez  fait.  Agissez  tou- 
jours ainsi  au  nom  du  cher  et  céleste  Epoux,  qui 
vous  remet  au  jardin  clos',  où  vous  lui  avez  donné 
votre  foi. 

Je  n'abandonnerai  point  Torcy  tant  que  vous  y 

a)  Les  mss.   ;  à  P***  ;  édit.  :   à  Paris. 

Lettre  2027.  —  Cent  cinquante-sixième  dans  Lâchât  comme  dans 
Ledieu,  qui  l'acopiée  tout  entière;  cent  cinquante-cinquième  dan  s  Na  et 
Ma  ;  centcinquante-quatrième  dans  Ne;  centcinquante  et  unième  dans 
Nd.  Date  fournie  par  Mme  Gornuau  :«  A  Paris,  dimanche  matin  1700; 
c'était  les  derniers  jours  du  mois  de  septembre.  »  Date  dans  Ledieu  : 
A  Paris,  2  octobre  1700  (Le  dernier  dimanche  de  septembre  1700  était 
le  26  de  ce  mois;  le  2  octobre  était  un  samedi);  le  ms.  ï  :  1699.  Entête, 
Mme  Gornuau  a  mis  un  sommaire  :  «  Sur  ce  que  cette  personne,  étant 
k  Paris,  était  sortie  lorsque  ce  prélat  lui  fit  l'honneur  de  la  venir  voir, 
et  sur  le  retour  de  Mme  son  abbesse  et  elle  dans  sa  maison.  » 

I.  Torcy  est  voisin  de  Pomponne.  Ces  deux  localités  font  partie 
du  canton  de  Lagny.  Le  Journal  de  Ledieu  ne  porte  pas  trace  de  ce 
voyage  à  Pomponne. 

a.   Gant,  cantii-.,  sv     12. 


:i5o  CORRESPONDANCE  [oct.  1700 

serez.  Notre-Seigneur  soit  avec  vous  à  jamais.  Soyez- 
lui  fidèle  épouse,  il  vous  sera  un  bon  et  parfait 
époux.  Allez  en  son  nom  au  lieu  où  il  vous  a  attirée, 
et  où  il  a  reçu  votre  foi.  Regardez-le  en  votre  supé- 
rieure :  attachez- vous  à  lui  obéir  plus  que  jamais  et 
à  la  soulager  dans  les  choses  qu'elle  voudra  vous 
confier,  allant  même  au  devant  de  ses  désirs,  on 
sincérité  et  simplicité,  sans  empressement. 
jNotre-Seigneur  soit  avec  vous. 


2028.  —  A  M"*  DE  Beringhen. 

A   Paris,  a  octobre  1700. 

Gomme  j'espère,  Madame,  être  dans  peu  de  jours 
dans  le  diocèse*,  où  je  verrai  moi-même  les  présen- 
tations et  provisions  de  la  cure  de  Faremoutiers"^,  je 
vous  rendrai  compte  de  celte  affaire,  et  je  vous  prie 
seulement  de  charger  quelque  homme  de  créance  de 
voir  avec  moi  ce  qui  sera  dans  nos  registres,  afin  de 
vous  en  instruire. 

Quant  aux   pensionnaires    qu'on    vous  propose, 


Lettre  2028.  —  i.  Nous  iipprenons  de  Lodieu  que  Bossuel  se  ren- 
dit de  Paris  <i  Meaux  le  vendredi  8  octobre. 

•2.  L'^vpque  de  Meaux  et  Mme  de  Beringhen  ne  s'entendaient  pas 
sur  le  droit  de  nommer  à  la  cure  de  Faremoutiers.  Un  inventaire  des 
papiers  de  l'abbaye  (Seine-et-Marne,  H  ^^6)  mentionne  une  lettre  du 
II  juin  1700  par  laquelle  Bossuet  reconnaît  que  ce  droit  appartient  à 
l'abbesse,  un  mi^moire  à  consulter  sur  ce  sujet  et  une  protestation  du 
i4  novembre  1700  contre  la  prise  de  possession  de  la  cure  par  l'ecclé- 
siastique qui  y  avait  éu''  nommé  par  l'évoque.  Ici,  Bossuet  déclare 
qu'il  s'en  rapportera  aux  précédents,  et  va  consulter  les  actes  rédigés  . 
à  l'occasion  des  différentes  vacances  de  la  cure  de  Faremoutiers. 


oct.  1700]  DE   BOSSUET.  35 1 

dont  l'une  vous  convient  et  l'autre  non,  je  m'accom- 
moderai toujours  à  vos  sentiments,  sans  que  vous  y 
paraissiez  qu'autant  que  vous  le  jugerez  à  propos  : 
et  pour  cela,  il  faudra  que  vous  me  mandiez  les  qua- 
lités de  l'une  et  rie  l'autre,  et  les  circonstances  qui 
peuvent  déterminer,  pour  fonder  mon  consentemenl 
ou  mon  refus  là-dessus. 

Je  ne  doute  point,  Madame,  que  vous  et  Mme 
d'Armainvilliers  n'entriez  dans  nos  sentiments  sur 
la  perte  que  nous  avons  faite  de  M.  le  Procureui- 
généraP,  et  je  vous  en  ronds  grâces   très  humbles. 


9029.  —  Le  Comte  de  Pontchahtrain  a  Bossuei 


A  I-'ontainebleau,  4  octobre  [1700]. 

Le  nommé  Le  Prince,  à  qui  le  Roi  a  donné  la  charge  de 
feu  Féréol*,  a  remis  Ici  entre  les  mains  de  M.   Le  Fèvre-, 

3.  Arnaiild  de  La  Briffe,  mort  le  24  septembre  1700.  Il  possé- 
dait la  terre  de  Ferrières,  dans  le  voisinage  de  Faremoutiers.  Sa  fille, 
Marguerite-Marie  de  l-a  Briffe  avait  épousé,  le  22  février  précédent, 
Louis  Bossnet,  neveu  de  l'évèque  et  maître  des  requêtes. 

Lettre  2029.  —  Inédite.  Archives  Nationales,  O^  4/j,  f"  432. 
Copie.  Clérembault,  563  (Bibl.  Nationale),  donne  un  texte  un  peu 
dil-Térent. 

1.  Antoine  Ferréole,  mort  subitement  à  Saint-Germain  le  2  sep- 
tembre i',oo,  avait  en  réalité  possédé  deux  charges  de  tapissier  valel 
de  chambre,  l'une  cliez  le  Roi,  qui  fut  donnée  à  Michel  Le  Prince, 
et  l'autre  chez  la  duchesse  de  Bourgogne,  qui  passa  à  Pierre  Pacquo. 
Il  était  aussi  tapissier  de  M.  de  Meaux.  Celui-ci  lui  témoignait  de  la 
bienveillance,  et  intervint  en  faveur  de  la  veuve  et  des  enfants, 
auprès  du  Roi,  qui,  le  21  septembre,  accorda  à  la  veuve  Ferréole 
environ  cinq  mille  francs  sur  le  prix  des  deux  charges  de  son  mari 
(Ledieu,  t.  II,  p.  i3/l  et  i47). 

2.  Philippe  Le  F'ebvre,  receveur  des  finances  à  Soissons,  contrô- 
leur de  l'argenterie  en    i685,  trésorier  de   la   maison  de  la  duchesse 


352  CORRESPONDANCE  [oct.  1700 

contrôleur  de  l'argenterie,  la  somme  de  Sooo**  destinée  à  ses 
héritiers^.  Prenez  la  peine  de  me  mander  ce  que  vous  désirez 
qu'il  en  fasse.  Au  premier  avis,  il  peut  compter  cette  somme, 
à  Paris,  à  qui  vous  ordonnerez.  Je  suis... 


2o3o.  —  A  M""*  DE  Beringhen. 

A  Germigny,  18  octobre  1700. 

Je  viens,  Madame,  de  recevoir  votre  lettre  du 
1 5  octobre  ;  je  vous  envoie  la  confirmation  de  votre 
élection',  et  je  retiens  M.  Fouquet  selon  votre 
intention. 

Quant  à  la  pensionnaire  que  vous  agréez,  j'y  con- 
sens. Je  me  tiendrais  honoré  de  donner  l'habit  de 
novice  à  Mlle   d'Helicour^  ;   mais  je  me  réserverai 

rie  Bourgogne  eu  1698,  trésorier  de  la  maison  de  la  Reine  de  1725 
à  1732,  etc.  Il  reçut  des  lettres  de  noblesse  en  1710  (Saint-Simon, 
(^dit.  de  Boislisie  et  Lecestre,  t.  XXII,  p.   4o3). 

3.  Antoine  Ferréole  avait  épousé  dans  la  chapelle  de  l'évèché  de 
Meaux,  le  18  novembre  1687,  Suzanne  Guérin,  fille  de  Jean  Guérin, 
écuyer,  fourrier  des  logis  du  Roi,  et  de  Suzanne  Patron.  De  ce  mariage 
étaient  nées,  à  notre  connaissance,  quatre  filles  :  Suzanne  Germaine, 
baptisée  le  12  octobre  1688  ;  Louise  Geneviève,  baptisée  le  10  mars 
1690;  Marianne,  baptisée  le  Ix  mai  1696,  et  Suzanne  Madeleine, 
baptisée  en  1698  (Registres  des  paroisses  Notre-Dame  de  Ghaage  et 
Saint-Christophe,  aux  archives  municipales  de  Meaux). 

Lettre  2030.  —  i.  D'un  visiteur  triennal,  qu'aux  termes  d'une  tran- 
saction du  21  février  1682,  l'évèqne  choisissait  sur  une  liste  de  trois 
noms  dressée  par  l'abbesse.  Ou  va  voir  que  Bossuet  désigna  le  chanoine 
Fouquet,  désiré  par  Mme  de  Beringhen  (Archives  de  Seine-et-Marne, 
H  Ue,  p.  58;  cf.  E.  Jovy,  dans  le  Bulletin  du  Bibliophile,  1918,  p. 
',95). 

3.  Mlle  d'IIélicourt  était  Louise  Antoinette  Théodose  Rouault. 
Elle  fit,  en  effet,  sa  profession,  sous  le  nom  de  Sœur  de  Sainte-Féli- 
cité, entre  les  mains  de  Bossuet,  le  8  novembre  t70i,  et  le  P.  de  La 
Tour,  général  de  l'Oraioire,  prêcha  à  cette  cérémonie.  Celte  reli- 
gieuse, connue  aussi  sous  le  nom  de  Mme  de  Gamaches,  née  à  Paris, 


oct.  1700]  DE  BOSSUET.  353 

plus  volontiers  pour  la  profession,  si  Mme  la  com- 
tesse de  Gayeux  l'a  agréable.  J'entendrais  avec  joie  le 
Révérend  Père  général  ^  ;  je  lui  envoie  tout  pouvoir. 

Quant  ^  à  la  démission,  on  a  peine  à  trouver  des 
provisions,  le  cas  n'étant  arrivé  de  longtemps^  :  on 
cherche  pourtant  ;  et,  si  vous  envoyez  à  Meaux  de 
mardi  en  huit,  on  vous  donnera  connaissance  de 
tout,  mais  vous  voulez  bien  que  je  vous  dise  que 
c'est  à  vous  à  prouver,  et  que,  faute  de  preuve  de 
votre  part,  non  seulement  la  présomption,  mais  le 
droit  même  est  tout  entier  et  incontestablement  à 
l'évêque.  Néanmoins  je  veux  bien  encore  faire  re- 
chercher tous  les  éclaircissements  qui  vous  peuvent 
être  favorables,  s'il  s'en  trouve,  voulant  toujours 
prendre  avec  vous  les  partis  les  plus  honnêtes. 

Je  salue  toute  la  bonne  compagnie,  et  suis, 
comme  vous  savez,  très  sincèrement  attaché  à  ce 
qui  vous  touche. 


le  20  juin  i683,  et  baptisée  le  29  à  Saint-Sulpice,  était  fille  de 
Louise  Madeleine  de  Loménie  de  Brienne  et  de  Claude  Jean-Baptiste 
Hyacinthe  Rouault,  comte  de  Gayeu,  marquis  de  Gamaches,  mestre 
de  camp,  qui  fut  l'un  des  menins  du  duc  de  Bourgogne.  Son  oppo- 
sition à  la  bulle  Unigenitus  la  fit  interner  par  le  Roi  à  la  Visitation 
ide  Meaux  (juillet  1734),  puis  chez  les  Ursulines  de  Melun,  où  elle 
mourut  le  11  juillet  17^9  (Bibl.  Nationale,  fr.  iiôôg;  Ledieu, 
t.  II,  p.  2^6  ;  les  Nouvelles  ecclésiastiques  de  1784,  p.  ih-t  ;  la  Con- 
stitution Unigenitus  déférée  à  l'Église  universelle,  t.  III,  p.  556  et  suiv.  ; 
ï     Saint-Simon,  t.  VI,  p.  357). 

3.   De  l'Oratoire.  C'était  le  P.  de  La  Tour. 

h.  Cet  alinéa  est  relatif  aux  contestations  survenues  entre  l'évêque 
et  l'abbesse  au  sujet  de  la  cure  de  Farettioutiers.  Cf.  .p  35o. 
;  5.   Bossuet  veut  dire  qu'il  ne  trouve  point  de   provisions  de  la  cure 

j  de  Faremoutiers,  données  à  la  suite  de  la  démission  du  précédent 
titulaire.  On  a  vu  qu'il  voulait  se  régler  sur  ce  qui  s'était  fait  anté- 
rieurement pour  la  collation  de  ce  bénéfice. 

XII  —33 


354  CORRESPONDANCE  [oct.  1700 


2o3i.  —  DoM  Jean  Mabillon  a  Bossuet. 


[Octobre]  1700. 

Je  crois  que  la  pièce  dont  Votre  Grandeur  me  fait  l'hon- 
neur de  m'écrlre  est  celle  de  Guillaume,  abbé  de  Metz  ',  qui 
se  trouve  dans  le  premier  tome  de  nos  Analecles^,  page  281, 
avec  ses  lettres,  qui  précèdent  dans  le  même  tome,  où  il  parle 
fort  avantageusement  de  la  grâce,  surtout  dans  la  sixième. 

Tous  nos  Bénédictins  ont  toujours  été  extrêmement  attachés  , 
aux  sentiments  de  saint  Augustin.  Nous  avons  dans  la  Biblio-  ! 
thèque  des  Pères^,  l'ouvrage  d'un  Franco,   religieux   d'Affli-  I 

Lettre  2031.  —  Cette  lettre,  sans  indication  de  mois  ni  de  Jour 
dans  les  éditions,  doit  avoir  été  écrite  au  mois  d'octobre,  c'est-à-dire 
peu  de  temps  après  la  clôture  de  l'assemblée  du  Clergé,  à  laquelle 
l'archevêque  de  Reims,  chez  qui  se  rendait  Mabillon,  assista  jusqu'fi 
la  fin  (21  septembre). 

1.  Guillaume,  surnommé  le  Wallon,  abbé  de  Saint-Arnoul  de 
Metz.  Il  essaya  vainemeni  de  rétablir  la  di-cipline  dans  le  monastère 
de  Salnt-Reniy  de  Reims,  dont  il  fut  quelque  temps  supérieur.  Il  fut 
aussi  évêque  intrus  de  Metz,  mais  se  repentit  d'avoir  usurpé  cette 
dignité.  11  mourut  à  Saint-Arnoul  le  32  décembre  1099  (Outre  les 
Analeta  de  Mabillon,  consulter  D.  Calmet,  Bibliothèque  lorraine, 
p.  io4i  ;  IJ.  Ceillier,  Histoire  des  auteurs  ecclésiastiques,  t.  XXI; 
Ellies  du  Pin,  Bibliothèque  des  auteurs  ecclésiastiques,  t.  XI  ;  Fabri- 
eius,  Bibliotheca  mediœ  et  infimse  latinitatis,  t.  II  ;  Histoire  littéraire  de  1 
France,  t.  Vlll,  p  3o5  ;  Paquot,  Histoire  litttéraire  des  Pays-Bas, 
édit.  de  176/i,  t.  IV).  ; 

2.  Veterum  analeclorum  toinus  I,  Paris,  1676,  in-8.    La    pièce  visée  | 
par  Mabillon  est  intitulée  :  Oratio  in  commémora tione  sancti  Augaslini  I 
ante  consccralionem  fncienda.  Dans  la  seconde  édition,  Vêlera  analecta, 
Paris,  1733,  in-fol.,  elle  se  trouve  à  la  page  46o.  Elle  est  reproduite 
dans  Migne  avec  les  lettres  de  Guillaume  [P.  L.,  t.  CL,   col.  871  et  1 
suiv.]. 

3.  Il  y  a,  sous  ce  titre,  deux  collections  célèbres  :  l'une  de  Cologne,  1 
Bibliotheca  magna  veterum  Patrum.   1618   et    1623,   i4   vol.  /n-fol.  ; 
l'autre   de   Lyon,   Maxima    bibliotheca   veterum  Patrum.  Lyon,  1677, 
27    vol.    in-fol.,    auxquels    on    a    joint   une    table,    Genève,    1707, 
in-fol. 


nov.  1700J  DE   BOSSUET.  355 

ghem*,  en  Brabant,  touchant  la  grâce,  qui  est  du  douzième 
siècle.  En  même  temps  vivait  en  Suisse  un  Frovuinus  ^,  abbé 
du  Mont  des  Anges  ^"',  dont  j'ai  vu  un  excellent  ouvrage  sur 
le  même  sujet,  qui  est  manuscrit  dans  la  bibliothèque 
d'Einsiedeln,  et  dont  j'ai  pris  seulement  la  table  des  cha- 
pitres ■^ . 

Je  prends  la  liberté  de  dire  à  Votre  Grandeur  que  je  dois 
partir  vendredi  prochain  pour  Reims,  où  M.  l'archevêque 
m'a  ordonné  de  l'aller  trouver.  J'aurais  été  ravi  d'avoir  eu 
cette  occasion  d'aller  rendre  mes  devoirs  à  Votre  Grandeur  ; 
mais  je  crois  que  je  serai  obligé  de  prendre  la  voie  du  car- 
rosse public. 

Je  suis,  avec  un  profond  respect,  etc. 


2082.    M.    DE   TORCY  A   BoSSUET. 

A  Fontainebleau,  ce  1"''  novembre  fyoo. 

Le  Roi  ayant  remarqué,  par  ce  qui  lui  a  été  écrit  de  l'élal 
des  nouveaux  convertis  de  son  royaume,  que  rien  n'est  plus 

4.  Afflijîfhem,  abbaye  bénédictine  fondée  près  de  Bruxelles  en 
Brabant  et  dans  le  diocèse  de  Cambrai  (Gallia  chrisliana.  t.  V  ; 
A.  Berthod,  Histoire  de  l'abbaye  d  Afjliyhem,  dans  les  Mém.  doc. 
hist.  de  Franche-Comté,  i844,  t.  lll  ;  Pitra,  dans  la  Revue  catholique. 
Louvain,  18/19  j  ^'^  wiedererrichtele  Abtei  Afjliyhem  in  Belgien,  dans 
Stud.  Miltheil.  Bened.  Cist.  Ord.,  1887,  t.  VIII).  Francon  mourut  le 
i3  septembre  Ii35  (D.  Ceillier,  t.  XXI  ;  Fabricius,  I.  II;  Foppens, 
Bibliotheca  Belgica.  1789,  t.  I;  Histoire  littéraire  de  France,  t.  XI  ; 
Paqiiot,  t.  II  ;  Varenbergh,  dans  la  Biographie  belge,  t.  VII).  Le 
traité  de  Francon,  de  Gratia  et  benejiceniia  Dei  se  trouve  au  tome 
GLXVI  de  la  patrologie  latine  de  Migne. 

5.  P'rowin  est  mort  le  7  mars  1178. 

6.  Le  Mont  des  Anges  ou  Engelberg,  canton  d'Lnterwald  {Gallia 
christiana,  t.  V,  col.  io65). 

7.  Mabillon,  Annales  ordinis  sancti  Benedieti,  t.  VI,  reproduit  dans 
Migne  fP.  L.,  t.  GLXXIX,  col.  1801]. 

Lettre  2032.  —  Bausset  (livre  XI,  §  xxiv)  dit  que  cette  lettre  est 
une  circulaire  et  qu'elle  paraît  avoir  été  dictée  par  Bossuet. 


356  CORRESPONDANCE  [nov.  1700 

nécessaire,  pour  parvenir  au  grand  ouvrage  de  leur  conver- 
sion, que  de  les  engager  par  tous  les  moyens  que  la  prudence 
peut  suggérer,  d'aller  aux  instructions  que  Sa  Majesté  ne 
doute  pas  que  vous  n'ayez  établies  dans  votre  diocèse.  Sa 
Majesté  m'a  ordonné  de  vous  écrire  qu'elle  espère  que  vous 
renouvellerez  votre  attention  sur  ce  sujet.  Et,  comme  elle  a 
reconnu  que  les  voies  d'exhortation  et  de  douceur  font  sou- 
vent plus  d'elTet  que  tous  les  autres  moyens,  elle  croit  qu'ils 
doivent  être  préférablement  employés.  Il  faut,  sur  toutes 
choses,  éviter  que  personne  ne  soit  forcé  d'aller  à  la  messe  ; 
mais,  s'il  y  a  des  opiniâtres  dans  votre  diocèse,  qui  par  leur 
méchante  conduite  sur  la  religion  causent  du  scandale  et 
donnent  de  mauvais  exemples  aux  autres  nouveaux  conver- 
tis, vous  prendrez  la  peine  d'en  informer  Sa  Majesté,  afin 
qu'elle  ordonne  de  leur  châtiment  suivant  la  peine  qu'ils 
auront  méritée  :  j'écris  la  même  chose  à  M.  l'Intendant. 

A  l'égard  des  jeunes  personnes  au-dessous  de  quatorze  ans, 
comme  Sa  Majesté  a  pourvu  aux  moyens  de  les  faire  aller 
aux  instructions,  il  n'y  a  qu'à  faire  exécuter  les  ordres 
qu'elle  a  donnés  sur  ce  sujet.  Je  suis,  etc. 

De  Torcy. 


2o33.  —  Au  P.  Jacques  de  L.\  Cour. 

A  Germigny,  3  novembre  1700. 

Monsieur, 
Quoique  la  nouvelle  que    vous  me  mandez  me 

Lettre  2033.  —  Revue  sur  la  copie  officielle,  fr.    i5i8o,  f»  3a. 

—  Dom  Jiicques  de  La  Cour  était  originaire  de  Soissons.  Sa  santé 
ne  lui  permettant  pas  de  supporter  le  régme  de  la  Trappe,  où  il  était 
entré  à  l'âge  de  seize  ans,  il  était  passé  à  l'abbaye  du  Pin,  ordre  de 
Cîteaux,  où  il  fit  profession.  Quelque  temps  après,  il  revint  à  la 
Trappe,  et  y  fit  le  vœu  de  stabilité  le  ai  janvier  1686.  Il  remplit 
dans  ce  monastère  diverses  charges  et  fut,  en  parliculier,  maître  des 
novices  ;  il  alla  ensuite  aider  l'abbé  Berryer  à  mettre  la  réforme  d  iis 
son  abbaye  de  Perrecy.  Après  la  démission  de  D.  Gervaise,  Jacques 
de  La  Cour  fut  cboisi  par  Louis  XIV  comme  abbé  de  la  Trappe,  et  il 


nov.  1700]  DE  BOSSUET.  SBy 

soit  bien  dure,  par  la  perte  que  je  fais  d'un  tel  ami', 
je  vous  suis  obligé  de  l'attention  que  vous  avez  eue 
à  m'en  donner  part.  Je  vous  demande  de  tout  mon 
cœur  la  même  part  à  votre  amitié  que  celle  dont 
m'honorait  le  cher  défunt.  Je  ne  puis  en  dire  autre 
chose,  sinon  que  c'était  un  autre  saint  Bernard  en 
doctrine,  en  piété,  en  mortification,  en  humilité,  en 
zèle  et  en  pénitence  ;  et  la  postérité  le  comptera 
parmi  les  restaurateurs  de  la  vie  monastique.  Dieu 
veuille  multiplier  ses  enfants  sur  la  terre  !  Il  sera 
bien  reçu  de  ceux  qu'il  a  envoyés  dans  le  ciel  devant 
lui  en  si  grand  nombre^.  Assurez  la  sainte  maison 
de  ma  constante  et  inviolable  amitié.  Je  me  promets 
bien  que  l'on  continuera  à  y  bien  recevoir  mes 
visites  ordinaires,  que  j'espère  renouveler  dans  la 
saison  qui  le  permettra.  Je  sais  bon  gré  à  M.  de  Séez 
de  tout  le  soin  qu'il  prend  du  saint  monastère,  et  je 
salue  vos  frères  et  suis  \  avec  un  amour  et  vénéra- 
tion cordiale.  Monsieur,  votre  très  humble  ser- 
viteur. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


prit  possession  au  mois  d'nvril  1^99.  H  résigna  ses  Fonctions  en 
1713,  et  mourut  le  25  mai  1720.  Voir  Saint-Simon,  édit.  de  Bois- 
lisle,  t.  V,  p.  /io3  ;  l'abbé  Dubois,  Histoire  de  l'abbé  de  Rancé,  t.  II, 
p.  608  et  suiv. 

1.  Delà  mort  de  l'abbé  de  Rancé,  décédé  le  27  octobre.  CP. 
Ledleu,  t.  Il,  p.  160  et  161. 

2.  Voir  l'ouvrage  de  Rancé,  Relations  de  la  mort  de  quelques  reli- 
gieux de  l'abbaye  de  la  Trappe,  troisième  édition,  Paris,  1765  et 
1758,  k  vol.  in-i2. 

3.  La  copie  porte  à  tort  :  vos  frères  et  lui. 


358  CORRESPONDANCE  [uov.  1700       1 


ao34.  —  Le  Comte  de  Pontghartrain  a  Bossuet. 

Fontainebleau,  4  novembre  1700. 

Monsieur,  les  chanoines  de  l'église  d'Uzès  m'ont  présent»* 
le  placet  dont  je  vous  envoie  la  copie.  Je  l'ai  communiqué 
par  ordre  du  Roi  à  M.  l'évêque  d'Uzès'  pour  savoir  de  lui 
s'il  serait  content  de  ce  qui  est  proposé  par  son  chapitre^,  et 
j'attends  sur  cela  sa  réponse  pour  en  rendre  compte  à  S.  M. 
Cependant  je  suis  obligé  de  vous  dire  que,  comme  l'affaire 
dont  il  s'agit  n'est  pas  d'une  longue  discussion,  le  Roi  sou- 
haite qu'elle  finisse  incessamment,  et  qu'il  est  persuadé  que 
votre  présence  contribuera  beaucoup  à  la  faire  finir.  S.  M. 
m'a  fait  l'honneur  de  me  marquer  que  vous  lui  feriez  plaisir 
si  vous  pouviez,  pour  quelques  jours,  quitter  votre  diocèse  et 
prendre  votre  temps  pour  vous  assembler  avec  les  deux  autres 
commissaires,  afin  d'examiner  cette  affaire  au  plus  tôt  et  de 
donner  conjointement  votre  avis".  Faites-moi  savoir,  je  vous 
prie,  si  quelque  chose  peut  vous  empêcher  de  donner  au  Roi 
cette  satisfaction. 

Je  suis.  Monsieur,  votre  très  humble  et  affectionné  ser- 
viteur. 


Lettre  2034.  —  Im-dite.  Copie  authentique,  à  la  Bibliothèque 
nationale,  fr.  211 19.  Recueil  des  lettres  du  comte  de  Ponlchar train. 

1.  Michel  Poncel  de  La  Rivière,  évèque  d'Uzès  de    1678  à    1728. 

2.  Le  chapitre  d'LJzès  était  en  différend  avec  son  évèque.  Les  cha- 
noines, étant  des  réguliers  de  Sainte-Geneviève,  entendaient  n'être 
pas  soumis  ^  certaines  ordonnances  du  prélat.  Bossuet,  l'archevêque 
d'Auch  et  le  P.  de  La  Chaise,  Purent,  le  lo  mai  1700,  nommés  com- 
missaires pour  étudier  cette  affaire  (Voir  à  l'appendice  V,  p.  486). 

3.  Les  commissaires  conclurent  à  la  sécularisation  du  chapitre,  le 
la  février  17JI,  et  un  arrêt  Put  rendu  en  conséquence  le  21  Pévrier. 
Mais  les  contestations  ne  prirent  fin  qu'après  un  nouvel  arrêl,  du 
^4  mai,  ordonnant,  sur  l'avis  des  commissaires,  la  visite  des  maisons 
claustrales  du  chapitre  d'Uzès  par  l'évêque  de  Nîmes  (Ledieu,  ê.  II, 
p.  17a;  Archives  Nationales,  E  1918;  Revue  Bossuet,  Suppl.  I,  a5  juin 
1905,  p.  8  ft  lo). 


DE  BOSSUET.  869 


2o35.  —  A  Pierre  de  La  Broue. 

A.  Germigny,  6  novembre  1700. 

J'aurais  souhaité  autant  que  vous,  Monseigneur, 
que  l'assemblée  *  eût  pu  condamner  la  pernicieuse 
doctrine  du  cardinal  Sfondrate  ;  mais  la  conjoncture 
des  temps  n'en  permettait  pas  davantage  que  ce  que 
nous  avons  fait  :  et  nous  avons  cru  faire  beaucoup, 
selon  le  temps,  de  marquer  l'approbation  de  la  lettre 
des  cinq  évêques,  qui  s'explique  nettement  contre, 
et  un  désir  manifeste  avec  une  attente  que  Rome  fît 
son  devoir  ;  ce  qu'on  a  dit  aussi,  en  se  déclarant  pour 
la  doctrine  de  saint  Augustin  contre  le  pélagianisme, 
en  est  une  espèce  de  condamnation.  Il  me  semble 
aussi  que  la  censure  des  propositions  Facienti  quod 
in  se  est^,  frappe  assez  rudement  les  semi-pélagiens 

Lettre  2035.  —  Copie  authentique  au  Grand  séminaire  de 
M eaux. 

I.   L'assemblée  du  Clergfé  de  17OO. 

3.  FacietUi  quod  in  se  est  Deus  non  denegat  gratiam.  —  Dans  son  rap- 
port ri  l'assemblée  de  1700  sur  ces  propositions,  Bossuet  avait  expli- 
qué «  que  la  grâce  n'était  pas  donnée  selon  les  mérlles,  ce  qui  excluait 
précisément  les  mérites  naturels  et  tout  ce  qui  pouvait  faire  croire 
que  le  discernement  entre  les  justes  et  ceux  qui  ne  l'étaient  pas  se 
rapportât  finalement  aux  dispositions  ou  aux  œuvres  naturelles,  contre 
f;es  paroles  de  l'Apôtre  :  Quis  le  discernit  (I  Cor.,  iv,  7)?  Qu'à  la 
vérité,  on  ne  pouvait  disconvenir  qu'il  y  eût  quelques  anciens  scolas- 
tiques  qui  établissaient  un  mérite  de  congruo  dans  les  œuvres  purement 
naturelles,  par  rapport  à  celles  de  la  grâce  ;  mais  que  c'était  une 
opinion  généralement  abandonnée  comme  demi-pélagienne,  et  qu'on 
s'en  tenait  à  la  décision  de  saint  Thomas  dans  sa  Somme  (I  ^  II  », 
q.  cix,  art.  vi,  ad.  2  ;  q.  cxii,  art.  m),  oii  ce  saint  docteur  ne  rece- 
vait l'axiome.  Facienti  quod  in  se  est,  etc.,  qu'à  l'égard  de  celui  qui 
Faisait  quod  in  se  est,  secundum  quod  est  motus  a  Dec  «  (Collection  des 


36o  CORRESPONDANCE  [nov.  1700  i 

nouveaux,  et  les  attaque  dans  leur  fort.  C'est  tout  \ 
ce  qu'on  a  pu  faire  dans  la  conjoncture  présente  \  \ 
où  l'on  avait  à  ménager  un  bon  pape,  très  bien  dis-  1 
posé,  et  très  favorable  à  la  France.  i 

Nous  souhaitons  à   M.  de    Saint-Pons  une  con-  i 
damnation  de  ses  rebelles  \   que  la  France  puisse 

proces-verbaux  du  Clergé,  t.  VI,  p.  48ii  et  /i85  ;  Pièces  justificatives,  : 
p.  196  et  197). 

3.  Par  respect,  l'assemblée  sYtait  abstenue  de  juger   un  livre  déjà     ' 
soumis  à  l'examen  du  Saint  Siège. 

4.  Les  récollets,  avec  qui  M.  de  Montgaillard  était  en  dilTérend 
(t.  VIII,  p.  i5o,  i85,  354  ;  t.X,  p.  16,  etc.).  Nous  empruntons  à  Deforis 
(t.  X,  p.  263)  le  texte  d'un  petit  mémoire  relatif  à  cette  affaire,  qui 
fut  envoyé  à  Bossuet. 

«  Il  y  a  longtemps  que  les  récollets  de  son  diocèse  ont  accusé  les 
ouvrages  de  cet  évèque  à  Rome,  comme  contenant  des  opinions 
insoutenables.  Le  Saint  Office  les  ayant  fait  examiner,  il  y  a  environ 
quatorze  ans,  n'y  trouva  rien  à  redire.  Les  récollets,  fort  irrités 
contre  cet  évèque,  l'ont  accusé  tout  de  nouveau,  et  parce  qu'il  a 
envoyé  un  député  pour  sa  défense,  les  récollets  ont  fait  agir  des 
puissances  pour  empêcher  qu'on  n'examinât  cette  affaire  durant  que 
ledit  député  serait  à  Rome,  afin  de  renouveler  leurs  instances  après 
son  départ.  M.  le  cardinal  de  Bouillon  a  fait  entendre  au  Pape 
qu'étant  une  cause  majeure,  il  fallait  plutôt  la  faire  juger  in  parlibiis, 
et  que  c'était  l'intention  de  S.  M.  Ledit  seigneur  évèque  ayant  f.iit 
faire  des  oppositions  contre  le  P.  Damascène,  à  qui  on  avait  donné 
la  revision  de  ses  ouvrages,  le  cardinal  de  Bouillon  a  agi,  afin  que 
ledit  Père  fût  maintenu  dans  cette  commission,  quoiqu'il  soit  du 
même  Ordre,  et  que  le  Pape  ait  ordonné  par  deux  fois  qu'on  en  char- 
geât un  autre  théologien.  Le  Pape  avait  même  nommé  ce  théologien, 
qui  est  le  P.  Latenay,  carme,  contre  lequel  on  a  donné  des  excep- 
tions, parce  qu'étant  interrogé  sur  les  opinions  de  M.  de  Sainl-Pons, 
il  avait  répondu  qu'elles  étaient  toutes  orthodoxes. 

«  Les  principales  difficultés  qu'on  objecte  contre  cet  évèque  regar- 
dent la  lecture  de  l'Ecriture  en  langue  vulgaire,  l'invocation  des 
saints,  l'intention  des  ministres  pour  la  validité  des  sacrements  et  le 
droit  des  évêques  pour  corriger  les  bréviaires  de  leurs  Églises  qui  ne 
suivent  pas  le  romain. 

(f  L'évèque  de  Saint-Pons  avait  accusé  quelques  ouvrages  desdits 
Pères  récollets  de  son  diocèse,  comme  contenant  des  erreurs  fort  ^os- 
sières,  entre  lesquelles  il  y  a  celle-ci  :  qu'il  faut  adorer  le  lait,  le  sang 


nov.  1700]  DE   BOSSUET.  36l 

accepter  sans  restriction  :  celle  qu'on  a  apportée  à 
leur  proprio  motu  devrait  les''  en  désabuser.  Il  est 
vrai  que  Rome  s'éclaire,  et  ce  sera  un  grand  sujet 
de  joie,  si  elle  commence  à  voir  clair  sur  les  versions 
de  la  Bible  en  langue  française  et  sur  les  lectures 
des  Saints  Livres.  M.  de  Saint-Pons  aura  rendu  un 
grand  service  à  l'Eglise,  s'il  peut  sur  ce  sujet  impor- 
tant la  rendre  traitable*. 

J'attends  pour  publier  notre  censure  \  que  j'aie 


et  la  chair  de  la  sainte  Vierge  dans  l'Eucharistie.  On  a  chargé  de 
l'examen  ledit  P.  Damaseène,  religieux  du  même  ordre  de  saint 
François.  Le  cardinal  de  Bouillon  empêche  même  qu'on  n'examine 
cette  affaire,  pour  éviter  d'en  voir  le  jugement  durant  la  vie  de  M.  de 
Saint-Pons.  » 

5.  Ici,  Bossuet  parle  des  Romains,  et  fait  allusion  aux  difficultés 
soulevées  en  France  contre  le  bref  qui  avait  condamné  les  Maximes 
des  saints. 

6.  Les  récollels  avaient  dénoncé  à  Rome  vingt-huit  propositions 
extraites  par  eux  des  écrits  de  M.  de  Montgaillard,  et  en  particuiiei' 
de  son  Instruction  contre  le  schisme  des  prétendus  réformés  {2"  édition, 
Toulouse,  1686,  in-8  de  619  pages).  Ils  lui  reprochaient,  entre  autres 
choses,  sa  facilité  à  permettre  la  lecture  de  la  Bible  en  langue  vul- 
gaire, et  il  s'en  est  expliqué  dans  Vingt-huit  propositions  déférées  au 
saint  Siège  comme  extraites  de  quelques  livres  de  M.  l'évêque  de  Saint- 
Pons,  avec  les  remarques  de  ce  prélat,  et  dans  un  parallèle  entre  sa 
doctrine  et  celle  des  récollets  sur  l'Ecriture  sainte  (Recueil  Lk^  689, 
in-4,  à  la  Bibliothèque  Nationale).  L'affaire  ne  se  termina  point 
comme  le  souhaitait  Bossuet.  Le  27  avril  1701,  le  Saint  Office  con- 
damna, avec  un  certain  nombre  d'écrits  des  récollets,  plusieurs 
ouvrages  de  Montgaillard,  en  particulier  :  Du  droit  et  du  pouvoir  des 
évêques  de  régler  les  offices  divins  dans  leurs  diocèses,  et  même,  avec  la 
mention  donec  corrigatur,  V Instruction  contre  le  schisme.  Toutefois^ 
pour  éviter  les  difficultés  auxquelles  elle  s'était  heurtée  à  l'occasion 
des  Maximes  des  saints,  la  Congrégation  s'abstint  de  porter  un  juge- 
ment sur  chacune  des  propositions  déférées  à  son  examen.  Sur  le  sens 
et  la  portée  de  cette  condamnation  in  globo,  on  peut  voir  une  lettre 
de  l'abbé  de  Montgaillard  à  Noailles  (Fr.  2/I980,  f  3l6). 

7.  Bossuet  veut  parler  des  décisions  de  l'assemblée  du  Clergé,  doni 
la  promulgation  devait  être  faite  par  l'ordinaire  de  chaque  diocèse. 


302  CORRESPONDANCE  [nov.  1700 

vu  celle  de  M.  de  Reims,  afin  d'agir  en  unité.  ^Te  ne 
larderai  pas  à  vous  donner  part  de  ce  que  je  ferai 
sur  cela.  M.  le  cardinal  de  Noailles  a  donné  un 
grand  exemple  sur  cela*;  et  c'est  un  grand  pas 
d'avoir  exterminé  dans  Paris  la  mauvaise  morale. 

Je  suis,  Monseigneur,  avec  le  respect  que  vous 
savez,    votre    très    humble    et    très    obéissant   ser- 


viteur. 


J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 


2036.    —   A   M^^CORNUAU. 

Il  n'y  a  rien  qui  presse,  ma  Fille  ;  vous  pouvez 
différer  de  me  parler  ou  de  m'écrire.  Rien  ne  vous 
presse  non  plus  pour  aller  à  confesse,  Dieu  a 
exaucé  vos  vœux.  Je  serai  lundi  à  R[enlilly]  ',  d'où 
le  lendemain  je  vous  irai  voir  et  écouter^.  Disposez- 
vous-y,    et   préparez   votre   cœur,    ouvrez  tout    au 

8.  Le  mandement  par  lequel  l'archevêque  de  Paris  (le  3  octobre) 
publia  la  censure  et  la  déclaration  de  l'assemblée  du  Clergé. 

Lettre  2036.  —  Inédite.  Elle  se  trouve  dans  Na  (p.  IfS-]  et  488), 
Ma  et  So.  Elle  porte  dans  le  premier  de  ces  manuscrits  la  date  du  11 
ilécembre  1700,  et  dans  les  deux  autres,  celle  du  11  déc.  1702  ;  c'est 
par  erreur,  car  le  ii  décembre  1700,  Bossuet  était  à  Paris,  et  non  à 
Germigny  (Ledieu,  t.  II,  p.  166).  Le  voyage  proieté  par  Bossuet  sup- 
pose la  lettre  écrite  le  11  novembre  1700.  Le  ms.  de  Gomerfontaine 
donne  cette  dernière  date. 

1.  Rentilly,  écart  de  la  commune  de  Bussy-Saint-Martin,  canton 
de  Lagny.  Le  château  et  la  terre  de  Rentilly,  propriété  de  la  famille 
de  Ligny,  appartenaient  alors  à  Marie  de  Ligny,  princesse  de  Furs- 
l«*nberg. 

2.  Le  Journal  de  Ledieu  (t.  II,  p.  162  et  i63)  nous  apprend  que  le 
II  novembre  1700,  Bossuet  était  à  Germigny,  que  le  lundi  suivant, 
i5,  il  se  rendit  à  Rentilly,  où  il  fut  l'hôte  de  la  princesse  de 
Furstenberg,  et  d'où  il  alla  le  mardi  à  Torcy. 


nov.  1700]  DE  BOSSUET.  363 

céleste   Epoux.    Je   le   prie,    ma  Fille,    dêlre  avec 
vous. 

J.  B.,  é.  de  M. 

A  Germiçny,  11  [uorembre]  1700'-. 


2087.  —  A  Lamoig.non  de  Basville. 

A  Germigny,  ce  12  novembre  1700. 

Pendant,  Monsieur,  que  je  suis  ici  solitaire  et 
libre,  j'ai  profité  du  repos  que  je  m'y  suis  donné 
pour  lire  et  étudier  à  fond  vos  savantes  réflexions, 
avec  celles  des  savants  prélats,  sur  une  de  mes 
lettres  \  et  en  même  temps  un  docte  écrit  que 
M.  de  Montauban  m'a  donné  en  nous  séparant^,  sur 
la  contrainte  dont  on  doit  user  contre  les  hérétiques. 
J  ai  tâché,  sur  ces  beaux  écrits  de  personnes  dont 
j'estime  tant  les  sentiments,  de  former  dans  mon 
esprit  une  résolution  sur  cette  importante  affaire  ; 
et  comme  j'ai  cru  avoir  pris  tout  le  temps  dont 
j'avais  besoin  pour  y  réfléchir,  et  que  je  prenais  la 
plume  pour  vous  expliquer  ma  pensée,  il  est  venu 
un  ordre  de  la  Cour  ^  qui  mande  de  se  donner  garde 
de  forcer  personne  ù  la  messe  ;  ce  qui  semblait  vou- 
loir décider  notre  question.  Mais,  comme  la  Cour  a 
ses  raisons  et  ses  vues,  qui  peuvent  changer  selon 

Lettre  2031.  —  1.  La  lettre  de  Basville,  du  21  septembre,  sur  celle 
de  Bossuet,  du  il  juillet;  les  réflexions  des  évêques  de  Mirepoix,  de 
liieux  et  de  Nîmes  (plus  haut,  p.  3^3). 

2.  Au  moment  de  la  clôture  de  l'assemblée  du  Clergé. 

3.  La  circulaire  de  Torcy,  du  i*""  novembre,  qu'on  a  vue  p.  355. 


364  CORRESPONDANCE  [nov.  1700 

les  temps,  je  me  suis  déterminé  à  faire  deux  choses  : 
l'une,  d'examiner  la  matière  en  elle-même,  indé- 
pendamment de  cet  ordre  ;  l'autre,  d'examiner  ce 
qui  est  à  faire,  et  ce  qu'on  doit  remontrer  à  la  Cour 
sur  cet  ordre  même. 

Je  commence  donc  à  traiter  en  soi  la  question,  si 
et  jnsqu'oii  l'on  peut  contraindre  les  hérétiques  ;  et 
je  déclare  d'abord,  ce  que  je  crois  aussi  avoir  fait 
paraître  dans  ma  lettre  qui  a  donné  sujet  aux 
Réflexions  qu'il  vous  a  plu  m'envoyer  ;  je  déclare, 
dis-je,  que  je  suis  et  que  j'ai  toujours  été  du  senti- 
ment, premièrement,  que  les  princes  peuvent  con- 
traindre, par  des  lois  pénales,  tous  les  hérétiques  à 
se  conformer  à  la  profession  et  aux  pratiques  de 
l'Eglise  catholique;  deuxièmement,  que  cette  doc- 
trine doit  passer  pour  constante  dans  l'Eglise,  qui 
non  seulement  a  suivi,  mais  encore  demandé  de 
semblables  ordonnances  des  princes. 

En  établissant  ces  maximes  comme  constantes  et 
incontestables  parmi  les  catholiques,  voici  011  je 
mets  la  difficulté  :  c'est  à  savoir  si  on  a  raison  de 
faire  une  distinction  particulière  pour  la  messe,  et 
d'employer  des  contraintes  particulières  pour  y  for- 
cer les  hérétiques. 

C'est  ce  qu'il  me  semble  qu'il  fallait  prouver,  si 
l'on  voulait  s'opposer  à  mon  sentiment  :  il  fallait, 
dis-je,  prouver  que  les  lois  dont  on  s'est  servi  pour 
contraindre  les  hérétiques,  ou  par  des  supplices  plus 
modérés,  comme  il  a  été  pratiqué  contre  les  dona- 
tistes,  ou  par  les  derniers  supplices,  comme  l'ont 
fait  les  siècles  suivants   contre  les  Albigeois  et  les 


nov.  1700]  DE   BOSSUET.  365 

Vaudois,  ont  fait  une  distinction  particulière  de  la 
messe  d'avec  les  autres  exercices. 

Or  c'est  constamment*  ce  qui  n'a  jamais  été.  On 
a  condamné  à  des  amendes  tous  les  donatistes  ;  on 
les  a  déclarés  inteslables  et  incapables  de  succéder,  à 
moins  que  de  pratiquer  la  religion  catholique.  Mais 
qu'on  les  en  tînt  quittes  pour  seulement  venir  à  la 
messe,  pendant  qu'ils  montreraient  une  répugnance 
invincible  aux  autres  pratiques  de  l'Eglise  autant  ou 
plus  nécessaires,  c'est  assurément  ce  qui  n'a  jamais 
été  pensé. 

Ce  n'est  pas  dans  la  messe  seule  que  consiste 
l'exercice  de  la  catholicité  ;  le  réduire  là,  ce  serait 
une  manifeste  erreur  :  aussi  n'y  a-t-il  aucune  loi 
des  princes,  aucune  règle  de  l'Eglise,  aucun  passage 
des  Pères  qui  contraigne  en  particulier  à  la  messe. 
La  contrainte  n'a  jamais  regardé  que  l'exercice  de  la 
religion  catholique  en  général  :  de  sorte  que,  ou 
l'on  ne  prouve  rien,  ou  l'on  prouve  plus  qu'on  ne 
veut,  en  alléguant  ces  anciens  décrets. 

Qu'ainsi  ne  soit",  je  demande  pourquoi  l'on 
n'emploie  pas  la  même  contrainte  pour  obliger  les 
hérétiques  à  se  confesser  que  pour  les  obliger 
d'aller  à  la  messe.  C'est  sans  doute  qu'on  ne  les  y 
croit  pas  disposés  et  qu'on  craint  de  les  engager  à 
un  sacrilège,  en  les  engageant  à  la  confession  contre 
leur  conscience.  C'est  donc  qu'on  les  met  au  rang 
des  mécréants  ;  et  si  on  les  met  en  ce  rang,  com- 
ment les  force-t-on   d'aller   à  la  messe,   oii  ils  ne 

4.    Constamment,  de  l'aveu  de  tous. 

3.   Qu'ainsi  ne  soit,  qu'il  en  soit  ainsi.  Cf.  t.  V,  p.  8a  et  433. 


366  CORRESPONDANCE  [nov.  17W 

peuvent  assister  avec  édification  sans  commettre  ce 
qu'ils  jugent  être  une  idolâtrie? 

Voici  donc  ce  que  je  crois  être  la  règle  certaine  de 
l'Église. 

Premièrement,  que  l'on  peut  user  de  lois  pénales 
plus  ou  moins  rigoureuses,  selon  la  prudence, 
contre  les  hérétiques. 

Deuxièmement,  que,  ces  peines  étant  décernées 
par  l'autorité  des  princes,  l'Eglise  reçoit  à  sa  com- 
munion tous  ceux  qui  y  viennent  du  dehors,  quand 
elle  peut  présumer  qu'ils  y  viennent  de  bonne  foi, 
et  que  la  vexation  qui  les  a  rendus  plus  attentifs  les 
a  aussi  éclairés. 

Troisièmement,  qu'on  ne  peut  présumer  de  la 
bonne  foi  que  quand  ils  se  soumettent  également  à 
tout  l'exercice  de  la  religion  cathohque. 

Ce  qui  me  fait  donc  penser  qu'on  ne  doit  point 
contraindre  à  la  messe  ceux  qu'on  n'ose  contraindre 
au  reste  des  exercices,  c'est  que  la  répugnance  opi- 
niâtre qu'ils  montrent  à  les  pratiquer,  fait  voir 
qu'ils  sont  indignes  de  la  messe  comme  du  reste. 

Je  n'entre  point  par  là  dans  la  question  des  dispo- 
sitions nécessaires  pour  assister  utilement  à  la  messe  ; 
c'est  ce  qu'il  ne  sert  à  rien  d'examiner  :  il  me  suffit 
qu'on  est  d'accord  que  les  mécréants  manifestes  ne 
doivent  pas  y  être  contraints,  et  qu'on  doit  prendre 
pour  marque  certaine  de  mécréance  une  répugnance 
invincible  à  se  confesser  premièrement,  et  ensuite  à 
communier. 

Je  dislingue  pourtant  ici  entre  exclure  les  héA- 
liques  de  la  messe,  ou  les  y  contraindre.  Je  ne  les  en 


nov.  1700]  DE   BOSSU  ET.  367 

exclurai  pas,  quand  je  pourrai  présumer  qu'ils  vien- 
nent de  bonne  foi,  et  du  moins  avec  quelque  bon 
commencement  des  dispositions  nécessaires. 

Mais,  quand  je  les  vois  déterminés  à  ne  passer  pas 
outre,  c  est- à-dire  à  refuser  la  confession  et  ses 
suites,  je  prends  cela  pour  marque  évidente  d'incré- 
dulité ;  et  les  contraindre  à  la  messe  en  cet  état, 
c'est  les  induire  à  erreur  et  ravilir  la  messe  dans  leur 
esprit  ;  c'est  en  même  temps  déroger  aux  clioses 
plus  nécessaires,  comme,  par  exemple,  à  la  confes- 
sion, et  leur  faire  croire  que  l'exercice  de  la  religion 
catholique  consiste  en  un  culte  extérieur,  auquel 
même  on  fait  voir  d'ailleurs  qu'on  ne  croit  pas. 
C'est  ce  que  je  crois  avoir  expérimenté  en  ces  pays- 
ci  ;  et,  sans  parler  des  expériences,  qui  peuvent  être 
différentes  en  différents  endroits,  la  règle  me  paraît 
indubitable. 

Il  resterait  à  réfléchir  sur  le  dernier  ordre  de  la 
Cour  ;  et  aussitôt  qu'elle  sera  de  retour,  je  me  pro- 
pose de  représenter  qu'il  est  un  peu  trop  général. 
Car,  si  l'on  n'excepte  de  cette  douceur  ceux  qui  ont 
tout  promis  pour  se  marier,  ou  pour  réhabiliter  leurs 
mariages,  sans  après  rien  exécuter  de  ce  qu'ils  ont 
promis  et  déclaré,  et  que  l'on  n'use  envers  eux 
d'aucune  contrainte,  je  crois  pouvoir  démontrer  que 
c'est  tout  perdre,  et  que  c'est  autoriser  une  espèce 
de  relaps  qui  se  moquent  publiquement  et  impuné- 
ment de  la  religion.  Je  fais  un  mémoire®  pour  cela, 
dont  je  prendrai  la  liberté  de  vous  envoyer  copie,  et 
que  je  voudrais  pouvoir  concerter  avec  vous-même. 

6.   On  ne  retrouve  pas  trace  de  ce  noiiveHu  mt'moire. 


368  CORRESPONDANCE  [nov.  1700 

Car  on  avance  bien  plus,  dans  de  telles  discussions, 
par  la  vive  voix  que  par  des  écrits,  où  Ton  ne  trouve 
point  de  repartie.  Cependant,  Monsieur,  ne  nous 
lassons  point  de  traiter  une  matière  si  difficile  et 
en  même  temps  si  essentielle.  Il  me  semble  que  les 
écrits  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'envoyer, 
et  tous  les  autres  que  j'ai  pu  voir  sur  ce  sujet,  n'en- 
visagent point  la  matière  du  côté  que  je  la  regarde 
ici.  M.  l'évêque  de  Montauban,  avec  qui  j'ai  eu  l'oc- 
casion de  m'expliquer,  vous  dira  ce  que  nous  avons 
dit  ensemble,  et  qu'assurément  je  pousse  au  plus 
loin  la  doctrine  des  contraintes,  sauf  à  se  régler  dans 
l'exécution  par  des  tempéraments  de  prudence. 

Si  Dieu  vous  donne  quelque  chose  sur  cette 
lettre,  ne  me  le  refusez  pas.  Car  je  cherche  :  je  vois 
la  difficulté  de  tous  ses  côtés,  et  je  vous  assure, 
Monsieur,  que  je  suis  disposé  à  profiter  non  seule- 
ment des  lumières  de  ces  saints  et  savants  prélats, 
mais  encore  et  plus  particulièrement  des  vôtres,  par 
la  connaissance  que  j'ai  qu'ayant  joint  tant  d'expé- 
rience au  bon  esprit,  à  la  bonne  intention  et  au 
savoir,  vous  êtes  l'homme  du  monde  le  plus  à  écou- 
ter en  cette  occasion. 

Je  finis  en  vous  assurant  de  mon  sincère  respect 
que  vous  connaissez. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Je  crains,  en  faisant  décrire  \  de  perdre  le  temps 
de  faire  partir  cette  lettre,  et  je  vous  demande  par- 
don d'épargner  si  peu  vos  yeux.  " 

7.  Décrire,  transcrire. 

8.  On  verra  au  tome  XIII  les  réflexions  de  Basville,  de  l'évêque  de 
Rieux,  etc.,  sur  cette  lettre  de  Bossuet. 


DE   BOSSUET.  369 


2o38.  —  A  M.  DE  Saint-André. 

A  Meaux,  1/4  novembre  1700. 

J'accorderai  volontiers  à  M.  Lefebvre'  l'attesta- 
tion qu'il  mérite.  Je  suis  fâché  que  nous  le  per- 
dions^. 

Il  est  impossible,  Monsieur,  que  je  me  charge 
moi-même  de  composer  l'histoire  du  saint  abbé  de 
la  Trappe  ;  mais  je  ne  fais  nulle  difficulté  d'en  char- 
ger quelqu'un  et  de  recevoir  les  mémoires.  Mais  qui 
charger.^  Il  y  faut  penser.  J'approuve  fort  de  faire 
ce  qu'il  faudra  pour  empêcher  certaine  sorte  de 
gens^  de  travailler  à  la  chose,  de  crainte  qu'ils  ne  la 
tournent  trop  à  leur  avantage. 

Dieu  bénisse  votre  voyage  et  votre  retour. 
J.  BhNiGNE,  é.  de  Meaux. 

Suscription  :  A  Monsieur,  Monsieur  le  Curé  de 
Vareddes. 


Lettre  2038.  —  L.  a.  s.  Biblioilièque  de  Lille.  Cf.  E.  Griselle, 
dans  les  Études  des  P.  P.  Jésuites,  5  juin  1898.  Cette  lettre,  dans 
l'édition  de  Versailles,  suivie  par  Lacliat  et  autres  éditeurs,  porte  la 
date  du  26  novembre.  Mais,  ce  |Our-là,  Bossuet  n'était  pas  à  Meaux; 
du  reste,  l'autographe  porte  bien  :  i4  novembre  donné  par  Deforis. 

1.  M.  Lefebvre  était  sans  doute  un  prêtre  qui  quittait  le  diocèse  de 
Meaux,  où  il  avait  été  emploté,  et  vraisemblablement  Pierre  Le 
Febvre,  que  nous  trouvons,  en  1697,  vicaire  à  Quincy. 

2.  Ce  début  manque  aux  éditions. 

3.  On  voit  parla  lettre  du  28  janvier  1701,  que  Bossuet  entendait 
par  là  soit  les  bénédictins,  soit  les  jésuites. 

XII   —   2/i 


370  CORRESPOND\^'CE  [nov.  1700 


2089.  —  A  M.  DE  Saint- André. 

A  Versailles,  26  novembre  1700. 

La  lettre  que  vous  avez  pris  la  peine  de  m'écrire 
est  venue  à  moi  après  beaucoup  d'allées  et  de  venues 
qui  en  ont  retardé  la  réception  '. 

Vous  m'avez  fait  grand  plaisir,  Monsieur,  d'avoir 
procuré  la  conservation  en  main  sûre  des  papiers 
dont  je  vous  avais  autrefois  entretenu,  et  dont  l'im- 
portance m'était  bien  connue  ^  Bien  des  gens  s'em- 
presseront de  faire  passer  le  saint  homme  pour  tout 
autre  qu'il  n'était  ;  et  il  n'est  rien  de  plus  nécessaire 
que  de  conserver  des  témoignages  de  ses  sentiments, 
dont  on  puisse  se  servir  en  temps  et  lieu,  selon  que 
la  prudence  le  fera  connaître.  Ce  papier  est  sans 
doute  un  de  ceux  de  la  plus  grande  conséquence. 
Jenesaisoii  cette  lettre  vous  pourra  trouver;  mais, 
en  quelque  endroit  que  ce   soit^   faites   connaître 

Lettre  2039.  —  L.  a  s.  Collection  H.  de  Rothschild.  Il  est  à  noter 
que  Bossiiet,  le  a6  novembre,  n'était  pas  à  Versailles,  mais  à  Paris 
(Ledieii,  t.  II,  p.  i64).  Bien  qu'il  ait  pu  aller  à  Versailles  et  en  revenir 
en  quelques  heures,  il  ne  paraît  pas,  d'après  le  t»^molgnage  de  son 
secrétaire,  qu'il  se  soit  absenté  de  Paris.  Sans  doute  par  distraction, 
Bossuet  aura  écrit  Versailles  au  lieu  de  Paris,  ou  bien  36  au  lieu  de 
:</(  novembre. 

I.    Phrase  omise  par  les  éditeurs. 

3.  Il  y  avait  là,  en  particulier,  un  projet  de  lettre  à  M.  de  Tillemout, 
déclaration  anti-janséniste  que  l'abbé  de  Rancé  avait  composée  en 
réponse  aux  attaques  dont  il  avait  été  l'objet  à  cause  de  sa  lettre  à 
l'abbé  Nicaise  sur  la  mort  d'Arnauld  (cF.  notre  t.  VII,  p.  22),  et  qui 
n'avait  pas  été  publiée.  J 

3.  Bossuel  ne  savait  si  son  correspondant  n'avait  pas  déjà  quitté  la 
J  rappe  pour  revenir  dans  sa  paroisse. 


nov.  1700]  DE  BOSSUET.  871 

mes  sentiments  à  M.  l'abbé  de  la  Trappe*,  en  l'as- 
surant de  la  continuation  de  mon  amitié  pour  lui  et 
pour  sa  sainte  maison. 

Tout  à  vous,  comme  vous  savez. 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 

Au  bas  de  la  3""  page  :  M.  le  Curé  de  Vareddes. 


20/io.  —  A  M""*  DE  Bering HE.\. 

A  Paris,  36  novembre  1700. 

Je  suis  bien  aise,  Madame,  que  vous  ayez  agrée 
l'expédient  que  j'ai  pris\  Il  fallait  finir  cette  affaire, 
et  ne  pas  laisser  plus  longtemps  un  si  grand  trou- 
peau sans  pasteur  :  si  les  pièces  qu'on  a  montrées  à 
Meaux  à  M.  Loyseau^  sont  telles  qu'on  me  les  a 
rapportées,  elles  sont  plus  que  suffisantes.  Quoi 
qu'il  en  soit,  c'est  assez  que  vous  ayez  un  bon 
sujet,  et  celui  que  vous  avez  désiré.  Vos  protesta- 
tions vaudront  ce  qu'elles  pourront  à  l'avenir  ;  elles 
n'empêchent  pas  l'effet  présent,  que  nous  souhai- 
tions tous  deux.  Je  ne  crois  pas,  au  surplus,  que 
vous  trouviez  rien  que  vous  puissiez  opposer  au  titre 
d'évêque,  qui  se  soutient  seul. 

Je  salue  Madame  votre  sœur,  et  suis  toujours  ce 
que  vous  savez. 

l^.  Dora  Jacques  de  La  Cour,  nommé  par  le  Roi  le  i*^"^  janvier 
169g  et  de  qui  il  a  été  question,  p.  356. 

Lettre  2040.  —  i  Pour  finir  la  contestation  entre  l'abbesse  et 
l'évêque. 

2.  Sans  doute  Charles  Loyseau,  qui  était  à  celte  époque  avocat  et 
lieutenant  général  en  l'élection  de  Coulommiers. 


^72  CORRESPONDANCE  [nov.  1700 


20/il.   —  A   M"»*  GORNUAU. 

A  Paris,  29  novembre  (?)  1700. 

Voilà,  ma  Fille,  ce  qui  m'est  venu  sur  l'épitaphe 
de  feu  M""*  d'Albert,  11  en  faudrait  dire  davantage. 
si,  dans  cette  matière,  il  ne  fallait  trancher  court. 
Présentez-la  de  ma  part  à  M™"  de  Luynes,  dont  je 
voudrais  bien  contenter  l'amour  par  quelque  chose 
de  plus  étendu". 

Gl-GIT 

Marie-Henriette-Thérèse  d'Albert  de  Luynes,  etc. 
Elle  préféra  aux  honneurs  d'une  naissance  si  illustre  et  si 
distinguée  le  titre  d'épouse  de  Jésus-Christ,  en  mortification 
et  en  pauvreté **.  Humble,  intérieure,  spirituelle  en  toute 
simplicité  et  vérité.  Elle  joignit  la  paix  de  l'innocence  aux 
saintes  frayeurs  d'une  conscience  timorée.  Toujours  fidèle  à 
celui  qui,  presque  dès  son  enfance,  lui  avait  mis  dans  le 
cœur  le  mépris  du  monde,  elle  fut  longtemps  l'exemple  du 
saint  et  célèbre  monastère  de  Jouarre;  d'où  étant  venue  en 
cette  maison  pour  accompagner  Mme  sa  sœur'',  elle  y  mourut* 
de  la  mort  des  justes  le  trois''  février  1699'',  subitement  en 
apparence,  en  effet  avec  les  mêmes  préparations  que  si  elle 
avait  été  avertie  de  sa  fin. 

Pour  vous,  ma  Fille,  comme  je  vous  l'ai  dit  tant 

a)  So  ;  tendre.  —  6)  Lâchât  :  piété  ;  Deforis  :  pureté.  —  c)  Lâchât  : 
une  sœur  chérie.  —  d)  Lâchât  :  //.  —  e)  Les  mss   :   i6g8. 

Lettre  2041.  —  Cent  soixantième  dans  Na;  cent  soixante-quatrième 
dans  So.  Les  éditeurs  l'ont  placée,  non  point  parmi  les  lettres  à  Mme 
Cornuau,  mais  à  la  fin  des  lettres  h  Mme  d'Albert.  Mme  Cornuau  donne 
la  date  :  A  Paris,  39  décembre  1700  ;  mais,  ce  jour-là,  Bossuet  se 
Irouvail  â  Meaux,  et  non  à  Paris.  Le  ms.  de  Sorbonne  :  1702.  Le 
ms.  de  GomerPontaine  :  29  novembre  1700.  A  cette  date,  Bossuet  se 
trouvait  bien  à  Paris  (Ledieu,  t.  II,  p.   i64).  / 

I.  On  verra  à  l'Appendice,  p.  Agi,  le  récit  de  ses  derniers  moments 
écrit  par  Mme  Cornuau. 


! 
I 


déc.  1700]  DE  BOSSUET.  878 

de  fois,  vivez  et  mourez  sous  les  yeux  d'une  si  sainte 
amie, 

Notre-Seigneur  soit  avec  vous. 


20/12.  —  Le  Comte  de  Pontchartrain  a  Bossuet. 

A  Versailles,  i*'  décembre  1700. 

Le  Roi  m'a  ordonné  de  vous  envoyer  ce  mémoire,  qui  a 
été  donné  en  faveur  du  Sr  Saurin',  ministre  converti,  qui 
demande  que  S.  M.  place  dans  un  couvent  une  de  ses  filles  ^, 
qui  témoigne  de  la  vocation  pour  être  religieuse.  S.  M. 
désire  savoir  de  vous  si  cet  homme  et  le  reste  de  sa  famille 
font  bien  leur  devoir  de  catholiques,  où  il  fait  sa  résidence 
ordinaire*,  et  quelles  sont  ses  facultés.  Je  suis... 


2043.  —  A  Clément  XI. 

Beatissime  Pater, 
Te    nostris    potissimum    temporibus,    manifesta 

Lettre  2042.  —  Inédite.  Archives  Nationales,  O'  44,  f"  586.  Copie. 

I.  Joseph  Saurin.  Cf.  t.  V,  p.  96,  ^75  et  suiv. 

3.  Saurin  s'étant  marié  plusieurs  années  après  la  révocation  de  l'édit 
de  Nantes,  l'enFant  pour  qui  il  sollicitait  la  charité  du  Roi,  ne  pouvait 
pas  avoir  plus  de  dix  ou  onze  ans.  En  171Q,  Saurin  est  dit  «  chargé  de 
cinq  grandes  filles  ».  Quatre  de  ces  filles  vivaient  encore  en  1740.  La 
filleule  de  Bossuet,  Bénigne  Catherine,  née  en  1694,  mourut  proba- 
blement en  1753. 

3.  Saurin  demeurait  sur  la  paroisse  Saint-Landry,  à  l'Hôtel  des 
Ursins  {Ibld.,  p.  496).  En  1708,  son  curé  certifia  que  les  époux  Sau- 
rin élevaient  leurs  enFants  avec  beaucoup  de  soin  et  donnaient  toutes 
les  preuves  d'une  sincère  réunion  à  l'Eglise  catholique  (Archives 
Nationales,  G*  244  et  747). 

Lettre  2043.  —  Rome,  Lettere  di  vescovi,  t.  XCIII,  f»  666.  Copie 


374  CORRESPONDANCE  [déc.  1700 

supremi  Numinis  voluntate,  ad  fastigium  aposto- 
licae  potestatis  evectum,  vimque  factam  modestiîP 
tuae,  et  multum  reluctanti',  ac  tantum  non  invito, 
onus  impositum  consensione  mirabili,  id  quidem, 
non  Sanclitati  Tuae,  sed  Ecclesiœ  Dei  ac  rébus 
humanis  gratulari  nos  decet.  Quis  enim  non  videat 
omnino  fulurum,  ut  quo  magis  reformidaveris  non 
modo  oblatam,  verum  etiam  infartam  ac  velut  incul- 
catam  supiemam  dignitatem,  eo  confidenlius  ac 
promptius  tain  praesentis  Numinis  auctoritate  sus- 
ceptam  exerceas  et  géras  ;  atque  Ecclesiae  catholicie 
Pontificem  exbibeas  eum,  qui  cum  innata  solertia, 
tum  labore,  industria  et  rerum  experientia  clarus, 
magnifiée  sapientiam  tractet,  arcana  legis  pandat, 
solvat  dubia,  exscindat  errores,  bonitatem,  et  disci- 
plinam,  et  scientiam  doceat,  pacem  orbi  christiano, 
melioribus  quam  unquam  auspiciis  aflulgentem,  fir- 
met  ac  foveat  ;  omnia  denique  apostolatus  munera, 
Deo  adjuvante,  naviter  exequatur? 

Ac  de  pace  quidem,  Beatissime  Pater,  quis  non 
eam  perpetuam  speret^?  quippe  quam  jam  non  fœ- 
dera,    sed  ipsa   etiam    natura    conciliet,    et   Magni 

avec  conclusion  e(  signature  autographes. —  Le  cardinal  Albano  avait 
été  élu  pape  le  2^  novembre  1700,  sous  le  nom  de  Clément  XI. 
Cette  lettre  fut  fort  approuvée  par  le  Roi  et  par  M.  de  Torcy,  et,  à 
la  demande  de  ce  ministre,  on  en  fit  pour  lui  une  copie  (Ledieu, 
t.  II,  p.  167). 

1.  Albano  était  resté  trois  jours  avant  de  consentir  à  son  élection. 

2.  La  rivalité  de  la  l'^rance  et  de  l'Espagne,  cause  de  tant  de 
guerres,  avait  pris  fin  par  le  testament  de  Charles  II,  en  vertu  duquel 
le  duc  d'Anjou,  petit-fils  de  Louis  \IV,  fut  proclamé  roi  d'Espagne  le 
a4  novembre  1700.  L'Europe  n'en  fut  pas  plus  tranquille,  pui  ^ue 
l'avènement  de  Philippe  V  déchaîna  la  longue  guerre  de  la  succession 
d'Espagne. 


.léc.  1700J  DE  BOSSUET.  SyS 

Ludovic!  augusiique  Delphini  paternus  aeque  jam 
in  Hispanias  atque  in  Gallias  animus  ;  sublalis  inter 
incl^-tas  gentes,  quas  tota  maxime  Europa  suspiciat, 
inimicitiarum  causis,  ac  velut  média  soluta  mace- 
lia,  quo  firmius  coalescant  ?  Mihi  vero  assidue 
cogitanti  in  hanc  temporum  necessitudinem  inci- 
disse  auspicatissimum  Ponlificatum  tuum,  et  cum 
hac  magnanimi  Régis  gloria,  et  Gallicani  nominis 
majestate  esse  conjunctum,  exclamare  libet  :  A 
Domino  factum  est  istud,  et  est  mirabUe  in  oculis 
nostris^  ;  magnaque  spes  subit  per  sapientiam  tuam 
eventurum  ut,  quod  olim  Simoni  JudaiccC  gentis 
summo  Pontifici  contigisse  sacra;  Lifterae  commé- 
morant :  Det  nobis  Dominas  jucunditatem  cordis, 
etfirm.ari  pacem  in  diebus  nostris  in  Israël  per  dies 
sempiternos '\ 

Te  vero,  clementissime  atque  optime  Pontifex,  in 
lanta  celsitudine,  tantaque  exultatione  applaudentis 
Ecclesiae,  ne  pigeât  paternos  conjicere  oculos,  et  in 
me,  quem  non  semel  singulari  tuae  benevolentiae 
iestificatione  beaveris,  et  in  nepotem  meum,  cui, 
peculiari  divinae  Providentiae  gratia,  sapientiam 
illam  tuam  et  coram  intueri,  et  exinde  infixam 
animo  suspicere,  venerari,  et  qua  potuit  voce,  pro 
sua    tenuitate,    celebrare    licuit".    Nos   ergo    simul 

3.  Ps.  cxvii,  28. 

l\.  Eccli.,  L,   a5  (La  Vulgate,  au  lieu  de  firmari,  donne  :  fieri). 

5.  Il  est  piquant  de  rapprocher  ceci  des  lettres  écrites,  soit  par  l'abbé 
Bossuet  le  7  janvier,  le  4  février  et  le  16  décembre  1698,  les  8  jan- 
vier, 8  février,  i3,  17  et  3i  mars  1699,  soit  par  son  oncle  le  9  et 
le  16  février  1699,  etc.  (tomes  X,  p.  1 15  et  161  ;  t.  XI,  6,  61,  120, 
139,  189,  208,  228  et  suiv.,  etc.).  Bossuet  doit  songer  à  frayer  à  son 
neveu  les  voies  de  l'épiscopat. 


376  CORRESPONDANCE  |déc.  1700 

adusi  sacra tissimis  pedibus,  Sanctitati  Tuae  diutur- 
num  pontificatutn  auguramur,  quem  Ipsa  nalura 
polliceri  videatur  ;  et  benedictionem  apostolicam 
humiles  ac  supplices  expectamus. 

Beatissime  Pater, 

Sanctitatis  Vestr^e, 
Addictissimus  ac  devotissimus  famulus  ac  filius, 
J.  Benignus,  Eps.  Meldensis. 

Datum  in  palatio  Versaliano,  pridie  idus  decemb.   1700. 


20/48  bis.  —  A  Clément  XI. 

Très  saint  Père, 
Ce  n'est  pas  seulement  V.  S.  que  nous  devons  féliciter  de 
son  exaltation  ;  mais  l'Église  de  Dieu  et  toute  la  terre  doi- 
vent encore  se  réjouir  de  ce  qu'il  a  été  donné  principalement 
à  nos  jours,  de  vous  voir  élevé  au  comble  de  la  puissance 
apostolique  par  la  volonté  de  Dieu,  clairement  manifestée 
dans  ce  consentement  unanime  qui  a  fait  violence  à  voire 
modestie,  et  qui  vous  a  chargé  comme  malgré  vous  de  la 
sollicitude  pastorale.  Car  qui  ne  voit  ce  qui  doit  arriver,  que, 
plus  vous  avez  craint  cette  suprême  dignité,  qui  non  seule- 
ment vous  a  été  offerte,  mais  encore  imposée  avec  une  espèce 

Lettre  2043  bis.  —  Cette  traduction  a  été  faite'par  Ledieu  ;  bien 
qu'elle  ne  soit  pas  de  Bossuet,  nous  la  donnons  parce  qu'elle  fui 
approuvée  par  ce  prélat  et  présentée  par  lui  au  Roi  lorsqu'il  lui 
demanda  la  permission  d'envoyer  l'orig^inal  au  Pape.  On  lit,  en  effet, 
~  sur  la  copie  de  Ledieu  (Colleclion  de  M.  Dumas,  à  Bordeaux)  :  «  Celte 
*  version  faite  par  moi  et  approuvée  par  Mgr  de  Meaux  même,  et  par  lui 
présentée  au  Roi,  en  lui  demandant  la  permission  d'envoyer  son  é^tre 
latine  à  Rome.  Fait  à  Versailles,  ce  i  îs  de  décembre  1700.  Ledieu, 
chancelier  de  Meaux  o  (Cf.  le  Journalde  Ledieu,  t.  II,  p.  166  et  167). 


.léc.  1700I  DE  BOSSL'ET.  377 

(Je  force,  plus  aussi  vous  l'exercerez  el  la  remplirez  avec  con- 
fiance et  ov<^c  facilité,  après  l'avoir  reçue  d'en  haut  d'une 
manière  où  la  présence  du  Saint-Esprit  s'est  si  visiblement 
déclarée?  Ainsi  l'Église  catholique  verra  en  votre  personne 
un  pontife  qui,  déjà  connu  par  ses  talents  naturels  et  acquis, 
par  sa  capacité  et  par  son  expérience  dans  les  affaires,  don- 
nera de  mémorables  exemples  de  sagesse,  expliquera  les 
secrets  de  la  loi  divine,  résoudra  les  doutes,  exterminera 
l'erreur,  enseignera  la  bonté,  la  discipline  et  la  science, 
affermira  et  entretiendra  dans  le  monde  chrétien  la  paix, 
qui  se  présente  avec  de  meilleures  espérances  que  jamais 
d'une  éternelle  durée  ;  un  pontife  enfin  qui,  avec  le  secours 
du  Ciel,  accomplira  dignement  tous  les  devoirs  de  l'apos- 
tolat. 

En  effet,  pour  ce  qui  regarde  la  paix,  qui  ne  doit  espérer. 
Très  saint  Père,  qu'elle  sera  éternelle,  puisqu'on  la  voit  éta- 
blie non  seulement  sur  la  foi  des  traités,  mais  encore  par  les 
liaisons  les  plus  étroites  du  sang  et  par  la  bonté  paternelle 
de  Louis  le  Grand  et  de  Monseigneur  le  Dauphin,  laquelle 
se  fait  aujourd'hui  sentir  à  l'Espagne  autant  qu'à  la  France 
même  ?  C'est  ainsi  que  seront  ôtées  les  causes  des  inimitiés 
entre  ces  deux  grandes  nations,  qui  semblaient  décider  du 
sort  de  toute  l'Europe  ;  et  la  muraille,  pour  ainsi  parler,  qui 
les  tenait  séparées,  étant  abattue,  on  voit  que  leur  union  sera 
immortelle  et  inébranlable.  Pour  moi,  quand  je  considère 
avec  attention  que  votre  pontificat,  dont  nous  espérons  toutes 
sortes  de  biens,  se  rencontre  dans  ces  heureuses  conjonctures, 
où  la  gloire  d'un  Roi  magnanime  et  la  majesté  du  nom  fran- 
çais éclatent  davantage,  je  ne  puis  m'empécher  de  m'écrier  : 
Ceci  est  Vouvrage  du  Seigneur,  et  nos  yeux  en  sont  frappés 
d'élonnement.  Ce  qui  aussi  me  fait  concevoir  cette  ferme 
espérance,  que,  comme  la  sainte  Écriture  raconte  qu'il 
arriva  autrefois  à  Simon,  souverain  pontife  des  Juifs,  ainsi. 
par  votre  sagesse,  le  Seigneur  nous  accordera  la  joie  de  notre 
cœur,  et  dans  nos  jours  il  affirmera  la  paix  à  jamais  en  Israël. 

Cependant,  Très  saint  Père,  dans  cette  suprême  élévation  el 


•  iyS  CORRESPONDANCE  [déc.  1700 

au  milieu  des  applaudissements  de  l'Église,  qui  est  toute  en 
joie,  qu'il  me  soit  permis  de  supplier  Votre  Sainteté,  après 
toutes  les  marques  de  bienveillance  dont  elle  a  daigné  m'ho- 
îiorer,  qu'elle  veuille  bien  encore  jeter  ses  regards  paternels 
sur  moi  et  sur  mon  neveu,  qui,  par  une  grâce  particulière,  a 
eu  le  bonheur  de  voir  de  ses  yeux  cette  sagesse,  et  qui,  s'en 
étant  rempli  l'esprit,  n'a  cessé  de  l'admirer,  de  la  respecter, 
et  de  la  célébrer  autant  qu'il  en  a  été  capable.  Nous  donc, 
prosternés  ensemble  à  vos  pieds,  ^nous  souhaitons  à  Votre 
Sainteté  un  long  pontificat,  tel  que  la  nature  même  semble 
le  lui  promettre  ;  et  nous  vous  demandons,  en  toute  humi- 
lité et  respect,  votre  bénédiction  apostolique. 

Très  saint  Père,  de  V.  S.   le  très  humble  et  très  dévoué 
serviteur  et  fils, 

J.  Bénigne,  é.  de  Meaux. 
A  Versailles,  12  décembre  1700. 


90/i/i.    A    M""*    CORNUAU. 

A  Paris,   13  décembre  1700. 

Je  n'ai  appris